La première fois (et toutes celles d'après)
Scribouilleuse : Shakes Kinder Pinguy
Genre : amour d'enfance ?
Claimer : A mwa, tout est à mwa ! Yeah !
Note : c'est la faute à Heeraookami ! (mais j'admets que c'est moi qu'ai commencé :p)
18 octobre 2007 : remise en page, plus quelques corrections minimes.
25 mars 2008 : La première fois (et toutes celles d'après) possède une mise en page que ne me permet pas de garder. Vous trouverez sur mon profil un lien vers une version de cette histoire avec la mise en page correcte, ainsi que quelques illustrations de la merveilleuse Anya :)
« Je peux pas, articula Yoann. Je peux pas. »
Benjamin serra les lèvres, blessure ou colère, les deux.
« Ça m'étonne pas, cracha-t-il. T'as jamais été capable de prendre un risque. Pas si Maxime t'y poussait pas.
– C'est pas…
– Ta gueule, j'ai vraiment pas envie de t'entendre ! En fait je veux plus jamais t'entendre ! Je te souhaite de vivre le plus tranquillement possible et de crever avec des millions de regrets ! »
Benjamin tourna les talons, claqua la porte derrière lui.
Yoann ferma les yeux.
(la première fois)
« Attends, faut que je récupère mon frère, déclare Maxime.
– Y va à l'école ici ? demande Yoann.
– Ouais, il est en CE1, c'est trop un emmerdeur. Benjamin ! Eh ! Benjamin ! Ramène-toi, on va rater le bus ! »
Un cartable s'écarte des autres, vert, trop grand pour les petites épaules qui le portent ; des boucles brunes un peu trop longues, Benjamin lève des yeux bleus qui se fixent sur Yoann, deux lasers aux sourcils froncés.
« T'es qui, toi ?
– C'est un copain, allez, grouille ! » répond Maxime.
Le regard de Benjamin continue à scanner Yoann, puis une moue dédaigneuse et il se met en route, les dépasse pour aller vite s'asseoir sur le banc de l'arrêt de bus.
« Il est bizarre, ton frère, dit Yoann, mal à l'aise.
– Je te l'avais dit, il est trop chiant. »
À la sortie, Yoann surveille la foule des écoliers qui se presse. Le cartable vert en émerge, s'éloigne du troupeau. Yoann hésite, mais c'est stupide, ce n'est qu'un petit.
« Benjamin ! » appelle-t-il.
Le cartable vert ne s'arrête pas, se dirige vers l'arrêt de bus, déterminé. Yoann renonce presque, mais ils prennent la même ligne, descendent au même arrêt.
« Benjamin ! »
Il le rejoint et Benjamin lève enfin la tête. Il a une écharpe bleue autour du cou et le bout des oreilles rouges.
« Ah, c'est toi.
– Il est malade, Maxime ? »
Le môme opine.
« La grippe, explique-t-il. Il reste au lit.
– Ah…
– Il a pas le droit aux visites, continue Benjamin, imperturbable. Il est contagieux. »
Yoann ne répond pas, il ne sait pas trop quoi dire. Il aperçoit le bus au loin.
« Tu rentres tout seul, alors ? demande-t-il.
– Ouais.
– Bon. Je te ramène chez toi. »
Les lasers l'assassinent.
« Je peux rentrer tout seul !
– Faut que je file ses devoirs à Maxime. »
Benjamin tend la main.
« Je peux lui donner.
– Non, y'a des trucs à expliquer, tu vas pas comprendre. »
Sceptique, mais le bus arrive et il ne proteste pas lorsque Yoann s'assoie à côté de lui ; l'observe d'un air intéressé fouiller dans son sac. Yoann en sort un paquet de cookies mis là par sa mère ce matin et qu'il a oublié de manger. D'habitude, il les partage avec Maxime.
« T'en veux ?
– Ouais », répond Benjamin.
Du biscuit plein la bouche, il ajoute : « Merci. »
« Eh, qu'est-ce que t'as ? »
Maxime accélère et s'arrête devant son frère, pose les mains sur ses épaules. Yoann attend en retrait. Les genoux de Benjamin sont écorchés, ses poings serrés, couverts de terre, son visage sale et mouillé de larmes.
Il baragouine quelque chose. Maxime s'exclame un « Les cons ! » furieux, Yoann s'approche.
« Y se passe quoi ?
