Salutations,
Ceci est une fiction de moi-même et, en toute logique, elle m'appartient.
Attention : M/M (gay fic, slash, romance entre hommes) à venir, donc les lectrices et lecteurs que cela dérange feraient mieux, dans leur propre intérêt, de ne pas poursuivre leur chemin. Il en va de même pour le rating de la fiction. Je vous prie de vous référer aux indications présentes sur ce même site et de les respecter.
Bonne lecture !
Chapitre 1
Présentations
Je m'appelle Angelo.
J'ai fêté mes quinze ans il y a quelques semaines. À peu de choses près, je serais un adolescent des plus banals. Seule ombre au tableau : mes parents sont morts suite à un foutu accident de voiture il y a trois mois, et aujourd'hui, je vais découvrir ma famille d'accueil. C'est principalement pour cette raison que j'ai la migraine et que je suis extrêmement angoissé. Je n'ai aucune envie d'aller dans une nouvelle maison, avec de nouveaux parents, et encore moins envie de devoir reprendre une vie normale. Certainement pas dans l'immédiat. J'ai à peine eu le temps d'entamer mon deuil… franchement, prendre tout de suite un autre départ dans la vie, c'est comme les oublier et passer à autre chose — et merde ! —, je ne veux pas du tout faire ça, et je ne pense pas pouvoir y arriver.
Malgré ce manque d'entrain, j'ai pris la précaution de soigner mon apparence, pour honorer la mémoire de mes anciens, et pour éviter de leur faire honte. Ils étaient de ces gens qui accordaient de l'importance à ce type de détails. Alors j'ai revêtu le costard que j'étais censé porter à un mariage auquel je ne suis pas allé, faute de parents pour m'y traîner. Ensuite, j'ai noué mes cheveux sans laisser échapper aucune mèche ; puis j'ai jeté un rapide coup d'œil au miroir face à moi. J'ai l'air d'avoir au moins dix ans de plus, les traits fatigués, les sourcils froncés, et la mine renfrognée. Et il faut bien reconnaitre que du haut de mon mètre quatre-vingts, je suis relativement grand pour mon âge. J'ai une carrure plutôt athlétique, des cheveux noirs qui poussent un peu trop — me descendant sur les épaules lorsqu'ils sont détachés —, et de brillants yeux bleus, qui ont du mal à cacher mon angoisse et ma colère, se démarquent de mon visage, terni par les insomnies de ces derniers mois. Ma peau est vraiment pâle, conséquence directe de mes nuits cauchemardesques et d'un été passé enfermé dans un centre à chialer la tête dans l'oreiller. J'ai l'impression d'être un gamin qui a enfilé le costume d'un adulte, ou pire, d'être devenu adulte en l'espace de quelques semaines. Je me sens con.
Et c'est parti, me voilà installé dans la voiture qui doit me déposer chez ma famille d'accueil, en compagnie de l'assistante sociale qui gère mon cas depuis que je suis livré à moi-même. Je l'entends vaguement me signaler que le trajet menant à ma nouvelle demeure est assez long. Et je souhaiterais qu'il soit plus long encore ; qu'il n'arrive jamais à terme, si possible.
J'ai trop chaud, à l'étroit dans ces vêtements d'apparat. C'est normal, me direz-vous, on est en août. On subit encore l'été et ses températures caniculaires. Point positif : avec la fin du mois, viendra la fraîcheur… et point négatif : cette putain de rentrée qui approche à grands pas. Ah, les joies du lycée ! En seconde, histoire de faire d'une pierre deux coups ; nouvelle vie, nouveau système. Vais-je devoir me faire de nouvelles connaissances, dénicher de potentiels amis ? Je déteste ça. Je déteste les pouffiasses qui matent les mecs pas trop sales en remettant en place leur soutif rembourré, et c'est la même pour les trous du cul qui reluquent en se rajustant leurs microcouilles. Je déteste les abrutis qui se la pètent avec leurs sapes et leur coupe de merde, affublés de leur style copié collé sur le voisin. Et je déteste les fayots qui n'en ratent jamais une pour faire chier le monde — et tous ceux que j'ai pu zapper. Je les méprise tous, aussi nombreux soient-ils. Ils me refilent la gerbe, sans exception, ces connards qui ont une famille. Et c'est fou ce que la planète entière m'agace depuis que mes parents sont morts. Et cette rage qui me consume. Comme si j'avais le désir de voir tout le monde en deuil parce que je le suis. Voir les gens sourire, les voir s'amuser et tout simplement continuer à vivre, ça me tue.
