Pourquoi ce brusque déménagement, Julian l'ignorait. Tout ce qu'il savait, c'était que sa famille lui manquait. Oncle Marc ne le faisait plus sauter sur ses genoux, David ne lui prenait plus ses jouets, et Tante Martha ne lui faisait plus goûter ses choux à la crème ni ses tartes aux pommes.
Comme cette famille lui avait manqué, en dix ans...
Et maintenant, son père était mort. Julian crispa un poing sur son accoudoir.
Daniel, son père, ne s'était jamais trop occupé de lui lorsqu'ils vivaient encore en France. L'enfant devait trop lui rappeler sa défunte épouse. De ce fait, il avait considéré son oncle, sa tante et son cousin comme sa vraie famille.
Daniel avait soudainement décidé de déménager aux Etats-Unis, et Julian s'était retrouvé plus seul que jamais. Son père courait de maîtresses en maîtresses, pendant que l'enfant de six ans à peine restait seul dans sa chambre.
A présent, Daniel était mort. Et curieusement, Julian ne ressentait rien. Il avait bien essayé de se forcer à pleurer, à l'enterrement, au moins pour la galerie. Mais ses yeux étaient restés secs et son coeur vide.
La seule chose à laquelle il pouvait penser était qu'il était encore mineur, et qu'il irait donc vivre avec la famille de l'Oncle Marc. A cette pensée, son coeur se gonflait de joie.
L'adolescent ferma les yeux. Il se remémora le regard franc et chaleureux de l'Oncle Marc, la manière dont l'homme le faisait sauter sur ses genoux et rire aux éclats, comment il lui ébouriffait ses cheveux chatain en lui disant qu'il était le portrait craché de son père.
-Oncle Marc, soupira l'adolescent.
-Pardon ? demanda la jeune femme assise à côté de lui.
Elle était plutôt jolie, et pourtant, Julian ne la remarqua même pas. Sa tête se tourna et ses yeux se posèrent à nouveau sur le ciel.
-Julian !
L'adolescent manqua de trébucher sur le sol glissant du hall de l'aéroport. Depuis dix ans, il rêvait d'entendre cette voix chaleureuse et bourrue. Il tourna la tête en direction de la voix, et il le vit.
Marc était tel que dans ses souvenirs, grand, les mêmes yeux bleus que Daniel et que lui-même, les mêmes sourcils broussailleux, le même sourire chaleureux. Seuls ses cheveux bruns avaient un peu grisonné aux tempes.
Dix ans...
Sans réfléchir, Julian lâcha ses valises et s'élança dans les bras de son oncle. Et là, toutes les larmes qui n'avaient pas coulé lors de l'enterrement affluèrent. Blotti contre cette poitrine large, dans ces bras protecteurs, il pouvait enfin redevenir un enfant. Tremblant, sanglottant, il sentit les larges mains de Marc tenter de l'apaiser en lui tapottant le dos.
-Tout va bien mon enfant, je suis là, murmura l'homme de sa voix chaleureuse. Je n'aurais jamais dû te laisser partir, et ça n'arrivera plus, tu entends...
Julian sentit un mouchoir lui essuyer les yeux. Il se moucha, puis il sourit à son oncle.
-Ca me fait plaisir de te revoir, Oncle Marc.
-Et moi donc !
Marc déposa un baiser sonore sur son front, puis il récupéra les valises.
-Allons-y, je dois passer prendre David à la guitare.
L'adolescent se souvient alors de son cousin. Il devrait partager son oncle. Il en était hors de question !
Il ferait tout ce qu'il faudrait, mais personne ne lui volerait Oncle Marc, pas même le fils de son oncle !