Titre : Fausses rumeurs (1/2)
Auteur : Meanne77
Claimer : À moi ! À moi ! À moi ! (… Non, ce n'est pas un appel à l'aide. Quoique.)
Genre : c'est avec beaucoup d'émotion que je vous annonce que ceci est une schoolfic. Ma toute première schoolfic (écrase une larme). Elle est pour mon pingouin, qui m'en avait confié la mission (encore qu'elle soit trop courte pour contenir tous les clichés du genre, mais je fais ce que je peux…).
(Écrit entre le 30 mars et le 4 avril 2007. Relecture octobre 2012 pour correction orthographique, etc.)
Fausses rumeurs
La musique lui perçait les tympans. Il n'avait rien contre les rythmes électroniques et les remix de soirée, il lui arrivait d'ailleurs d'en écouter chez lui sur son ordinateur, mais là, le volume dépassait ce qu'il était humainement possible de supporter. On ne s'entendait pas parler. Évidemment, on n'allait pas en boîte pour se faire la conversation mais était-il indispensable de marteler ainsi oreilles et cerveaux des clients jusqu'à les rendre sourds ? L'unique endroit où le niveau de décibel était tolérable était le bar…
Oh… belle stratégie commerciale ! Toutefois, Cyprien avait atteint sa dose limite d'alcool, celle où son équilibre devenait juste assez précaire pour lui donner une démarche chaloupée sans qu'on puisse pour autant dire qu'il titubait. Cyprien n'avait pas l'habitude de boire, il passait l'essentiel de ses soirées derrière son écran, mais ce n'était pas tous les jours que se tenait une opération où le prix d'entrée d'une boîte de nuit servait de forfait et offrait les boissons à volonté. Cela visait à relancer la fréquentation et force était de constater que cela fonctionnait. Il était étrange de retrouver tant de visages connus, visages qu'il croisait tous les jours dans les couloirs du lycée ou avec lesquels il partageait des cours, mais moins étrange, en fin de compte, que de se trouver là soi-même. Mais Alexandra lui répétait sans cesse de sortir plus souvent et lui avait dit que cette soirée-là serait l'occasion rêvée, aussi, pour une fois, l'avait-il accompagnée.
Cyprien zigzagua entre ses congénères, évitant de les bousculer (il portait l'un de ses t‑shirts préférés et il avait suffisamment d'alcool dans le sang, il n'avait pas en plus besoin d'en avoir sur ses vêtements). Il atteignit enfin les toilettes. De l'eau fraîche sur le visage lui ferait du bien. De plus, il avait envie de soulager sa vessie.
Lorsque la porte à battants se referma derrière lui, elle emporta sons et odeurs avec elle. Seule restait celle de la javel qui avait servi à nettoyer les lieux. Ils étaient d'ailleurs étonnamment propres si l'on considérait le monde qu'il y avait ce soir-là, et quasi déserts, si l'on omettait la présence de Yohan Songeur, un Terminale tout comme lui. Et il était difficile de ne pas remarquer le jeune homme où qu'il fût : coqueluche du lycée, capitaine de l'équipe de basket-ball et possesseur d'un sourire digne d'une publicité pour un dentifrice, Yohan ne passait jamais inaperçu. Il était aussi brun que Cyprien était blond, avait des yeux aussi noirs que ceux de Cyprien étaient bleus et était connu comme le loup blanc là où Cyprien se tenait aux antipodes du terme popularité.
Leurs regards se croisèrent dans la glace au-dessous des lavabos. Ils échangèrent un bref signe de tête en guise de salut.
o'O'o
Cyprien scruta la cour de ses yeux clairs. Il repéra au loin la silhouette de Yohan, entourée de sa troupe d'admirateurs, et fendit la foule massée autour du distributeur de sucreries et des bancs qui longeaient les murs. Cyprien s'arrêta devant le petit groupe et serra les poings. Ses mains tremblaient. Il fusilla Yohan du regard et de sa voix la plus méprisante, dit : « Alors, ça va, tu t'amuses bien, j'espère ? »
Les adolescents se turent et se tournèrent vers lui ; Yohan, notamment, prit un air confus, comme s'il n'était pas certain que les yeux glacials lui fussent adressés.
« Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Je te demande si tu es fier de toi. Je suppose que tout ça vous éclate, tes copains et toi, hein ? T'as rien trouvé de mieux pour te distraire ? Laisse-moi te dire une bonne chose : tu me fais vraiment pitié !
— Hé ! Mollo, mec ! » se défendit Yohan tandis que d'un geste de la main il incitait ses amis à conserver leur calme. Il pouvait régler ça lui-même, quoi qu'il puisse s'agir. « Je peux savoir de quoi tu parles ?
— Tu sais très bien de quoi je parle ! De cette histoire qui circule sur toi et moi ! T'as été raconter qu'on était sortis ensemble l'autre soir au 421 ! »
Les yeux de Yohan s'écarquillèrent et il éclata de rire.
« Quoi ?
— Pourquoi t'as fait ça ? À quoi ça rime de te foutre de moi comme ça et de raconter ce genre de conneries ? Maintenant tout le monde en parle ! Et arrête de te marrer !
— Désolé, désolé ! s'amenda Yohan, hilare et mains levées en signe d'apaisement. On a quoi ?
— Alors c'est toi, le fameux Cyprien ? intervint une amie du jeune basketteur.
— Le fameux Cyprien ? répéta Yohan tandis que le blond dirigeait son regard incendiaire sur la jeune fille. Tu sais de quoi il parle ?
— Vaguement. J'ai entendu dire qu'un type appelé Cyprien t'avait roulé le patin du siècle dans les chiottes du 421 et que t'avais pas dit non.
— J'ai rien fait du tout ! » Il pointa l'index sur Yohan. « Tu vas arrêter ce petit jeu tout de suite !
— Mais j'ai rien fait, moi ! Pourquoi est-ce que j'irais raconter un truc pareil ?
— À toi de me le dire !
— J'y suis pour rien, juré ! J'étais même pas au courant ! »
Cyprien, encore rouge, le scruta un long moment avant de sembler décider le croire.
« Qui, alors ?
— Va savoir. Marine, qui t'a raconté ça ?
— Sandra, mais je sais pas de qui elle le tenait. Elle est venue me voir pour que je te demande si c'était vrai.
— Tu m'as rien demandé.
— Nous deux, c'est fini depuis un bail, joli cœur. Pourquoi j'irais te demander des comptes sur ce que tu fais de ta petite bouche sexy, hum ? »
Yohan lui envoya un baiser. À la périphérie de sa vision, il vit la mine dégoûtée du blond.
« Bon, écoute Cyprien, sérieux je sais pas quoi te dire. Si tu veux un conseil, laisse courir.
— Laisse courir ? C'est tout ?
— Ben… ouais.
— C'est tout ?! C'est facile pour toi de dire ça, t'es un bi notoire et il se passe pas un jour sans qu'on parle de toi, mais t'as pensé à moi ? »
Yohan lui adressa un sourire grimaçant.
« Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? »
Cyprien tourna les talons et, fulminant, bouscula l'un des amis de Yohan pour l'écarter de son chemin.
o'O'o
« Dans les toilettes ! Alors que n'importe qui aurait pu entrer à ce moment-là !
— On m'a dit que des amis de Yohan Songeur montaient la garde devant la porte pour éviter que ça arrive, justement !
— Ils devraient se trimbaler avec un panneau "Ne pas déranger"… Quand même, dans un lieu public comme ça, y'en a qui n'ont aucune décence ! L'autre jour, je suis passée devant les W.C. du centre commercial, tu sais, et y'avait cet écriteau "Fermé pour cause de nettoyage" et j'ai pensé à eux. T'imagines ? Tu entres, tranquille, et tu les vois en train de s'en rouler une contre la porte des chiottes, avec la langue qui dépasse et tout ?
— Beurk ! Arrête, c'est dégoûtant !
— À ton avis, ils ont été jusqu'où ?
— Alors ça… Deux mecs, en plus, ça m'étonnerait qu'ils se soient contentés de quelques pelles, si tu vois ce que je veux dire… »
Les deux commères, assises sur les marches de l'escalier entre le premier et le deuxième étage, relevèrent à cet instant les yeux pour tomber sur un jeune homme blond aux yeux bleus qui les regardait, la surprise inscrite sur le visage. Il rebroussa chemin et disparut dans le couloir, sans doute pour emprunter le second escalier un peu plus loin. L'une des deux lycéennes se tourna vers son amie.
