Et voici, tout de suite, en même temps et juste après, ce 5ème chapitre de la 6ème partie (tout le monde suit ?)
BONNE LECTURE :)
Chapitre 5 :
Larmes et tutti quanti
Laleï attendait son amie sur le bord du trottoir. Depuis plus d'une semaine, Iris avait en permanence les yeux rouges et les traits tirés. Lally refusait de la laisser seule le plus petit instant.
Adrien et elle étaient assez discrets, par choix. Aucun de leurs amis n'était au courant de leur nouvelle relation. Avec une décision de cette sorte, ils ne pouvaient pas passer beaucoup de temps ensemble. Maintenant qu'Iris était devenue son centre d'attention numéro un, c'était pire. Mais le garçon comprenait très bien : il avait la tête de Lucas sous les yeux tous les jours. Ce dernier ne semblait pas plus en forme que son ex-copine.
On aurait dit qu'Adrien et elle avait été désignés gardes-malade d'Iris et Lucas. Ou c'était tout comme. Les deux mangeaient peu et dormaient visiblement mal. Ils parlaient encore moins. Si peu que Lally ne savait toujours pas exactement ce qu'il s'était passé entre eux depuis ce fameux mercredi après-midi. Sauf qu'Iris avait débarquée chez elle, en larme et incapable d'aligner deux mots. Et que ça avait duré toute la soirée et une partie de la nuit.
Apparemment, Adrien en savait un peu plus long. Il connaissait Lucas depuis de nombreuses années et il était au courant de son histoire familiale. Le clash avait avoir avec quelque chose dans ce goût-là. Mais Laleï n'en savait vraiment pas plus. Son copain n'avait même pas eu le temps de lui expliquer en détails ce qu'il avait apprit.
Elle soupira. La situation aurait difficilement pu être pire. Vincent était redevenu un étranger froid et rébarbatif. Elle n'avait pas la moindre idée de la manière dont il se comportait à la maison, mais ça ne l'aurait pas étonné qu'il passe son temps enfermé dans sa chambre, à ne voir ni ne parler à personne. Iris devait avoir exactement le même comportement, même si elle, c'était pour pleurer tranquillement. Elle n'avait pas été capable de faire ses devoirs en entier depuis une semaine. Et elle-même… Eh bien, elle sortait avec un garçon sans savoir le pourquoi du comment, elle n'avait même pas envie de le savoir et elle n'avait pas le plus petit début d'une idée pour aider sa meilleure amie. La cata complète, en somme.
Iris se planta devant elle sans rien dire. Laleï ne s'attendait pas à un quelconque mot de sa part, mais elle remarqua néanmoins que son amie avait un air légèrement moins fatigué et qu'elle tentait de lui faire un sourire moins tremblant que celui auquel elle l'avait habitué ces derniers jours. C'étaient de petites choses, mais ça suffit à lui redonner le moral pour la journée à venir.
- Salut ma belle ! dit Laleï, faussement enjouée. Tu as vu le temps qu'on a ? Pour un début d'avril, c'est franchement étonnant. Ma mère m'a prit pour une folle quand je lui ai dit que je laissais mon manteau à la maison, mais franchement…
Sa conversation et ses « franchement » appuyés se perdirent dans le bruit de moteur d'une voiture et elles continuèrent à s'éloigner sur le trottoir, Lally monologuant avec un grand sourire un peu forcé et Iris les yeux dans le vague.
Vincent soupira de soulagement. Bon, encore une fois, il avait évité la rencontre. Pourtant, ce matin, ç'avait été plus difficile que d'habitude. Iris était tellement en retard qu'ils avaient déjeuné ensemble. Le garçon avait du trouver une excuse pour remonter dans sa chambre alors qu'elle enfilait sa veste dans l'entrée et croiser les doigts pour qu'elle ne l'attende pas.
Ce qu'elle n'avait pas fait. Il ne savait pas si elle se doutait de quelque chose. Elle était tellement plongée dans son malheur qu'il était très possible qu'elle ne se rende-compte de rien. En même temps, son petit manège pour éviter Laleï n'était pas très discret quand on vivait dans la même maison. Si Iris avait comprit de quoi il retournait, il lui était reconnaissant de ne pas tenter d'y changer quoi que ce soit.