– C'est les types de la cour derrière, ils lui ont piqué son ballon et l'ont foutu sur un balcon ! On va leur casser la gueule !
– Vaut mieux le dire à ta mère, en plus Benjamin saigne…
– Il s'est battu avec eux, fait Maxime avec fierté. Laisse tomber, on ira voir M'man après ! »
Yoann hésite. Le regard de Benjamin est accusateur.
« …Ok. »
Yoann n'a jamais eu autant mal de sa courte vie, il est sûr qu'il aura plus jamais aussi mal et c'est trop injuste qu'ils se soient fait crier dessus alors que ce sont les grands qui ont embêté Benjamin en premier.
Mais il ne s'est jamais senti aussi bien non plus. À l'école, Maxime raconte à tout le monde qu'ils ont battu des grands de cinquième et Yoann affecte une indifférence stylée. « On allait pas les laisser faire. »
Benjamin n'en parle plus et le regarde comme s'il était un idiot quand il lui demande si ses blessures vont mieux.
Ils changent d'école pour entrer en Sixième, de trajet aussi, prennent le métro cette fois. Par chance Maxime et Yoann sont dans la même classe cette année encore et bientôt il y a de nouveaux copains et ils forment une bande qui dure. Benjamin les rejoint deux ans plus tard. Le cartable vert est un sac noir, Yoann le croise devant une salle de classe et lui fait un signe de tête.
« Tu le connais ? » demande Océane à côté de lui.
Yoann hausse les épaules.
« C'est juste le petit frère de Max. »
Les lasers sont toujours les mêmes. Yoann baisse les yeux.
Embrasser Océane n'a rien d'extraordinaire, mais il aime bien lui tenir la main et dire « C'est ma copine » ; et puis Maxime sort avec Anne-Cécile et elles sont meilleures amies.
Maxime et lui passent des heures à discuter quand ils dorment l'un chez l'autre ; dans la cuisine s'ils sont chez Maxime parce qu'il partage sa chambre avec Benjamin. Ils parlent d'Océane et d'Anne-Cécile et de sexe, et ricanent pour ne pas se sentir gênés.
Un soir Benjamin entre dans la cuisine, le téléphone à la main, pour ouvrir le frigo et prendre une crème au chocolat.
« Vous êtes trop cons, les informe-t-il.
– Quel chieur », déclare Maxime.
Yoann acquiesce mais le laisse continuer la conversation tout seul.
Deux semaine plus tard, Maxime et Anne-Cécile se séparent, Océane plaque Yoann par solidarité.
« Elles sont trop connes », déclare Maxime.
Yoann acquiesce encore.
Le lycée, c'est la même chose que le collège sauf que tout devient sérieux : les études et même les filles, et que Maxime déprime vraiment lorsque Marianne le quitte à la fin de la Seconde. Sonia reste avec Yoann ; à la rentrée de septembre ils sont toujours ensemble. En public, les plaisanteries sur le mariage commencent, en privé on lui demande « Alors, vous en êtes où ? » et Maxime se met à sortir avec Aurélie parce qu'il veut une copine.
« Il en a une, ton frère ? demande Yoann.
– Je sais pas, il a pas l'air… Eh, Ben !
– Quoi ? »
La voix de Benjamin émerge de la chambre, accompagnée de la musique de la console vidéo.
« T'as une copine ?
– Ça te regarde ?
– Il en a pas », conclut Maxime.
« Sonia veut qu'on couche ensemble à son anniversaire, annonce Yoann d'une voix assurée, parce qu'il flippe et que la jalousie des autres le soulagera
– Le salaud ! s'exclame en premier Maxime. Sérieux ? »
Les questions fusent, chacun s'interroge sur ses chances de ne plus être puceau avant l'été et quel préservatif acheter. À la sortie des cours, Yoann se sent mieux, il embrasse Sonia et prend le métro.
Dans la rue avant de tourner chez lui, il croise Benjamin avec deux copains. Ils parlent avec animation tous les trois mais s'interrompent lorsque le regard de Benjamin se pose sur Yoann.
« Tu le connais ?
– C'est juste un copain de mon frère. »
Le sourire est moqueur et Yoann a envie de rétorquer quelque chose, de cingler pour que les yeux bleus le prennent au sérieux, mais ils le dépassent et rien ne vient.
