On approche tout doucement du dénouement... Je peux déjà vous annoncer que le dernier chapitre est quasiment prêt, et qu'il y aura aussi un épilogue. Merci de continuer à suivre cette petite histoire triste et malsaine !
Les personnages et l'histoire sont toujours à moi.
Bonne lecture.
Bla bla bla..
Bla bla bla..
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CHAPITRE CINQUIEME
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Le cœur saturé d'une joie que je ne peux pas garder pour moi, je me lève brusquement de mon fauteuil, y posant mon ordinateur portable brûlant. J'ai un énorme sourire collé au visage et si ça continue je vais attraper une crampe à la mâchoire. Pieds nus en cet été de vacances interminables, j'ouvre la porte de ma chambre à la volée et en sors en courant, traversant le couloir en un coup de vent.
« Mamaaaaaaaaan ! » je crie, la cherchant partout dans l'appartement, trépignant d'impatience. Il faut que je le dise à quelqu'un, n'importe qui ! J'aimerais le hurler au monde entier, l'écrire sur tous les murs de Paris, et courir, courir !
« Qu'est-ce qu'il y a ? »
Ma mère est dans le salon, devant son ordinateur elle aussi, lunettes sur le nez. Elle fait souvent des heures supplémentaires à la maison pour le boulot. Là, en l'occurrence, elle a l'air de taper un article ou un résumé d'ouvrage. Je me laisse tomber sur le canapé à côté d'elle, tout sourire, et l'entoure de mes bras en déposant un bisou sur sa joue.
« Tu sais quoi ? Aliénor vient de me dire qu'elle va revenir à Paris pour la rentrée ! Ses parents lui laissent leur ancien appartement... »
Je me relève aussitôt, ne tenant pas en place. La fenêtre est ouverte, et une légère brise nous amène le pépiement des oiseaux et les rumeurs lointaines de la ville.
« Ah oui, Patrice et Nathalie m'en avaient parlé, c'est vrai. »
Sans plus de commentaire, elle se replonge dans son travail, et j'entends le bruit régulier et mécanique des touches du clavier.
Accoudée à la fenêtre, j'observe deux chats de gouttière dans le jardin qui dorment roulés en boule au soleil comme des bienheureux. Je n'arrive plus à me défaire de mon sourire.
Un instant...
Attendez...
Tout se mélange à nouveau dans mes souvenirs.
Ce n'est pourtant pas si lointain. Il y a moins d'un an. J'avais vingt ans, et le retour d'Aliénor dans mon entourage, dans mon quotidien, a tracé de nouvelles couleurs vives sur le tableau de ma vie. Vives comme la douleur, le renoncement, ou le résumé en deux lignes d'une vie.
Avec toujours cette peur ancrée en moi qu'Aliénor me repousse ou me trouve encombrante, je n'avais pas osé lui demander la date exacte de son emménagement, ni quand est-ce que nous pourrions nous revoir. Avec le recul, je crois que j'espérais secrètement que ce soit elle, pour une fois, qui fasse le premier pas, qui vienne à moi. J'attendais désespérément un signe d'intérêt de sa part, mendiant son amitié comme un chien une caresse.
Sans doute était-ce trop demander ?
Malheureusement, je n'ai jamais été patiente ni rationnelle dès lors qu'il s'agissait d'Aliénor, et j'ai toujours la première cédé à l'envie d'aller vers elle sans laisser le temps de savoir si elle en aurait fait de même. Je ne le saurai jamais.
Mais est-ce vraiment si important ?
Qui sait ? Peut-être que si ce que j'éprouvais avait été réciproque, cette ferveur se serait évaporée aussitôt de mes veines...
Cette impression que je ressentais de plus en plus fort depuis des années, celle de n'être qu'un vieux jouet laissé de côté pour d'autres plus neufs, plus performants, plus amusants, se précisa dans les mois qui suivirent...
Ca fait vraiment bizarre de me retrouver là, après toutes ces années. Dans la rue qu'habitait autrefois Aliénor. Il fait déjà nuit, mais l'obscurité est douce, orangée par les réverbères.
Il n'y a pas un chat.
Je m'arrête un instant devant une façade murée et taguée. L'ancienne boulangerie où nous achetions ensemble nos sachets de bonbons pour les déguster dans sa chambre. Un long soupir nostalgique s'échappe de mes lèvres, et je rajuste la bandoulière de mon sac sur mon épaule et reprends mon pas lent et hésitant.
Il fait encore bien chaud en cette fin d'été, et je me sens mal à l'aise dans ma jupe, mon débardeur et mes ballerines un peu trop serrées. Je ralentis encore le pas alors que la musique forte et le brouhaha de conversations et de rires se font de plus en plus audibles. Ça y est. J'aperçois au troisième étage un balcon éclairé et saturé de monde.
