Note : ceci est un texte écrit pour un concours de nouvelles sur le thème de "la rentrée"... ce thème n'etant qu'effleurer, il n'a pas été choisi. Mais vu que je l'aime beaucoup... ta-dam !

With Or Without You

Maxence passa les grilles du lycée et se dirigea vers le banc où étaient assis ses amis. Le petit groupe était inséparable depuis la sixième. Ils faisaient partie de la filière sport-étude de leur ville. Et si Rémi et Claire s'étaient illustrés en escrime, lui-même, Virgile et Paul s'adonnaient au handball.

Aujourd'hui était son premier jour en tant qu'élève de première. Ça ne changeait pas vraiment grand chose à l'année dernière. Sauf qu'il connaissait maintenant les lieux.

En fait, si, beaucoup de choses avaient changé depuis la rentrée l'an passé.

Il avait une petite amie. Sa première petite amie. Avec qui il avait partagé sa première fois. Mais il avait toujours du mal à comprendre les blagues salaces de Virgile. Sonia trouvait adorable qu'il soit si innocent, mais Virgile se fichait ouvertement de lui en disant d'une voix paternelle "Tu comprendra quand tu sera plus grand". Il avait aussi appris à faire cuire des pâtes. Et il avait encore pris quatre centimètres. Quant à ses cheveux châtain, ils lui arrivaient maintenant au milieu du dos, et il devait les tresser pour ne pas être gêné pendant les matchs. Mathilde et son copain parlaient de fiançailles.

Son frère avait déménagé.

Ne pas y penser. Ne pas y penser. Ne pas y penser.

Beaucoup trop de choses avaient changé oui, et Maxence était heureux que ces vacances interminables se finissent. Il pourrait au moins s'occuper l'esprit en tapant dans un ballon et arrêter de ruminer.

Alors que les cinq amis se racontaient ce qu'ils avaient fait durant ces deux derniers mois, quand bien même ils s'étaient écrits ou téléphonés régulièrement, Rémi donna un coup de coude plus ou moins discret dans les côtes de Maxence :

- Regarde qui voilà.

L'adolescent se retourna et vit venir vers eux une jeune fille aux belles boucles blondes, retenues par des lunettes de soleil posées négligemment en serre-tête.

Sonia.

Il laissa choir son sac aux pieds du banc et se dirigea vers elle. Il lui sourit mais le sourire n'atteignit pas vraiment les yeux. Il se pencha pour l'embrasser. Mais le baiser était différent, comme sans saveur. Si ce n'est celle du rouge à lèvre qu'elle avait mis. Rien à voir avec le baiser que Maxime lui avait donné...

Ne pas y penser. Ne pas y penser. Ne pas y penser.

- Tu m'as manquée.

- Je déteste ton rouge à lèvre.

- Ah.

Il l'avait blessée. Il essaya de se rattraper.

- Je veux dire... il te va bien, mais il est infect. Et tu m'as manqué toi aussi.

Elle lui sourit de nouveau.

- On mange ensemble à midi ?

- J'ai entrainement. Mais demain je pourrai. De toute façon, on se voit ce soir, non ?

- D'accord !

Sonia lui vola un baiser en riant avant de partir.

Alors que Maxence la regardait s'éloigner, Virgile donna une grande claque dans le dos de son ami.

- Veinard ! Tu te tapes la plus jolie des littéraires... et en plus ça a l'air d'être sérieux. Depuis janvier, hein ?

- Mmmmm...

- T'as toujours pas appris à parler ?

- Et toi ? T'as toujours pas appris à arrêter le ballon ?

Le gardien braqua ses yeux dans ceux vert de son ami. D'un vert tellement turquoise qu'on le croirait artificiel.

Même lui qui n'était pas le plus futé du groupe voyait que Maxence n'allait pas bien. C'est pourquoi il ne répondit pas à la remarque acerbe qu'il lui avait lancé.

Quand la sonnerie retentit, Maxence suivit ses amis et finit vautré sur une chaise au fond de la salle, n'écoutant qu'à moitié ce que leur professeur principale leur expliquait.

« On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans » avait écrit Rimbaud. Soit. Mais quand on en a seize ?

La rentrée avait un goût amère... sans lui.

888

Maxime Toneli était un jeune homme que l'on pouvait qualifier de réfléchi. Ses deux ans d'ancienneté dans la boîte, son travail exemplaire (et un coup de pouce de son chef ) lui avait valu ce poste alors même qu'il ne fêtait aujourd'hui que ses vingt-quatre ans.

Physiquement, il était beau garçon. Il entretenait son corps, qui, soit, ne figurerait jamais sur la couverture de Têtu, mais qui était plaisant à regarder, par la pratique du jogging. Son emploi du temps trop serré lui interdisait tout autre sport. Les cheveux bruns coupés courts étaient striés ça et là par des mèches blanches. Ce n'était hélas pas un caprice dû à la mode, mais bien le reflet de son tempérament anxieux. Ses yeux vert foncé, semblables à deux émeraudes, à peine dissimulés par une paire de lunettes à la fine monture métallique, posaient sur le monde un regard quelque peu calculateur.

En cette fin d'après-midi de début octobre, le cinq exactement, il était assis devant son écran mais n'arrivait pas à se concentrer. Toute la journée, sa famille avait appelé pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Mais pas Maxence.

Il renonça à vérifier pour la centième fois s'il n'avait pas reçu un message sur son téléphone portable et ferma les yeux.

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Ça s'était passé un samedi soir, au mois de mai.

Alors que Paul soutenait Rémi, Sonia aidait Maxence à marcher. Ils étaient à peine sortis de la discothèque que ce dernier s'arrêta pour vomir. La jeune fille soupira:

- Mais vous êtes vraiment des imbéciles à boire autant.

- C'est qu'un jeu 'Nia... te fâche pas... » La voix de Maxence était pâteuse.

- Un jeu ? Tu as vu dans quel état vous êtes... c'est lamentable !

- Arrête de crier, j'ai mal au crâne.

Paul intervint :

- Je ramène Rémi en scooter... ça va aller toi ?

- Oui merci... vais appeler mon frangin.

Alors que leur amis s'éloignaient, Maxence extirpa un téléphone de son blouson et composa un numéro qu'il connaissait par coeur. Une voix encore pleine de sommeil lui répondit:

- Putain, mais t'as vu l'heure ?

- Moi aussi je t'aime Massime... tu viens me chercher ?

- Tu devais pas aller chez Sonia ?

- J'ai trop bu...

- Ok.

Une demi-heure plus tard, une vielle Ford se gara devant le couple d'adolescents. Sonia remercia Maxime d'une voix froide avant de se diriger vers son propre scooter, sans un mot pour son petit ami.

- Tu l'as mise en colère.

Maxence resta silencieux et boucla sa ceinture.

Alors qu'ils étaient à mi-chemin, il demanda à s'arrêter. Son ainé se gara rapidement sur le bas côté, les warning allumés. Hors de question que cet imbécile vomisse dans la voiture.

Le plus jeune sortit, fit quelque pas en s'étirant et s'assit dans l'herbe, regardant sans le voir le champ devant lui. Maxime le rejoignit peu après. Restant debout, il lui tendit une bouteille et des cachets qu'il avait pris la peine d'emporter.

- Contre la gueule de bois demain.

- Pas la peine, je ne suis pas saoul. Mais je veux bien un peu d'eau.

Sa voix n'avait plus rien de pâteux. Il but trois gorgées.

- Je... je ne voulais pas passer la nuit avec Sonia.

- Oh.

- Paul est vraiment plus mature... il noie pas ses problèmes dans l'alcool, lui. Enfin, il a pas de problème aussi. Ou alors il se drogue au jus d'orange. Sûr que c'est pour ça qu'il court si vite sur le terrain. Il se dope aux agrumes.

- Maxence ?

- On l'a déjà fait. Avec Sonia, je veux dire. Et comme ses parents étaient pas là ce soir, elle aurait voulu...

- Je vois.

