Titre : Les Reines du Soir

Auteur : Cerbère

Disclaimer : Les personnages sont entièrement à moi mais la situation ne m'appartient qu'à moitié. En outre, je dédie cette histoire à Nina et aux autres.

À Nina, Namour, Capucine, Fafa, Rémi et Tony qui ont su être les femmes de la soirée, fièrement perchés sur leurs talons aiguilles, ouverts à tous vents dans leurs décolletés plongeants.


Les Reines du Soir


Arthur regarda nerveusement autour de lui. Que faisait-il là ? Pourquoi avait-il accepté ? Pour l'argent, c'était sûr, mais il n'était pas certain que l'emploi proposé au Calamity conviendrait à son éthique. Il regarda son verre d'un œil soucieux. Un verre « offert par la maison » avait dit le barman, lorsqu'il avait demandé à voir Lilou. Et Lilou qui n'arrivait pas. Après quelques minutes, pendant lesquelles il décida de repousser son coca, et contempla une fois de plus son Pass' pour l'entrée du Club Privé, une jeune femme entra dans la pièce. Elle était grande, avec de longues jambes fines, accentuées par ses talons aiguilles d'au moins quinze centimètres. Elle portait une fine robe blanche à bretelles, avec des fleurs d'hibiscus rouge imprimées dessus. Ses cheveux bruns, au-dessus de ses épaules, étaient détachés et se mouvaient au rythme de ses pas. Elle s'installa sans préambule à la table d'Arthur et soupira.

« Bon, je me présente : Lilou. Je me charge du recrutement et je ne veux pas me prendre la tête. J'ai eu deux jeunes juste avant toi et sache que si tu n'es pas plus emballé que ça, je ne serais pas fâchée de ne pas perdre mon temps à t'expliquer le fonctionnement du Calamity ».

« À vrai dire » Commença timidement l'étudiant « C'est un... Ami » Hésita-t-il « Qui m'a fait part de l'offre. Il ne m'a pas dit de quoi il s'agissait, mais il a dit que c'était bien payé et les horaires peu contraignants pour un étudiant ».

« Donc ta motivation, c'est le bon salaire, c'est ça ? ».

Le ton était mordant. Arthur ne savait pas quoi répondre. Bien sûr que le salaire jouait. Et il devait avouer qu'il n'avait rien trouvé, pas même un travail au noir depuis le début du mois. On était tout de même le 29 octobre.

« Tu es prêt à tout ? » Demanda-t-elle, coupant net ses pensées, fixant un groupe d'hommes d'affaires qui lui sourirent.

Arthur la fixa puis se leva, attrapant son sac.

« Excusez-moi de vous avoir fait perdre votre temps. J'ai du me tromper d'endroit ».

Lilou le regarda partir sans rien dire. Elle attrapa le verre et le but d'une traite, regardant le jeune homme fermer la porte du Calamity derrière lui. Enfin, elle se leva et alla rejoindre deux habitués du bar.

OoO

Arthur s'installa à sa place habituelle dans l'amphithéâtre, jetant un regard noir à son camarade de cours qui fronça le nez et lui sourit avant de s'avancer vers lui.

« T'as fais sensas' hier » Rigola Valère.

« Je me passerai de ton ironie, merci ».

« Je suis sérieux. Lilou veut te revoir. Elle dit que t'as du potentiel, si tu mets du tiens... Elle t'attend ce soir à 21 heures. Je te conseille d'y aller... La nuit du 31, y'a moyen de faire de gros pourboires ».

« Attends » Le coupa Arthur « D'un, nous n'avons pas la même conception de la vie. Je suis prêt à pas mal de choses pour avoir un taf qui paye bien, quitte à me ridiculiser... Mais ce qu'ELLE me propose est totalement hors de question, de deux, comment est-ce qu'elle savait que c'était toi qui m'envoyais ? ».

« De la même façon qu'elle savait qui tu étais en te voyant et crois-moi, tu as du mal comprendre ce qu'elle te proposait ».

OoO

Le Calamity était bondé, pourtant Arthur trouva sans problème Lilou qui était seule, assise à une table, devant un verre. Il s'installa en face d'elle, sans prendre le temps de demander si la place lui était réservée. Il ne savait pas pourquoi, mais il était sûr que Lilou en savait plus sur lui qu'elle ne le devrait. Peut-être que Valère y était pour quelque chose.

« Contente de te revoir, Arthur... Tu es prêt à prendre l'uniforme ? ».

Arthur la fixa sans rien répondre. Il remercia le barman qui venait de déposer un verre devant lui et attendit que la jeune femme parle.

