Episode 7
Maintenant que j'ai entendu des mots sortir des lèvres d'une personne à nouveau, plus question de rester dans ce silence. Je ne veux pas retourner dans ma chambre et faire à nouveau comme ces trois semaines passées. Je veux parler et je veux qu'on me parle. Je n'ai pas envie de rester cloîtrée, j'exige de bouger et je le fais savoir. Je pensais que les choses allaient changer d'elles même mais après une journée il a bien fallu que je me rende à l'évidence : on compte me laisser encore trois semaines, ou plus, ici sans me dire un mot, en ignorant totalement mon existence. Je les déteste, mais ça ne me donne qu'encore plus envie de me battre contre eux, je sais que ça ne les arrangera pas que j'ai réellement envie de sortir, c'est pour ça que j'ai voulu me faire entendre. Je me rappelle avec une joie non dissimulée comment mon plateau repas a volé contre le mur dès ce soir là. La tête dépitée de l'infirmière qui, je crois, souhaitait réellement me mettre une baffe. Elle ne l'a pas fait et j'ignore pourquoi elle s'est retenue d'ailleurs… Pour elle comme pour moi ça n'aurait eu aucune importance, mais elle ça l'aurait fait se défouler… Puis j'ai hurlé que je voulais sortir d'ici, que je n'en pouvais plus de cette chambre. Trois jours qu'ils m'entendent hurler dès que j'entends leur pas raisonner sur le sol dans le couloir. Il n'en peuvent plus je crois… Je l'espère fortement en tout cas… Quand je m'étais réveillée et que j'avais hurlé je m'étais rendue compte que ça ne servait à rien avec eux et que c'était tout aussi facile et beaucoup moins fatiguant de me taire. Je n'ai pas parlé pendant trois semaines, mais cette fois je ne ferai plus cette erreur ! Je vais tellement les emmerder qu'ils seront bien forcés de réagir. Justement on ouvre ma porte. De nouveau j'hausse la voix. Jouer ma chieuse est tellement jouissif car après tout, je n'ai rien d'autre à faire de mes journées… C'est si bon de s'occuper ! Ils sont trois qui s'avancent autour de moi, qui m'entourent autour du lit. Ils tentent soudain de me prendre les pieds et les bras pour m'empêcher de bouger. Eh ! Ce n'était pas prévu ça ! Non ! Je ne le laisserai pas faire ! Je bouge dans tous les sens comme un asticot au bout d'un hameçon. Je leur donne beaucoup de mal. Décoche un coup de pied à l'infirmier que je voudrai pouvoir tuer. Je souffre le martyre à faire ça et je sais que j'use le peu de force que je possède mais… et alors ? Je ne leur donnerai pas la satisfaction de faire ce qu'ils veulent. C'est là que j'aperçois la quatrième infirmière. Je ne l'ai pas entendue ni vu entrer. Merde ! Là je flippe totalement ! Je me débats sans ne plus avoir aucune notion de douleur ! Non pas ça ! Non, non pitié ! Les choses se passent trop vite. J'ai beau bouger dans tous les sens, ils finissent par me maîtriser et me l'enfiler… Celui que je déteste plaisante : « Maintenant on va t'apprendre à nous casser les pieds comme ça… » Sans ménagement je suis soulevée de mon lit et tirée sur le col plus que portée. Impossible pour moi de faire le moindre mouvement. Qu'on me débarrasse de cette horreur ! Je ne veux pas, non je ne veux pas ! Nous traversons le couloir puis tournons sur la gauche dans un autre couloir. Ils ouvrent une porte et me lancent à l'intérieur de la pièce. J'ai juste le temps d'apercevoir que les murs semblent comme des matelas géant ainsi que le sol et le plafond. Ils ferment la porte et éteignent la lumière. Noir. Je continue d'hurler, je leur ordonne de revenir me chercher. Je crie longtemps mais personne ne répond. Alors je ne pense plus à rien le temps de laisser à mon cœur le temps de se calmer. Malheureusement une fois que le calme est revenu, c'est la douleur qui l'accompagne. Quelle crétine d'avoir bougé d'une telle façon… Je reste allongée sur le sol, la tête posée contre cette matière molle. Tiens, ça change, moi qui passe ma vie dans un lit, c'est toute la pièce là qui est un lit maintenant… Quelle ironie… J'ai mal, j'ai vraiment mal. La