C'est là.
Je prends une profonde inspiration, une allure détendue, et je me lance, pénétrant le hall familier, inspirant l'odeur de javel dans les escaliers, et m'arrêtant devant la porte qui se trouve être déjà ouverte. Il semble faire assez sombre à l'intérieur, et ça grouille de monde. Que des gens que je ne connais absolument pas. Grimaçant un peu au vacarme qui me vrille les tympans, j'entre en me glissant tant bien que mal entre ces gens qui ne prennent pas même la peine de se déplacer ou d'interrompre leur conversation pour moi. Je remarque une montagne de manteaux en vrac et de sacs dans un coin, et c'est avec réticence que j'y dépose mes propres affaires, pas tout à fait rassurée. Et si quelqu'un renversait son verre dessus, ou marchait sur mon manteau ?
J'essaye d'oublier le sort incertain de mes affaires, et me faufile entre toutes ces personnes pour gagner le salon où, je pense, ou du moins j'espère, trouver Aliénor. L'air est enfumé, et le sol collant sous mes semelles : sans doute un verre renversé. Trop de monde. Trop de bruit. Moi qui croyais que ce ne serait qu'une petite pendaison de crémaillère conviviale... J'aurais dû m'en douter.
Un flash de lumière attire mon attention.
Le visage d'Aliénor m'apparut en un éclair blanc, majestueux et puissant. Ses pupilles noires y tranchaient violemment, comme aspirant toute l'obscurité de la pièce ; il me sembla une seconde voir ses cheveux d'un blond cendré scintiller et danser comme le feu, auréole flamboyante autour de son visage.
Encore un peu éblouie par le flash, je fais signe en souriant timidement à Aliénor qui posait bras dessus bras dessous pour la photo avec deux garçons, l'un barbu et l'autre avec des lunettes à la monture noire et carrée.
« Juliiie ! Ça fait plaisir que tu sois venue ! »
Je me crispe en sentant son corps chaud se précipiter avec enthousiasme dans mes bras, retenant avec peine un mouvement de recul. C'est bien la première fois qu'elle se jette ainsi sur moi ! Mais déjà elle s'est détachée de moi et me tire par le bras vers les deux types avec qui elle s'est fait tirer le portrait. Mon corps est raide et tendu, et mon esprit concentré sur la peau de mon bras que touche sa main, qui se hérisse aussitôt de chair de poule. Elle me les présente : ce sont des camarades en marketing. Je ne retiens pas une seconde leurs prénoms, n'étant à vrai dire peu intéressée.
« Ca c'est Julie, une vieille copine ! On était ensemble en maternelle et en primaire ! Ça date, hein ? »
Le barbu émet un sifflement, et il me semble apercevoir une lueur impressionnée dans les yeux du type aux lunettes. Moi je ne sais pas quoi dire, alors je ne dis rien, me contentant d'un sourire de circonstance alors que mon esprit a gravé immédiatement les paroles d'Aliénor dans mon esprit. Elle m'a présentée comme une amie de longue date... Cette idée me fait chaud au cœur, et je me détends un peu. Je me sens comme une invitée de marque. Oui, je suis son amie, et je la connais mieux que vous ne la connaîtrez jamais, tous autant que vous êtes !
Mais la voilà qui repart déjà vers un autre groupe vers le balcon, me plantant là avec les deux types. Nous échangeons quelques mots. Mais n'ayant ni l'art, ni la manière, ni l'envie d'entretenir une conversation, elle retombe assez vite à plat.
Je les voyais détourner les yeux, tourner leur verre entre les doigts, essayer en vain de m'attirer dans leur monde insipide. J'avais l'habitude de mettre mal à l'aise les gens. Mon manque de réaction, mon sourire factice, mon regard absent... Ils comprenaient tous assez vite que quelque chose ne devait pas tourner bien rond chez moi, et, embarrassés, ne savait plus où poser leur regard, ni que faire de leur corps encombrant.
Je les libère de ma présence en prétextant aller chercher à boire. Je me dirige vers la table et observe les cadavres de bières, les bouteilles de vodka et autres alcools forts déjà bien entamées.
Visiblement, Aliénor n'a pas beaucoup changé sur ce point.
Je me résous à prendre une bière tiède que je décapsule tout en ne quittant pas Aliénor des yeux. Elle glisse une cigarette entre ses lèvres, et un type la lui allume avec son briquet. Je crispe ma main sur la canette sans trop savoir pourquoi, et prends une gorgée du liquide amer pour garder contenance.
J'aurais tellement préféré la revoir seule à seule, après tout ce temps. Sans toute cette troupe anonyme qui bavasse, et boit, et fume.
