Note : Pour Anya, en remerciement des jolis dessins qu'elle m'a faits ! (lien sur mon profil)
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Une fois de plus
Yoann caressa la nuque de Benjamin, dont les doigts se refermèrent un peu plus sur sa taille. Il commençait à ne plus sentir ses jambes. Les fourmillements seraient épouvantables lorsqu'ils se lèveraient mais Yoann ne pouvait se résoudre à bouger ou demander à Benjamin de plutôt s'asseoir sur le lit. Cela faisait quelques minutes maintenant qu'ils gardaient le silence, à savourer la simple présence de l'autre, son odeur, sa chaleur.
Benjamin lâcha un tout petit soupir de contentement qui chatouilla Yoann dans le cou, puis se redressa. Yoann lui sourit, leurs visages se rapprochèrent jusqu'à ce que leurs lèvres se touchent, un premier baiser léger, puis un second, lent et tendre.
« Il va falloir que je dise à Max que je pars plus en vacances, dit enfin Yoann.
— J'aimerais bien que t'évites de penser à mon frère quand tu m'embrasses », commenta Benjamin.
Yoann leva les yeux au ciel, incapable de s'empêcher de sourire, lui déposa un baiser impulsif dans le cou.
« Fais pas ton sale gosse, Ben.
— Et j'aimerais bien que Max soit pas ton meilleur ami.
— Peut-être mais c'est le cas. »
Yoann espérait un peu désespérément qu'il le reste.
« On est censés partir en Espagne dans une semaine avec Mathieu et les autres, tu sais ?
— Oui, je sais.
— Je parlerai… je parlerai de nous à Max quand je lui dirai que je pars plus. »
À sa grande surprise, Benjamin secoua la tête.
« Lui dis pas. Il serait capable de pas partir.
— Tu voulais que je lui dise vite…
— Pas au point de nous gâcher les vacances. »
Yoann acquiesça brièvement. Deux semaines, rien qu'avec Benjamin, sans avoir à justifier quoique ce soit, sans dilemme. Ils avaient bien besoin de ça, tous les deux… Yoann attendait ce moment avec impatience et une sorte de terreur incontrôlable.
« Je dirai à Max que j'ai quelqu'un, dit Benjamin. Pour préparer le terrain. »
Yoann pensa que rien ne pourrait préparer Maxime à ce qui allait lui tomber dessus, mais se contenta d'embrasser Benjamin. Chaque chose en son temps.
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« Tu pars plus ? répéta Maxime, incrédule. Comment ça, tu pars plus ?
— Je peux plus », dit simplement Yoann.
Maxime l'observa un instant.
« C'est pas à cause du divorce de tes parents, hein ? Y'a autre chose. »
Yoann ferma un court instant les yeux puis se lança :
« Je reste pour quelqu'un. »
De nouveau, son meilleur ami le dévisagea, stupéfait, cette fois.
« Pour quelqu'un ? Tu te remets avec Hélène ?
— Non ! Quelqu'un d'autre.
— … quelqu'un d'autre. Putain, Yoann, je comprends rien, j'ai l'impression d'avoir raté quelques épisodes, là. Tu viens à peine de te séparer d'Hélène et tu me parles déjà de quelqu'un d'autre ? C'est pas ton genre.
— Ça date d'avant Hélène, admit Yoann. C'est compliqué.
— C'est un truc qui date d'avant Hélène, c'est compliqué et j'en ai pas entendu parler parce que… ?
— Parce que c'est compliqué et que j'ai besoin de temps. »
Maxime croisa les bras. Yoann tint bon. Il n'avait jamais remarqué avant que les yeux des deux frères étaient du même bleu intense. Il se demanda où se trouvait la différence, pourquoi il perdait tous ses moyens lorsqu'il croisait le regard de Benjamin.
« Le suspense va pourrir mes vacances, marmonna enfin Maxime.
— Ça me brise le cœur, vraiment », répondit Yoann.
Maxime lui flanqua une bourrade. Ils n'en parlèrent plus.
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La veille du départ, Maxime terminait de faire son sac quand Benjamin vint s'adosser au chambranle de la porte de leur chambre. Comme il gardait le silence, Maxime leva les yeux.
« T'es encore là ? Je croyais que tu sortais.