« C'était l'autre, non ? Tu crois qu'il nous a entendues ? »
o'O'o
Alexandra fit tenir son plateau en équilibre sur un bras tandis qu'elle appelait Cyprien d'un mouvement de coude dans les côtes.
« Tiens, y'a des places libres là-bas ! »
Cyprien hocha la tête et lui emboîta le pas. Ils s'assirent puis entamèrent leur déjeuner. Entre deux coups de fourchette, Alexandra, avec un air malicieux, lança :
« Au fait, tu sais ce qu'on m'a sorti ce matin ? Que t'avais un piercing ! »
Cyprien haussa un sourcil.
« Ah ouais ? Et où ça ? »
Elle lui tira la langue avant d'éclater de rire. Cyprien sourit malgré lui.
« Tu me le dirais, hein, si tu te faisais percer la langue… ou autre chose !
— Tu te crois drôle ?
— Oh, arrête de grogner, t'es jamais content ! En l'espace de quelques jours, t'es passé du stade de geek à celui de mauvais garçon ! Ça a du succès, les mauvais garçons ! »
Cyprien s'assombrit. Il n'avait jamais demandé tout ça. Soudain pleine de sollicitude à son égard, Alexandra lui posa une main sur l'avant-bras.
« Allez, fais pas cette tête. Ça va aller, t'en fais pas, va. Ça va aller… »
o'O'o
Café, supplément de sucre… Yohan sélectionna la boisson qu'il désirait puis s'accroupit pour regarder le liquide sombre se déverser dans un gobelet en plastique. Avide, il s'en empara dès que la tige pour touiller fit son apparition et haleta tant la chaleur lui brûlait les doigts. Il s'éloigna du distributeur de quelques pas puis s'adossa au mur. Enfin une pause ! La journée avait été longue et il n'avait presque pas dormi ces dernières nuits. Il en était à son troisième café. Le liquide lui ébouillanta la gorge avec délice, il poussa un soupir de délectation.
« Alors comme ça, non content d'avoir tenté d'arracher ta langue avec la mienne, je t'aurais aussi taillé une pipe ? »
Yohan en recracha son café. Le liquide lui coula le long du menton, il s'essuya avec le revers de sa manche et dévisagea avec stupeur Cyprien, qui venait d'apparaître devant lui.
« C'est ce qui se dit ?
— T'as pas entendu ?
— J'essaie de pas trop prêter attention aux racontars, et tu devrais en faire autant. »
Cyprien s'appuya contre le mur à côté de lui. Il souffla sur sa frange pour la dégager de devant ses yeux. Yohan reprit une gorgée de café.
« Difficile quand on vient en permanence te demander si tel ou tel truc est vrai. Ah oui, tiens, au fait, la prochaine fois qu'on veut savoir combien mesure ta queue, tu veux que je réponde quoi ? »
Il fallut près d'une minute à Yohan pour s'arrêter de tousser. Il connaissait peu Cyprien, il ne partageait que trois matières avec lui et le jeune homme ne brillait pas par sa participation. Il lui avait toujours fait l'effet d'être quelqu'un de calme, qu'on remarquait peu ; s'il avait attiré l'attention de Yohan, c'était uniquement parce qu'il l'avait vu à plusieurs reprises lire les mêmes magazines d'informatique que son frère aîné. Yohan l'avait toujours cru timide, renfermé sur lui-même… il ne se serait jamais attendu à ce qu'il parlât aussi crûment.
« Pourquoi, t'as dit quoi jusqu'ici ? »
Les yeux bleus le foudroyèrent sur place.
« À ton avis ?
— … Mouais… Écoute, tout ce que je peux faire, c'est nier, comme toi, mais ça les gens s'en foutent. Ils trouvent ça beaucoup plus fun de fantasmer sur ce qui a pu se passer. »
Cyprien rougit à la mention du mot « fantasme ». Yohan sourit. Ainsi, on pouvait tout de même le gêner…
Après un regard navré à son gobelet dont il n'avait pu déguster le contenu comme il en avait eu l'intention, il le jeta dans la poubelle la plus proche. Il posa ensuite une main sur l'épaule du blond.