« Bon, je vais être brève ! Ici, tu marches comme on te le dit. Les pourboires qui te sont adressés vont dans ta poche, ton contrat sera signé le premier novembre si tu décides de rester avec nous. Et si jamais tu es pris à fricoter avec un client dans le bar, tu es viré sur le champ. Sans rémunérations. Clair ? ».

« Assez, oui... ».

« Bon, suis-moi, on va voir ce qu'il y a de bien pour toi, dans ma garde robe ».

« Dans votre... ? ».

« Petit un, c'est TU, petit deux, Valère ne t'as pas demandé si tu aimais te déguiser ? ».

« … Non ».

« Mais il m'a dit que tu n'avais pas peur de te ridiculiser ».

« Les nouvelles vont vite... Vous. Tu attends quoi de moi ? ».

« Un service irréprochable auprès des clients, un sourire et de l'amabilité. Ce soir et demain, tu prends mes affaires, mais à partir de novembre, si tu restes, ce seront tes vêtements... Et ne t'inquiètes pas, tu y prendras vite goût... Il faut juste te trouver un nom... T'as une idée ? Un beau prénom féminin ».

Arthur haussa les épaules. Pourquoi n'avait-il pas vu le coup venir ? Ce soir, il se laisserait guider mais à partir de demain, il réfléchirait sérieusement au travail qu'on lui proposait.

« Tout le monde sait que les serveurs sont des travestis ? ».

« Tous ?! Mais nous ne sommes pas TOUS travestis. Tu t'en rendras compte à force de nous connaître même si d'avance tu peux voir que Jonas a une barbe trop visible pour s'amuser à faire la fille, et Justine à trop de poitrine pour se faire passer pour un homme. Pour ma part, je suis trop bien sur mes talons pour vouloir en descendre et faire l'homme. Et pour la suite, il reste Bébé, Jordan et Jules, qui sont des étudiants comme toi... ».

Lilou le fit passer par une entrée cachée derrière un rideau et lui ouvrit la porte d'une loge. Un grand nombre d'ensembles étaient balancés à droite et à gauche dans la pièce, laissant croire à un cambriolage. Elle le poussa vers un siège et ouvrit un placard sur sa gauche.

« Bon, je vais être claire. Je peux m'occuper du maquillage pendant une semaine, mais pas plus. Après, tu apprendras à te démerder... Enfile ça ».

Elle lui jeta une perruque rousse, cheveux longs, nattés. Arthur hésita puis l'enfila. Lilou secoua la tête et la récupéra pour lui en balancer une blonde. Elle la retira tout de suite en pestant, lui donnant finalement une chevelure courte, brune aux reflets bleutés.

« À croire que cette année, il n'y aura que des brunes au Calamity ».

« Pourquoi le Calamity d'ailleurs ? ».

« Calamity Jane... C'était une travestie. Elle se faisait passer pour un homme. Le boss a voulu faire l'inverse. Va savoir pourquoi, ça plait aux gens de ne pas savoir avec qui ils discutent, voire draguent... Enfin, ce n'est pas mon problème, essaye ça ».

Tout en parlant, elle avait fouillée dans son placard pour trouver des vêtements.

« Alors, je suis désolée de t'apprendre ça, mais... Faudra que tu t'épiles... Ou te rase, c'est pas mon problème. Toujours est-il que le pantalon, c'est exceptionnel... Ici, c'est robe ou jupe pour les filles. Le pantalon est égal à démission ».

« Pourquoi je ne peux pas rester en mec ? Je travaille tout aussi bien ».

« Il y a quelque chose que j'ai remarqué au moment même où je t'ai vu assis hier. Tu es mieux gaulé qu'une gonzesse. T'as des jambes fines, superbes, faites pour être sur des talons. T'as une taille 38 à tout casser, ce qui est ma garde robe, une chance pour toi et pour finir, tu as les traits fins... C'est parfait. Maintenant, tu es libre de partir si cela ne te plaît pas ».

« Le ridicule ne tue pas » Soupira Arthur en se coiffant de la perruque.

« Mais il y contribue... Néanmoins Hily... Tu vas t'activer. Je te laisse une paire d'escarpin. C'est les plus petits que j'ai, faudra faire avec. Et aussi, un débardeur et un cache cœur. Tu rembourres comme tu veux, mais je veux une poitrine et une belle ».