Mes parents me manquent atrocement. Leur faculté à être toujours de bonne humeur, celle de relativiser facilement à chaque fois qu'il y avait un petit problème… ils étaient si proches de moi et je me sentais si bien avec eux ; ce qui n'est pas peu dire puisque la plupart de mes potes ne s'entendaient pas avec leurs propres parents. Nous étions une famille véritablement heureuse ; et bruyante aussi. Je me souviens que nos voisins venaient constamment sonner à la porte pour que l'on fasse un peu moins de bruit… malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin, disent les gens négatifs, dont je fais désormais partie. La leur est juste arrivée beaucoup trop vite, et on m'a oublié dans l'équation. Maintenant que ça devient plus réel que jamais, et qu'on m'a ôté jusqu'au moindre de mes repères… il se passera quoi, alors que je suis seul en milieu hostile ?
Mieux vaut ne pas y penser… je préfère ne pas m'aventurer dès à présent sur ce terrain. J'ai encore de bien trop courtes minutes de répit devant moi.
Les paysages défilent sous mes yeux et mes pensées font de même. Je suis épuisé, alors la monotonie de ce que je vois me pousse rapidement à fermer les yeux, et il me semble, au bout d'un certain temps, que je parviens à m'endormir.
J'émerge péniblement de l'univers onirique dans lequel j'étais plongé. C'est une sensation désagréable, je ne sais pas où je suis, ni quand je suis. J'ai mal au cou, un bras complètement endormi, la tête lourde et un drôle de goût en bouche. Mon regard balaie la scène autour de moi. Je constate que la voiture est immobile, nous devons donc très certainement être arrivés à destination. L'angoisse remonte en force.
Je finis par reprendre complètement mes esprits, ouvre la portière de la voiture et me force à en sortir. Quelques mètres plus loin, je repère l'assistante sociale en grande conversation avec deux adultes : un homme et une femme. Je crois pouvoir affirmer, sans trop de doutes, qu'il s'agit là de ma future famille d'accueil. Derrière eux, je distingue un joli petit pavillon sur deux étages cerclé d'un charmant jardin fleuri. Presque tout comme je l'avais cyniquement imaginé. Ceci dit, mieux vaut ça plutôt qu'un hypothétique bâtiment insalubre où j'aurais eu l'opportunité de découvrir la douceur d'un dortoir partagé avec douze autres orphelins… j'en ai bien conscience malgré mon ingratitude apparente.
Lorsque l'un des membres du trio de choc m'aperçoit, leurs regards se focalisent sur moi et ils m'adressent de grands sourires. Et ça me dégoûte, j'ai envie de vomir…
— Enfin réveillé ! s'exclame mon adorable assistante sociale avec assez de joie pour deux.
À ce moment précis, je les toise, tous les trois plantés là, qui me contemplent, figés et affichant des expressions honteusement niaises — qui se veulent certainement bienveillantes —, et ça déclenche en moi une furieuse envie de retourner m'enfermer dans la voiture et de m'endormir à nouveau d'un sommeil éternel. Ou ça engendre des pulsions de destruction. J'hésite encore.
L'homme et la femme ont l'air de sourire de plus en plus — comment est-ce possible ? Lui, a un front légèrement dégarni, des cheveux châtains foncés, parsemés de quelques tifs blancs. Il porte des lunettes ovales, est grand et plutôt maigre. Malgré la niaiserie qui l'affecte, il dégage une certaine sagesse, quelque chose de calme. Elle, debout à ses côtés, est blonde, coiffée d'une coupe au carré et d'une petite frange qui lui confère un air un peu trop bon chic bon genre à mon goût. Cette dernière est nettement plus petite que son mari et est plutôt élégante. Elle a de grands yeux noirs envoûtants. Tout comme son époux, elle force sur son trop large sourire, ce qui la rend actuellement bien plus terrifiante qu'apaisante. Même si elle affiche, elle aussi, une certaine sérénité.
