Première partie :

Chapitre 1 : Iris rate sa déclaration

Lucas soupira en grognant et lança la craie à travers la classe, en visant le mur opposé. La craie blanche éclata sur le mur blanc et tomba en morceau au sol. Lucas s'en fichait. De toute manière, il était déjà puni et devait passer le balai dans la classe, après les cours, pendant toute la semaine. Alors un peu plus ou un peu moins de choses à balayer… Tout ça parce que le prof l'avait vu renverser la canette de Jade Firles d'une manière intentionnelle. Il avait eu beau mentir d'arrache pied en soutenant qu'il ne l'avait pas fait exprès, ça n'avait pas marché.

Okay, il l'avait fait exprès. Okay, elle était tombée sur le sol de la classe. Okay, l'endroit avait pué la pèche pendant tout le reste de la journée. Mais bon, ç'avait été drôle, au moins, non ?

Apparemment non, seulement le professeur.

Lucas soupira derechef et pris le balai, reprenant sa tâche où il l'avait laissé en découvrant la craie, par terre. Il fallait bien se défouler un peu. Surtout qu'il détestait passer le balai. Il ne le faisait déjà qu'une fois par an dans sa chambre, alors dans la classe !

Le jeune garçon repoussa sa mèche longue et noire qui lui tombait sur les yeux derrière ses oreilles d'un geste inconscient et continua à s'enfoncer dans sa mauvaise humeur à grand coup de soupir exaspérés et de grommellements où se mêlaient des injures contre le prof à des jérémiades sur tout ce qu'il était en train de manquer en ce moment, notamment un certain match de foot avec sa bande de copain, contre une autre bande, de la classe supérieur. Sans lui, comment allaient-ils gagner ?

Une demie heure plus tard, Lucas ferma la porte du placard où se rangeaient les balais et le nécessaire pour le ménage de sa classe. Il remit en vitesse tous ses cahiers dans son cartable et le balança sur une de ses épaules, s'engageant dans le couloir qui menait aux escaliers. Avec un peu de chance – beaucoup, en fait – le match ne serait pas complètement fini et il pourrait mettre le but final.

Il se dépêchait quand il entendit une voix qui parlait. Une voix de fille. Qu'est-ce qu'elle faisait là alors que tout le monde était partit depuis plus de trois quarts d'heure ? Curieux, il se dirigea vers elle au lieu de poursuivre vers les escaliers et prit un autre couloir qui faisait un angle au bout. La voix provenait de derrière ce coin, aucun doute. Apparemment, elle s'adressait à quelqu'un, mais il ne voyait pas qui. Il l'entendait distinctement maintenant :

- « … ce que je veux dire… ce que j'essaye de te dire, c'est que… c'est que je t'apprécie vraiment… heu, vraiment beaucoup, finit la voix, en bredouillant, tout bas.

La fille cachée derrière le coin du mur pris une grande inspiration et son courage à deux mains, avant de recommencer à parler :

- Je sais qu'on ne se parle pas beaucoup parce que… parce que je ne…

Lucas, passant tout à coup sa tête à l'angle du mur, demanda d'un ton neutre :

- Tu sais que tu parles toute seule ? Il n'y a personne ici.

La jeune fille qu'il découvrit sursauta violemment et leva des yeux affolés vers lui. Elle rougit jusqu'aux bout des oreilles et cligna plusieurs fois des yeux. Lucas se demanda distraitement qui elle était. Il ne l'avait jamais remarqué encore. Elle ouvrit sa bouche comme un poisson hors de l'eau avant de s'exclamer :

- Quoi ?… Il n'y a personne ? , ajouta t'elle d'une petite voix.