position que la camisole impose à mes bras est vraiment douloureuse… Mais je ne peux rien faire. Je n'esquisse toujours pas le moindre geste. Je me contente de ne plus bouger, allongée ici, jusqu'à ce que mes yeux s'habituent à la pénombre. Cela met un certain temps et une fois que c'est fait je me rends compte que c'est tout à fait inutile. Mes yeux clos ou fermés, c'est pareil : il n'y a rien à regarder dans cette salle. Il n'y a que dans les films que j'ai vu des trucs pareils. C'est là où on enferme les fous dans les asiles pour les calmer et on ne les en sort que au bout de deux ou trois jours. Essayons d'être calme. Plusieurs questions me viennent à l'esprit. La première : Je suis restée trois semaines dans la même chambre, pensent-ils vraiment que c'est le fait de rester dans une autre pièce pendant trois jours qui va me punir ? Je saurai leur montrer que je suis plus forte que ça… Deuxième question : suis-je effectivement folle et dans un asile ? Je suis dans un asile, ça c'est sur. « La maison Mc Farthy » ! Ca ne trompe personne ! Mais suis-je folle ? Comment sait-on quand on est fou ? C'est tellement compliqué… Comment leur prouver qu'ils ont tors et que je peux sortir ? Je ressens à nouveau un besoin que je n'avais pas ressenti depuis quelques jours. Envie de prendre un acide… Je ne dois pas penser à ça…Faire tourner mon esprit, balancer un souvenir dans ma tête comme une cassette dans un magnétoscope… Ecole primaire, CM1 dans la cour, quand on jouait au loup, quand on formait une chaîne pour aller délivrer ceux qui étaient prisonniers… Une pilule… Mon Dieu j'en est tellement envie. Une chaîne. Il y avait cette fille aussi dans la classe des tarés, qui s'habillait comme un épouvantail et dont on se moquait en permanence. Mon année de terminale me revient en mémoire. Non. J'en ai encore plus envie. Je ne veux pas me souvenir de tout ça ! Je ne veux pas ! Pourtant il faut que je pense. Il ne faut pas que je vide totalement ma tête, sinon je n'arriverai plus à la remplir. Je serai vide définitivement. Depuis combien de temps je suis là ? J'ai une crampe dans le bras. Il faut que je change de position, que je me redresse. Je me mets tout d'abord sur le dos. Allez, j'avais de bon abdos dans le temps… Première poussée, je me lève à peine. Deuxième : je ne me lève plus du tout. Je n'aurai jamais du me débattre comme je l'ai fait… Je reste sur le dos puisque je n'ai pas le choix. Penser à des choses qui ne sont pas des souvenirs… Je soupçonne, plus que je ne me rends vraiment compte, le temps de passer pendant que je récite à voix haute et en grimaçant à cause de la douleur, les tables de multiplication jusque vingt cinq, quelques poèmes de Rimbaud apprit je ne sais plus en quelle classe, des fables de La Fontaine, le nom des présidents depuis la première guerre mondiale, un poème touchant qu'un prétendant m'avait écrit au collège et un tas d'autres trucs du genre... Je comprends enfin la difficulté d'être ici. Je n'ai aucune notion de temps, je suis seule avec moi-même et je commence sérieusement à me faire peur tellement je me suis une inconnue, et… la faim. Depuis combien de temps je n'ai pas mangé ? Jamais je n'aurai du balancer ma bouffe sur les murs… La faim finit par me provoquer de douloureux maux de ventre et bientôt de crâne… M'aurait-on oubliée dans cette pièce ? Une nouvelle crise de panique me prend. Peut-être est-il arrivé quelque chose dehors et on m'a laissé ici. Personne ne viendra plus jamais ! Dans ma chambre il y avait ce ballet d'infirmier qui me semblait insupportable mais finalement c'était un bonheur. Je suis condamnée à crever comme une merde dont personne n'a jamais voulu… Pitié… Qu'on vienne me chercher… Les crises d'angoisse s'enchaînent et je vois mon corps se mettre à trembler d'une manière ridicule… La soif est si dure à supporter, je tuerai pour un verre d'eau… Un claquement sec. Mes yeux sont éblouis. Un râle s'échappe de mes lèvres : « Il y a donc encore de la vie dehors… »