En fait, Maxime ne voyait rien du tout. Sonia était belle et intelligente. A seize ans, on ne fait pas semblant d'être ivre pour ne pas faire l'amour.

Maxence jouait avec une marguerite qu'il venait de cueillir. Après de longues minutes de silence, il dit enfin :

- Je... je crois... je crois que je suis attiré par les garçons.

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Maxime serra les poings de rage et alla se chercher un café. Il allait devenir fou s'il pensait à ce qui était arrivé après.

Avant cette fichue nuit, c'était déjà si compliqué...

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Maxime avait cinq ans lorsque sa soeur, Mathilde, vit le jour. Il la détesta d'emblée. Ce bout de chair rose, une fille en plus, lui volait sa maman à lui. L'animosité entre le frère et la soeur ne cessa que deux ans plus tard, à l'annonce de la venue d'un petit frère. Maxime parlait au ventre rond de sa maman, comme son papa le faisait.

- Je t'apprendrais à jouer au ballon ! On construira une cabane dans les arbres ! Tu arrives bientôt ?

Il fut bien sûr un peu déçu de voir que Maxence, tout petit et tout fripé, ne savait pas marcher, et qu'il lui faudrait attendre longtemps avant qu'ils ne jouent ensemble. Mais il lui donnait le biberon et essayait de l'habiller après avoir pataugé avec lui et Mathilde dans le bain.

Deux autres années s'écoulèrent et Marc naquit. Si Maxime aimait bien ce petit dernier, il ne quittait pas d'une semelle Maxence qui trottait enfin derrière le ballon que l'ainé de la fratrie lui lançait.

Les mois passèrent...

- Dis, Massime, on joue aux voitures ?

- Ma-QU-SSime!

- Ma-SS-ime!

Et ce défaut d'élocution était devenu son surnom.

...

- Dis Massime, je peux dormir avec toi ?

- Est-ce que j'ai vraiment le choix ?

- Nan !

...

- Dis Massime, ça fait comment quand on a une copine ?

- Tu n'as que douze ans, retourne jouer aux Pokémons.

- T'en a pas, c'est ça ?

- ...

- MAMAN! Il m'étrangle!

...

- Dis Massime, tu crois que ton patron va te garder après ton contrat?

- J'espère.

- Moi aussi, comme ça tu partiras pas.

...

- Dis Massime... tu voudrais pas m'embrasser... ?

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Le gobelet de café froid que Maxime venait de serrer frénétiquement acheva de se répandre sur son costume.

Quand avait-il cesser de voir son frère comme un frère ? Quand avait-il commencer à le désirer ?

Il n'eut pas besoin de réfléchir pour trouver la réponse : à la soirée des seize ans de Maxence, en janvier. Il était là pour (dixit son cadet) "servir de chaperon moins chiant que les parents". Et accessoirement, les conduire jusqu'à la discothèque.

Il discutait avec des amis qu'il avait croisé sur le parking, laissant son frère et sa bande entrer sans lui. De longues minutes plus tard, il déposa ses affaires au vestiaire et se dirigea vers la banquette où il devinait les adolescents assis, sirotant leur boisson. Le brun jeta un coup d'oeil rapide à la piste de danse déjà envahie. Et il s'arrêta brusquement.

Un jeune homme avait attiré toute son attention. En jean taille basse et chemise blanche légèrement entrouverte, il se mouvait avec aisance et sensualité. Maxime se retenait pour ne pas le dévorer du regard. Et puis le danseur tourna son visage vers lui. Il encra ses yeux dans les siens, comme s'il avait su qu'il était observé. Et il lui sourit.

Maxime se mordit violemment la lèvre.

C'était son frère.

La douche était glaciale.

Depuis ce jour, il bénissait le fait de ne plus partager sa chambre avec Maxence. Le croiser, à moitié nu sortant de la douche était déjà un calvaire suffisant. Et quand il assistait à ses matches, il n'allait plus le féliciter dans les vestiaires comme il le faisait habituellement, mais attendait sagement dans les gradins.

Il aurait du se crever les yeux...

Alors qu'il ressassait des pensées noires serrant toujours convulsivement le gobelet vide dans sa main, un homme d'une cinquantaine d'années s'approcha de lui:

- Max ? Max ? Tu vas bien ? Tu ne t'es pas brûlé ?

- Brûler ?

- Ton café...

- Café ?

- Tu n'es pas en forme toi.

- Pardon ?

Le jeune homme regarda enfin son interlocuteur au lieu de fixer sa main d'un air absent.

- Oh ! Georges ! Excuse-moi... Je vais nettoyer. Et le dossier est sur mon bureau. J'allais te l'apporter.

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- Je... je crois... je crois que je suis attiré par les garçons.

Voilà, il l'avait dit. Les joues cramoisies, Maxence n'osait pas regarder son frère. Ce dernier s'assit à côté de lui.

- D'accord.

- Tu... tu ne me prends pas pour... pour un mon-monstre?

Oh non, il se remettait à bégayer. Une orthophoniste s'était occupée de lui pendant plusieurs années pour l'aider à parler correctement. Et encore maintenant, il s'exprimait peu et lentement, pour être sûr de ne pas écorcher les mots. Beaucoup de filles trouvaient sa voix trainante et rauque terriblement sexy. Mais pour lui, c'était simplement son plus gros complexe. Enfin jusqu'à y'a pas si longtemps...

- Panique pas. Bien sûr que non, t'es pas un monstre. » Maxime venait de lui ébouriffer les cheveux. Geste tendre que le cadet affectionnait particulièrement.

Un autre silence s'installa. Mais celui-là était naturel, rassurant.

- Dis Massime... tu voudrais pas m'embrasser... ?

- Pardon ?

La voix était montée dans les aigus et le brun fixait Maxence, le visage blanc.

- J'ai ja-jamais em-em-embrasser de ga-garçon...

- Calme-toi. J'ai juste... été surpris. Enfin, pourquoi moi ?

A nouveau le silence. Puis Maxence lui sourit :

- J'ai confiance en toi.

Ravalant un « tu ne devrais pas », l'ainé lui caressa la joue. Il avait beau se dire qu'il allait faire une erreur, la plus grosse de toute sa vie, Maxime n'arrivait pas à trouver les mots pour refuser. Parce qu'il ne voulait pas refuser.

Alors, tout doucement, il approcha son visage. Tout doucement il attira son frère contre lui. Maxence fut surpris par le contact de ces lèvres sèches, de la peau rugueuse à la barbe naissante. Ce n'était pas désagréable, loin de là, juste... inhabituel. L'odeur aussi était différente. Rien de sucrée, non. Un mélange de sueur, de savon et un reste d'aftershave. Il ne résista pas lorsque son frère demanda l'accès à sa bouche. Leur langue se découvrirent. Et Maxence arrêta de réfléchir. Il perdait pieds et ses mains se raccrochèrent à la nuque de son ainé. Il brûlait et frissonnait en même temps. Quand les doigts de Maxime passèrent sous sa chemise et lui caressèrent le ventre, il ne put retenir un gémissement de plaisir.

Et le baiser prit aussitôt fin.

Grognant de frustration, Maxence ouvrit les yeux pour voir le brun déjà debout se diriger vers la voiture.

- Massime! Attends!

Le jeune homme s'arrêta, mais ne se retourna pas.

- C'était le baiser le plus... Waouh!... qu'on m'ait jamais donné! J'ai aimé. Beaucoup.

- ...

- Maxime?

- ...

- Dis quelque chose, s'il te plait.

- ...

- J'ai fait quelque chose de mal? ... Je... je te dé-dé-dégoute, c'est ç-ça?

- J'ai eu une semaine difficile, Max. Je veux juste aller dormir.

Mais quinze jours plus tard, Maxime annonçait sa mutation fin juin pour la ville de P. Un poste plus important, un meilleur salaire. Et trois cent kilomètres entre eux.

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- TONELI !

Une balle vint frapper Maxence en pleine poitrine. Le professeur Gatema fulminait:

- Toneli ! Ce n'est pas parce que tu es à peu près doué que tu ne dois pas suivre l'entrainement! Vingt pompes, cinquante abdos et dix flexions... trois fois !