Il se sentait parfaitement incapable de se retrouver devant Lally. Quand il pensait à son attitude à son égard, il se sentait plus misérable qu'un vers de terre. Il en avait même rougit d'embarras, tout seul, dans sa chambre.
En ce moment, dans sa vie, trop de choses survenaient en même temps. Il se sentait impuissant à gérer tout ça. Tout ça, c'était tous les sentiments et les émotions que provoquaient ces événements, chez lui, chez les autres… Sa mère qui débarquait, et devant ses amis, sa tante qui voulait qu'il retourne voir sa famille, Lally qui voulait passer du temps avec lui…
Bien sûr qu'il n'avait pas planifié sa dispute avec son ex-futur-petite-amie, mais il avait un peu honte de reconnaître qu'il s'était senti soulagé à l'idée que leur début de relation ne fonctionne pas. Ça lui faisait un truc en moins à prendre en compte. Jusqu'à ce qu'il l'aperçoive dans les bras de ce grand crétin brun à tâche de rousseur. Elle si petit et lui… Bref !
Il secoua la tête. Pas la peine de ruminer là-dessus, il l'avait assez fait ces derniers jours. Il n'allait pas lui reprocher de se tourner vers celui qui s'occupait d'elle. Ça crevait les yeux depuis un bon moment qu'Adrien faisait plus qu'apprécier Lally. Il le savait parfaitement au moment où il avait envoyé se faire paître la jeune fille. Donc… pourquoi fallait-il que ce souvenir tourne en boucle dans sa tête ? Il savait qu'il aimait bien Lally. Mais il n'en était pas tombé amoureux. Jamais. A aucun moment. Alors, pourquoi ?
Il eut un sourire méchamment ironique pour lui-même. Blessé dans son amour-propre, peut-être ? Dans ce dernier cas, il était plus idiot qu'il ne le soupçonnait depuis bientôt quelques années. Il avait tout fait pour que la situation devienne ce qu'elle était, il ne pouvait s'en prendre qu à lui-même.
Bien sûr, il se rendait-compte que son attitude froide paraissait hautaine à ceux qui l'entouraient. Mais c'était trop compliqué de donner des explications à n'en plus finir. Pas encore. Quand il aurait réussi à régler de qui n'allait pas dans sa vie personnelle, peut-être. Quand il saurait ce qu'il devait répondre aux questions à propos de sa mère et de sa famille. Quand il saurait s'il pouvait à nouveau aimer sa mère.
On le bouscula d'un coup d'épaule et de sac et il réalisa qu'il était arrivé à l'entrée du lycée. Comme d'habitude, dans les derniers. Il devait se dépêcher un peu s'il ne voulait pas arriver dans la classe après la sonnerie. Les profs commençaient à ne plus supporter ses retards répétés. Et lui, les regards des élèves qui le détaillaient lorsqu'il rejoignait sa place, dans le silence de début de cours.
C'est à ce moment-là qu'il croisa la route de Lucas et Adrien. Le premier n'avait pas meilleure mine qu'Iris. Quand au deuxième… Ils se figèrent en échangeant un regard. Vincent se sentit plus mal à l'aise encore qu'il ne l'avait imaginé. Il réagit comme à son habitude : ses lèvres minces se serrèrent et son visage se ferma, ses traits devinrent froids. Contrairement à beaucoup, Adrien ne parut pas déstabilisé. Mais une ombre de mauvaise humeur traversa son visage et il se pencha vers Lucas en lui touchant légèrement le bras. Etonné, celui-ci – qui fixait ses chaussures depuis le début – releva les yeux et le suivit docilement quand son ami, d'un signe de tête, il lui montra le chemin.
Ils disparurent dans le couloir. Vincent soupira. La cloche sonna, vibrante et désagréable.
Merde.
Iris écouta le répondeur par acquis de conscience mais même cette petite tâche lui pesait et elle avait envie d'envoyer le téléphone contre le mur. Elle réprima un ricanement qui voulait se faire passer pour un rire. Au moins avait-elle envie de quelque chose, c'était déjà ça, pensa-t-elle avec une espèce d'ironie amère.