Pourtant, ils auraient bien quelque prétexte pour être angoissés. Peut-être pas autant que moi, mais après tout, ils ne savent pas non plus sur qui ils tombent. Je pourrais être un sociopathe, ou un délinquant. Et puis je suis assurément désagréable ces derniers temps.
Je secoue mentalement la tête. Ils sont parfaitement ridicules, en tirant des tronches pareilles, un peu comme s'ils essayaient — vainement — de me mettre à l'aise à coups de bienveillance ronflante. Ça me refile une de ces envies de fuir mais, comme je sais que je n'y échapperais pas, je me concentre sur une éventuelle réponse tandis qu'ils restent là à me regarder bêtement, ne bougeant pas — comme si j'allais détaler au moindre mouvement de leur part —, attendant vraisemblablement que je fasse le premier pas. Comme si j'étais un petit animal à apprivoiser.
Merde ! À leurs yeux, je suis probablement comme un chaton abandonné, apeuré et affamé.
— Euh… bonjour… je suis désolé, je me suis endormi… leur dis-je, de ma voix genre le mec super navré, alors que j'en ai rien à foutre.
C'était le meilleur moment de la journée, cette sieste.
— Ne t'en fais pas ! C'est parfaitement normal, tu as dû avoir une longue journée ! me répond mon paternel d'accueil, toujours avec le même sourire stupide mais qui devrait théoriquement me mettre en confiance.
J'adresse une petite grimace faussement enjouée à l'assemblée, et je détourne rapidement la tête, ne souhaitant pas savoir si c'est ce qu'on espère de moi ou pas.
Il semblerait que oui, puisqu'ils reprennent ensuite leur conversation ; peut-être des derniers points à régler. Je décide de laisser les adultes décider de mon sort sans m'en soucier, et me dirige vers la voiture pour reprendre mon hibernation là où je l'ai abandonnée quelques minutes plus tôt.
En claquant la portière, je ne peux m'empêcher de penser que, malgré cette première impression en demi-teinte, ils ont plutôt l'air sympathique. L'assistante m'a parlé d'eux : elle n'a peut-être pas menti sur le fait qu'ils sont d'adorables personnes. Et, apparemment, ils ont une fille plus âgée que moi.
Tandis que je commence à somnoler de nouveau, l'homme de la maison frappe trois petits coups sur le carreau contre lequel j'appuie ma tête, ce qui me fait sursauter. Il recule, alors j'interprète son geste et je ressors de la voiture.
— Viens, je vais te faire visiter la maison et t'aider à monter tes bagages dans ta chambre ! me dit-il allègrement.
Je salue l'assistante sociale, qui tente de se montrer chaleureuse alors qu'elle m'abandonne sciemment ici.
J'attrape les affaires restantes après qu'il se soit servi, puis je ferme le coffre de la voiture et le suis en direction de la maison. Nous pénétrons dans un ravissant petit hall d'entrée. D'une oreille distraite, j'écoute ses indications alors qu'il désigne diverses portes pour m'expliquer ce que l'on y trouve. Ainsi donc j'apprends qu'à droite se situent le salon avec la salle à manger et à gauche la cuisine. Avec pignon sur le hall, on trouve l'escalier, chemin que nous empruntons. Au premier étage j'aperçois quatre portes : une à gauche, deux à droite et la dernière face à nous.
— À gauche, c'est notre chambre, me dit joyeusement l'homme. Au centre, la salle de bain. La première porte à droite, c'est ta chambre, et la deuxième porte à droite, celle de Sarah, notre fille. Qui devrait bientôt rentrer ! Elle a vraiment hâte de te connaitre !
Je me fiche royalement de sa fille, mais je hoche vigoureusement la tête, tout en tentant de mémoriser ce qu'il vient de dire.
Il ouvre la porte de ma chambre et y dépose mes bagages. Je l'imite, superposant le reste de mes affaires au-dessus des autres valises.
— Je te laisse prendre tes repères tranquille, c'est d'accord ? Nous t'appellerons bientôt pour dîner, certainement d'ici une heure. Ça te va ?
— Oui, oui, merci…
Ma gorge est toute sèche lorsque je lui réponds. Ça y est, j'y suis, ma nouvelle vie commence ici.