« Tu deviens populaire, mon pote, va falloir t'y faire…
— Je me serais passé de ce genre d'attention.
— Je sais. Crois-moi, je comprends. Je suis désolé pour ce qui se passe. »
Yohan paraissait sincère. Une expression désemparée sur le visage, Cyprien hocha la tête.
o'O'o
« C'est toi Cyprien Lignac ? Dis, c'est vrai que tu sors avec Yohan Songeur de la TS3 ? »
Cyprien leva les yeux sur l'adolescente au décolleté plongeant qui le surplombait. Elle devait être en Première, peut-être même en Seconde, mais adresser la parole à un Terminale ne lui posait de toute évidence aucun problème. Ils se trouvaient au C.D.I., où le jeune homme avait caressé l'espoir de travailler en paix avant sa prochaine heure de cours.
« Où t'as entendu ça ? »
Elle rejeta les cheveux en arrière, haussa les épaules et s'assit à cheval sur le rebord de la table.
« Nulle part, tout le monde en parle. Alors, c'est vrai ? On dit que Yohan sort aussi bien avec des filles qu'avec des garçons mais on le disait encore célibataire la semaine dernière. Vous êtes ensemble ou pas ? »
Cyprien ne la gratifia pas d'une réponse. Il referma son livre en un claquement sec, se leva, rangea ses affaires dans son sac et s'éloigna. La voix de la fille s'éleva dans son dos : « Ça veut dire que c'était qu'un coup d'un soir ? »
o'O'o
Yohan se dirigeait avec la moitié de ses camarades de classe en direction de la salle où se tenait le cours de mathématiques spécialisées lorsqu'un bras s'abattit en travers de ses épaules. Matteo, un autre Terminale qui avait redoublé l'année précédente, lui adressa un large sourire.
Yohan appréciait peu Matteo : le jeune homme était frimeur, menteur et manipulateur, et l'un dans l'autre peu sympathique, mais personne n'osait le critiquer en face. D'ailleurs, rares étaient ceux à le faire dans son dos. Il n'était cependant pas exclu que l'inimité de Yohan à son égard eut pris racine dans la rancœur que leur rupture, si l'on pouvait appeler cela ainsi, lui avait laissée. Il rentrait tout juste en Seconde à l'époque, Matteo en Première, et Yohan se débattait avec ses préférences sexuelles. Il ne comprenait pas pourquoi il appréciait autant la compagnie des filles que celle des garçons et se demandait s'il s'agissait alors d'une réelle attirance physique ou bien si ses hormones lui jouaient tout simplement des tours. Il se sentait perdu et n'osait sauter le pas de peur de le regretter. Il avait longtemps cru que rester exclusivement hétérosexuel était le meilleur parti à prendre, puisque les filles ne le dégoûtaient pas, loin de là. Et puis Matteo était venu lui faire des avances, avait chamboulé son univers, l'avait mis à genoux. Ils n'étaient pas sortis ensemble longtemps, Matteo ne les avait sans doute même jamais considérés comme un vrai couple, mais cela avait suffit pour que Yohan tombât amoureux de lui. Du moins l'avait-il cru tant ce qu'il ressentait (aussi bien physiquement qu'émotionnellement) était intense. Matteo le fascinait. Yohan avait vite déchanté mais Matteo restait toujours aussi beau.
Heureusement, sa famille avait bien réagi face à la soudaine annonce de son homosexualité (Yohan savait à présent qu'il était en réalité bisexuel) et Florian, alors en Terminale dans le même lycée, avait tout mis en œuvre pour protéger son petit frère et le consoler de son cœur brisé.
Yohan se sentait mieux à présent, plus sûr de lui et de ce qu'il était. Il s'était accoutumé à ce qu'on parlât de lui dans son dos (peu d'élèves avaient révélé leur différence), s'était habitué à ce qu'on lui inventât des frasques et bien plus de liaisons qu'il ne lui aurait été possible d'en avoir, mais était surpris par la durée de vie de la rumeur qui courait sur Cyprien et lui. Cyprien n'était pas quelqu'un de suffisamment en vue pour que cette histoire défraie de la sorte la chronique. Peut-être était-ce paradoxalement pour cette raison qu'elle était si populaire et sans cesse amplifiée ? Mais Yohan savait qu'ils finiraient par se lasser.