L'automne était là, les arbres avaient déjà perdu leurs feuilles mais le châtain ne parvenait pas à oublier son frère. Cela faisait cinq mois qu'il était parti et si Maxime téléphonait de temps en temps à la maison, jamais il n'avait demandé à lui parler.

Jamais ils n'avaient pu s'expliquer.

Et Maxence avait mal.

Il était distrait, mangeait moins. Mangeait beaucoup moins.

Il continuait à sortir avec Sonia. Après tout il l'aimait énormément. Il aimait leur longues discussions au milieu de la nuit au sujet de tout, de rien, de Godard, de la mort. Il aimait la voir sourire et se faire belle pour lui. Il aimait leurs silences et leurs fou rire. Il lui avait aussi avoué qu'il préférait leurs discussions à leurs parties de jambes en l'air. Elle avait ri en le traitant d'intellectuel refoulé. Et il l'avait embrassée.

Mais il se haïssait, parce qu'il ne l'aimait pas comme il aurait du.

Les jours passèrent, les semaines se succédèrent mais le malaise de Maxence ne se dissipait pas.

Son mal-être.

Sa culpabilité qui le rongeait doucement.

Car oui, il se sentait coupable. Coupable et honteux.

Sale.

Il se sentait sale de désirer un homme alors que lui même en était un.

Il aurait tellement voulu ne pas avoir ce corps. Ne pas avoir de corps.

Au début, il avait juste arrêté de se resservir à table. Puis au fil des semaines, la quantité de nourriture dans son assiette s'était réduite.

A la veille de Noël, il ne pesait que soixante-sept kilos. Il en avait perdu douze.

Sa mère l'avait fait venir dans le salon pendant que son père allait déblayer la neige avec Marc.

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- Maxence? Frédéric et moi, sans compter Mathilde... nous nous faisons du soucis pour toi. Est-ce que l'on peut t'aider d'une façon où d'une autre?

Maxence regarda sa mère longtemps. Aujourd'hui elle portait un tailleur gris perle et un chemisier en soie d'un rose très pâle. Ses cheveux déjà entièrement blanc lui arrivaient au bas des reins. Le maquillage léger ne cherchait pas à cacher son âge. Elle lui souriait. Mais dans ses yeux gris et fatigués, il pouvait lire l'inquiétude. Alors il s'assit dans un fauteuil tout à côté d'elle.

- Tu sais t-tous les li-livres que...

L'adolescent s'arrêta et se força à respirer calmement.

- Les livres que tu traduits... ça ne te gène pas ?

- Mon travail ? J'aime ce que je fais, chéri.

- Mais le sujet, les personnages... dé-déphasées...

Reine se mit à rire. Elle traduisait en effet de jeunes auteurs de la scène underground.

- Les histoires parlent souvent de drogue, d'homosexualité, parfois même de déviance comme le cannibalisme ou la nécrophilie. C'est ça que tu qualifies de déphasé?

- Oui. Ça ne te gène pas de traduire des textes comme ça ?

- Si je n'aimais pas, je ferais du mauvais boulot...

- Oh. Et papa ? Je veux dire, ça doit le changer du monde dans lequel il vit.

- Ce n'est pas parce que Frédéric illustre des histoires d'enfants qu'il est... bon d'accord, il vit dans sa bulle. Mais tu es un peu comme lui, tu sais.

Elle se massa les tempes en soupirant.

- Tu te drogues ?

- Non.

- Tu te mutiles ?

- Non !

- Tu as profané des tombes ?

- Hé ! Tu me prends pour qui !

- Je me demande juste pourquoi tu me parlais des livres que je traduisais. Mais je veux que tu saches que quoi que tu fasses, quels que soient les choix que tu fasses, quelle que soit la personne que tu deviennes, nous t'aimerons.

- Non... vous me détesterez... vous me cha-chasserez...!

Maxence se leva et partit en courant s'enfermer dans sa chambre.

Il était tellement sale que Maxime l'avait fui. Pourquoi ça serait différent avec eux ?

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C'était la première fois que Maxime n'avait pas passé les fêtes de fin d'années avec sa famille. Il avait prétexté un surplus de travail pour ne pas prendre de vacances et trouver l'oubli en se tuant à la tache. Et il y était presque parvenu. Le mois de janvier touchait maintenant à sa fin et il n'avait pas vu les semaines passer.

Il voulait oublier. Oublier les rires de son frère, ses yeux trop verts. Oublier sa voix. Oublier son odeur.

Ne plus ressentir ce manque qu'il laissait.

Oublier qu'il cherchait à fuir son image dans les bras de ses amants d'un soir.

Oublier que le même sang coulait dans leurs veines.

A sa pause déjeuner, il sortit pour glisser une carte postale dans une boîte aux lettres. Pour l'anniversaire de Maxence.

Il avait passé des jours avant de trouver celle qui lui convenait : l'illustration représentait un jeune homme allongé dans l'herbe, mâchonnant une pâquerette et regardant les nuages qui filaient. Ce doux rêveur lui rappelait son petit frère.

Au dos, il avait écrit "Bon anniversaire. Puisse cette année t'apporter tout ce que tu souhaites. Je t'embrasse. Maxime."

Neutre et fraternel.

Alors que son cœur hurlait "Je crève sans toi".

L'air froid de la rue le fit frissonner. Il resserra son manteau et se rendit d'un pas rapide à son bureau.

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Maxence regarda l'enveloppe et la brochure d'un air perplexe. Ses parents lui sourirent.

- Tu te mettras d'accord avec Sonia pour les dates. Comme tu nous a dis qu'entre vos petits boulots vous n'alliez pas vous voir souvent cet été, on a pensé qu'une semaine pour vous deux...

- C'est très gentil merci.

- Enfin, c'est Maxime qu'il faut remercier, c'est lui qui a trouvé ce petit paradis.

Le châtain regarda de nouveau la brochure: une sorte de village de vacances. Mais en plus luxueux. Beaucoup plus luxueux.

- O-Ok.

Il avait besoin d'air. Parce qu'il étouffait sous la colère.

888

Le lundi qui suivit, Virgile faillit recracher son croissant. Maxence s'était coupé les cheveux. Et les deux centimètres qu'il lui restait étaient dressé en épi.

Ce même jour, à l'entrainement ce fut la catastrophe:

- TONELI ! J'en ai marre de ton comportement ! On va disputer un grand match ce week-end ! Tu peux comprendre ça ?

- Ça n'a plus d'importance.

- Plus d'importance, hein ? Mais tu ne joues pas tout seul ! Il y a six autres joueurs sur le terrain ! Et pour EUX c'est important ! Alors ta seigneurie passera le match sur le banc. Rozza, tu prendras sa place.

Le soir même Virgile avait téléphoné à la petite bande et ils s'étaient tous réunis, assis sur le sol de sa chambre.

- Bon, on est d'accord pour dire que Maxence va pas bien.

- Il mange plus, il se coupe les cheveux et se fiche de tous nos matchs.

Paul, qui était resté silencieux, se souvenait...

Un môme de onze ans à qui leur professeur avait demandé pourquoi ils avaient choisi sport-étude.

"Moi, je fais du handball parce que c'est mon grand frère qui m'a appris à y jouer! Et il dit que je suis super fort!"

... un ado qui donnait toujours le meilleur de lui même... un ado fier comme un paon quand Maxime venait le féliciter après les matchs...

Il leva la main pour demander la parole:

- Depuis quand on n'a pas vu son frère ?

- Hein ?

- Maxime assistait à quasiment tous les matchs...

- Maintenant que tu m'y fais penser, ça fais un bail que Maxence ne nous rabat pas les oreilles avec ses "Massime par ci, Massime par là".

- Il a déménagé... Au début de l'été. Et dans son sommeil, Max appelle toujours Maxime... désespérément.

Tout le monde se tourna vers Claire.

- Hé ! Me regardez pas comme ça ! C'est Mathilde qui me l'a dit.

Sonia de son côté avait décidé de prendre les choses en main.