Il quitte la chambre sans un mot de plus, dans un silence qui me perturbe. J'ouvre un de mes sacs et en sors une petite bouteille d'eau avec laquelle j'étanche ma soif. Je prends ensuite le temps de détailler la pièce, visualisant ainsi le petit monde que je dois désormais m'approprier, mon futur repère.
La chambre est assez spacieuse. Dans l'un de ses coins se trouve un grand lit avec sa petite table de chevet. Un peu plus loin, dans un autre recoin, s'élève une grosse armoire en bois — ou si ce n'est pas du bois, l'imitation est assez convaincante pour l'ignorant que je suis —, puis d'un autre côté de la chambre encore, une petite commode, près d'une large fenêtre. Pour finir, un bureau, sa chaise et son étagère trônent contre le dernier mur libre de la pièce. Le tout offrant une ambiance assez chaleureuse au lieu, dans des tons jaune et orange clairs. Encore un peu vide et sans âme, mais doté d'un certain potentiel.
Je m'assieds sur le lit et je respire un grand coup. J'ôte ma veste et, une fois bien pliée, la pose sur la chaise. Je me sens un peu mieux. À l'instant, j'ai presque la sensation que la vie pourrait être convenable dans cette maison. La situation me semble moins horrible qu'elle ne l'était ce matin alors que je nageais en plein inconnu. Si c'est ça d'être dans une famille d'accueil, — avec des gens qui ont l'air gentil comme tout —, je pourrais certainement m'y faire. Dans un certain temps, entendons-nous.
Tout à mes réflexions, je m'allonge distraitement sur le lit et mes pensées m'emmènent prestement vers un sommeil agité.
— Angelo ?
— Humpf… je grommelle, dans une tentative avortée de réponse.
J'émerge doucement de ma énième sieste de la journée — émotions fortes obligent —, l'esprit brumeux et le cheveu fou. Qui ose me déranger ? Ce matelas est si doux, si moelleux, que je serais resté une éternité entre ses frontières accueillantes. Est-il seulement possible que des gens prétendument sympathiques soient venus m'arracher à ce cocon de bien-être pour me faire redescendre sur terre ? Visiblement, ouais. Fait chier.
J'ouvre un œil vitreux et jette difficilement un coup de ce même œil en direction de la porte de ma chambre. Cette dernière est entrouverte et l'on peut voir le regard pétillant de joie de la femme — qui est certainement cool mais qui surjoue un peu trop le bonheur —, pointer vers moi.
— Bonsoir Angelo, je suis navrée de te réveiller, mais le dîner est sur le point d'être servi, nous n'attendons plus que toi.
— Ah… oui, je vous prie de m'excuser… j'arrive tout de suite ! dis-je en bafouillant.
Elle m'observe un instant en me gratifiant de son grand sourire, puis referme la porte.
Je me lève péniblement, ne souhaitant pas faire patienter ce beau monde plus longtemps. Mes membres sont encore tout ankylosés et je les frotte vivement dans le but de faire fuir les fourmis qui y ont élu domicile. Il y a un miroir sur la porte de l'armoire et je contemple mon reflet pendant quelques secondes. Je me recoiffe rapidement, tentant d'aplatir et de démêler mes cheveux pour ne pas avoir l'air d'un adolescent des cavernes. Je suis aussi présentable que possible dans ma situation, donc je vais être en mesure de les rejoindre, faisant toutefois un rapide détour par la salle de bain histoire d'y marquer mon territoire.
Je débarque dans le joli petit salon qui sert accessoirement de salle à manger. Tous trois sont d'ores et déjà à table, en pleine conversation. Lorsque je me retrouve face à eux, ils tournent leurs visages vers moi d'un même mouvement et me regardent avec de grands sourires ; la marque de fabrique de la famille, sans doute. Le père, la mère et la fille m'adressent la même expression, ce qui me fait penser à un mauvais film de science-fiction avec plein de clones. Je m'assieds timidement à la seule place vacante, c'est à dire à côté de la fille, avec une légère crainte — et si c'était vraiment des robots, ou pire, des extraterrestres faussement aimables ?
— Nous te présentons notre fille : Sarah ! dit l'homme, enthousiaste, pour essayer de briser la glace.
Un bref instant, j'avais pourtant eu des doutes ; qui aurait bien pu être cette personne — c'est faux, j'apprends à aimer l'ironie, je m'y essaie depuis peu.