Lilou quitta la pièce, laissant Arthur seul avec ses réflexions et quelques vêtements. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour quelques euros par mois. Lorsqu'il fut prêt, il se regarda dans la glace, plaquée contre la porte. Ça ne lui allait pas si mal. Il sortit de la loge et s'apprêta à entrer dans la salle lorsque Lilou lui arracha à moitié le bras pour le ramener dans la pièce et le fit s'asseoir dans le fauteuil.

« Où tu crois aller comme ça ? ».

« Bah, travailler ».

« Pas tout nu ! ».

Arthur n'eût pas le temps de répondre qu'il la vit s'emparer d'un coffre miniature qu'elle posa près d'elle. Lilou en sortit divers instrument, lui demanda de lui faire confiance et de fermer les yeux, ce qu'il fit sans broncher. Nul doute que le Calamity était bondé et qu'elle ne voulait pas s'éterniser.

« C'est bon ».

Après ce qu'il eût cru une éternité, Arthur ouvrit les yeux pour réaliser que seulement une demi-heure avait passé.

« Ça ira pour ce soir, mais demain, je te veux ici à 19 heures tapantes ».

Elle quitta la loge, le laissant seul une fois de plus. Il prit le temps de se lever, ayant peur de se fouler la cheville avec les talons aiguilles. Il se regarda de près dans le miroir et y vit le travail de Lilou. Elle avait complètement dissimulé ses sourcils derrière une grande couche de fond de teint et dessiné un sourcil fin au-dessus. Les yeux étaient largement cerclés de vert feuilles, faisant ressortir la couleur de ses iris. Un peu de fond de teint pour dissimuler les poils de sa barbe naissante et du rouge à lèvre bordeaux. Il se serait croisé dans la rue qu'il ne se serait pas reconnu.

OoO

« Un truc de fou ce club. Tu grilles trop que Bébé est gay. Justine a un petit côté macho, et Jordan et Jules sont de belles filles mais... Je pense que ça se voit aussi que ce sont des mecs, puis bien sûr Jonas, tu ne te poses même pas la question ! ».

« Ah ? » Demanda Valère « Et Lilou ? ».

« Lilou ? Ça, c'est une vraie gonzesse. Elle est belle comme tout en plus. Puis elle aime ça, se balader en talon aiguilles. Moi, j'en pouvais plus. En plus que, comme c'était ma première fois, j'avais le droit à tous les petits clins d'œil aguicheurs, quelques mains aux fesses et surtout... Du Hily partout. Lilou m'a appelé Hily et je ne réponds plus que par ça, maintenant ».

Valère hocha la tête et regarda son professeur débiter son cours d'une voix monocorde qui n'exprimait que de l'ennui. Ils n'avaient rien suivi depuis le début de l'heure.

« Ce soir, pour l'exposé, chez toi ou chez moi ? » Demanda alors Arthur.

« Chez toi, si ça te dérange pas. Y'a du monde qui squatte chez moi, c'est la zone... Mais, tu bosses pas ce soir ? ».

« Si, si ! Mais pas avant 21 heures. Faudrait aussi que j'aille faire les boutiques, mais tu me vois aller chercher des mini jupes avec ma tête ? ».

« Tu devrais demander à Lilou de t'aider. Elle s'en ferait un plaisir. Une grande fan de shopping et elle a du goût. J'y vais toujours avec elle ».

Arthur regarda la tenue vestimentaire de Valère et rigola.

« Ça ira, merci ».

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« Trois-cent-cinquante euros ? C'est une blague ? ».

« Non, mais ils vont avec ça ! » Lilou fit glisser une feuille sur la table, juste à côté du chèque qu'Arthur venait de reposer « CDI. Tu t'engages à faire trois soirées par semaine ici, voire une de plus en grosse période, soit, deux à trois fois par trimestre. Tu es libre de choisir tes jours, du moment que tu travailles un jeudi, vendredi ou samedi. Tu auras un plafond minimum, au cas où des soirées ne rapporteraient pas. Dans le cas contraire, tu touches dix pour cent des recettes, et crois moi ce n'est pas rien et pas non plus difficile de te faire augmenter selon comment tu seras apprécié. Les pourboires te reviennent directement, tu n'as de compte à rendre à personne en ce qui les concerne. Pour démissionner, un préavis de deux semaines suffit, sans excuses. Tu es libre ».

« Et les trois-cent-cinquante euros ? ».

« Tu vas pas taper dans ma garde robe tous les soirs ! Ça, c'est ce que le patron t'offre pour que tu sois élégante en permanence. Tu reçois cette somme une fois par semestre. Si certains vêtements ne te vont plus où ne te plaisent plus, y'a une friperie au coin de la rue qui te les rachètera à bon prix... ».

