Ceci aurait dû rester noyé dans un sujet de forum suite à un défi mais on m'a poussé à le poster là, alors espérons qu'il vous plaira. Posté à la va vite, je viens de le retravailler légèrement… Que dire ? Bonne lecture

Je viens de plonger une sucrette dans mon café quand mon colocataire entre dans la cuisine. Enfin, ce n'est pas le seul, nous sommes cinq dans ce loft.

Il y a Günter, l'allemand en stage linguistique qui a la fâcheuse manie d'ingurgiter un œuf cru chaque matin à son petit dej'. Sa mère a toujours peur qu'il ne mange pas assez alors elle lui expédie des colis entiers de bouffe et comme dans le fond ce n'est pas un gros mangeur on en profite tous. Depuis six mois qu'il est là il fait de gros progrès en français mais il finit toujours par faire un contresens qui nous rend hilares.

Il y a aussi Ronan, l'ornithologue en 4ème année, sympa mais avec une tête étrange : les yeux pas au même niveau, une bouche un peu plate… On dirait un ornithorynque peint par Picasso. Le plus bizarre en fait c'est qu'on ne puisse pas dire qu'il est laid. Intelligent, cultivé, son seul défaut est sa propension à vous tenir la jambe avec un débat pertinent mais au moment où vous êtes le plus pressé de filer.

Puis Ludivine, fan de Tokio Hotel, étudiante en esthétique qui passe ses soirées devant l'ordinateur sur MSN à écrire des « kikou lol » et ne peut quitter l'appart sans prononcer un tonitruant et suraigu « bisouuuuu ! » à la cantonade… Elle serait presque insupportable si elle n'était pas toujours prête à nous écouter, ou dans mon cas à me refaire une beauté et m'aider à me préparer quand je veux être à mon avantage.

Enfin, il y a LUI. « Le petit dernier » comme dit Ronan. « Victorien » pour tous.

Ma torture personnelle.

Quand il s'est présenté pour remplacer Igor qui avait rejoint sa Russie natale, j'étais hystérique : Il s'est montré drôle, intelligent, et au point de vue physique il est tout à fait mon type : petit, brun, un look bien à lui, des hobbies inattendus, de longs cheveux lui descendant jusqu'à la taille… Je fais une fixation sur les cheveux. Pour moi, ils sont symbole de force et les cheveux longs sont un de mes fantasmes préférés. Sentir des cheveux balayer sa poitrine au rythme des vas et viens…

Mais je m'égare.

Bref, tout à fait mon type.

Beau, sensible, compréhensif, drôle… C'était trop beau pour être vrai me disais-je. Alors les premiers temps j'ai rangé mes décolletés et mes bijoux pour voir à qui j'avais à faire et je lançais toujours des sujets de discussion assez pointus. Mais il me répondait, avait un avis sur tout, et le comble : il a un humour aussi tordu que le mien. Je me rappelle d'une fois où nous nous étions amusés à des jeux de mots de plus en plus tendancieux, et quand je lui avais fait remarquer à quel point il était facile d'en faire quand on avait l'esprit pour, il m'avait répondu : « la langue française s'y prête tellement bien…Ou dit autrement : il est tellement agréable de jouer avec la langue » : ma mâchoire avait dû se décrocher à ce moment là car il partit dans un grand éclat de rire. Quand j'étais allé me coucher ce soir là j'avais pensé à SA langue en particulier avec une intensité un peu honteuse.

Nous avons continué à sympathiser, je me suis même fait des amis de ses potes, nous fréquentions les mêmes lieux, ensembles ou pas, et je commençais à ne plus en pouvoir de ne pas savoir si oui ou non j'avais ma chance jusqu'à ce soir là.

Nous étions dans le salon, tout le monde était parti se coucher, et il s'est mis à se plaindre de sa solitude sentimentale, disant qu'il regrettait que ce soit toujours aux hommes soit disant de faire le premier pas alors qu'il était de nature plutôt timide malgré son assurance. Je lui ai alors demandé s'il disait ça parce qu'il avait quelqu'un en vue et quand il m'a répondu en soupirant qu'en fait oui, mais que la fille en question semblait ne le considérer que comme un ami. J'ai senti alors mon cœur battre à toute vitesse. Comme il insistait pour que je donne mon avis, je lui ai dit de foncer : qu'avait-il à perdre ? La plupart des gens ne vous évitaient pas juste parce que vous aviez eu le malheur de leur dire qu'on attendait d'eux plus qu'une simple amitié. Au pire la personne serait flattée, au mieux il risquait de parvenir à ses fins. Son regard se fit plein d'espoir et il fit un mouvement vers moi. Enfin me dis-je !