Je tourne donc le regard vers elle et tente désespérément de lui offrir un maigre sourire qui ne doit pas paraitre sincère.
— Enchantée ! me dit-elle en faisant une chose qui me semblait jusqu'alors impossible : un sourire encore plus grand.
— Enchanté aussi… dis-je en hochant bêtement la tête.
Le couple nous observe d'un air extrêmement satisfait. Puis la femme décide de commencer le service par ma petite personne. Je la remercie poliment et opte pour une technique qui a priori fait rarement ses preuves, et qui consiste à manger la tête dans son assiette, sans accorder un regard aux gens autour de soi.
— Au fait, reprend l'homme assis face à moi, et m'adressant la parole, m'interrompant dans mon repas et me condamnant ainsi à lever les yeux dans sa direction et à affronter à nouveau tous ces sourires inhumains. Tu peux m'appeler Francis et ma femme, Marianne.
— Et n'hésite pas à nous tutoyer ! renchérit-elle immédiatement.
— Ah… euh… d'accord…
Parfois, je me demande si je suis encore capable de formuler une vraie phrase, avec sujet, verbe, et complément. Sans hésiter, ni bredouiller, j'entends. C'est actuellement le summum de la rhétorique pour moi lorsque je ne me contente pas de borborygmes. J'ai sûrement l'air très alerte, comme type…
Jusqu'à la fin de ce repas de bienvenue comprenant entrée, plat et dessert gentiment concoctés par mes hôtes, la tension régnant entre la petite famille et moi reste facilement palpable. Cependant, durant le dessert, Francis tente une dernière fois de briser le lourd silence qui règne par ma faute, toujours flanqué de cette bonne humeur qu'il semble ne jamais lâcher.
— Sarah te fera certainement visiter la ville, puis elle te montrera le lycée ! N'est-ce pas ma puce ? lance-t-il tandis que je jette un regard dans sa direction.
— Bien sûr ! répond-elle.
Elle m'adresse alors un énième grand sourire auquel je réponds tant bien que mal par un de mes nouveaux sourires forcés qui pourrait parfaitement illustrer une publicité qui vanterait le slogan « les choux de Bruxelles c'est dégoûtant mais il faut bien en manger : paraît que c'est bon pour la santé ».
— Il te reste encore une semaine avant la rentrée, ça te laisse le temps de prendre un petit peu tes marques ici, ajoute Marianne.
— Tu entres en seconde cette année, non ? me questionne Francis après avoir échangé un tendre sourire avec son épouse.
— Oui…
— Tu n'as pas un peu le trac ? poursuit-il.
— Non…
Là, je mens, bien évidemment. Je ne veux pas faire mon gamin. En vrai, j'ai horreur de ça et je sais que ça va m'empêcher de dormir correctement pendant toute la semaine. Comme si accoster dans une nouvelle famille ne suffisait pas, il fallait que je débarque bientôt dans un lycée inconnu peuplé uniquement de plus ou moins sales gueules toutes aussi étrangères à mes yeux.
— Sarah va rentrer en terminale, surenchérit Marianne, faisant ainsi la conversation comme elle le peut.
Je ne dis plus rien. Y a-t-il seulement quelque chose à répondre à cela ? Je ne me sens pas du tout capable de faire plus d'efforts aujourd'hui. J'ai la sensation d'avoir rempli le quota minimal de savoir-vivre et désormais, j'ai simplement besoin de me retrouver tout seul dans ma chambre pour y dormir encore et encore, récupérant ainsi tout le sommeil perdu de ces derniers mois ; à la merveilleuse condition de pouvoir fuir cet interminable repas.
Bien que plus personne ne parle, le dîner s'achève calmement dans une ambiance un peu plus apaisée de leur côté.
Dès que l'opportunité se montre, je présente mes excuses à la petite famille et m'éclipse de nouveau dans ma chambre, soulagé.
Arrivé à destination, je décide finalement de défaire mes bagages. Plus vite c'est fait, plus vite je me sens chez moi, donc plus vite je m'intègre et plus vite je vivrais mieux. Je range donc mes vêtements dans l'armoire, les quelques livres que j'ai tenu à emporter sur l'étagère, mes sous-vêtements dans la commode, mes affaires les plus personnelles dans les tiroirs de ma table de chevet ; je pose quelques fournitures sur le bureau et quelques photographies de mes parents et moi sur la commode et la table de chevet.