« C'est trop honnête pour être vrai ».

« Bien » Lilou posa son index sur le contrat et commença à le ramener vers elle.

« Nan, mais oh ! Trop honnête pour être vrai, mais je ne suis pas assez fou pour laisser passez ça ».

« Bonne déduction, Hily » Sourit Lilou, alors qu'il signait le contrat « Maintenant, tu files dans la loge, tu enfile un jean, un tee-shirt, une perruche et des talons, tu te maquilles rapidos et on va faire les boutiques ».

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« Tu vois, maintenant, je ne prie que pour une chose, qu'aucun membre de ma famille ne vienne à l'improviste chez moi. Il y a des chaussures à talons qui traînent, des décolletés, des jupes et je t'en passe... De quoi j'aurais l'air ? ».

« D'un grand garçon qui à une copine ou qui gagne ses sous comme il peut ».

« Ben je me demande ce qu'ils feraient après ça : soit ils me déshéritent, soit ils recommencent à me filer de l'argent de poche ».

« Je pencherais pour le deuxième. C'est ce que mes parents ont fait pour moi ».

« Tu veux dire... ? T'as taffé au Calamity ? ».

« Trois mois, il y a cinq ans, en sortant du lycée, pour me payer mes vacances ».

« Alors là, j'ai du mal à y croire. En mec ou en travlo ? ».

« En mec ! Pour qui tu me prends ?! ».

« Donc finalement, tu n'as plus besoin de travailler, tes parents te filent des tunes ».

« Non, seulement pour les vacances ».

« Et le reste de l'année, tu fais comment ? ».

« C'est Lilou qui m'entretiens ».

Arthur regarda Valère, cherchant à discerner le début d'un sourire, tout en étant convaincu qu'il disait la vérité. Il secoua la tête et reprit son travail. Valère se leva quelques minutes après et alla prendre deux cafés au distributeur. Il appréciait le mercredi après-midi où la cafétéria de la BU était vide.

« Tu passes jamais au Calamity ? ».

« Nan. C'est l'univers de Lilou et je ne veux pas m'y imposer ».

« Ça lui ferait plaisir pourtant ».

« Qu'est-ce que tu en sais ? ».

« Elle me l'a dit » Mentit Arthur. Lui, il aurait apprécié voir son camarade de classe là-bas.

Valère haussa les épaules et reprit son travail. Une heure plus tard, il ferma ses classeurs et regarda son partenaire de cours :

« Je dois y aller. J'ai une course à faire. Et puis toi, tu vas être en retard, si tu te dépêches pas ».

« Ça va, j'ai du temps ».

« T'es nul en maquillage, tu mets trois plombes ! ».

« Eh ! Comment tu sais ça ? » Puis il réalisa l'absurdité de sa question.

Valère et Lilou semblaient être fourrés ensemble plus que possible. Arthur passait la moitié de son temps à la fac, l'autre au Calamity. De ce fait, il était toujours avec Lilou ou avec Valère, et si ces deux-là se voyaient entre temps, c'était quand lui-même dormait. Ils étaient des oiseaux de nuit, mais Arthur savait qu'il y avait autre chose. Il y avait quelque chose qui le dérangeait chez Lilou, mais il n'arrivait pas encore à trouver quoi. Il ne pouvait pas en parler avec Valère, étant donné qu'il était trop proche d'elle. Il soupira, rangea ses affaires et rentra chez lui pour se préparer. Enfiler la tenue ne lui prenait pas beaucoup de temps. C'était l'entretien qui l'emmerdait le plus. Épiler les jambes, surtout. Pour le moment, il pouvait encore porter un pantalon pour le sport, mais bientôt, ce ne serait plus possible, et il n'imaginait pas le regard des autres. Il n'aimait pas être qualifié de différent. Cela lui avait collé à la peau dans ses anciennes écoles et cela ne lui avait jamais plu. Il se savait différent, en bien des points. Rien que le fait de s'habiller en fille et qua ça lui plaise, il devait l'admettre. Non, bien sûr, il n'avait jamais désiré devenir un travesti, mais il aimait assez l'idée d'avoir une double personnalité et une vie que beaucoup ne connaissaient pas. À part Valère et Lilou. Mais il commençait à avoir la main et son maquillage lui prenait de moins en moins de temps. Il fut donc, ce jour-là, prêt avec une demi-heure d'avance.

OoO

Arthur retira ses chaussures à talons avec un soupir de satisfaction. Il apprécia de marcher quelques secondes sur le lino froid de la loge. Il retira sa perruque et se regarda dans la glace. Il avait du mal à se reconnaître, mais il aimait bien cette autre facette de lui-même. Jonas l'interrompit dans ses pensées.