Je la vois qui navigue de groupe en groupe, comme une abeille récoltant du pollen, gratifiant quelques paroles par-ci par-là aux membres de sa cour. Et moi je me retrouve comme d'habitude, dans un coin, à l'observer en attendant docilement qu'elle daigne s'occuper de moi. Comme un vulgaire clébard attaché devant un supermarché, hurlant à la mort. Un type à côté de moi sirote sa vodka-orange et m'adresse la parole, m'occupant pendant cette attente. Lui aussi ne semble pas être à l'aise dans ce genre de fête.
Au bout de quelques heures, elle revint vers moi, le plus loyal de ses sujets.
Le type avec qui je parlais et qui m'était vaguement sympathique de par son sarcasme et son asociabilité, passa aussitôt à la trappe dans mon esprit lorsqu'Aliénor réapparut devant moi. Elle, ses yeux noirs embrumés et malicieux, son sourire d'impératrice, et la chaleur dont elle irradiait...
« Marc ! Julie ! Ça boume ? »
Elle... danse en nous parlant, ou plutôt en criant, tellement la musique est forte. Elle bouge paresseusement en rythme avec la musique, sa cigarette entre son index et son majeur.
« Ouais, ça va. On parlait de quand on sera vieux en maison de retraite et qu'on fera chier le personnel ménager pour se défouler. » répond Marc dont je n'avais d'ailleurs pas même retenu son prénom lorsqu'il me l'avait dit.
Moi, je reste silencieuse, ma canette quasi-pleine en main. Je n'en ai pas bu plus de trois gorgées de toute la soirée. Aliénor me regarde, moi, avec une lueur étrange dans ses prunelles sombres. De l'amusement, peut-être ? Difficile à dire, elle semble avoir beaucoup bu.
« Allez Julie, viens danser ! »
Elle me retire d'autorité ma bière des mains qu'elle pose sur la table, y écrase sa clope, et me choppe par le bras, me tirant vers le centre de la pièce. Je proteste faiblement, disant que je ne sais pas danser, que j'ai pas envie. Mais je n'oppose qu'une vague résistance : elle fait bien une tête de moins que moi et n'aurait pas pu me traîner aussi facilement si je ne l'avais pas voulu, au fond. Le contact de ses mains chaudes sur mes bras glacés m'électrise étrangement, et je me retrouve face à elle, un peu raide et me sentant bécasse.
Mais je ne réfléchis plus.
Je n'avais jamais dansé de ma vie. Mais pour qu'elle continue de me regarder, de reconnaître mon existence et de me toucher, j'aurais tout fait pour elle. Qu'est-ce que le ridicule, quand on a conscience que la vie est si fragile et éphémère ?
Mon cœur frappe si fort dans ma poitrine que j'ai l'impression que je vais le vomir d'une minute à l'autre. Je tourne, je danse, je saute avec elle, je la touche ! Mes joues flambent et mes intestins se nouent et se tordent de plus en plus douloureusement.
Je veux.. je veux....... !
Je ne sais pas. Mais je sens que je vais mourir sur place si ça continue.
Mais la chanson se termine, et nous tombons essoufflées sur le canapé déjà squatté par trois personnes. Aliénor doit être bien ivre : elle n'arrête pas de rire, et engueule à présent un à un tous les gens qui ne boivent pas ou ne dansent pas. Je la regarde s'agiter, et mon rythme cardiaque reprend son cours normal, calme, régulier, imperturbable.
Deux personnes annoncent qu'ils doivent partir, et Aliénor passe des supplications au chantage affectif pour tenter de les faire rester, et va jusqu'à réquisitionner leurs sacs en courant partout pour les forcer à rester.
Je me sens soudain effroyablement déprimée, et reste muette comme une tombe lorsque Marc revient s'asseoir à côté de moi, cherchant à me relancer dans la conversation de tout à l'heure.
Des pensées effrayantes, désordonnées, bariolées et subliminales se déversaient comme un torrent furieux dans mon esprit fatigué. Et certaines de ces pensées n'étaient pas les miennes.
Je compris soudain que je n'étais pour Aliénor qu'un décor animé, un jouet mécanique qu'il lui fallait régulièrement relancer pour qu'il la distraie correctement. Et je n'étais qu'un de plus parmi d'autres. Elle n'était au fond qu'une marionnettiste qui sans ses marionnettes n'était plus rien. Rien de rien.
Pauvre, pauvre Aliénor...
Il ne reste plus qu'une dizaine de personnes. Il est près de deux heures du matin.
Aliénor n'a plus l'air tout à fait dans son assiette, son enthousiasme semble forcé. Son regard, vitreux.
Elle veut à présent aller en boîte, et insiste lourdement pour que nous y allions tous avec elle.
Tes autres serviteurs sont mal dressés, Aliénor. Ils semblent réticents.
Moi, je te suivrai partout.
Ma déesse.