Maxime réussit à le faire avec Aurélie une semaine avant les dix-sept ans de Sonia et partage son expérience avec Yoann. Ce dernier ne se sent pas moins nerveux mais l'anniversaire arrive et passe. Soulagement, satisfaction, déception, fierté, et wah, ça y est ?
Maxime doit attendre, la main sur son portable mais Yoann n'a envie de parler à personne. Rentré chez lui, il s'allonge sur le lit, un sourire idiot aux lèvres.
Son téléphone bipe, un SMS. Yoann se redresse.
Benjamin, affiche l'écran mais Benjamin ne l'a jamais appelé, ne lui a jamais envoyé de message. Ils ont échangé leurs numéros quand le petit frère de Maxime a eu son portable, pour le principe.
Il ouvre le SMS.
« c max g + 2 forf alors ? »
Yoann efface le message presque mécaniquement, jette le portable à l'autre bout de son lit et se laisse retomber sur le matelas, un bras sur les yeux.
Sonia le plaque à la rentrée, parce qu'elle a rencontré quelqu'un pendant l'été mais qu'elle n'a pas voulu le faire par téléphone. Ça fait mal. Maxime essaie de compatir mais il a découvert quand Aurélie a voulu le quitter qu'il était amoureux d'elle, finalement, et il est très occupé à le lui prouver.
Benjamin partage de nouveau leur cour, ce qui fait râler Maxime, mais il s'avoue impressionné à la vue de la bande qui entoure son frère.
« Je savais pas que Ben était populaire ! »
Yoann pense aux lasers et ne s'étonne pas tant que ça.
Il l'aperçoit dans un couloir avec une fille et un garçon et quitte son propre petit groupe pour s'approcher. Il a le cœur qui bat plus vite. Benjamin l'a toujours rendu un peu nerveux, même quand ils étaient petits.
« Salut, Ben. »
Benjamin se retourne, le scrute un cours instant de ses yeux bleus puis sourit.
« Salut, Yoann.
– Alors, le lycée ?
– Bof, pas très différent du collège…
– Ouais, ça m'a fait le même effet. T'as qui, comme profs ? »
Ils discutent jusqu'à la fin de la pause, puis lorsque la cloche sonne Yoann le salue de la main et repart.
« Tu connais un Terminale ? » s'exclame la fille.
Il n'entend pas la réponse de Benjamin et cela vaut peut-être mieux, mais il reste de bonne humeur tout le reste de l'après-midi, ne la perd qu'en croisant Sonia à la sortie.
« Tu vas t'en remettre, lui promet Maxime. Tu vas déjà mieux. »
En février, Yoann sort avec une copine d'Aurélie mais ça ne marche pas vraiment, alors ils se séparent vite et relativement bons amis. Maxime envisage de faire une fac d'histoire, Yoann remplit frénétiquement des dossiers de BTS divers et variés.
« Tu veux faire quoi ? lui demande Benjamin un jour dans un couloir.
– Pas encore sûr, ça dépend des écoles qui me prennent.
– T'as postulé dans d'autres endroits ?
– J'ai postulé partout », répond Yoann avec un petit rire.
Benjamin lève la main pour saluer un copain qui passe.
« Ce serait cool que tu restes dans le coin, dit-il.
– Ouais, répond Yoann. Ce serait cool. »
Cet été-là les parents de Maxime ont loué une maison à la mer et Yoann a été invité à venir. Ce n'est pas la Côte d'Azur mais la mer n'est pas si froide une fois que Maxime l'a poussé à l'eau et il fait beau. Ils sortent tous les soirs ou presque, restent camper sur la plage parfois. Ils ont leur bac, Maxime est toujours amoureux d'Aurélie et Yoann « reste dans le coin », même s'il hésite encore entre trois des écoles qui l'ont accepté.
La mère de Maxime croit que Benjamin les accompagne mais il a son propre groupe et disparaît plus longtemps qu'eux parfois.
Yoann se dit que ce petit pincement au cœur est de l'inquiétude ; on a tendance à faire des conneries l'été, quand on a seize ans.
« T'as pas peur pour ton frère ? demande-t-il un soir où ils sont sérieux autour d'un feu de camp.