« Eh, belle brune, tu viens boire un verre avec nous ? ».

Arthur se tâta. Demain, il n'avait pas cours, ses partiels n'étaient pas avant un bon mois et demi et il devait avouer que sa dernière sortie remontait à assez longtemps. Il attrapa sa perruque, la reposa sur sa tête et enfila ses chaussures pour emboîter le pas de Jonas.

C'était la première fois qu'Arthur sortait en ville en tant que Hily. D'habitude, Hily ne faisait que traverser la cité pour se rendre de son appartement au Calamity et rien de plus. Ce soir, elle s'installa à la terrasse d'un bar en compagnie de trois travestis – Bébé, Jordan et Jules – ainsi que Jonas, Lilou et Justine. Lilou ne but qu'un verre avant de se lever, embrasser tout le monde et quitter le groupe pour rentrer se coucher. Arthur la suivit du regard, l'imaginant déjà prendre le chemin de l'appartement de Valère.

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Arthur se réveilla tôt et désorienté. Sa vessie le tiraillait. Il regarda le plafond un court instant et se redressa. Il détestait ne pas dormir chez lui. En face du lit, il pouvait voir une porte coulissante donnant sur la salle de bain. Il se leva, jeta un œil à la fenêtre et, constatant que les volets étaient en tuiles, ne se donna pas la peine d'enfiler son caleçon. De toute façon, il ne savait même pas où il était. Il trouva l'objet de sa quête, les toilettes, à côté de la douche et se soulagea. Puis il fit couler l'eau du lavabo le plus doucement possible pour ne pas réveiller le ronfleur. Il se nettoya le visage et constata que la veille, trop bourré et trop fixé sur autre chose, il n'avait pas pris le temps de se démaquiller. Ce qu'il fit tout de suite. Après quelques minutes, il revint vers le lit et se recoucha. Après tout, il n'était que 10 heures et on était dimanche. Son vis à vis ouvrit un œil endormi et le regarda quelques secondes avant de marmonner :

« Hily, si tu veux que ça marche entre nous, faudra que t'apprennes à faire la grasse mat' ».

Ce à quoi, Arthur, amusé, répondit :

« Jonas, si tu veux que ça dure, mets-toi bien dans le crâne que je m'appelle Arthur ! ».

Jonas se contenta de lever un pouce et se rendormit. Arthur, à côté de lui, fixa le plafond. Il n'arrivait pas à se rendormir. Irrité, il se redressa sans bruit, fouilla dans les poches de Jonas pour en extirper un paquet de cigarette. Il regarda, amusé, les deux dernières. Il prit celle qui était à l'endroit, laissant à Jonas le plaisir de fumer la dernière et de voir son vœu [1] se réaliser, s'il y croyait. Il s'appuya à la fenêtre et regarda dehors. Un gars appuyé contre un mur semblait attendre. Sa petite amie ? Celle-ci arriva quelques minutes après, en courant, s'excusant de son retard. Et ça fit tilt. Arthur étouffa un juron, enfila ses vêtements à la va vite, gribouilla son numéro de téléphone avec un mot d'excuse et quitta l'appartement sans un regard en arrière. Il arriva avec quarante-cinq minutes de retard à son rendez-vous avec Valère. Ce dernier ne semblait pas très content.

« Alors, Hily ! On fait la grass' mat ? » Argua-t-il mécontent.

Arthur s'excusa platement, expliquant brièvement la situation, omettant de dire qu'il avait passé la nuit chez Jonas, même s'il se doutait que Valère le savait ou ne tarderait pas à l'apprendre d'une façon ou d'une autre. Ce dernier se contenta d'hocher la tête, et Arthur était convaincu qu'il n'avait pas entendu un mot de ce qu'il avait dit. Il lui tendit une feuille, résumant les grands traits du chapitre qu'il avait travaillé.

« Val', ça va ? » Demanda Arthur en prenant le papier.

Son vis à vis hocha de nouveau la tête. Arthur soupira et sortit ses affaires pour travailler. Une chance qu'il les ait toujours sur lui. Jonas habitait à l'opposé de chez lui. Cela lui aurait pris un temps fou pour faire un crochet là-bas. Et ça fit tilt pour la seconde fois ! Il se regarda et réalisa qu'il avait du remettre les affaires de la veille, soit, celles de Hily.

« Val'... Est ce qu'on pourrait aller travailler chez moi ? J'aimerai prendre une douche et me changer ».