Une fois mon déballage terminé, j'ai presque l'impression que cette pièce commence à être mienne et j'essaie de me persuader qu'elle constituera mon refuge lors de cette nouvelle vie. Il ne me manque plus qu'à l'emplir de ma présence, et de mon odeur — quelques pets bien sentis m'assureront une forme de tranquillité et de respect par la crainte, non ?
Exténué après cette installation express, j'attrape ce qui me sert de pyjama dans mon armoire et je sors de la chambre, me dirigeant d'un pas discret vers la salle de bain. Au passage, j'ai le loisir d'entendre la fille au téléphone, enfermée dans sa chambre ; mais je suis dans l'incapacité de distinguer ce qu'elle raconte. Ce qui me rassure. Du rez-de-chaussée me parviennent aussi les nuisances sonores produites par la télévision, ce qui m'indique en partie l'activité du couple m'hébergeant.
Je pénètre dans la pièce. J'ai grand besoin d'une douche brûlante pour me détendre un peu, et pas seulement. J'enlève mes vêtements et les dépose dans le panier réservé au linge sale ; dès que j'ai constaté sa présence. Je dénoue ensuite mes cheveux et entre dans la cabine. Je règle la température de l'eau en songeant que la tâche est plus simple ici que dans mon ancienne maison. Celle-ci est brûlante et j'adore ça. Je reste quelques minutes sous le jet d'eau, sans bouger. Puis je ferme le robinet à contrecœur et attrape un gel douche puis un shampoing ; le premier qui me tombe dans la main — spécial cheveux blonds décolorés, c'est ballot —, avec lequel je me savonne copieusement, savourant l'instant. Je finis par ouvrir de nouveau le robinet, le réglant sur une chaleur plus élevée encore et me rince, contemplant l'épaisse vapeur qui se dresse vers le plafond. Je reste un peu plus longtemps que nécessaire sous l'eau, et sors ensuite de la cabine. Je m'enroule prestement dans une serviette. Après l'atroce chaleur de la douche, j'ai froid. Et ça fait du bien. Je m'essuie rapidement, puis j'enfile mon semblant de pyjama — caleçon et teeshirt. Je sèche vigoureusement mes cheveux et les coiffe soigneusement. Je quitte finalement l'ambiance vaporeuse de la salle de bain pour celle moins humide de ma chambre.
Je me sens tout propre, mais toujours aussi anxieux, voire désœuvré. J'allume alors ma petite lampe de chevet et je prends un des livres présents sur l'étagère. Lu et relu. Mais je vais le feuilleter distraitement avant de m'endormir, histoire de m'occuper. Je m'allonge et m'installe donc confortablement dans mon lit, sans parvenir à commencer ma lecture.
Quelques petits coups frappés à la porte m'interrompent immédiatement.
— Oui ?
Sarah entre brusquement dans ma chambre, et ça me déstabilise un peu. Je me remets sans attendre en position assise sur mon lit et la fixe, l'air interrogateur.
— Écoute-moi bien, blaireau ! annonce-t-elle, analysant l'effet de ses mots.
Blaireau. C'est ce que j'ai entendu ?! Ça ressemble pas beaucoup à Angelo, même de loin.
— Je vais être franche avec toi ! poursuit Sarah avant que je n'aie eu le temps d'analyser plus profondément le pourquoi du blaireau.
— J'ai pas envie d'avoir à te supporter, pigé ? Je dirais même que j'ai pas envie de t'avoir dans les pattes, ni même de te voir, tout court ! J'ai jamais voulu d'un frère ni de qui que ce soit comme cousin ou famille qui me rôde autour, alors un mec comme toi, qui sort de nulle part, encore moins. Pour moi, t'existes pas. Alors bon… face à mes parents, je fais la pétasse hypocrite, mais que ce soit clair entre nous : je te connais pas, j'ai pas envie de te connaitre, je t'aime pas. Et en conclusion, je suis pas ton amie et réciproquement. Compris ?