– Un peu, acquiesce Maxime à sa grande surprise. On a parlé. Il est chiant parce que c'est mon frère, c'est normal. Mais c'est un mec bien, Ben. Il est pas con. »
Yoann n'insiste pas. Deux nuits plus tard, il s'échappe de la boîte de nuit pour respirer, il a un peu trop bu mais pas assez pour ne pas entendre le rire de Benjamin. Pas assez pour ne pas le reconnaître sous la mauvaise lumière des lampadaires, dos au mur, occupé à embrasser quelqu'un qui n'est pas une fille.
Yoann ne respire plus. Il a l'impression que ses jambes vont le lâcher. Il regarde, il ne peut pas s'empêcher de regarder, et ne se réveille que lorsque la porte de la boîte claque derrière lui. Il faut qu'il y retourne, il faut qu'il empêche Maxime de sortir, de voir.
De voir.
Benjamin, dos au mur, en train d'embrasser un garçon, les doigts sur sa nuque.
Yoann dort mal. Maxime ronfle à sa gauche, Benjamin n'est pas rentré à sa droite. Il revient à l'aube ; dans la pénombre, Yoann voit le jean glisser à terre, puis le t-shirt et de nouveau il ne respire plus.
Benjamin émerge en début d'après-midi, de bonne humeur et du sommeil plein les yeux. Ils vont se baigner tous les trois, la mer est haute, Benjamin saute dans l'eau d'un coup et leur fait signe.
« 'tain il a la forme, vu l'heure à laquelle il est rentré », marmonne Maxime et Yoann a soudain envie de lui dire ton petit frère dans les bras d'un garçon parce que ça lui compresse la poitrine et Maxime doit faire quelque chose. Mais Maxime s'élance à son tour dans la mer. Yoann reste au bord. Benjamin le rejoint, torse et jambes nus, les yeux rieurs, moqueurs, comme s'il sait qu'il l'a vu, comme s'il sait ce que ça lui fait, et lui attrape le poignet.
« Allez, viens, Max a dit qu'il allait te cracher de l'eau dessus sinon ! »
Ses doigts sont froids sur sa peau mais Yoann brûle. Maxime l'appelle.
ton petit frère
La rentrée lui permet d'oublier, de croire qu'il oublie, parce qu'il faut travailler, qu'il a des milliers de choses à faire, et qu'il ne voit plus Benjamin. Si ses rêves parfois sont trop réels et trop forts et différents ce n'est pas grave parce que ce sont des rêves et ce n'était pas Benjamin.
Benjamin dos au mur en train de l'embrasser, les doigts sur sa nuque
Maxime déboule un jeudi soir de fin novembre, juste avant minuit, les yeux exorbités. Il lui faut quelques minutes pour reprendre son souffle, quelques autres pour se calmer.
« Ben est pédé », lâche-t-il enfin.
Yoann se fige, cherche la réaction appropriée sans la trouver.
« Comment… ?
– Il vient de se faire larguer par… son mec. Putain. Je le trouve en train de chialer dans notre chambre et il me sort ça comme ça : « Machin m'a plaqué », et moi je me retrouve comme un con la bouche ouverte et lui qui pleure et… bordel ! »
Yoann s'est assis. Il a du mal à respirer. Encore.
« Il est où ?
– Qui ?
– Benjamin.
– Au pieu, il a fini par s'endormir. Putain, qu'est-ce que je fais ?
– Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? répond Yoann.
– J'en sais rien, moi ! Mais merde, mon petit frère est homo et vient de se faire plaquer par son mec !
– Tu veux une bière ?
– Ouais. Bordel si je retrouve ce type je le démolis. »
Maxime reste une bonne partie de la nuit mais décide de repartir ; il veut être là lorsque son frère se réveille. Il a parlé longtemps, s'est énervé, s'est calmé, et Yoann a écouté et acquiescé et pensé à Benjamin en larmes dans son lit.
« Merci, Yoann, lui dit Maxime. Dis pas à Ben que je t'ai parlé, hein ? Je sais pas s'il veut que les gens sachent.
– Pas de problème. Bon courage.
– T'es un vrai pote. »
ton petit frère dans les bras de ton meilleur ami
Yoann ne dort pas cette nuit-là.
Yoann croise Benjamin dans la rue en janvier.
« Hé, Ben.
– Salut. »
Les lasers ne foudroient plus autant qu'avant, son visage est pâle et son air méfiant. Yoann lui sourit.
« Ça fait un bail que je t'ai pas vu. Ça se passe bien, ton année ?
– Ça va.
– Et le bac de français ?