- Allo ?

- Bonsoir, je suis bien sur le portable de monsieur Maxime Toneli ?

- Oui, c'est moi.

- Je suis Sonia, la petite amie de Maxence.

- Oh, bonsoir.

- Max a un match samedi... et il le passera sur le banc des remplaçants, parce que "Massime est pas là, ça n'a plus d'importance".

- Quoi ?

- C'est à cause de vous qu'il est devenu comme ça.

- Comment ça "Comme ça" ?

Mais Maxime entendit des bruit de pas et une voix qu'il aurait reconnue entre toute :

- 'Nia ? Tu es au téléphone ?

- J'ai fini. A demain Sabine ! Tu me raconteras !

Bip... Bip... Bip...

888

La semaine ne passa pas assez vite. Maxime avait téléphoné à ses parents pour leur dire qu'il viendrait passer le week-end chez eux. Mais il n'avait pas osé poser de question.

Comme ça...

Cette phrase l'avait hanté nuit et jour, et là, assis dans les gradins, en attendant que les joueurs entrent sur le terrain, elle le tourmentait encore.

Les deux équipes sortirent enfin des vestiaires.

Comme ça :

Les joues creuses, le visage fatigué.

Comme ça :

Les cheveux courts, le corps trop maigre.

Comme ça :

Les yeux sans vie.

Comme ça...

Maxime avait l'impression de recevoir un coup de poing dans l'estomac.

Maxence alla s'asseoir sur le banc, indifférent à ce qui se passait. Pendant les trente premières minutes, il fixa ses lacets. Se désintéressant totalement du match.

A la mi-temps, Virgile alla le voir.

- Tu pourrais au moins nous encourager.

- ...

- Ton frère, lui, il...

- Me parles pas de LUI!

- Ben il est dans les gradins en tout cas.

- QUOI ?

Maxence se figea. Virgile lui montra du doigt. Le cadet sauta du banc et se jeta sur l'entraineur.

- Une chance. Donnez-moi juste une chance.

- Retourne t'asseoir, Toneli.

- Mais...

- Le banc.

Monsieur Gatema ne regarda même pas l'adolescent qui obéissait. Il n'en avait pas besoin, il savait que ses épaules s'étaient voutées et que l'étincelle dans ses yeux était de nouveau éteinte. L'homme soupira. Ce garçon était trop passionné. Un peu comme lui quand il était jeune.

- OK. Je te laisse dix minutes pour remonter le score. Si c'est pas fait, tu retournes sur ce putain de banc !

Presque une heure plus tard, Maxime, adossé à sa voiture, discutait avec sa mère et son père en attendant Maxence. Le châtain arriva enfin avec Sonia. Son frère lui fit un grand sourire et lui tendit la main :

- Très beau match !

Maxence enfonça ses poings dans les poches de son manteau.

- Pas encore parti ?

Reine ferma les yeux et compta jusqu'à cinq.

- On ne va tout de même pas discuter dans le froid alors qu'un bon feu de cheminé et un délicieux gâteau nous attendent à la maison.

Le trajet se fit en silence et ils arrivèrent bien vite devant le pavillon entouré d'un jardin où tout poussait plus ou moins comme la nature le voulait.

"Une mauvaise herbe n'est qu'une plante qui a poussé à un mauvais endroit... ici, il n'y a pas de mauvais endroit." disait régulièrement leur père.

Et même en ce froid samedi d'hiver, Maxime trouva quelque réconfort à regarder ce petit bout de forêt vierge.

A peine entré, leur mère poussa les deux garçons dans la buanderie et referma la porte en leur disant, tout sourire:

- Vous ne sortirez que lorsque vous vous serez expliqués.

Maxime leva un sourcil interrogateur. Il défit alors son écharpe et la posa avec son caban sur la table à repasser. Maxence, lui, jeta son sac de sport contre la porte en jurant avant que son manteau prenne le même chemin.

- Et merde !

- Maxence ? S'il te plaît... qu'est-ce qui ne va pas ?

- Qu'est-ce qui ne va pas? Qu'est ce qui ne va pas ?! Tu o-oses me le de-demander ?

- Euh... oui ?

- Je t'avoue que j-j'aime les hommes et tu es te-tellement dégouté que tu fuis à trois-cent kilomè-mètres ! Tu ne me donnes même plus de nou-nouvelles !

- Attends ! Comment tu as pu penser une telle chose ! De moi ?! Ça doit faire à peu près deux ans que je t'ai dis que j'étais homo !

- Qu-quoi ? Tu ne m'as ja-jamais rien dit !

- J'avais peur de te choquer... mais comme ça commençait à devenir sérieux avec Nicolas, je t'ai dit que je sortais avec lui.

- Cette conversation là ? Oh, oui je m'en sou-souviens mais...

Le châtain se rappelait même de l'air soulagé de son frère après qu'il lui ait parlé... Maxence se frappa le front:

- Ah! Mais tu voulais dire so-sortir! Je suis con... J'avais cru que vous sortiez ... enfin... pas que vous vous fr-fréquentiez.

- Tu ressembles définitivement à papa...

- Hey! ... Donc je te dé-dégoutes pas. Alors p-pourquoi tu es parti ?

Maxime se passa une main devant les yeux.

Oui, il avait fui son frère. Oui il avait demandé à son patron une mutation n'importe où, pour n'importe quel poste du moment que c'était loin. Mais il n'avait jamais voulu ça ! Il n'avait jamais voulu le faire souffrir.

- Je suis désolé Max. Je ... Je ne pensais vraiment pas que ça pourrait autant t'affecter. J'ai eu cette promotion et j'étais tellement emballé que ... Je suis désolé. Pas un jour ne s'est passé sans que je pense à toi. Mais j'avais peur de te déranger... tu as tes amis, Sonia, tes entrainements...

- Merde ! Mais tu es mon frère ! Bien sûr que j'aurai t-toujours du temps pour toi !

L'ainé ferma les yeux très forts. Comme si ne pas voir aurait pu l'empêcher d'entendre.

Son frère.

Ces simples mots lui retournèrent l'estomac.

- Massime ?

Maxime regarda Maxence qui s'était approché et lui sourit tristement en lui ébouriffant les cheveux dorénavant si court.

- Ça... te va bien.

- Je ne m'y suis pas encore habitué.

- Pourquoi ? Enfin, pourquoi tu les as coupé ?

- Tu n'étais plus là p-pour me les coiffer.

La main du brun qui n'avait pas cessé de jouer avec quelques mèches, descendit vers le visage et s'arrêta sur la joue. Le pouce caressa les lèvres de Maxence.

Lentement.

Leur regards s'accrochèrent. Émeraude contre Turquoise. Émeraude tout contre Turquoise.

Sonia toussota.

Maxime passa un bras affectueux -d'aucun aurait dit possessif- autour des épaules de son cadet.

- Désolé, on discute, on discute et vous nous attendez pour ce fameux gâteau !

"Ils sont encore vivants tous les deux." Dit la jeune fille en entrant dans le salon.

Reine ne posa pas de question. Maxence souriait et c'était le plus important.

888

Les semaines passèrent. Maxence ne manquait jamais d'envoyer un message sur le portable de son frère. Souvent pour rien, des futilités. Le plaisir de lui écrire. Et Maxime lui répondait par mails, lui racontant sa vie à P., son boulot et ses menus tracas. Il faisait aussi de son mieux pour se rendre aux matchs que disputait son cadet. Mais Maxence lui avait dit un jour alors qu'il s'excusait de ne pouvoir se déplacer :

- Ce n'est pas grave si tu viens pas... parce que je sais que tu penseras à moi. Tu penseras à moi, hein ?

- Bien sûr !

Alors le châtain remontait doucement la pente. Il ressentait de nouveau le besoin, et le plaisir, de manger.

Et même s'il ne se sentait pas "normal", au moins ne se sentait-il plus "sale".

Une fin d'après-midi au mois de mai, lui et Sonia étaient assis sur un banc du parc où ils aimaient à se balader. Maxence ne savait pas quoi dire.