Tout à ses pensées d'auto-apitoiement, elle n'écoutait en réalité rien de ce qui se disait à quelques centimètres d'elle, dans la boite vocale. Une voix connue attira son attention lorsqu'elle prononça : « …bon, à samedi soir alors. Bisous vous deux. »
Quoi ? On était… samedi soir. Iris dirigea son regard vers la pendule de l'entrée, qu'elle apercevait par la porte entre-ouverte. Il était pratiquement dix-neuf heures. Elle réappuya sur le bouton et se concentra sur le message, cette fois-ci.
Il datait de jeudi après-midi.
« Bonjour vous deux. C'est Auria. Je voulais passer vous voir cette semaine mais je suis débordée en ce moment. J'espère que tout va bien. Je n'arrive pas à vous joindre. Je suppose que vous devez être occupés, vous aussi. Ne faites pas de bêtises, les jeunes. De toute manière, je ne veux pas le savoir. Je passerais samedi soir, mais je n'aurais pas le temps de faire les courses, encore moins la cuisine avant. Donc pensez à préparer de bons petits plats ! Et j'apporterais le dessert. S'il y a quelque chose, n'hésitez pas à me rappeler. Bon, à samedi soir. Bisous vous deux. »
Sa voix, rieuse et fraîche, était tellement différente de l'atmosphère qui régnait dans la maison depuis une semaine qu'Iris sentit un tiraillement de jalousie à son écoute. Et cette bonne humeur débarquait dans leur salon d'ici… voyons, selon l'habitude d'Auria, d'ici une demi-heure ou une heure. Ils n'avaient rien fait.
Il n'y avait même pas de quoi faire un repas décent dans le frigo. Ils n'avaient pas donné de coup d'aspirateur ou de balai ou quoi que ce soit du même style depuis quinze jours. Et Auria avait un œil de faucon pour ce genre de détail. Quand à la dernière – et unique – machine lancée dans la semaine, les habits étaient toujours à l'intérieur, attendant d'être mis à sécher. Iris n'en avait pas le courage et elle avait encore de quoi s'habiller pour plusieurs jours dans son armoire. En ce qui concernait Vincent, elle doutait qu'il se soit même posé la question. Il s'était contenté d'entasser ses fringues sales dans le panier de la salle de bain. Pourtant, d'habitude, il faisait assez attention à ce genre de choses.
Iris haussa les épaules. Il était de toute façon trop tard pour changer les choses. Elle allait prévenir Vincent de la nouvelle – il venait de passer la journée entière dans sa chambre, elle ne l'avait aperçue qu'au moment de manger, vers treize heure – et ils décideraient quoi faire ensemble. Elle était à l'avance fatiguée à l'idée de devoir se justifier devant Auria. Elle soupira et monta les marches en direction du premier étage.
Auria arriva un peu avant vingt heures, souriante. Elle portait un paquet provenant d'une pâtisserie assez connue dans la ville. Iris et Vincent vinrent lui ouvrir en tentant de répondre à son humeur joyeuse mais la partie était perdue d'avance. La jeune femme ne mis pas longtemps à s'en rendre-compte.
Lorsqu'elle entra dans la cuisine et qu'elle la vit aussi rangée que si on n'y avait pas touché depuis plusieurs jours (ce qui était plus ou moins le cas), elle souleva un sourcil étonné. Posant son paquet avec précaution, elle ne dit rien mais fit le tour des autres pièces du rez-de-chaussée avec minutie. Finalement, son inspection finie, elle s'assit sur le canapé et leur fit signe de faire de même.
- Bon. Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe ?
Sa voix était douce, mais ferme. Iris se sentie soulagée qu'elle évite ainsi la dispute. Elle se décida à parler la première.
- On a oublié d'écouter les messages du répondeur. On ne savait pas que tu viendrais ce soir. En fait, je… heu… je n'ai écouté les messages qu'il y a… heu, moins d'une heure. Et comme on a aussi oublié de faire les courses, ben… Enfin, on a pensé à commander une pizza. Elle ne devrait plus tarder.
- Vous avez aussi oublié de faire le ménage ?
Iris rougit au ton légèrement plus sec.
- Ne… Non. Je… j'ai eu la flemme, bredouilla-t-elle, ne trouvant pas de meilleure explication.
