Le soir même, au cours du banquet de bienvenue pour le retour au bercail du prince et de ses braves, avec le roi Sigmund, la reine, le roi de Mataquin et toute la cour, Sigmund fit une grande annonce :
-" Mes amis, nous sommes réunis pour vous annoncer une excellente nouvelle : dans trois jours, mon fils Ganaël va épouser la princesse Frédégonde, fille du roi de Mataquin !
- Trois jours ?!!! Cria Ganaël en recrachant sa gorgée de vin. Quoi, si vite ?!
- Allons, mon fils, fit Sigmund, tu sais bien, tu es l'héritier du trône, et je ne serai pas éternel; je voudrais que tu puisses assurer ta descendance au plus vite afin de ne point laisser le trône vacant.
- Mais, père, vous ne pensez pas qu'il est tôt encore ? Et puis, avec toute ma ribambelle de petits frères, je crois que j'ai encore de la marge, non ?
- Allons, mon fils, tu sais bien ce qui est arrivé à mon cousin Henri : il avait lui aussi plein de fils, et ils sont tous morts les uns après les autres en laissant un royaume dans un état déplorable ! Et finalement, c'est l'autre cousin Henri qui est devenu roi.
- Oui, mais le cousin Henri, il n'avait que quatre fils. Et en me comptant, on est quand même vingt-huit garçons, et autant de filles pour la régence.
- Ta ta ta !! Allez, on ne discute pas ! Et puis, voyons mon garçon, qui n'aurait pas hâte de devenir l'époux d'une si belle princesse ? Dit-il en pinçant affectueusement la joue de Frédégonde, qui lui sourit en minaudant d'une manière irrésistible. Oh, elle est charmante; elle a vos yeux, mon cher ami, dit-il en se tournant vers le roi de Mataquin.
- Hein ? Ah, oui.. Je me disais aussi où je les avais mis." Murmura le roi de Mataquin en touillant son potage d'un air absent.
Le roi Sigmund se tourna sans comprendre vers le chambellan.
-" N'ayez crainte, dit le chambellan, avec lassitude. Les rats de la vieillesse ont quelque peu rongé le fromage de sa mémoire, et il oublie parfois ce qu'on lui dit.
- Ha bon.
- Bon, comme je le disais, père, vous ne trouvez pas que c'est aller un peu vite en besogne ? Trois jours.
- Ce sera parfait ! Juste le temps de commander les dragées et de poster les invitations. Qu'il soit fait selon mon bon plaisir. J'ai causé."
Ainsi fut dit, et les convives retournèrent à leurs tranches de rôti et leurs parts de quiche. Ganaël renversa son verre qui se répandit sur la nappe et dit "merde", assez haut pour qu'on l'entende. Mais le roi son père demeura inflexible.
Donc, durant les trois jours qui suivirent, le château du roi Sigmund et de la reine Siegelinde vécut dans une effervescence incroyable. Tous les serviteurs s'affairaient et faisaient diligence pour mettre au point tous les préparatifs du mariage : le grand autel avait été dressé dans la grande cour du château, d'immenses guirlandes de fleurs étaient pendues un peu partout, les cuisiniers et marmitons s'ingéniaient à composer le plus grand festin jamais connu, et des milliers d'invitations étaient lancées dans le monde entier, conviant les grands de ce monde à cette noce exceptionnelle.
Pourtant, Ganaël se sentait un peu mélancolique : il avait bien essayé de ménager de doux entretiens avec la princesse Frédégonde, mais elle semblait autrement absorbée dans son comptage des petites cuillères en argent, l'estimation du mobilier et des bijoux de la reine sa future belle-mère, et la consultation des rapports financiers du royaume. Le jeune prince était donc résigné à partager son temps entre l'essayage de son costume de mariage, les décisions existentielles de la princesse, comme quelle assurance choisir pour les enfants, qu'elle voulait fort nombreux, ou de quelle couleur repeindre la petite chambre en haut du château, et passer des heures à jouer au bilboquet, assis sur un créneau du donjon. Il savait que ce mariage lui apporterait la plus belle princesse du monde, un royaume puissant et pas loin du sien, et une prospérité encore plus considérable que celle dont il jouissait déjà. Mais..