- Au début je pensais te donner une gifle magistrale au milieu de la cour en te traitant de lâche. Mais à quoi cela aurait servi ?

- ...

- J'ai toujours espéré que tu puisses m'aimer, ne serait-ce qu'un peu.

- Je t'aime 'Nia, je t'aime vraiment.

- Je sais. Je me suis torturée pendants des mois en me demandant ce qui te rebutait... physiquement... chez moi... Dieu que j'ai été bête.

- Si ça peut te... rassurer... tu es le phantasme numéro un de Virgile.

La jeune fille se mit à rire pour cacher ses larmes.

- Tu es affreux. On se quitte et tu me consoles en me parlant du garçon le plus obsédé de tout le lycée!

- ...

- Est-ce que tu peux me prendre dans tes bras ?

888

A la fin de la semaine, assis en tailleur sur le lit, Maxence fixait son téléphone portable d'un air indécis.

Il avait eu mal. Bien plus qu'il n'aurait imaginé. Après tout, il aimait Sonia. A sa façon, mais il l'aimait.

Oh bien sûr quand ils se croisaient dans les couloirs, ils se faisaient la bise et discutaient deux-trois minutes. Mais il lui faudrait du temps avant de ne plus ressentir cette boule au creux de l'estomac. Sonia avait tort : Maxence n'était pas lâche.

Il était égoïste.

Il préférait être heureux en la faisant souffrir que de souffrir en la regardant être heureuse.

L'adolescent secoua la tête pour chasser ces idées. Ils avaient été malheureux tous les deux. Ils souffraient tous les deux.

Il soupira : il était lâche et égoïste.

Où était passé le gentil Maxence toujours souriant et rêveur ?

Le châtain compta jusqu'à cinq et se décida à appeler son frère. Après tout, ce n'est pas comme s'il y avait d'autre solution. Il se concentra sur sa respiration. Il ne voulait pas bégayer. Mais ces derniers temps dès qu'il parlait à Maxime, ce foutu défaut revenait.

Son frère décrocha aussitôt.

- Max ! Enfin ! Je m'inquiétais ! Je n'ai pas reçu un texto de toi de toute la semaine !

- Je... Sonia m'a quitté.

- Oh. Je... Merde. Tu vas bien ?

- Je survis. Je te té-téléphone au sujet des vacances. Celles que tu m'as offertes avec 'Pa et 'Man.

- Oui ?

- J'ai demandé aux copains mais Virgile part dans sa famille, Paul est occupé... et je me vois mal partagé le mê-même lit avec Rémi et encore moins avec Claire. Marc sera en colonie avec ses amis. J'ai proposé aux p-parents d'y aller mais Pa' aura un vernissage important...

Maxime voyait où son petit frère voulait en venir. Sauf qu'il avait pris sa décision. Une décision contestable, sûrement. Il avait longtemps peser le pour et le contre, longtemps réfléchi durant ses nuits blanches. Ce n'était peut être pas le meilleur choix, mais c'était son choix. Il s'assit plus confortablement dans son fauteuil et sourit. Au jeu du chat et de la souris, il faisait un très bon chat...

- Oui, il m'en a parlé...

- Alors je me suis dis que... tu pourrais ... p-peut-être vouloir y aller avec... un ami à toi.

- Effectivement, ça serait une bonne idée. Écoute, je lui téléphone pour lui demander et je te rappelle de suite après, d'accord ?

- OK.

Maxence mit fin à la conversation et s'appuya contre le mur. Il se fichait bien de cette semaine de vacances, mais imaginer son frère avec quelqu'un lui faisait terriblement mal. La sonnerie du téléphone retentit.

- Allo Max ? C'est Maxime.

- Ton numéro s'affiche je te signale." Répondit le cadet d'une voix blasée.

- Oh? Ok. Je t'appelle parce que je viens de gagner une semaine au mois d'août dans un endroit super. Et j'aimerai y aller avec toi.

- Massime ?

- C'est ton cadeau et je ne veux le partager avec personne d'autre.

888

Les jours s'écoulèrent et l'été fut rapidement là. A P., rien n'avait vraiment changé pour Maxime: le travail qui lui prenait tout son temps, le café toujours médiocre de la machine, le jogging pour se défouler. Mais il se sentait bien. Bien comme il ne l'avait pas été depuis des mois. Le fait que son frère saute littéralement de joie à l'autre bout du téléphone quand il lui avait proposé de partir ensemble y était pour beaucoup.

Ce vendredi après-midi, le jeune homme ne cessait de regarder l'horloge du bureau avec impatience. Georges se moqua gentiment :

- Pressé d'être en vacances, hein ?

L' intéressé sourit en hochant la tête. Dans quelque heures, Maxence arriverai à la gare. Ils partiraient le lendemain à la première heure. Et Maxime aurait une semaine pour le séduire. Il sourit de plus belle.

- Tu sais que tu à l'air d'un psychopathe quand tu souris comme ça ?

- Merci Georges.

- Ce n'est pas vraiment un compliment...

888

Maxence passa les grilles du lycée et se dirigea vers le banc où étaient assis ses amis. Une autre rentrée...

Il était en terminale maintenant...

La belle affaire.

Alors que Claire, Paul et même Virgile avaient des projets plus ou moins précis, lui n'avait aucune idée de ce qu'il voudrait faire après le baccalauréat. Au moins les vacances lui avait permis de mettre son avenir entre parenthèses, trop occupé qu'il avait été à ses jobs saisonniers. Et puis, il y avait eu la semaine passé avec Massime...

Ne pas y penser. Ne pas y penser. Ne pas y penser.

Comme Rémi, qui l'avait aperçu, lui faisait signe d'approcher, Maxence remarqua une longue chevelure blonde dans la foule. Il fit un détour pour dire bonjour à Sonia et la serra dans ses bras quelques secondes. La jeune fille accepta l'étreinte en souriant.

- Ça va aller. Je crois en toi, d'accord ?

C'est ce qu'elle lui disait avant chaque match. Comme une formule magique. Et cette fois encore, ces paroles l'apaisèrent. L'adolescent sourit à son tour et l'embrassa sur la joue.

- Merci 'Nia.

La jeune fille le regarda s'éloigner, telle une mère veillant son petit.

Maxence lui avait téléphoné à la mi-août. Elle s'était demandé pourquoi elle et non pas Virgile. Mais elle était allé le retrouver dans ce parc où ils s'étaient promené si souvent, l'avait serré dans ses bras pendant qu'il pleurait. Elle avait écouté son histoire en essuyant les larmes qui ne tarissaient pas. Des larmes de colère et d'incompréhension.

- Il m'a dit que tant que ça ne serait pas clair dans ma tête, il ne voulait pas continuer...

- Il n'a pas tord, tu sais ?

- Je comprends pas, Sonia, je comprends pas ce que je ressens...j'ai même pas su lui répondre quand il m'a dit qu'il m'aimait.

- Tu l'aimes, toi ?

- Bien sûr que oui ! C'est mon frère !

- Maxence, ne me crie pas dessus. Ensuite, ça serait bien que tu essayes de faire la part des choses.

- Quelles choses ?

- Marc, par exemple... tu l'aimes beaucoup, non ?

- C'est un petit frère rêvé : il me pique pas ma console et on s'entend bien pour embêter Mathilde.

- Mais est-ce que tu te vois ... quand il sera sera un peu plus grand... l'amener au restaurant par exemple ?

- Marc et moi dans un resto ? Pour son anniversaire avec ses amis oui... pourquoi pas.

- Et que Maxime t'amène dans un quatre étoiles en tête à tête...

- C'est pas pareil... c'est Massime...

Sonia soupira. Maxence marcha en silence jusqu'à un banc où il s'assit. Tout était si compliqué. Mais Sonia... Sonia ne le jugeait pas. Elle avait hoché la tête d'un air entendu quand il lui avait dit qu'il avait embrassé Maxime il y a plus d'un an déjà. Qu'il venait de passer une semaine avec lui. Une semaine où ils avaient été amants.