- Ah … non, répondit Lucas. Personne dans la classe et personne dans le couloir. A par moi, évidemment, sourit-il, en faisant un pas dans sa direction, de manière à ce qu'elle le voit en entier. Moi et toute ma person…

Il n'eu pas le temps de finir sa phrase qu'elle le bouscula et s'enfuit en courant dans le couloir, sans se retourner. Il la regarda courir, éberlué. Mais elle était complètement folle, cette fille ! D'accord, il l'avait surpris en train de faire sa déclaration à un mur au lieu du garçon de ses rêves et il l'avait interrompu dans le moment le plus gênant. Mais bon, ce n'était pas une raison ! D'ailleurs, estima t'il, il remplaçait avantageusement n'importe quel autre garçon de cette école. Et dire qu'elle l'avait interrompu en plein milieu de sa phrase fétiche !

Il secoua la tête et regarda sa montre. Bon, ce n'était même plus la peine de se faire des illusions, il venait de rater les dix minutes qui lui auraient peut-être permis de jouer la fin du match. Il n'avait plus qu'à téléphoner à un des gars de son équipe pour connaître les vainqueurs. Il se dirigea nonchalamment vers les escaliers tout en composant un numéro sur son portable. Il espérait vivement que son équipe avait gagné. Sinon, adieu l'argent du pari et la sortie de ce soir qu'ils avaient prévus.

Iris courut dans les couloirs et dans les escaliers et ne s'arrêta pas avant d'avoir dépassé le portail de l'établissement. Essoufflé, elle posa ses mains sur ses genoux tremblants et repris lentement sa respiration. Elle n'avait pas couru aussi vite depuis… Oh, depuis beaucoup trop longtemps ! Mais elle ne pouvait pas rester là. Le garçon risquait de survenir à tout moment et elle n'avait vraiment aucune envie de le revoir.

Pourquoi fallait-il que ce genre de chose lui arrive à elle ? Au moment où elle avait eu enfin assez de courage – et poussée par sa meilleure amie aussi, mais bon – pour faire sa déclaration en direct à Vincent, au moment où la bonne situation semblait enfin là – ils étaient seuls tous les deux, après la fin des cours – au moment où elle mettait sa fierté à la poubelle et où elle dépassait sa timidité… Il fallait, non seulement que Vincentne soit pas là mais en plus que ce soit Lucas Syrino qui la trouve, bégayant stupidement derrière un mur !

Lucas Syrino ! On ne pouvait pas faire pire, pesta t-elle intérieurement. Lucas Syrino, le beau gosse de la même année qu'elle, mais qui se trouvait dans l'autre classe. Celui qui avait toute une bande de copains avec qui il faisait les quatre cents coups. Lucas Syrino le charmeur, le séducteur, qui faisait tomber a peu près toutes les filles qu'il voulait dans ses bras, même celles qui étaient plus âgées, ils en avaient eu la preuve cette année, quand il était sortie avec Marjorie Lankas, une fille qui avait un an de plus.

D'ailleurs, il changeait de petite copine comme de chemise, c'est-à-dire à peu près une fois par semaine. Iris était sûre que dès demain, il raconterait ce qu'il avait surpris à tous ses copains. Elle était bonne pour devenir la risée de toute la bande. Elle frissonna tout en marchant, son sac se balançant contre ses jambes, ses mains profondément enfoncés dans les poches de son cardigan bleu marine parce qu'elle avait oubliée ses gants ce matin. Seigneur ! Ce ne serait pas seulement quelques garçons idiots et moqueurs, ça allait être tout le monde ! Si eux le savaient, autant dire que toute leur classe était au courant. Donc sa classe aussi. Donc…

Stop !

En même temps qu'elle s'intima ça, en pensée, elle stoppa aussi brusquement de marcher, comme si elle venait de se donner un ordre d'arrêt. Ce fut si imprévu que la personne qui marchait derrière elle sur le trottoir lui rentra dedans avant d'avoir pu s'arrêter et grommela de mécontentement. Iris s'excusa vaguement et se remit précipitamment en marche.

Stop, se redit-elle plus calmement. Ce n'était pas la fin du monde.

Siiiiiiiiii ! Bien sûr que si que c'était la fin du monde !!

Bon, d'accord, ce n'était pas géniale mais quand même, ce n'était pas si horrible que ça.

Ah non ? Lucas Syrino – Lucas Syrino – l'avait surpris. Tout le monde serait au courant dès demain. Elle allait être la risée de toute sa classe. Et Vincent était partit alors qu'elle était en train de lui faire sa déclaration.