— J'y vais. »
Il ne bougea pas. Maxima haussa les sourcils, interrogateur. Benjamin se redressa et mit les mains dans les poches.
« J'ai un copain… commença-t-il.
— J'espère que t'en as pas qu'un », l'interrompit Maxime ; au même instant il réalisa que la phrase de son frère était en fait une déclaration, qu'elle n'avait pas de suite, qu'il n'y aura pas d'histoire à propos d'un type quelconque.
Benjamin le foudroya du regard.
« Oh. Heu. Ok, fit stupidement Maxime.
— Juste pour que tu saches. »
Ne sachant pas trop quoi dire, Maxime hocha la tête vaguement, puis soudain mal à l'aise, demanda :
« C'est… lui que tu vois ce soir ?
— Ouais », répondit Benjamin de ce ton un peu provocateur qu'il prenait lorsqu'il n'était pas certain de la réaction de son vis-à-vis.
Maxime balança un t-shirt dans son sac, déplaça l'appareil photo pour mieux le caler. Il jeta un regard à son frère.
« Bon… tu fais gaffes, hein ? »
Benjamin leva les yeux au ciel, lui tourna le dos et disparut dans le couloir. Maxime l'entendit crier à leur mère qu'il y allait, puis le claquement de la porte d'entrée. Il se laissa tomber sur les fesses et se frotta les yeux.
« Oh, putain », marmonna-t-il.
Finalement, il aurait peut-être préféré ne rien savoir (Benjamin le massacrerait s'il osait ne serait-ce que regarder de travers le « copain » en question, mais ça ne suffisait pas tout à fait à supprimer cette envie de lui mettre quelques points sur les i. D'avance. Au cas où. Et Maxime refusait de penser à ce que son petit frère et ce type allaient faire tous-les-deux-tous-seuls-ce-soir).
Oh, putain.
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Le lendemain, dans la voiture louée pour leur voyage en Espagne, Maxime, somnolant, se dit que Yoann et Benjamin avaient vraiment une fichue synchronisation avec leurs confessions foireuses. Une idée ridicule lui traversa l'esprit, s'insinua et traça son chemin. Maxime y mit fin avec un gloussement nerveux qui attira l'attention de ses compagnons de voyage.
« C'est rien, c'est rien. Je pensais à un truc débile. »
(Il y revint de temps en temps, à cette pensée, sans le vouloir, entre un éclat de rire et un coup de téléphone à Aurélie qui lui manquait horriblement ; à son grand dam elle s'enracina suffisamment pour que Maxime voie la fin des vacances arriver avec appréhension. Même si, bien sûr, c'était complètement idiot.)
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Maxime arriva chez lui au milieu de la nuit. Il abandonna son sac dans le couloir puis alla s'effondrer sur son lit. Il releva la tête pour vérifier qu'il n'avait pas réveillé son frère mais le lit de Benjamin n'était pas défait. Maxime tenta de s'assommer avec son oreiller sans grand succès.
Le lendemain ses parents lui apprirent que son frère avait dormi chez un copain (un ou son ?). À son retour, Benjamin ne daigna pas éclairer spontanément sa lanterne et Maxime ne se voyait pas poser la question (après tout, voulait-il vraiment savoir ?).
Horrifié, il se surprit à vérifier que Benjamin marchait droit.
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Deux jours plus tard, Maxime réussit enfin à mettre la main sur Yoann. Ce dernier le rappela après deux textos et un message sur le répondeur, lui fournit une bonne excuse pour son silence, mais Maxime connaissait Yoann depuis l'école primaire et maîtrisait toutes ses techniques d'esquive. Ils se donnèrent rendez-vous dans un bar le soir même, discutèrent un bon moment de l'Espagne. Enfin, Yoann lui proposa de finir la soirée dans sa chambre de bonne.
Maxime prit en note qu'ils seraient seuls et que Yoann ne le regardait pas dans les yeux. La conversation s'annonçait mal.
Une fois assis sur le lit, Maxime haussa les sourcils.
« Oook, t'as mis tes complications à plat ? On peut en discuter ? »
Le regard de Yoann papillonnait d'un objet à un autre. Maxime soupira et appuya la tête sur sa main (il se sentait légèrement terrifié et apprécierait que Yoann mette fin à leurs souffrances). Puis Yoann eut l'air de prendre son courage à deux mains.