Je ne sais pas quoi répondre, ahuri par cette déclaration brutale, et qui me semble, à chaud, excessive. Personnellement, je garde ce type d'information pour moi, et j'évite de les crier aux concernés. C'est bien de savoir garder ses pensées à la con dans un coin de sa tête.
— Ça réagit, dans ce petit ciboulot, ou bien c'est le grand vide tout plein d'air, bouffon ? ronchonne-t-elle après quelques secondes.
Je déglutis. Là, de suite, l'avenir s'annonce moins positif. Elle m'emmerde déjà.
Alors je me contente de hocher la tête, signe que j'ai bien compris le message.
— Cool, ravie qu'on se comprenne, achève cette harpie, tout sourire.
Puis elle quitte la chambre en refermant la porte derrière elle.
Je reste assis là, hébété, les yeux rivés sur l'emplacement où Sarah se trouvait, me disant que les gens de mon âge doivent être sacrément plus débiles dans ce coin du pays. Ou alors ça, c'était le spécimen le plus évolué dans son genre.
Pas de soucis pour moi, de toute évidence c'est réciproque, on n'a rien en commun, c'en est la preuve flagrante. Et c'est pas comme si je comptais initialement m'en faire une amie. Maintenant, pas besoin de prétexte pour rester tranquille dans mon coin, on m'y pousse carrément.
Je me rallonge ensuite et me plonge dans l'obscurité. L'envie d'essayer de lire m'est passée.
Cela fait plus d'une heure que je suis allongé dans le noir et je ne parviens toujours pas à trouver le sommeil. Mes pensées sont confuses et je m'imagine toutes sortes de scénarios quant à mon futur dans cet endroit. Certains dans lesquels la vie serait plus ou moins insignifiante et d'autres où ce serait carrément la catastrophe. Peu à peu, et à mesure de ces réflexions, mes idées s'emmêlent et s'emplissent d'amertume. Je finis par sombrer dans un état semi-comateux, perdu entre le sommeil et la réalité.
Un éclair me sort brusquement de cette torpeur. Soudainement réveillé, les yeux écarquillés, je quitte le lit et m'approche de la fenêtre pour contempler le ciel orageux. Ce soir, comme toutes les nuits depuis trois mois, je vais certainement veiller. Un autre éclair illumine le paysage et je soupire. Je me sens si seul… peut-être bien que ce retranchement auquel j'aspirais un peu plus tôt n'est pas vraiment tout ce que je désire. À cet instant, j'aimerais plutôt que l'un de mes parents me prenne dans ses bras et me dise que tout ceci n'est qu'un cruel cauchemar, que tout va bien et qu'ils seront là demain matin. Et le surlendemain aussi. Une larme glisse insidieusement sur ma joue, sans que je ne la sente venir. Je ne m'en rends compte qu'après coup, lorsque la sensation devient désagréable. Un rictus m'échappe. Je me sens tout faible, et si stupide. J'ai l'impression de n'être encore qu'un enfant qui ne peut survivre loin de ses parents. Ce que je suis sans doute…
Et mon souffle salé laisse de la buée sur les carreaux de la fenêtre, que j'essuie consciencieusement du revers de la main, laissant des traces sur le verre.
Je finis par retourner m'allonger et décide d'attendre patiemment le sommeil, ou bien la fin de la nuit, tout en essayant de faire le vide dans mon esprit.
Demain sera une autre journée…
À suivre...
Surtout, faut pas hésiter à venir discuter avec moi, et aussi à me signaler toute erreur qui aurait échappé à ma vigilance ; à force de me relire, je ne vois plus rien...
À bientôt.
Note
Pour information, j'ai débuté la publication de cette fiction sur ce même site il y a quinze ans ; le 12 juillet 2005, très exactement.
Et elle est en pause depuis le 12 août 2008, après 78 chapitres écrits et publiés.
Pourquoi est-elle restée en pause pendant si longtemps ?
Parce que les 50 premiers chapitres — au moins — étaient proches du véritable torchon. Il fallait tout réécrire en français, et en moins con.
Le fossé était monumental entre les publications de 2005 et celles de 2008.
Cette histoire est désormais réécrite et écrite dans son intégralité.
Elle sera publiée tous les 10, 20 et 30 du mois (1 mars en lieu et place du légendaire 30 février).
Merci, et bonne lecture !