D'une certaine manière, c'était vrai. Elle y avait réellement pensé pendant ces derniers jours. Sans jamais trouver le courage de le faire. Elle avait préférer pleurer dans sa couette. Mais cette dernière partie, elle n'avait aucune envie de la dire, à qui que ce soit.
- Oh. Ça explique tout.
Cette fois-ci, le ton était ironique. Un peu mordant. Désagréable, en tout cas.
- Et toi, Vincent ? Tu es dans le même cas ? Tu as aussi oublié, eu la flemme de tenir la maison dans laquelle tu vis ?
Visiblement, elle n'attendait pas de réponse parce qu'elle poursuivit, d'une voix sévère :
- Aucun de vous deux ne s'est posé de question au fait de ne pas me voir dans la semaine alors que je passe habituellement le mercredi ou le jeudi soir ? Et je viens tous les week-ends. Ça non plus, ça ne vous a pas mis la puce à l'oreille ? Quand au téléphone… Vous ne répondiez jamais ! Je croyais que vous étiez tous les deux très occupés par vos petits amis respectifs, aussi je ne voulais faire aucune remarque. Mais je crois que ce n'est pas exactement ça, n'est-ce pas ? finit-elle en soupirant, le son de sa voix redescendant à un volume plus raisonnable.
- Ça va ? Calmée ? répondit d'une voix froide Vincent. Maintenant que tu as pu pousser ta petite tirade et joué à la cheftaine, on va pouvoir passer à autre chose ?
- Vincent… gémit Iris, sûre et certaine de la réaction de sa tante.
Et elle n'eut pas tord. Les yeux brillants de colères et les lèvres serrées, Auria se leva et mit un claque retentissante à son neveu. Iris ne l'avait encore jamais vu à ce point perdre son contrôle.
- Je ne suis pas ici pour me faire insulter et traiter de cette manière par mon neveu, Vincent, dit-elle d'une voix vibrante et sourde. Tu as peut-être pris l'habitude de pouvoir te comporter impunément en présence de ta mère ou de tes grands-parents mais je n'ai jamais été d'accord avec ce genre de chose. Je suis ta tante, ton aînée et accessoirement, je te sers de tuteur. Alors j'exige un peu de respect !
Elle les balaya tous deux d'un regard noir.
- Vous n'êtes adulte ni l'un ni l'autre et je suis chargée de vérifier que tout se passe bien ici. Quand je constate que ce n'est pas le cas et que je n'en ai pas été prévenue, je remets les points sur les i. C'est compris ?
La froideur de sa voix et son visage fermé confirma sans laisser planer aucun doute possible sa parenté avec Vincent. Iris était mortifiée devant le sermon qui lui était servi. Auria se tourna vers son neveu.
- Vincent ? demanda-t-elle d'une voix impérieuse.
Le garçon l'affronta quelques instants des yeux mais finalement il baissa le regard avec mauvaise grâce et grommela des excuses. Elle se tourna alors vers Iris, toujours avec son regard impressionnant et se traits durcis. Elle n'eut pas besoin d'ouvrir la bouche qu'Iris éclatait en sanglot :
- Je suis désolée ! Je suis nulle ! Je ne voulais pas ! Je suis désolée ! Ça n'arrivera plus ! Je…
- Oui, oui, s'affola Auria, complètement dépassée par ce débordement de sentiments. Ce n'est pas grave. On va voir ça. Allons. Je te promets, ce n'est pas grave du tout. Iris, ne pleure plus, suppliait-elle presque. On va arranger ça. Voyons…
Elle tourna un regard perdu vers Vincent. Celui-ci souleva un sourcil ironique et laissa apparaître son léger sourire en coin, comme s'il demandait « ah bon, maintenant tu as besoin de moi ? » en dévisageant sa tante. Devant le froncement de sourcils qui lui répondit, il se tourna vers Iris avec un visage plus doux et, au grand étonnement de sa tante, la prit dans ses bras.
- Ça aller, Iris, lui murmura-t-il doucement, en la berçant. Ça va passer tout ça.
La jeune fille hoqueta de plus belle et se laissa aller contre le torse qu'on lui proposait.