Mais au fur et à mesure que la date fatidique approchait, il semblait à Ganaël que les goûts de la princesse divergeaient toujours davantage des siens. Les parties de chasse entre jeunes nobles, par exemple : alors que même la reine sa mère goûtait fort cette délectable activité, la seule idée de devoir chevaucher par monts et par vaux, de supporter sur son bras blanc le poids intolérable d'un faucon ou de porter elle-même ses armes lui faisait pousser des cris de dégoût. Quant aux autres parties, qui se déroulaient dans les champs, force était de constater que non seulement l'éducation de la princesse était singulièrement défaillante à ce titre, mais en plus la simple idée de faire quelque chose dans un lit qui ne se rapporte pas expressément à la conception de beaucoup d'enfants la faisait s'évanouir d'horreur. Bref, Ganaël réfléchissait fort dans sa tête de prince, tout en maniant dextrement son bilboquet à la lueur de la pleine lune. Et malgré ses efforts et son évidente bonne volonté, plus il pensait au mariage et à Frédégonde, et plus il avait l'impression de perdre au change. Surtout en ce qui concernait un certain fidèle compagnon joli comme un coeur avec des boucles blondes, un maintien princier et une imagination très fertile quand il s'agissait de gaudriole et autres galantes bagatelles.
Pendant ce temps, de son côté, Eric était lui aussi mélancolique, et plus encore que Ganaël. Le mariage de son prince ne l'enchantait pas vraiment, et même Jehan, le nouveau et ravissant page de la suite du roi Sigmund, ne suffisait pas à le dérider. Pas plus que Thibaud et ses grands yeux noirs, ou Géraud, le palefrenier aux rudes et avenantes manières en sus d'une carrure d'armoire à glace, ou même le charmant Thierry et sa souplesse proverbiale; sans compter tout ce que le château et les environs pouvaient compter de jolis garçons prêts à être déniaisés. Il avait beau se délecter de tous ceux-là dans la plénitude de la délectation, il lui manquait toujours quelque chose.
Son prince, Ganaël.
Il y avait quelque chose de pourri dans le royaume de Sigmund.
Il réfléchit à tout cela, fronça les sourcils et renvoya Olivier, un page fraîchement arrivé de sa campagne, et dont les jolies fesses rebondies avaient retenu son attention. Puis il s'étendit plus à son aise dans l'immense lit à baldaquin, content d'avoir toute la place pour lui tout seul, et de pouvoir enfin déprimer tranquillement.
Le jour du mariage arriva enfin. Tous les plus grands monarques du monde s'étaient déplacés en grande pompe pour assister au mariage de Ganaël, fils de Sigmund et Siegelinde, le plus brave des princes, et de Frédégonde, fille du roi de Mataquin, la plus belle des princesses. Ganaël, en son beau costume chamarré de pierreries, était brave et magnifique, comme.. Comme.. Ben, heu.. Ben, comme un prince qui va se marier, quoi. Frédégonde, elle, en sa somptueuse robe blanche à dentelles et avec son collet monté, et sa jolie couronne de blanches fleurs d'oranger posée sur ses blonds cheveux, était plus belle encore qu'à l'ordinaire, si telle chose était possible. Eric lui aussi était très beau, mais il boudait tellement que nul n'osait l'en complimenter. Et la Bonne Fée avait mis sa plus belle robe, celle avec du voile partout et une crinoline si large qu'on ne pouvait l'approcher à moins de deux mètres, et aussi sa baguette magique du dimanche, celle qui était plus haute qu'elle, hennin compris, et dont l'étoile incrustée de diamants irradiait des flammes dorées. En fait, elle était venue surtout pour son filleul et pouvoir manger des petits fours à l'?il, car la princesse lui était de plus en plus hostile, et on sentait qu'elle avait, lorsque celle-ci passait près d'elle, toutes les peines du monde à ne pas lui jeter à son admirable figure tous les noms d'oiseaux les plus inventifs de son vocabulaire. Sinon, on avait même soigneusement lavé et harnaché Théophile avec sa plus belle bride, celle avec des pompons rouges, et il broutait l'herbe des jardins, non loin des invités, en récompense de ses hauts faits. En clair, tout le monde s'était fait beau pour l'occasion, et jamais l'on ne vit de plus magnifiques costumes et de plus belles gens qu'à cette noce. L'on avait même dépêché pour l'occasion le vieil archevêque du royaume, celui à tête de tortue et qui était si ridé qu'il ressemblait à une pile avachie de vieux linge froissé, même avec sa mitre et son étole. Il était prévu que le jeune couple serait uni devant l'autel du château, et que le mariage serait suivi du banquet proprement dit. Seulement, comme c'était la tradition au royaume de Sigmund, les futurs mariés devaient présider à la présentation des invités les plus prestigieux, juste avant la cérémonie. Frédégonde, donc, minaudait tant et plus en faisant la révérence devant les grands rois, et Ganaël semblait perdu dans sa rêverie, totalement étranger à ce qui l'entourait.