« Salut, bébé », murmura Matteo à son oreille.
Yohan haussa en vain une épaule pour se dégager.
« Alors, il paraît que t'as trouvé de la viande fraîche ?
— Tu ne vas pas t'y mettre aussi…
— Pourquoi ? C'est pas vrai ou t'as peur qu'on te le pique ?
— Il n'y a rien entre Cyprien et moi.
— Dommage… ou devrais-je dire tant mieux ?
— Je le connais à peine, ce type. On est ensemble en spé et en langues, c'est tout.
— Ah, oui… en langues, hum… » susurra Matteo avec un mouvement obscène de la sienne.
Yohan l'écarta d'une pression du coude sur le torse.
« Dégage, abruti ! Va te faire mettre !
— Par toi ou par lui ? se moqua Matteo. Ou vous deux en même temps, pourquoi pas ? Quand on y regarde bien, il est plutôt bien foutu, ton Cyprien, et tu sais que tu me manques, bébé… »
La main de Matteo s'égara sur ses fesses en une caresse suggestive. Yohan se maudit pour la réaction que cela produisit en lui.
« Fous-moi la paix, Matteo ! siffla-t-il. Je vais être en retard en classe.
— Oh, je m'en voudrais de te retarder. On se revoit en sortant de cours ? Tu finis à quelle heure ?
— Crève. »
Matteo éclata de rire. Yohan accéléra le pas. Il arriva en classe de mauvaise humeur. D'instinct, il parcourut la pièce du regard, accrocha un court instant sur la silhouette de Cyprien, à sa place habituelle, puis alla s'asseoir à la sienne. À peine installé, il vit Matteo faire son apparition et grinça des dents. Mais contre toute attente, son ex-petit ami s'arrêta devant la table du blond et s'y appuya lascivement. Yohan vit Cyprien se tendre.
« Salut… Moi, c'est Matteo. Ça va ?
— Je sais qui tu es.
— Vraiment ? » Sourire éclatant aux lèvres, il poursuivit : « Dis-moi, t'as quelque chose de prévu ce week-end ?
— Pourquoi ? » répondit Cyprien sur un ton méfiant.
— C'est vrai que t'as une jolie bouche… Est-ce que tu sais aussi bien t'en servir qu'elle en donne l'impression ? »
Matteo tendit la main et lui effleura la joue du revers des doigts. La chaise du jeune homme racla sur le sol lorsqu'il la recula pour échapper à la caresse. Le sang lui monta jusqu'aux oreilles et ses épaules se mirent à trembler. Yohan se leva.
« Fous-lui la paix, Matt'. Et casse-toi, le cours va commencer.
— Oh mais alors t'as vraiment peur qu'on te le pique ! Dingue, j'aurais jamais cru ça de toi ! » s'exclama-t-il, narquois.
Il prit quelques distances, leva les mains pour l'apaiser.
« Arrête de flipper, je te le laisse. Pas mon genre de jouer les briseurs de couple, tu sais bien ! » Il passa le seuil de la porte mais s'agrippa au chambranle pour maintenir son équilibre lorsqu'il se pencha pour lâcher ces derniers mots : « Ma proposition de tout à l'heure tient toujours, ceci dit. Penses-y ! »
Sur un dernier clin d'œil, il s'éclipsa. Yohan resta planté sur place. Il avait fallu qu'il fasse ça devant tout le monde. Bien entendu, il l'avait fait exprès ; Matteo adorait être le centre de l'attention et se donner en spectacle. Yohan aurait souhaité ne pas avoir à en arriver là mais cette histoire allait trop loin. Il s'approcha de Cyprien et fit face à la classe. Tous les regards convergèrent sur eux. Mal à l'aise comme chaque fois qu'il était sous les projecteurs sans un ballon de basket à la main, il se racla la gorge.