- J'en peux plus. Pourquoi… pourqu…
Et les sanglots coupèrent sa voix. Ce n'était plus quelques larmes, c'était une crise qui la secouait toute entière.
- Mon Dieux, souffla Auria, les yeux écarquillé, les mains ballantes, à demie à genoux devant le canapé. Mais qu'est-ce qu'elle a ? Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
- Elle n'est plus avec son copain, laissa tomber brusquement Vincent.
Il caressait doucement les cheveux de la jeune fille tout en regardant sa tante. Iris ne semblait pas prête à se calmer et il dut même resserrer ses bras autour d'elle pour tenter de calmer ses tremblements nerveux. Sa respiration se faisait hachée, sifflante, longue et difficile.
Auria sauta sur ses pieds. Bon, il était temps de calmer tout ça. Sinon, elle allait avoir une crise d'hystérie sur les bras. Très peu pour elle, le samedi soir, après une semaine de boulot non-stop.
- Attends-moi ici, intima-t-elle à son neveu, comme s'il pouvait avoir l'idée de partir ailleurs à ce moment. Je reviens dans trente secondes.
Effectivement, elle revient quelques instants plus tard, muni d'une petite bassine d'eau froide et d'un gant mouillé. D'une main ferme, elle redressa Iris et lui appliqua cette compresse froide sur le visage, le cou et la nuque en n'hésitant pas à la mouiller abondamment. L'effet fut presque instantané. Iris laissa encore échapper quelques hoquets mais le plus gros de crise se dissipa. Ses larmes se tarirent peu à peu et elle recommença à respirer de façon normale. Auria soupira discrètement. Eh bien ! La soirée s'annonçait corsée.
Elle ne le fut pas tant que ça. Iris, calme et fatiguée, n'avait pas beaucoup ouvert la bouche après son épanchement vibrant et elle monta se coucher assez tôt. Elle refusa obstinément de mordre à l'hameçon à chaque fois qu'Auria voulu introduire le sujet « Lucas » dans la conversation, plutôt morne de toute manière.
Lorsque la jeune fille fut dans sa chambre et Vincent occupé par la vaisselle, Auria prit son courage à deux mains. Il fallait le faire. Et personne d'autre qu'elle ne pouvait s'y coller, apparemment. Elle fit la poussière dans les pièces du rez-de-chaussée.
Elle détestait faire la poussière. Elle haïssait tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un bibelot parce qu'il est bien connu que ce genre de machin attire la poussière comme la confiture, les abeilles.
Bien que le début de soirée n'ait pas particulièrement bien auguré de leur rapport, Vincent se mit à l'aider à faire le ménage sans qu'elle ne lui demande rien. Ils n'échangèrent aucune parole durant plus d'une heure et demie.
A onze heure, fourbue et maudissant copieusement les balais et autres cochonneries, Auria se laissa tomber dans le canapé avec soulagement. Ouf ! Finie. La maison était nette, le linge propre en train de sécher, un petit mot à côté pour que personne n'oubli à quoi servait le fer à repasser.
Vincent s'assit à côté d'elle, en évitant soigneusement de la regarder. Mais passer la soirée à travailler à côté de quelqu'un, qui que soit cette personne, ça crée des liens. Et ça en rabiboche d'autres. Auria savait que son neveu ne lui en voulait plus. Contrairement à son habitude – et parce qu'elle commençait à le comprendre – elle ne dit rien, savourant l'instant de tranquillité qui lui était donné.
Ce fut Vincent qui parla le premier.
- Je ne sors pas avec Lally. Je ne suis jamais sortie avec elle, dit-il d'une voix calme et posée.
Il parlait bas et une seule lampe de bureau éclairait la pièce. Auria s'enfonça un peu plus dans les coussins, prête pour une longue discussion s'il y avait lieu.
- A cause… de ta mère ?
- Ah… Non. Enfin…oui, aussi. D'une certaine manière.
Il gloussa.
- Je ne suis pas très clair, hein ? Ça ne l'est pas pour moi, en tout cas. Je ne… je n'arrive pas à démêler tout…heu…tout le…Enfin, c'est un bordel monstre, quoi.
Du coin de l'œil, Auria le vit hausser ses longues épaules fines. Celles de sa mère.