« Hum hum » Acquiesça encore son ami.

Arthur soupira bruyamment, se leva et claqua le plat de ses mains sur la table. Valère daigna enfin lever les yeux, un soupçon de surprise dans son regard.

« Valère ! J'ai moins dormi que toi, mais je suis beaucoup plus sociable. Alors tu vas me faire le plaisir de lever ton cul et de me suivre et surtout d'ouvrir tes oreilles et d'écouter ce que je te dis ! Merci ! ».

Énervé, il attrapa son sac et quitta le bar avec précipitation. Il s'arrêta deux rues plus loin pour acheter un paquet de cigarettes qu'il ouvrit à peine dehors. Il reprit sa marche plus calmement, ne se souciant guère de savoir si Valère le suivait ou pas. Il retira ses talons juste avant de monter les deux étages et était torse nu au moment d'ouvrir sa porte. Il ferma la porte derrière lui, ne la laissant pas claquer, au cas où Valère viendrait. Il se glissa sous la douche et soupira longuement.

Il avait toujours eu du caractère. Il n'aimait pas que les gens à qui il faisait face se permettent de faire la gueule sans dire pourquoi. Il aimait les situations claires. Et s'il fallait gueuler pour y arriver, il le faisait sans sourciller. Peu importe où il était et avec qui. Cela lui avait valu quelques mises à pied au lycée d'ailleurs.

Lorsqu'il sortit de la douche, il constata que Valère était assit à la table de la cuisine et travaillait sur un chapitre d'histoire. Arthur ne dit rien et lança la machine à café. Il en avait bien besoin. Valère semblait exceptionnellement de mauvaise humeur et sa courte nuit n'allait pas aider Arthur à être compréhensif. Il resta face à sa cafetière pendant le temps qu'elle chauffait, ne sachant pas quoi dire à son camarade de fac.

Valère fit un effort surhumain pour lever les yeux de son cours et prendre la tasse de café que lui tendait Arthur, après quoi, il replongea dans son cours. Irrité, Arthur tira le tas de feuilles vers lui et attendit qu'il lève de nouveau les yeux. Ce qu'il fit avec agacement au bout de quelques secondes :

« Quoi ? ».

« Quoi quoi ? Tu t'es vu ? Quand je te parle tu ne m'écoutes pas, tu tires une gueule de trois mètres de long ! Comment on est sensé travailler dans ses conditions, hein ? Tu peux me le dire ? ».

« Je peux te laisser seul, si tu veux » Rétorqua sèchement Valère.

« Nan, Val', je ne veux pas que tu te barres, je veux que tu m'expliques ! Oui, je suis arrivé avec quarante-cinq minutes de bourre et je m'en suis excusé. Maintenant, si tu dois m'en vouloir toute la journée, autant lâcher l'affaire ! ».

Valère se redressa, remballa ses affaires et quitta la pièce sans un mot. Arthur le regarda partir sans pouvoir dire quoique ce soit. Il était surpris. Ce n'était pas dans ses habitudes d'être rancunier ou énervé pour un retard, il était lui-même, peu souvent à l'heure. Soupirant une dernière fois, il attrapa son portable pour appeler un ami et sortir. Le ciel s'était dégagé de ses épais nuages gorgés d'eau et il aurait été dommage de rester cloîtré dans son appartement par un si beau temps. Et il n'avait pas envie de réviser.

Il évita le numéro de Lilou. Valère étant de mauvaise humeur, il allait sûrement passer sa mauvaise journée avec elle. Et puis, il ne voulait rien avoir à faire avec les gens du Calamity, ce qui incluait donc aussi Jonas. Résigné, il appela sa sœur, qui accepta de le rejoindre chez lui une heure plus tard. Il prit donc le temps de se faire un petit déjeuner acceptable et regarda ses cours sans grandes convictions. L'attitude de Valère lui revenait en tête. Il envoya ses cours balader et attendit sa sœur, devant la télé. Celle-ci arriva avec une demi-heure de retard, le faisant sourire. C'est de famille.

Sa sœur, Valentine, l'embrassa généreusement et s'enquit tout de suite de sa vie, loin de la maison. Il lui raconta la fac, le Calamity et Jonas, bien que ce soit tout nouveau. Sa sœur l'écouta sans rien dire avant de lui raconter un bout de sa vie. Ils se disaient tout. Sur sept enfants, ils étaient les plus proches, bien que 6 années les séparent.

« Mais tu me dis pas tout, là ».