Cependant, Frédégonde semblait avoir quelque chose dans son admirable tête; elle n'arrêtait pas de lancer des regards complices à son fiancé, la bouche hermétiquement cousue dans un petit sourire malicieux. Elle finit par réclamer le silence en faisant tinter son verre avec son couteau, et tout le monde arrêta de remplir son sac à main de petits fours et de demander l'adresse du décorateur. La Bonne Fée la regarda d'un air sceptique. Elle sentait que quelque chose allait se jouer. Ganaël étouffa un bâillement, et Eric se fit violence pour ne pas se jeter sur Frédégonde et lui faire avaler sa couronne de fleurs.
-" Prince Ganaël, dit-elle à Ganaël qui l'écoutait à peine, je voudrais vous demander une faveur devant toute cette noble assistance ici présente. Je voudrais que, pour l'amour de moi, vous sacrifiiez cet animal abject qui m'a tant incommodée pendant le voyage", fit-elle en désignant Théophile, qui, sous le choc, recracha sa bouchée d'herbe; quant à Ganaël, il la fixa avec des yeux grands comme des soucoupes. Et la Bonne Fée, furieuse qu'on s'en prenne à Théophile, serra les poings à ce discours. Tout le monde se tut et le silence se fit pesant dans le château. Les invités, déjà pour la plupart au courant de l'effroyable caractère de la princesse, savaient déjà à quoi s'en tenir, mais cela dépassait tout ce qu'ils pouvaient imaginer. En fait, ils étaient surtout venus pour les petits fours, mais bon.
Enfin bref.
-" Qu'il périsse sous le couteau du boucher et que sa viande serve à agrémenter l'ordinaire de ce banquet, ajouta-t-elle d'une voix mielleuse. Je pense qu'il fera un excellent salami. Qu'en pensez-vous, Ganaël, mon riche, puissant et futur époux ? roucoula-t-elle en s'approchant de Ganaël. Cela ne serait-il pas une bonne id...
- ASSEZ !!!" Hurla une voix féminine et semblant à bout.
Tout le monde se tourna vers la Bonne Fée, qui s'était levée. Excédée, elle marcha résolument vers la princesse Frédégonde, et d'un coup impérieux de sa baguette magique du dimanche, elle fit disparaître la princesse dans un torrent de lumière pailletée. Lorsque, quelques secondes plus tard, les paillettes se dissipèrent, la princesse avait disparu.
Heu, en fait, pas tout à fait.
A sa place, encore ceint d'une belle couronne de blanches fleurs d'oranger, trônait un splendide salami danois pur porc, d'une taille magnifique, alors que la Bonne Fée susurrait d'un petit sourire malicieux et vainqueur :
-" Navrée, chère enfant, mais c'est celui qui l'a dit qui l'est !"
Tous les convives se précipitèrent pour voir le prodige, et crièrent aussitôt leur joie. Pendant ce temps, Théophile ne put contenir son soulagement davantage et poussa un hennissement victorieux en ruant tant et plus. Alors que tout le monde entamait une stupide danse de la victoire en chantonnant "Co-ca Co-la Hou Hooo ! Co-ca Co-la Hou Hooo !!!", Ganaël s'approcha, encore éberlué, de sa marraine, qui se frottait les mains d'un air suprêmement satisfait :
-" Bo.. Bonne Fée, ma marraine. Que.. Qu'avez-vous fait ?
- Ce que j'aurais dû faire il y a six ans déjà, lorsque son père, le roi de Mataquin, me supplia de rendre sa fille moins insupportable. J'avais bien proposé de la changer en quelque chose qui se mange, mais il avait refusé à l'époque.
- Mais.. Mais vous ne pensez pas que le roi son père risque de vous en tenir rigueur ?"
Pour toute réponse, elle lui désigna la farandole improvisée. Le roi de Mataquin y caracolait en tête.
-" Toi, tu ne l'as supportée que quelques jours. Lui, il a dû se la coltiner pendant seize ans, bien que maintenant, les écureuils de la vieillesse aient commencé à ronger les noisettes de sa mémoire. Tu imagines ?
- Trop bien, murmura Ganaël. Heu, Bonne Fée ?
- Oui, mon enfant ?
- Merci.
- Allons, c'était tout naturel. Mais il me reste encore quelques petites choses à faire. Je peux ?
- Oh. Mais je vous en prie."