Sonia ne le jugeait pas, non. Elle le soutenait. Elle l'aidait alors que lui, il l'avait faite souffrir.

- Quand j'étais petit je l'admirais... je crois que ça a pas vraiment changé d'ailleurs. Et...

- Et ?

- Et je suis malheureux quand je ne suis pas avec lui.

- Il y a des moments dans la vie où... tu dois arrêter de réfléchir. Suivre ton instinct. Et écouter ce que tu as à l'intérieur de toi. C'est ce que ma tante dit toujours.

- Papa aurait les mêmes conseils... mais ça m'avance pas vraiment.

- Peut être que tu ne dois pas avancer justement.

Ne pas avancer. Juste se laisser porter. C'est ce que Maxence se répétait en discutant avec Virgile, Paul, Claire et Rémi. Encore une fois, après les retrouvailles chaleureuses, la sonnerie retentit, les entrainant dans une salle de classe où Maxence fit semblant d'écouter son professeur.

« On ne peut aimer que sur cette terre et contre Dieu » avait écrit Sartre. Mais avait-il vraiment le droit d'aimer ?

La rentrée avait un goût douceâtre, sans lui...

888

Georges entendit le blues juste avant de frapper à la porte de son jeune collègue, qui avait la mauvaise habitude de travailler en musique. Il le trouva debout le front appuyé contre la vitre, murmurant les paroles de la chanson.

- Je t'apporte les papiers que tu as demandé...

- Mmmmhhh...

- Un problème dans ton couple ?

- Mon couple ?

- Depuis ton retour de vacances tu ne sors plus le week-end et tu ne harcèles plus le petit cuisinier du self pour un rendez-vous... j'en ai déduit que...

Maxime regarda une dernière fois le texto qu'il avait reçu. Le premier depuis leur vacances.

« Bon anniversaire, frangin ! »

Il l'effaca d'un geste rageur et retourna s'assoir à son bureau feuilleter ce que venait de lui porter Georges.

- On n'est pas un couple... j'ai été un idiot d'espérer... Et merci pour les papiers.

Alors que son collègue sortait de la pièce, il ferma les yeux et se massa les tempes.

Il avait été idiot d'espérer oui... mais cette semaine de vacances avait été si pleine de promesses...

Et cela avait commencé dès leur arrivée.

888

L'hôtesse d'accueil leur avait souri et hésitante, leur avait demandé :

- Excusez-moi messieurs mais la chambre que vous avez réservée ... comment dire...

- Elle n'est plus disponible ? » Demanda le cadet, légèrement angoissé.

- Si, si bien sûr. Mais peut-être avons nous fait une erreur. C'est à propos des lits. Il n'y en a qu'un seul, à deux places...

- Oh, mais c'est bien ce que j'avais réservé, ne vous inquiétez pas.

Maxime dut se mordre la joue pour ne pas rire devant l'innocence de son frère. Il se contenta donc de sourire quand l'hôtesse, rouge comme un coquelicot, balbutia :

- Je suis navrée de vous avoir retenue, messieurs. Voici votre clef et passez un agréable séjour.

Alors qu'ils défaisaient leur valises, Maxence se laissa tout à coup tomber sur le lit.

- Massime ? Je crois que j'ai gaffé.

- Hmmm ?

- La f-femme à l'a-accueil...

Le plus âgé des deux frères s'assit à son tour et lui ébouriffa les cheveux :

- Le tailleur était un peu trop cintré, mais il ne faut pas te mettre dans des états pareils pour ça...

- Arrête de me ch-charrier veux-tu ?

- D'accord, d'accord... Alors pourquoi tu paniques à cause de cette brave dame ?

- Mais elle va croire que n-nous so-sommes ensemble!

- Et ça te pose un problème ?

- Ben, admettons que tu rencontre un bel athlète et ...

- Je suis ici pour toi. Pour passer une semaine avec toi. Fiches-toi ça dans le crâne.

Le lendemain, après avoir passé la matinée sur les courts de tennis et prit un bon repas, Maxence décréta qu'il faisait trop chaud pour faire autre chose que la sieste. Son frère alluma donc son ordinateur portable. Pas qu'il ait vraiment besoin de travailler, mais ça avait le mérite de faire passer le temps.

Quand deux heures plus tard, l'adolescent se réveilla, il n'avait qu'un mot à la bouche:

- Piscine !

- Tu n'as pas fini de digérer. Et ce n'est pas une piscine, c'est un parc aquatique.

- Allez ! On y va ?

- J'en ai encore pour une demi-heure environ. Je te rejoins.

- A toute à l'heure !

- Gamin irresponsable...

Maxence avait été positivement étonné par tous les bassins et jeux d'eaux. Mais seul, ce n'était pas très amusant. Il se contenta donc de faire quelques longueurs avant d'aller s'assoir sur la chaise longue près de laquelle il avait posé leurs affaires. Il se remettait un peu de crème solaire – ce n'est pas parce qu'il avait hérité de la peau matte de son père qu'il allait risquer de gâcher ses vacances par un coup de soleil – qu'une jeune femme installé deux chaise longues plus loin, le héla :

- Bonjour ! Ça ne te dérangerait pas de me mettre de la crème dans le dos ?

- Si.

- Wahou... tu es direct toi. Mais je peux savoir pourquoi ce refus ?

- Vous êtes pas mon type.

- Et c'est quoi ton type ?

L'adolescent soupira. La mignonne pipelette n'était pas le moins du monde découragée par le laconisme de ses réponses mais il voulait être tranquille. C'est à ce moment qu'il vit son frère venir vers eux. Il portait un boxer de bain noir et un t-shirt blanc enfilé à la va-vite qui laissait entre apercevoir un papillon aux ailes de jais tatoué sur la hanche.

- Lui.

- Pardon ?

- Mon type c'est lui.

Après tout, ce n'était même pas un mensonge.

Maxime s'assit d'office devant son frère et retira son t-shirt.

- Désolé je n'ai pas vu l'heure. Tu me passes la crème dans le dos ?

- Fais toi greffer un troisième bras.

- S'il te plait ?

- C'est bien parce que c'est toi...

- Alors tu as fais quels bassins ?

- Le classique, histoire de voir si je savais encore nager. C'est dingue ce que j'ai perdu depuis qu'on va plus à la piscine tous les dimanche avec Claire et Mathilde.

- Entre les championnats de Claire et la prépa de ta soeur, elles n'ont plus vraiment de temps.

- C'est chiant de grandir.

Maxime se retourna un peu, assez pour voir le regard triste de son cadet perdu dans le vide. Il rangea soigneusement sa paire de lunettes dans le sac et se leva.

- Le dernier à l'eau est un oeuf de poule mouillée !

- Et c'est moi que tu traites de gamin irresponsable... De toute façon, tu seras même pas capable de trouver le bassin sans tes binocles !

888

- TONELI !

- Monsieur ?

- Qu'est-ce que j'ai fait à la Vierge pour supporter ça ? Tu es bien comme ton frère tiens... dès que vous avez une fille dans la tête, vous ...

L' entraineur fut surpris par le fou rire de son meilleur -mais indiscipliné- élément.

- Toneli !

- Oui oui, m'sieur... je sais : vingt pompes, cinquante abdos et dix flexions, trois fois.

- Et puisque tu n'es pas capables d'écouter mes stratégies tu passeras le reste de l'entrainement à courir autour du terrain.

C'est donc un Maxence passablement essoufflé que monsieur Gatemo appela à la fin du cours.

- Viens t'assoir j'ai à te parler.

- Monsieur ?

- Même si je préfère te voir comme ça que comme l'année dernière... j'aimerai que ... L'entraineur de la ville de S. m'a contacté. Celui de la ville de V. aussi d'ailleurs. Ils aimeraient t'avoir dans leur équipe.

- S. ? Mais ils ont gagné les championnats européens l'année dernière, pour la troisième fois ! Et V. est une de nos meilleures équipes nationales !

- Je ne sais pas ce que tu veux faire, une fois ton année terminée. Penses-y d'accord. Ici, c'est un petit club, mais si tu pars, tu pourras réussir. Vraiment.