– Aucun problème. »
Un silence, puis Benjamin demande : « Et toi ? »
Lorsqu'ils se séparent ils ont parlé longtemps et Benjamin ne lui a rien dit. Yoann rentre chez lui. Sa douche est longue, sa nuit agitée.
Quelques jours plus tard Hélène lui propose un café. Ils ont le même parcours, s'entendent bien, elle est mignonne. Il accepte.
Début juin arrivent les beaux jours et les parents de Yoann ont enfin pris la décision de divorcer. Ça n'arrange pas l'ambiance à la maison pour autant, il se débrouille pour y être le moins possible. Heureusement il loge dans la chambre de bonne à l'étage du dessus et n'a que les repas à supporter. Il profite du soleil tardif pour travailler en début de soirée à la terrasse d'un café, quelques rues plus loin.
Une ombre sur sa feuille et il relève la tête. Benjamin, les mains dans les poches de son jean, le regarde.
« Salut, Ben.
– Salut. Tu bosses ?
– Ouaip. »
Les mots qui suivent sortent sans sa permission.
« T'as un peu de temps ? Assieds-toi cinq minutes. Tu viens d'où ?
– De chez un copain. »
Yoann baisse les yeux sur sa feuille, le temps que Benjamin enchaîne :
« Y'a un terrain de tennis derrière chez lui, on a fait une partie avec deux autres potes. »
Sourire narquois.
« On a gagné, bien sûr.
– J'en doute pas, répond Yoann, amusé. J'en déduis que le bac de français te stresse pas ?
– J'ai fini hier.
– Ah ! Et ça s'est passé comment ?
– Ça va.
– Tu me diras tes résultats ? »
Benjamin hausse les épaules.
« Tu pourras demander à Max.
– Tu pourrais m'envoyer un message…
– Je pourrai », répond Benjamin et le ton de sa voix empêche de savoir si c'est du futur ou du conditionnel.
Ses yeux se posent sur la boîte de cookies que Yoann a emportée. Yoann sourit.
« T'en veux un ?
– Tu t'en souviens ?
– Évidemment. C'est bizarre que toi, tu t'en souviennes.
– Pas de raison que j'oublie… En primaire tu me donnais toujours un cookie quand on sortait de cours…
– Oui, et j'ai jamais rien eu en échange ! »
Un silence soudain, brutal, Benjamin détourne le regard.
« Tu m'as jamais rien demandé… »
Le silence se prolonge, Yoann a le cœur qui bat vite et une peur viscérale lui serre la gorge.
« C'est vrai… »
Benjamin ne dit rien ; Yoann a l'impression qu'il attend mais ce n'est qu'une impression et il n'y a rien à attendre. Rien.
Benjamin repousse sa chaise d'un coup. « Je te laisse bosser. »
Ce soir-là, Yoann a Maxime au téléphone.
« J'ai vu Ben, tout à l'heure. Ça avait l'air d'aller. »
Une pause, une inspiration.
« Tu sais s'il… s'il a quelqu'un ?
– Non, répond Maxime tout sérieux. Il en parle pas et j'ose pas demander. Franchement je suis pas sûr de vouloir savoir mais en même temps, je préférerais… »
Yoann ferme les yeux.
« Je comprends. »
Hélène et Yoann se séparent deux semaines plus tard, parce qu'ils « n'attendent pas la même chose de cette relation » et il ne sait pas s'il éprouve de la tristesse ou du soulagement. Quelques jours après, un message de Benjamin.
« Eu mon bac fr »
Il sourit et répond : « Dis-moi qd t'as 1 moment, je t'invite pr fêter ça »
Ils se retrouvent au café en soirée. Benjamin fait comme si de rien n'était mais ne peut s'empêcher de sourire et ses yeux brillent. Il est heureux d'avoir ses exams, pense Yoann et détourne le regard du creux de sa gorge. Les tables sont petites, leurs genoux se touchent. Yoann a peur que ses mains tremblent.
Un film qu'ils ont envie de voir tous les deux, et un rendez-vous est donné trois jours plus tard au cinéma du quartier.
« Je te raccompagne, dit Yoann.
– Je suis plus un môme...
– Mais t'es toujours aussi chiant ! »
Ses mains dans les cheveux de Benjamin, pour ébouriffer, se moquer, caressent la nuque presque inconsciemment, alors il les retire, brûlé. Benjamin ne dit rien, ils rentrent en silence.