« Je suis bi.
— OH PUTAIN. »
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(Yoann s'était dit : Je vais y aller doucement, une bombe après l'autre.)
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« Tu couches avec Ben ! s'épouvanta Maxime.
— Quoi ? NON ! paniqua Yoann.
— … Non ?
— Non ! … pas enc… vraiment, pas vraiment. Oh, bon Dieu. »
Ils se dévisageaient, deux cerfs pris dans la lueur des phares. Maxime, enfin, leva les bras au ciel et se couvrit le visage des mains.
« Oh, putain. Oh, putain. Oh, putain.
— Désolé », souffla Yoann, la voix rauque.
Maxime s'ébouriffa les cheveux et prit une profonde inspiration qu'il relâcha longuement.
« … Tu… savais ? demanda Yoann.
— Prémonition. Une sorte d'horrible prémonition qui m'a poursuivi toutes les vacances. »
Yoann grimaça, les épaules tendues.
« Ok, fit Maxime. Ok. »
Il plissa les yeux.
« Avant Hélène, t'as dit. C'est quoi cette histoire ? Cet hiver, c'était toi ? »
Qui a fait pleurer Ben resta sous-entendu.
« Non, bien sûr que non, répondit Yoann, sur la défensive (oui, il avait fait pleurer Benjamin, pas cette fois-là mais une autre, pas si lointaine).
— Alors quoi ? T'étais avec Hélène depuis janvier… ! Attends, attends, vous êtes, putain j'arrive pas à croire que je vais dire ça, vous êtes ensemble depuis quand ?
— Le 7 juillet, admit Yoann.
— Le 7 juillet. Une semaine avant qu'on parte. Même pas deux après ta rupture avec Hélène. »
Maxime se massa les tempes.
« Je répète ma question, c'est quoi cette histoire ? Ça date d'avant Hélène mais t'es quand même sorti avec elle, et depuis quand tu sais que t'es bi ? C'est à cause de Ben ? C'est à cause de lui, hein ? Qu'est-ce qu'il a foutu et quand, je peux pas croire qu'il t'ait fait virer ta cuti entre décembre et janvier, pas dans l'état dans lequel il était et… Quand et comment, bon Dieu ?
— J'en sais rien, s'irrita Yoann. C'est juste, l'été dernier il…
— L'été dernier ? »
À contrecoeur, il s'expliqua :
« J'ai vu Ben avec un mec. Cet été-là. Et, bon, après… »
Il fit un geste vague et embarrassé. Maxime le dévisagea, incrédule.
« Passons sur le fait que t'as pas jugé important de m'en parler avant…
— J'essayais de pas y penser !
— … mais tu, tu, pour Ben, depuis au moins l'été dernier sinon plus, vu que c'était quoi, un tilt ? »
Ce fut au tour de Yoann de le fixer.
« Est-ce qu'on peut éviter de disséquer mes sentiments pour ton frère ?
— 'de Dieu, tu viens de dire sentiment. »
Yoann devint écarlate. Il détourna la tête.
« T'as raison, se hâta de déclarer Maxime. On va éviter d'en parler. »
Un silence pesant s'installa entre eux. Maxime tritura la couverture du lit, puis, ne tenant plus, demanda :
« Et, c'est, heu, Ben spécifiquement ? »
Yoann se tapa l'arrière de la tête contre le mur.
« J'ai pas eu l'occasion ou l'envie de penser à quelqu'un d'autre que Ben. Si ce que tu veux savoir, c'est si mes intentions envers ton frère sont honorables, alors oui, elles le sont et j'aimerais vraiment que tu me demandes pas de développer. »
L'expression de Maxime lui indiqua qu'il n'en avait pas l'intention.
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Lorsque Maxime rentra ce soir-là, Benjamin était assis sur son lit. Ils échangèrent un regard, Maxime ouvrit la bouche, la referma puis secoua la tête.
« Fallait forcément que ce soit Yoann, bordel ? marmonna-t-il.
— Ducon, rétorqua Benjamin sur le même ton.
— Vous avez pas intérêt à foirer votre coup. »
Son frère détourna les yeux, haussa les épaules.
Maxime, malgré lui, esquissa un sourire.
(fin)
20 octobre 2007 – 10 mai 2008
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