- Hum, hum, dit-elle prudemment.
Il gloussa à nouveau. Ce n'était pas un rire joyeux, mais ce n'était pas non plus des sanglots. Un juste milieu pour le moment, trouva la jeune femme.
- Il y a seulement quelques heures, j'aurai pu jurer que tout était de sa faute, murmura-t-il. Et puis… je ne sais pas, mais je crois qu'être dans les bras d'une fille que j'aime bien aurait pu être un très bon moyen de me remonter le moral. Alors que moi, j'ai tout fait pour que Lally ne m'approche pas depuis qu'elle… enfin, depuis l'autre jour. Honnêtement, je ne peux pas dire que ce soit de sa faute. Pas l'envie qui m'en manque, pourtant, ajouta-t-il avec sincérité.
- Tu es toujours autant… en colère ?
- En colère… oui, sans doute. Oui. Y'a pas mal de… sentiments qui se bousculent au portillon, si tu veux savoir.
- Contre elle ? poursuivie Auria, fixée avec des crampons sur son but à atteindre.
- Quoi ? Oh, tu veux dire, la colère ? … Je lui en veux. Je lui en veux beaucoup.
Sa voix se réduisait à un filet rauque.
- Mais de quoi, enfin ? explosa sa tante. Est-ce qu'elle n'a pas toujours essayée de faire au mieux ? Bordel, c'est ta mère et elle t'aime ! Et elle souffre atrocement de cette situation grotesque !
Avec un soupçon de retard, la petite voix dans son esprit lui souffla « tu sais que tu es une véritable crétine parfois ? » tandis que son cerveau ne savait que répondre « oups… » et se sentir extrêmement désolé d'avoir laissé sa langue la trahir de cette manière.
Cramoisie, elle tourna légèrement la tête vers son neveu, étonnée qu'il soit encore assis à côté d'elle. Il croisa lentement ses bras sur sa poitrine avant de daigner se tourner vers elle. Il avait un sourcil surélevé de manière ironique et un petit sourire qui lui effleurait le coin des lèvres.
- A mon avis, ma chère tante, tu viens de te laisser emporter vers la conclusion que tu désirais à cette conversation. Mais j'ai dans l'idée que tu pensais y aller plus doucement, non ? Disons que ta langue a ripée…
- Heu…
Bon d'accord, il faisait de l'humour. Ah. Ah. Ah. C'était très drôle. Qui lui avait changé son neveu ? Où était le vrai Vincent ?
Elle le regarda d'un autre œil. Peut-être que c'était bien toujours son neveu, après tout. En tout cas, la ressemblance était frappante. Drôlement bien réussie. Peut-être qu'il avait juste grandi. Ou mûrit. Ou un truc du même genre, que font les fruits lorsqu'ils rougissent.
- Tu viendrais la voir, avec moi ? lança-t-elle soudain. (Autant risquer le tout pour le tout, vu où elle en était rendue.) Juste un petit moment. Ça lui ferait… Oh, merde ! Je ne sais pas ce que ça lui ferait, exactement. Mais moi, ça me ferait extrêmement plaisir. Et je ne vois pas comment on pourra jamais résoudre cette situation si tu ne lui parles pas au moins un peu.
- Tu vas la voir quand ?
- Quoi ?
Auria s'était attendue à un peu de résistance au moins. Un silence, un premier non, une mine boudeuse, ou pire. Elle était prête à une confrontation. Pas à ce qu'il accepte aussi vite. Elle resta bouche-bée pendant de longues secondes.
- Quel jour ? Quelle heure ?
- Heu… ben… heu… demain ? Oui, c'est ça, reprit-elle un peu plus fermement. Demain. Dimanche. Je passe la voir vers 17 heures. Je passe te prendre avant ?
Vincent ferma les yeux en serrant les paupières. Ont voyait presque ses pensées s'agiter derrière son crâne. Puis il poussa un profond soupir. Et haussa encore une fois ses épaules.
- Okay. Demain. Pourquoi pas ? De toute façon, demain ou la semaine prochaine… Mais il n'y aura ni mamie, ni papi, ni qui que ce soit d'autre de la famille.
Ce n'était pas une question. Auria hocha la tête, avant de s'apercevoir qu'il ne la regardait plus.