« À vendredi soir », les lasers le scrutent, Yoann s'enfuit.
Dans la file, les gens se bousculent. Benjamin est arrivé un peu en retard, Yoann se pousse pour qu'il se glisse devant lui et leurs corps se pressent. Il sent les cheveux de Benjamin lui chatouiller la joue. La file avance et leurs doigts se frôlent. Benjamin tourne la tête, comme pour lui dire quelque chose. Ses lèvres bougent, Yoann n'entend pas.
C'est trop rapide, pense-t-il, et quelque chose en lui se met à rire, à se moquer.
« Yoann ? » appelle la voix qui riait un an plus tôt, une voix qui hésite, maintenant. Leurs doigts se touchent, de nouveau, et naturellement s'accrochent, se glissent les uns dans les autres, se serrent. La voie est dégagée vers la caisse, Yoann sort de la file, tire Benjamin avec lui dans la rue. Son cœur bat la chamade et ses oreilles bourdonnent. Ils marchent vite, courent presque ; Yoann entend le souffle précipité de Benjamin derrière lui mais n'ose pas se retourner. Sa rue, puis son immeuble, il tape le code par automatisme.
Dans l'ascenseur seulement il le regarde.
« Benjamin », répond-il.
Soulagement, soulagement, à sentir ses lèvres contre les siennes, ses mains sur ses bras, sa langue dans sa bouche, et son cœur battre, battre, battre dans sa poitrine aussi vite que le sien.
L'ascenseur ne va pas jusqu'en haut, ils grimpent le dernier étage quatre à quatre, souffle court ; Yoann a du mal à trouver ses clefs et les yeux de Benjamin sont immenses. La chambre est si petite qu'ils trébuchent sans le vouloir sur le lit. Benjamin à califourchon sur ses genoux, Yoann le serre à l'étouffer et l'embrasse, sur les lèvres, le visage, dans le cou, Benjamin dans ses bras, contre lui, à lui…
« Yoann… Yoann ! »
Benjamin respire vite, sa gorge palpite, ses lèvres tremblent. Et les lasers le fixent, sérieux, soucieux.
« C'est pour de vrai, hein ? »
Le monde recommence à tourner.
Benjamin tourne les talons, claque la porte derrière lui.
Yoann ferme les yeux.
/et toutes celles d'après/
Il pouvait encore sentir Benjamin contre lui, et la panique commençait à se calmer.
« Putain, c'est pas vrai ! »
Yoann attrapa ses clefs, un pur réflexe, et sortit à son tour. Il ne pourrait de toute façon plus jamais regarder Maxime dans les yeux, et peut-être encore moins que ça s'il fichait tout en l'air maintenant. Il dévala les escaliers, incapable d'attendre l'ascenseur. Avec un peu de chance il rattraperait Benjamin en chemin ; sinon tant pis, il irait le chercher chez lui, Maxime ou pas.
Mais Benjamin s'était arrêté dehors. Appuyé contre le mur, la tête baissée, il se mordait les lèvres. Pas de résistance lorsque Yoann le prit dans ses bras.
« Je suis désolé, souffla-t-il.
– T'es vraiment trop con, hoqueta Benjamin.
– Je sais. Je sais.
– Si tu recommences je te pardonne pas !
– Je recommencerai pas. Je te jure.
– Même devant Max ? »
Benjamin le foudroyait du regard, et larmes ou pas, Yoann avait du mal à le soutenir. Mais il tint bon.
« Même devant Max.
– Et tu lui diras ?
– Ce soir si tu veux. »
Benjamin lâcha un rire bref, étranglé mais posa le visage au creux de son cou et Yoann appuya la tête contre la sienne, une main dans ses cheveux pour les caresser, consciemment cette fois. Quelques minutes passèrent en silence, puis :
« Embrasse-moi », exigea Benjamin.
Tendre, cette fois, la passion en retrait, et c'était aussi bon, presque plus vrai. Un petit rire secoua Yoann.
« Quoi ? demanda Benjamin, sur la défensive.
– Rien. Je suis heureux, c'est tout… »
Il sourit.
« Ça fait un moment que je rêve de cet instant. »
Benjamin, dos au mur, en train d'embrasser Yoann, les doigts sur sa nuque.
(fin)
Jeudi 29 mars – Vendredi 30 mars 2007
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