Arthur hocha la tête et la regarda dans les yeux. Puis il parla de Valère et Lilou. Il parla de sa relation avec eux, du comportement de Valère le matin et de son impression de bizarrerie. Avec lui, Valentine avança quelques théories. Elles s'approchaient toutes plus ou moins de ce à quoi Arthur avait déjà pensé. Elle le quitta en début de soirée, lorsque Jonas l'invita à manger une pizza. Il resta en lui-même et le rejoignit en ville. Il réalisa avec soulagement que cela ne dérangeait absolument pas Jonas d'être vu en compagnie d'un autre garçon. Après avoir avalé leur repas, ils avancèrent vers le centre ville pour boire un verre.

« Écoute Arthur, il y a un sujet délicat dont je dois parler avec toi... ».

Arthur leva les yeux. Il y avait son prénom et le mot « délicat » dans la même phrase. Ça ne sentait pas bon. Néanmoins, il hocha la tête.

« Tu travailles demain ? » Il nia de la tête « Mardi ? » Il acquiesça « Je m'entends pas super des masses avec Lilou, comme tu as déjà du t'en rendre compte par le passé... ».

« Ah ? » Non, il n'avait pas remarqué. Il était clair que Lilou avait un statut de plus qu'eux tous, mais il ne l'avait pas trouvé distante ou autre avec Jonas.

« Si on pouvait éviter d'afficher qu'on est ensemble au Calamity. Parce que Lilou elle a pas mal moyen de m'emmerder et... ».

« Et pourquoi elle le ferait ? ».

« Je t'ai dis, on s'entend pas des masses ».

« C'est pas une raison ».

Jonas voulu dire quelque chose mais se retint, il sourit stupidement, embrassa Arthur en plein milieu de la rue et s'excusa.

« Désolé... Je n'ai pas à te demander de tenir tes distances... ».

« Attends, y'a un truc que je ne sais pas ? Me dis pas que t'es déjà en couple avec Lilou ?! ».

« En couple avec Lilou ? Ca, c'est la meilleure ! ».

Arthur se renfrogna. Il ne voyait pas ce qu'il y avait de si marrant là-dedans. Il n'avait jamais vu d'animosité entre Lilou et Jonas et ne voyaient – de toutes façons - aucun lien entre leur relation à eux, et la sienne à lui. Il haussa les épaules et s'installa à une table en terrasse.

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Hily n'était au Calamity que depuis quelques secondes, mais elle sentait déjà que l'ambiance était à l'orage. Il n'était pas venu depuis une semaine, pris par les révisions et le travail supplémentaire que lui imposaient l'éloignement de Valère, qui l'avait évité et même ignoré. L'ambiance du Calamity était lourde alors que les serveurs s'adonnaient au nettoyage de la salle, à un quart d'heure de l'ouverture de la soirée spéciale. Arthur fit la bise à Justine, Jordan et Bébé, embrassa furtivement Jonas avant de se prendre un vent par Lilou. Il se tourna vers ses collègues, qui secouèrent la tête en signe d'impuissance. Il avança vers la loge, attrapa la paire de chaussures compensées qu'il avait laissé là et qui serait de rigueur ce soir. La nuit s'annonçait longue, autant par le programme que par l'humeur du chef. Hily croisa Lilou dans le couloir et manqua de la heurter. Pris d'une impulsion soudaine, il la tira sans ménagement vers la loge qu'il verrouilla derrière eux et la poussa vers le petit sofa sur lequel elle perdit l'équilibre.

« Ça va pas, non ? » Demanda Lilou irritée en se massant le bras.

« Moi super, et toi ? ».

« Jusqu'à ce que tu me bousille le bras, ça allait ! Qu'est-ce qui te prends ? ».

« C'est quoi cette ambiance de merde dans la boîte ? ».

« J'en sais rien, je ne suis pas au courant de tout ! ».

« Lilou, j'ai beau être le plus jeune ici, je sais que quand tout le monde se tient à l'écart de toi, ce n'est pas parce que EUX sont de mauvaise humeur. T'as tes règles ou quoi ?! ».

« Écoute, si t'as un problème, va te faire soigner, mais tu ne me parles pas comme ça. Je t'ai fais rentrer ici, je t'en fais sortir comme je veux. Ne crois pas que tu peux me parler sur ce ton ! ».

« J'en conclu que t'as un problème avec moi alors. Maintenant, t'as le choix ! Tu te calmes tout de suite et tu fais un effort ou je me barre fissa et t'aura des emmerdes pour la soirée. Ne me fais pas croire que je ne suis pas indispensable, je sais très bien que ce soir, t'as besoin de toute le monde ! Tu as dix secondes pour te décider ! ».