Gatema se leva, laissant Maxence, encore sur le coup, seul dans le gymnase.

Une carrière professionnelle...

Il resta là à caresser cette possibilité. Et à réfléchir à ce que Gatemo venait de lui dire.

Longtemps.

Jusqu'à ce que Virgile s'assoit à coté de lui.

- Ça fait une demi-heure qu'on te cherche... tu en fais une tête ?!

- Le prof a dit que je rêvassais à une fille et... et ça me tracasse ...

- Oh, ça... Avec les copains, on attendait que tu nous en parles. Mais depuis la rentrée, tu ressembles à un crétin amoureux pour la première fois.

- Amoureux ?

- Ben tu soupires, tu penses à autre chose, tu dessines des petits coeurs sur tes cahiers...

- Oh. Amoureux. OK.

- T'es sûr que ça va ?

- Oui. On rentre ensemble ?

888

- Tu as fais quoi ?

Maxence était blanc comme un linge.

- J'avais plus de forfait alors je t'ai emprunté ton portable...

- Marc... tu pouvais pas me le demander avant ?

Le châtain relisait le message qu'avait envoyé son petit frère à leur ainé.

Il poussa un soupir à fendre l'âme.

Lors de leur dernière nuit ensemble, le cadet avait senti le sol s'effondrer sous ses pieds quand Maxime lui avait dit qu'il l'aimait. Paniqué, il n'avait pas su quoi répondre. Alors le brun lui avait doucement caressé les cheveux :

- Je veux que ce soit clair pour toi... Tant que ce ne sera pas le cas, il serait sage de ne plus se contacter. Dors maintenant.

Il avait tenu. Il avait fait ce que Maxime lui avait demander. Et Marc avait mit les pieds dans le plat.

Mais après tout ce n'était peut être pas plus mal. Il était temps de reprendre contact.

Maxence leva les yeux vers son petit frère.

- Tu aurais pu signer au moins...

- Tu es en colère ?

- Non. Enfin si, terriblement.

- Max ?

- Allez, file, papa t'appelle.

Maxence se rendit dans sa chambre et se laissa tomber dos contre la porte.

- Merde. Merde. MERDE ! Amoureux hein ? A mourir de rire... oui. A mourir.

Pendant plusieurs minutes, des larmes amères coulèrent sur son visage. Quand enfin l'adolescent se calma, il regarda le téléphone portable qu'il tenait encore et il composa le numéro de son frère.

888

Après une douche rapide, Maxime enfila ses vêtements et sortit de la chambre sans réveiller son amant qui dormait encore dans le lit. Il salua d'un signe de tête la femme de chambre avant de quitter l'hôtel de passe pour se rendre à son travail. Il n'était que six heures du matin mais marcher un peu lui ferait oublier les heures de sommeil qu'il n'avait pas eu.

En arrivant à son bureau, il alluma machinalement son téléphone. Il avait trois messages.

Aujourd'hui à six heures dix : C'est Paul... tu es vraiment obligé de toujours te sauver comme un voleur ? Ce n'est pas parce qu'on prend un petit dej' ensemble qu'on se case, tu sais ? Allez, bonne journée... et merci pour la nuit.

Aujourd'hui à zéro heure douze : C'est Catherine... T'es pas drôle de quitter de la soirée avec Paul... Enfin, on continue à fêter ton anniversaire sans toi ! Bye !

Hier à vingt heures trente et une : Massime ? Désolé d'appeler s-si tard, j'avais oublié le portable à la maison. Marc en a profité p-pour t'envoyer un texto. Alors bon anniversaire ! Et euh.. ton invitation p-pour Halloween t-tient toujours ?

Maxime raccrocha et éclata d'un rire nerveux, qui se transforma bien vite en simple rire pour finir par un soupir de soulagement.

- Halloween hein ? Je t'en ai touché deux mots cet été et tu t'en rappelles... Tu me rendras fou... En fait, je crois bien que je l'étais déjà... Et les vacances n'ont rien arrangé...

888

Le mardi matin, en arrivant sur le court de tennis, les frères virent qu'il était déjà occupé par deux hommes à l'accent britannique.

- Excusez moi, mais nous avions réservez. » Leur précisa Maxence.

- Nous le savons. Il ne reste d'ailleurs pas un seul court de libre. Mais nous nous sommes dit, puisque vous n'êtes que deux, que nous pourrions peut-être faire un double.

Maxime regarda son cadet se renfrogner. Il fit alors son plus grand sourire.

- Cela serait avec plaisir oui.

Le match en lui-même avait été agréable. Maxime s'était associé avec un des anglais et son petit frère s'était réfugier dans un mutisme total tout du long, hochant simplement la tête pour saluer l'adresse de son coéquipier ou de ses adversaires. Après s'être donner rendez-vous le lendemain à la même heure, les Toneli retournèrent à leur chambre pour se rendre présentable au repas de midi. Quand il sortit de la douche, Maxime trouva son frère roulé en boule sur le lit. Le jeune homme s'assit à côté de lui et lui caressa doucement les cheveux.

- Maxence... je te connais tu sais. Tu te mures dans le silence chaque fois que tu as peur ou que tu es furieux.

- T-tu as dis que tu étais ici p-pour moi.

- Je me suis dit que tu étais peut-être déjà lassé de ma présence et que...

Sous le regard assassin du châtain, Maxime avoua:

- Bon d'accord, je voulais juste te rendre jaloux.

Maxence se redressa et, attrapant le t-shirt de son frère, l'attira jusqu'à lui. Il l'embrassa alors avec colère.

- Pour moi. Juste pour moi.

Ils s'étaient souvent retrouvés en compagnie des deux anglais, Ted et William, ainsi que de leur femme, Caroline et Cordélia. Un après midi, ils avaient décidé d'initier Maxence au golf. Alors que celui-ci perdait son calme en ratant pour la troisième fois son putt, Maxime dit avec un air d'ange :

- Quand on le voit comme ça, on se demande vraiment s'il possède l'adresse, l'agilité et l'intelligence tactique nécessaire pour jouer au hanball...

... avant de partir en courant poursuivit par son frère armé du club et bien décidé à lui enfoncer dans le crâne.

- Les latins n'ont pas usurpé la réputation d'avoir le sang chaud.

- Mais ils sont tellement charmants, Darling.

William avait levé la voix pour s'adresser aux frères :

- Dois-je prendre votre fuite pour un abandon, jeunes gens ?

- Même pas en rêve !

Oui, le séjour avait vraiment eu un air de paradis.

888

Assis sur le sol de la salle de bain de son frère, Maxence pestait contre Virgile, ses idées stupides et les collants en nylon. Surtout les collants en nylon.

- Faut être née femme pour réussir à mettre ça !

Enfin, comme lui avait dit son ami : ce n'est pas grave si tu les files, leur seul raison d'être est de te permettre d'enfiler et de retirer le pantalon de cuir sans trop de soucis.

Là, l'adolescent avait voulu protester comme quoi personne n'avait mentionné les mots « pantalon de cuir » jusqu'à présent. Mais Virgile avait fait semblant de ne pas l'entendre.

Pourquoi avait-il demandé conseil pour son déguisement d'Halloween ?

Il soupira.

A présent qu'il était habillé, restait le maquillage.

Maxime toqua à la porte :

- Hé Max, tu en as encore pour longtemps ?

- Oui.

- Je te prépare un sandwich ?

- On est pas censé manger là-bas ?

- Ça sera un simple buffet, tu sais. Plein de trucs très calorique, bourrés de lipide, de glucide et de produits chimiques...

- OK pour le sandwich alors.

Les yeux avaient été très rapidement maquillés, juste un trait rouge en dessous. Claire lui avait fait répéter le geste des centaines de fois. Puis minutieusement, il entreprit de peindre ses ongles en noirs.

Devant la porte toujours close de la salle de bain, Maxime s'était résigné à se changer dans le salon. Le déguisement était des plus classique pour la fête des morts, mais s'était celui qu'il préférait : un costume noir, une chemise blanche à jabot et une paire de canines pointues.