Mais dans son élan, il finit de se lever, enfila son blouson et après un « Ok, je tente ! Dis-moi merde ! » claqua la porte derrière lui. Je restais hébétée sur le canapé, sous le choc. Moins de deux heures plus tard il me retrouva dans la même posture. Son visage était rayonnant et avant d'aller se coucher il me gratifia d'un baiser sonore sur la joue en disant « Merci ! » avec un enthousiasme que je ne lui avais jamais vu. Ce n'est que quand il eut refermé la porte de sa chambre que je réussis à pleurer.

J'avais eu la bêtise de croire que pour une fois, un homme aurait pu s'intéresser d'abord à mon cerveau. En fait, il n'existait sur cette terre que deux catégories d'homme pour moi : ceux qui disaient bonjour à mes seins et ceux qui trouvaient que j'étais une amie formidable. J'exagère peut être mais j'ai la sale manie de me déprécier et j'avais enfin réussi à me persuader que je valais quelqu'un d'aussi bien que lui.

Les jours qui suivirent j'appris que sa « copine » était une de nos voisines. Une fille aimable mais que je trouvais plutôt fade mais qui me fut alors hautement antipathique. J'avais droit à « elle a dit ci », « elle a fait ça »… quand Victorien se fut enfin aperçu de l'indifférence que ses rapports de soirées semblait m'inspirer, il cessa de faire de moi sa confidente et je lui en fut reconnaissante.

Cela fait deux semaines que ça dure. Depuis, chaque matin, je fais mon possible pour quitter la cuisine avant qu'il vienne prendre son petit déjeuner, pour ne pas assister à ce qui est en train de se produire : il vient d'ouvrir le frigidaire et s'est saisi comme à son habitude d'une orange.

J'ai toujours fait un amalgame entre la bouffe et le sexe. Günter et son œuf cru est à mes yeux l'exemple type de l'homo refoulé. La façon dont il le suce est assez explicite à mes yeux. Victorien lui prend une orange. Pas un jus d'orange dans un verre non, une orange qu'il pèle soigneusement et dans laquelle il mord d'une façon si sensuelle que c'en est un appel à la luxure. Cet homme est une bête de sexe j'en suis sûre. Et ce matin, j'ai beau ne pas le regarder manger, les seuls bruits de succion qu'il produit me donne envie de hurler.

« Pourquoi tu ne me regardes pas ? » dit-il d'une voix encore rauque de sommeil, « Je ne te comprend plus, avant on n'arrêtait pas de parler et maintenant c'est à peine si j'entend le son de ta voix quand nous sommes dans la même pièce »

« C'est juste que je ne vais pas très fort » finis-je par dire péniblement. Cette promiscuité est intolérable. J'ai d'abord songé à trucider la voisine mais j'ai opté pour la sagesse et je cherche un nouvel appart sans en dire mot à personne pour l'instant.

« Dis moi ce qui ne va pas alors ! »

« C'est personnel » je réponds froidement, me voyant mal lui rétorquer que c'est juste parce que je crève de ne pas être celle qu'il serre dans ses bras.

« Très bien, je n'insiste pas » dit-il, visiblement vexé.

Je risque un regard vers lui. Il ne s'est pas encore coiffé et ses cheveux sont en paquets, dénudant sa nuque. J'aimerais y passer la main. Je ne supporterais pas encore tout cela bien longtemps. Il finit par partir vers la salle de bain.

Je ne comprends pas. Nous deux, ça me semblait évident, nous nous entendions si bien… Mais non, les choses ne tournent pas toujours comme nous le voudrions, et ce n'est pas parce que nous nous retrouvons un jour en face de celui dont on a rêvé toute notre vie, dont on est capable d'aimer jusqu'aux défauts, que cela veut dire que nous sommes ce que lui attend.

Alors je vais me lever de cette chaise sur laquelle j'ai l'impression de peser une tonne, je vais aller bosser, comme tous les matins, en laissant dans cet appartement encore un peu plus de mon espoir d'être aimée un jour pour ce que je suis.

FIN