La Bonne Fée remit donc de l'ordre dans les plis de sa robe et ramassa le salami, puis le mit dans un grand plat sur la table. Puis elle prit la baguette magique en plastique avec une étoile de paillettes bleues et argentées, et en frappa le sol. Et, lorsque Rondelle-de-salamiel apparut, avec sa petite auréole dorée qu'il avait astiquée spécialement pour l'occasion, et paré de sa plus belle couche, elle lui parla en ces termes :
-" Mon enfant, sois gentil et découpe-nous ce beau salami pour le banquet.
- Tout de suite, Bonne Fée !" Dit le bébé ange en se mettant joyeusement au travail.
Quelques secondes plus tard, le service de charcuterie s'enrichissait d'un millier de splendides tranches de salami, artistiquement posées en éventail sur plusieurs plats d'argent, avec une jolie petite fleur en cornichon pour décorer. Désormais, la fête était complète. Enfin presque. Seul, le roi Sigmund semblait triste.
-" Hé bien, Sire, pourquoi cette mine ? Finalement, vous échappez à une infernale bru qui ne vous aurait apporté que des ennuis ! Où est le problème ? Demanda la Bonne Fée au roi.
- Hélas, Bonne Fée, marraine de Ganaël, mon fils, maintenant que tout est prêt et que le banquet vient d'être servi, à quoi bon le manger, puisqu'il n'est plus question de mariage ?
- Comment ça ?
- Enfin, vous venez de transformer la mariée en salami !! Et j'imagine mal mon fils épouser un plat de charcuterie ! Plus de mariée, plus de mariage, plus de fête. Je ferais mieux de tout arrêter et de renvoyer les invités chez eux..
- N'en faites rien ! L'interrompit la Bonne Fée. Allons, qu'est-ce qui vous dit qu'il n'y a plus de mariage ?
- M'enfin, et la mariée.
- Bof ! Ca c'est pas grave ! Attendez..."
La Bonne Fée descendit d'un pas leste de la tribune d'honneur et alla chercher Ganaël, qu'elle poussa devant le grand autel. Puis elle amena le vieil archevêque à tête de tortue et le plaça face à Ganaël, devant l'autel; puis elle prit Eric par la manche, le força à quitter la farandole et le mit à côté de Ganaël. Puis elle frappa dans ses mains pour avoir le silence.
-" Oyez, bonnes gens ! Aujourd'hui est un jour de joie et de fête, car nous sommes ici réunis pour célébrer l'union de deux jeunes gens. (murmures d'approbation dans la salle) Or, vous serez d'accord avec moi, mais l'idée d'avoir la princesse Frédégonde comme reine un jour n'avait pas vraiment l'air de vous enchanter des masses, je me trompe ? (des tas de voix fusent de toutes part et crient "Non !". On entend même quelques sifflets) Aussi, je crois qu'il est quand même préférable, et pour le bonheur de votre prince en premier, qu'il épouse quelqu'un qu'il aime vraiment, pas vrai ? (des tas de voix font "Ouais ! Ouais !") Alors, je pense que celui qui remplacera le plus avantageusement la princesse Frédégonde parmi cette aimable assistance, et sur le trône et dans le c?ur de votre prince, ne peut être autre qu'Eric, fidèle compagnon de Ganaël, dit-elle en désignant Eric, tout rouge et tout gêné. Alors, vous êtes d'accord avec moi ?
Un concert d'approbations enthousiastes et de cris de joie accueillit cette nouvelle et Ganaël, dont le visage s'était éclairé progressivement au discours de la Bonne Fée, ne se sentait plus de joie. Il finit par se poster devant Eric, et lui tendit la bague de mariage :
-" Eric, mon fidèle compagnon, veux-tu m'épouser et ainsi rester éternellement à mes côtés ?"
Pour toute réponse, Eric empoigna Ganaël, le bascula comme un danseur de tango et lui roula la pelle la plus impressionnante que le monde ait jamais vue. Prenant ça comme un "oui", le vieil archevêque à tête de tortue murmura ses paroles de bénédiction et déclara :
-" Bon, maintenant, Prince Ganaël et Vicomte Eric, je vous déclare mari et.. Heu.. Mari."
Et la foule en délire laissa éclater sa joie encore plus fort qu'à la transformation de la princesse Frédégonde en salami, alors que la Bonne Fée essuyait une larme, avec la solide satisfaction du devoir accompli, et que Sigmund, submergé par l'émotion, sanglotait allègrement sur le corsage de la reine Siegelinde, sa femme, à la vue de son grand fils enfin marié. Et, comme tout était prêt pour le banquet et que c'était dommage de laisser perdre, tous les invités purent s'en mettre plein la lampe, manger et boire comme des cochons et bien faire la fête. Et de tous les plats, ce fut sans conteste celui de salami qui fut le plus demandé, car à la fin du banquet, il n'en resta point une miette.