« Écoutez-moi tous. Je sais pas ce que vous avez pu entendre dire sur Cyprien et moi ces derniers jours mais ce n'est qu'un ramassis de conneries. Rien n'est vrai, il ne s'est absolument rien passé, on s'est simplement retrouvés le même soir au même endroit, comme pas mal d'entre vous d'ailleurs, alors ce serait cool si ça vous pouviez le faire circuler. » Il baissa les yeux sur le blond. « Pas vrai ? »
Cyprien, regard rivé sur ses poings serrés sur ses genoux, acquiesça en silence.
« Voilà. Alors merci à tous d'arrêter de propager des rumeurs sans fondement », acheva-t-il lorsque leur professeur de spécialité entra dans la pièce.
Il retourna s'asseoir, la boule à son ventre se dissipant peu à peu.
o'O'o
Ils se croisèrent dans un couloir. Yohan, après une hésitation, fit signe à ses amis de partir devant et marcha vers Cyprien.
« Salut, Cyprien. Alexandra…
– Salut », répondit-elle alors que le blond se contentait d'un hochement de tête.
Elle pinça les lèvres et lança un regard significatif à son ami.
« Je vous laisse. À toute, Cyp' !
— Ouais, à plus. »
Après qu'elle fut partie, Yohan demanda : « Alors, ça va ? Tu te fais pas trop malmener ?
— Bof. On peut pas dire que ton petit discours de l'autre jour ait eu beaucoup d'effet. »
Yohan en parut chagriné.
« Merde… Je comprends pas, ça aurait dû se tasser, quoi.
— Faut croire que c'est plus croustillant qu'on ne l'aurait pensé. Comme coming out discret, on a fait mieux, quand même. J'aurais passé une annonce au journal de 20h, ça n'aurait pas été plus efficace ! »
Yohan compta jusqu'à trois dans sa tête.
« Alors tu l'es vraiment ?
— Comment ça ?
— Homo.
— Tu poses la question ?
— J'en sais rien, Cyprien, j'essaie de pas écouter les conneries que les gens sortent, je te l'ai dit. Sûr, avec cette rumeur c'est facile d'en déduire que tu l'es mais moi je sais que cette histoire dans les chiottes est fausse, je présume pas sur le reste non plus.
— Ah… ben… si, tu vois. Comme quoi, y'a quand même un truc de vrai dans tout ça.
— Désolé. Est-ce que… ta famille sait ?
— Ma famille savait avant, oui, Alexandra aussi et c'est ma plus proche amie.
— Bon, ça va alors. Enfin, je veux dire, c'est déjà ça. Le pire, pour un hétéro, c'est d'être pris pour un pédé.
— J'en sais rien, je suis pas hétéro.
— Non… moi non plus mais j'imagine. »
Il y eut une pause, un silence gêné, puis Yohan poursuivit, un ton plus bas : « Tu sais… Pour l'autre jour, avec Matteo… C'était plus pour moi que dirigé contre toi. On est sortis ensemble pendant un moment, un court moment, y'a longtemps. Enfin bref, il t'a pas de nouveau emmerdé ? Lui ou d'autres…
— Non, ça va, de ce côté-là c'est pas le pire. Faut dire aussi qu'on n'est pas nombreux.
— Hum… Bon, alors c'est bien. Je m'inquiétais un peu pour ça.
— C'est… gentil de ta part. »
Yohan lui sourit. Cyprien baissa les yeux. Il se dandina de droite à gauche, sembla chercher comment formuler sa pensée puis se jeta à l'eau, non sans difficulté.
« Est-ce que… tu sais que maintenant on raconte qu'on a carrément couché ensemble ? C'est plus juste une fellation…
— Ouais, j'ai entendu ça aussi. Enfin, Marine m'a raconté. Je me demande jusqu'où ça va aller, cette histoire.
— Ça va finir par s'arrêter », déclara Cyprien, mais il semblait de moins en moins convaincu.
Yohan se frotta l'arrière du crâne. Il savait qu'il n'y était pour rien mais il aurait voulu pouvoir faire quelque chose. Il avait horreur de se sentir impuissant.
« Bon, ben…
— Ouais.
— Voilà… Je vais…
— Ouais, moi aussi. Salut, à la prochaine. »
Yohan retourna auprès de ses amis et Cyprien, après un soupir, partit à la recherche d'Alexandra.
Suite et fin au prochain bruit de couloir ! Et un cookie au premier qui trouve la référence musicale cachée dans cette fic !