- Pas de problème. Il n'y aura que nous deux. Et ta mère.
Après ce week-end-là, la vie parut reprendre dans la maison des Dann. Vincent ne raconta rien de son dimanche après-midi et Iris ne lui posa aucune question. Non plus que les dimanches suivants, lorsque Auria prit l'habitude de venir klaxonner en voiture vers seize heure trente devant la porte.
Le garçon ne changea pas radicalement. Il ne devint ni beaucoup plus rieur, ni nettement plus ouvert. Il parlait toujours peu. Il paraissait toujours froid. Et il avait peu d'ami.
Mais à la maison, il fit attention à leurs affaires, à leurs repas. Il obligea Iris à faire sa part de ménage (démontrant à quel point il restait une personne insensible et cruelle). Et la colère qui l'avait habité, qui l'avait fait tenir debout comme un cintre soutient un manteau, parut s'évaporer peu à peu. Il était solitaire, calme, presque taciturne. Mais il n'était plus l'huitre hargneuse qu'Iris avait connue.
Ce qui, par ricochet, lui fit du bien. Le souvenir lancinant de sa dernière conversation avec Lucas ne s'effaçait pas. L'espèce de trou béant qu'elle savait contenir au milieu de sa poitrine refusait de se fermer. Mais la fatigue et les larmes n'avaient rien arrangées. Alors elle dormit un peu mieux et elle s'engouffra dans un quotidien banal comme une marmotte se prépare à l'hibernation.
Se lever, manger correctement, aller en cours, faire ses devoirs, parler de choses banales avec Lally – enfin, surtout l'écouter parler – sourire lorsque Auria faisait son inspection hebdomadaire, se coucher. Ou quelque chose comme ça. Elle ne comptait pas les jours, avait rarement la date en tête. Tout était plutôt brumeux sur ces points de détails. Mais la vie continuait.
Les semaines passèrent. Le retour de ses parents arrivait à grand pas. La fin de l'année devenait visible, et juste derrière, les vacances d'été. Lally était en train de tomber amoureuse d'Adrien, c'était visible comme le nez au milieu de la figure.
Ils se faisaient très discrets entre les murs du lycée. Pas pour se cacher. Plutôt pour ne pas donner prise à des remarques et à des coups d'œil inévitables. Iris se doutait bien que son amie avait aussi fait le choix de passer son temps avec elle et de ne pas la délaisser dans la cour de l'école. De ne pas l'abreuver de petits détails qu'elle trouvait exquis sur son nouveau copain. De ne pas lui rappeler constamment ce qu'elle, elle n'avait plus.
C'était peine perdue, elle croisait Lucas tous les jours, ne serait-ce que de loin. Et puis ses souvenirs suffisaient à faire tout le boulot. Mais elle apprécia les efforts de son amie et elle lui en fut reconnaissante.
Le problème Lally-Vincent se résolut tout seul. Ou, enfin, à peu près. D'inexistante, leur relation passa à glaciale puis simplement froide pour parvenir, au bout de quelque semaines, à prudemment indifférente. Iris s'en contenta. On en était presque revenu au début de l'année, entre ces deux-là mais ce n'était peut-être pas une si mauvaise chose. C'était une manière de recommencer de zéro. Prendre un nouveau départ. En tout cas, elle l'espérait. Et pour le moment, la cessation des hostilités et l'entente précaire lui convenait.
Elle n'avait plus eu de nouvelles de sa sœur depuis leur dernier accrochage et son départ en catimini. Ce n'était pas vraiment une surprise. Hanna n'était pas une championne de la communication longue-distance. Et comme elle l'avait écrit, Iris avait besoin de temps avant de pouvoir lui reparler. Elle regretta, certains soirs, dans ces instants où on sait qu'on tombe dans le sommeil mais qu'on y est pas encore tout à fait, de n'avoir pas pu lui dire tout ce qu'elle portait sur son cœur, tout ce qui l'écrasait et qui s'appelait Lucas. Mais elle ne s'en fit pas trop. Sa sœur appellerait quand elle serait prête.
L'histoire aurait pu se terminer ainsi.
Heureusement qu'Hanna n'avait jamais été quelqu'un de très prévisible.