Ouais, d'accord, c'était horrible. Oh, merde !

Iris passa sa soirée à repenser au fiasco total qu'elle venait de vivre. Elle n'arrivait pas à se concentrer sur ses devoirs. Elle n'avait aucune envie d'appeler Laleï, qui grillait sûrement d'impatience qu'elle lui raconte tout.

Tout en mâchonnant un bout de crayon pensivement devant sa feuille blanche, elle réalisa tout à coup quelque chose qui la fit sourire jusqu'aux oreilles : elle connaissait Lucas Syrino de réputation, parce que personne à par un sourd et aveugle ne pourrait éviter de connaître Lucas Syrino s'il se trouvait dans le même établissement que lui. Mais qui disait que Lucas Syrino, le beau, le charmeur, le populaire, l'unique la connaissait, elle, Iris Dann, petite seconde timide qui était dans une autre classe ?

Elle soupira de soulagement. Voilà, il ne lui restait plus qu'à se cacher pendant quelques jours et à faire attention à qui elle croisait dans les couloirs et puis, avec un petit peu de chance, il l'oublierait et la vie reprendrait son cours normal.

Cours normal ? N'importe quoi, lui susurra cette petite voix qu'elle connaissait si bien et qui prenait un malin plaisir à lui rappeler tous les mauvais côtés de sa vie. Tu as oubliée Vincent ?

Il est partit avant d'entendre quoi que ce soit d'important, riposta t-elle.

Justement ! Il est partit alors que tu lui avais demandé de t'écouter parce que tu avais quelque chose d'important à lui dire. Tu trouves ça normal ?

Peut-être qu'il n'avait pas compris, gémit-elle intérieurement.

Dis plutôt le contraire ! Il avait parfaitement compris mais, au lieu de te répondre franchement, il a filé en douce !

Iris sentit la colère la prendre. D'accord, elle était timide ! D'accord, elle n'avait jamais vraiment liée connaissance avec Vincent ! D'accord, elle n'était peut-être pas la fille idéale, belle, sympa, avec pleins d'amies et de petits copains ! D'accord ! Mais ce n'était pas une raison pour partir sans un bruit alors qu'elle lui avait clairement fait comprendre qu'elle voulait lui parler ! Non mais !

Elle prit un coussin qu'elle envoya valdinguer de toutes ses forces à l'autre bout de la pièce et se jeta sur son lit. Elle était très en colère ! Oh, oui ! Elle était… très triste. Elle essuya une larme, puis une autre et tout à coup ce fut le déluge. Elle s'enfouie le visage dans sa couette et sanglota tout son soûl. Impossible de s'arrêter. Pourquoi pleurer aussi bêtement pour un garçon qui ne prenait même pas la peine de lui dire « non » et qui préférait lui fausser compagnie en douce ? Pourquoi se sentait-elle aussi mal et aussi triste ? Pas la peine d'avoir le cœur dans un étau pour un tel garçon !

Mais elle n'y pouvait rien. Vincent l'avait attiré dès le premier coup d'œil, le jour de la rentrée. Ça faisait maintenant trois mois et demi. Elle arrivait au lycée, dans une classe toute nouvelle, en ne connaissant personne d'autre que Laleï, sa meilleure amie et pourtant, dès qu'elle avait levée la tête, elle l'avait vu lui, le redoublant qui se tenait un peu à part. Plus grand que la moyenne des garçon, mince et châtain clair-blond, le visage fermé derrière ses cheveux mi-long, elle l'avait tout de suite trouvé… Quoi, craquant ? Oui, peut-être. En tout cas, il l'avait émue. Seul et se donnant un air dur, froid. Elle n'y croyait pas une seconde.

Enfin, jusqu'à ce soir. Peut-être qu'il était vraiment insensible, après tout ? Qui d'autre ferait une chose pareille ?

Elle renifla piteusement dans sa couette et ferma les yeux, fatiguée par toutes ces émotions. Quelle sale journée elle venait de vivre !