De leur côté, Ganaël et Eric s'éclipsèrent dès la fin de la cérémonie pour consommer leur union, car les petits fripons étaient pressés, pensez donc, depuis le temps qu'ils attendaient ça, en comptant les longs jours d'abstinence depuis le réveil de la princesse, tout ce temps-là était très long pour quelqu'un comme Eric. Bof, je dirais bien un bon mois et demi, en comptant la traversée de la forêt, puis celle des marais, et les nombreux retards causés par la princesse.. Ouais, je crois que le compte est bon..
Enfin bref.
Plus tard, Eric finit par réclamer le trésor en or, argent, pierres précieuses, artefacts magiques et tickets restaurants au roi de Mataquin, qui lui fit cadeau de tout cela, pour les noces; et il en profita pour racheter l'intégrale en vélin doré à la feuille et relié pur cuir des "Contes fripons de l'hôte des Alcôves", version non expurgée bien entendu, et lui et Ganaël se délectèrent des illustrations dans la plénitude de la délectation. Et ils achetèrent aussi des tas de collections de réjouissants ustensiles en caoutchouc, et des flopées d'autres bagatelles amusantes pour leur divertissement personnel. Ils allèrent souvent en vacances du côté des forêts de Gur-Kalaad, car Eric aimait à faire de nouvelles expériences. Et lui et Ganaël vécurent très longtemps, très heureux dans leur beau royaume, et ne se préoccupèrent pas une seule fois de l'assurance des enfants, puisqu'ils se contentaient de remettre un chèque à chaque anniversaire de chacun de leur ribambelle de neveux et nièces, ils ne se préoccupèrent pas une seule fois de la couleur dont on devait peindre la petite chambre du haut, puisqu'on en fit une chambre avec un water-bed géant, et donc, on la tapissa uniquement avec des miroirs, et de toute façon, qui se soucie de la couleur de la petite chambre du haut, je vous le demande. Et ils vécurent heureux, même s'ils n'eurent pas d'enfants, mais ils avaient plein de neveux et de nièces, alors ça compense.
Le roi Sigmund prit sa retraite et alla en week-end avec la reine sa femme à Acapulco, après avoir fouillé les poches du pourpoint de son fils et trouvé deux certaines petites enveloppes en parchemin. Puis ayant trouv le pays fort à leur goût, le roi et la reine finirent par y louer un joli petit loft avec vue sur la plage, et vécurent très heureux aussi et eurent beaucoup, mais alors vraiment beaucoup de petits-enfants.
La Bonne Fée abonna l'Archimage de Gur-Kalaad à Art et Décoration pour son anniversaire, et pour être sûr de ne faire aucune faute de goût, celui-ci convia la Bonne Fée à venir vivre avec lui, ce qu'elle accepta avec joie; et ils vécurent très heureux, écoutèrent plein de hard rock, jetèrent plein de sorts et se remémorèrent souvent le bon temps, pour la plus grande satisfaction des quincailliers et des marchands d'huile de noix et de fraises des environs.
Quant à Rondelle-de-salamiel, il finit par être promu "Grand Trancheur de Salami du Roi" et devint un grand personnage de la cour. Plus tard, il apprit à créer du salami à partir de rien, puis il s'ingénia à la science de la charcuterie. Puis, un peu plus tard encore, il grandit et devint un archange immense, musclé et bâti comme un Apollon, avec de grandes ailes blanches qui descendaient jusqu'à terre et ses longues boucles dorées qui flottaient le long de son dos et se prenaient dans les épingles à nourrice de sa couche, car il n'arriva jamais à se résoudre à les troquer contre des vêtements normaux. Et d'ailleurs, tant mieux. Une fois adulte, il devint encore plus estimé à la cour et vécut lui aussi très heureux, en tranchant toutes les charcuteries de la planète en rondelles, mais après tout, c'est normal, c'est son métier.
Et Théophile ? Hé bien, étant donné que Ganaël, son maître, avait désormais autre chose à faire que de le monter (qui a dit "Autre chose à monter" ??), le bon Théophile eut droit, pour ses faits héroïques, à la place d'honneur de l'écurie, et vira par la même occasion le palomino prétentieux qui était auparavant la monture du prince. Puis il finit par rencontrer une magnifique jument percheronne aux grands yeux tendres, et ils vécurent tous deux ensemble et heureux, eurent plein de petits poulains et broutèrent l'herbe des vertes prairies en regardant passer les charrettes.
Fin.