Le jeune homme finissait de préparer leur en-cas lorsque son frère sortit. De stupeur, il lâcha le couteau qu'il tenait en main.

- Merde !?

- Tu t'es pas blessé ?

- ...

- Massime ?

- Depuis quand tu mets du cuir ?

- Depuis cinq minutes. Virgile m'a prêté un pantalon ... Pourquoi ?

- Rien. Allez, viens manger.

Maxime se traita mentallement d'imbécile. Il réfréna l'envie de prendre Maxence contre la porte du frigo et lui tendit un sandwich avant de s'étonner :

- Oh, j'avais pas vu les cornes...

Des cheveux que son frère avait décidé de garder courts et pas vraiment coiffés, émergeaient en effet deux petites cornes de bélier, de couleur rouge et noir.

- Et regarde les ailes. Tu connais Claire et son goût du détail...

Maxence se retourna pour montrer deux ailes de chauves-souris cousues au pull blanc qu'il portait près du corps. Maxime se mit à rire :

- Tu te rappelles, avec Mathilde elles s'amusaient à nous déguiser quand on était môme ?

- Ne fais pas ressurgir l'affreux souvenir de l'homme-citrouille s-s'il te plait...

- Je pensais plutôt à celui des pirates.

- Tu t'en rappelles encore ? Mais où Mathilde a réussi à dénicher le perroquet empaillé ?

- J'en sais vraiment rien... En tout cas, elles avaient sacrément réussi leur coup.

- Ouaip, maman a vidé une pellicule entière pour nous cinq, ce jour là. Faudrait que je lui demande où elle a rangé les photos...

- Allez, on va arrêter de ressasser les souvenirs, sinon on ne décollera jamais d'ici. Et Catherine me tuera si on arrive en retard.

Après avoir sommairement ranger la cuisine, les deux frères quittèrent donc l'appartement.

Et dans le tiroir de la table de chevet, une photographie prise il y a sept ans par une belle journée d'été représentait un jeune capitaine, son perroquet et son fidèle matelot posant fièrement près du coffre au trésor.

888

La soirée était bien avancée et Maxence avait trouvé refuge sur le petit balcon de la salle de bain. Aucune lessive n'était étendue sur les fils et il pouvait à loisir contempler la ville qui s'étendait devant lui. Il avait fui le salon où les invités parlaient travail, politique et impôts. Où un dénommé Paul, portant soutane et rosaire, murmurait à l'oreille de son frère qui le repoussait en riant.

Pourquoi était-il venu ?

Il entendit la porte du balcon s'ouvrir et se refermer. Maxime s'appuya près de lui, dos contre la rambarde.

- C'est donc ici que tu te cachais.

- ...

- Je suis désolé. J'aurai pas du te laisser seul.

- Pas grave. Juste que je ne sais pas quoi leur dire.

- C'est vrai qu'on a des sujets de conversation barbants ...

Le « démon » hocha la tête de gauche à droite.

- C'est pas le problème. Mais je me présente co-comment ? Une connaissance ? Ton f-frère ? Un mec que tu as eu dans ton lit ?

- C'est à toi de choisir. J'espérais que tu aurais pris ta décision avant de venir.

- Mais ...

- Je te l'ai déjà dit : je t'aime Maxence. Je t'aime comme un frère parce que rien ne pourra briser ce lien. Et que quoi qu'il arrive c'est ce que nous serons. Mais je t'aime aussi comme un homme peut en aimer un autre.

Devant l'abscence de réaction de son petit frère, Maxime allait partir quand le cadet lui attrapa le bras et le força à se retourner. Il n'eut pas le temps de protester que Maxence s'emparait de ses lèvres. Le baiser aurait été magique si...

- Aieuuuuuuh ! Canibale !

L'apprenti Dracula aux canines fautives ne put s'empecher de rire... rire qui lui resta dans la gorge quand Maxence le plaqua contre un mur et lui fit un magnifique suçon.

- Tu es fier de toi j'imagine ?

- Très.

- Je te parle pas de mon cou, crétin, mais de mon érection...

- Oui, aussi.

- J'avoue que j'hésite entre te balancer du balcon maintenant ou te laisser dormir sur le canapé cette nuit...

888

Les mois passèrent. Maxence passait parfois les week-end chez son ainé. Le reste de la semaine il jonglait entre entrainement et révisions. Car il avait enfin trouvé sa voie. Mais il n'en parla pas à Maxime. Il ne voulait pas le décevoir s'il échouait.

C'est pourquoi le brun fut surpris lorsque sa mère lui téléphona début juillet :

- Bonjour, mon chéri, je te dérange ?

- J'ai vingt minutes avant ma réunion. Un soucis ?

- Max a eu son bac avec la mention bien !

- Tu le féliciteras pour moi !

- En fait c'est à cause de ça que je t'appelle, j'ai un service à te demander ...

- Oui ?

- On pourrait venir deux jours chez toi pour faire le tour de l'université et visiter deux-trois studios ? On en profiterait pour signer le contrat avec monsieur Ferne.

- Pardon ?

- Je ne te l'ai pas dit ? Il a été engagé par l'équipe du Handball Club. de P. ! Et parallèlement, il suivra des cours à la faculté de sciences.

- Max ? Pro ? Dans ma ville ? Et vous lui cherchez un appart ? ... Excuse-moi, mais tu peux me le passer deux petites minutes ?

- Bien sûr ! MAXENCE ! C'est ton frère !

...

- Allo Massime ?

- C'est quoi ces histoires... tu passes joueur pro ?

- Gatema voulait m'envoyer à S... mais je crois que je suis pas encore prêt. Une équipe de D2 qui veut bien de moi, ça me suffit.

- Pourquoi tu ne m'en as pas parler avant ?

- Ben ... je voulais pas ... enfin ...

- Et c'est quoi cette histoire d'appartement ?

- Je ... tu es en c-colère ?

- Non je ne suis pas en colère ! Je suis fou de rage !

- Oh. Désolé. Je... P-Pardon.

Avant que Maxime ai pu dire un mot, le cadet raccrochait le téléphone. Le jeune homme prit le temps de compter jusqu'à cinq avant de le rapeller sur le portable.

- Merde Max ! Tu me raccroches pas au nez comme ça !

- Tu veux pas que je v-viennes à P. alors..

- Bien sûr que si !

- Mais tu as dis que tu étais f-furieux !

- Évidement que je suis furieux ! Tu sais où j'habite ?

- Dans un appartement ?

- A trois stations de la fac, crétin ! Mais même si j'avais habité à l'autre bout de la ville, je t'aurai proposé de t'installer avec moi !

- Massime ? Vraiment ? Tu... tu ...

- Je suis génial, je sais.

Reine vit son fils dévaler les escaliers et lui sauter au cou.

888

Maxence, un oeil sur le plan et le sourire aux lèvres, se dirigeait vers l'amphithéâtre. Une autre rentrée...

Mais pour la première fois en trois ans, il savait qu'il était à sa place.

Ici et maintenant.

Aux côtés de Maxime.

Virgile avait signé avec l'équipe de la ville de S., Claire allait participer aux Jeux Olympiques, Sonia était parti dans une universtité à l'étranger, Rémi et Paul poursuivaient quand à eux des études dans le marketing.

Ils avaient tous promis de continuer à se voir. Parce que ce n'était pas la distance qui allait effacer presque dix ans d'amitié.

Le châtain remonta son sac à dos d'un coup d'épaule.

La saison venait juste de commencer. Et mener de front l'entrainement et les études, même aménagées, n'allait pas être chose aisée. Il s'assit au fond de la salle et écouta d'une oreille distraite le maître de conférence leur parler du programme.

« On ne s'aime jamais comme dans les histoires, tout nus et pour toujours. S'aimer, c'est lutter constamment contre des milliers de forces cachées qui viennent de vous ou du monde. » avait écrit Jean Anouilh.

Mais il était prêt. Il avait confiance.

La rentrée avait un goût sucrée... avec lui.

FIN