Comme Lilou semblait le défier du regard, il n'attendit pas pour se tourner sur ses talons, attraper son sac, le remplir de ses affaires et quitter la loge sans un regard pour Lilou. Il revint sur ses pas et la regarda.

« T'es comme Valère ! Tu ne sais pas extérioriser tes problèmes envers ceux qui les créent ! Ça te jouera des tours ! ».

Hily sorti du couloir, s'excusa rapidement auprès de ses désormais anciens collègues et quitta le Calamity sans un regard en arrière, malgré Justine et Bébé qui lui coururent après pour le faire changer d'avis. À peine arrivé chez lui, il quitta ses vêtements, se démaquilla avec rage et se laissa tomber sur son clic clac, pestant tout haut. Il venait de quitter un super boulot qui lui plaisait à cause d'une collègue de mauvais poil. Son caractère lui jouait des tours. Il eu une autre pensée pour ses collègues qui allaient galérer ce soir, alors que le Calamity fêtaient ses dix ans et que des grands patrons de boîtes étaient invités. Il se remaquilla avec soin, prenant son temps. De toute façon, il n'était plus attendu. Il changea de vêtement pour avoir une tenue plus proche de celle de Justine et Bébé et pris le temps d'écrire une lettre de démission adressé au patron, dans laquelle il s'excusait platement de sa décision et des conséquences qui en découleraient.

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La soirée se passa plus que bien. Jonas, Justine et Bébé furent reconnaissant à Arthur d'être revenu, mais ne comprirent pas son obstination à vouloir démissionner. Cela n'empêcha pas Hily de frapper à la porte du patron le lendemain. Celui-ci fut surpris et tenta de le faire changer d'avis : il avait autant de succès que Lilou. Il ne réussit pas à le retenir mais obtint de lui qu'il fasse quelques heures par semaines, lors des grosses soirées, quand Lilou serait en congé. Il ne l'avait pas croisé et cela lui allait très bien, il était encore fortement agacé par son comportement, similaire à celui de Valère. Ce fut en sortant du Calamity qu'il réalisa pour la première fois ce qui le dérangeait tant chez Lilou, et à la fois chez Valère : ils n'étaient pas capable d'assumer leur personnalité. Et il n'avait pas l'intention de s'en mêler.

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Arthur termina son année scolaire en évitant autant qu'il le pouvait Valère, ce dernier faisant de même. Aucun des deux n'était décidé à faire le premier pas et Arthur ne savait toujours pas ce qui avait déclenché cette situation. Un mois après sa démission, il s'était installé chez Jonas. Il ne croyait pas que c'était sérieux, mais il ne supportait plus son appartement et avait préféré le rendre et vivre avec son copain jusqu'à ce qu'il en trouve un autre. Hily prenait une valise à elle toute seule dans l'appartement de Jonas. Arthur n'avait eu l'occasion de se travestir que deux fois au cours des trois mois. Par la suite, Jordan lui avait appris que Lilou assurait tous les soirs sans exceptions, se permettant d'arriver deux heures plus tard parfois, ou de quitter le travail en avance.

Arthur avait des remords pour Lilou. Il n'aurait pas du s'énerver sur elle, même si elle était responsable de son propre comportement. Il lui devait beaucoup et cela n'aurait pas du se terminer de cette façon. Toujours fut-il que les derniers mois scolaire se passèrent sans Valère, sans Lilou, sans Calamity et bien sûr, sans Hily.

Lorsque les résultats tombèrent, Arthur réalisa qu'il avait plus que réussi son année et était libre de partir chercher un travail. Le problème était de savoir quoi. Il avait fais les études d'Histoire que son père voulait, mais s'il était bon dans la matière, il n'avait aucune envie d'y faire carrière. Lorsqu'à la fin de l'été, il rompit avec Jonas, il quitta la ville pour s'installer à cinquante kilomètres de là et se fit embaucher en tant que serveur dans un petit restaurant, le temps de trouver ce qui lui plairait vraiment. Et Hily lui manquait plus que tout. Il avait, peu de temps avant de déménager, entendu la chanson de Superbus pour la première fois : Little Hily.

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« Bonjour monsieur Drangé. La carte ? » Demanda Arthur alors que le client s'installait.

« La carte » Confirma-t-il « Et, l'énigme du jour, s'il vous plait ».

Arthur hocha la tête et donna au client plus que connu ici ce qu'il demandait. Le patron de Badaboum avait instauré l'énigme du jour à son arrivée, il y avait un peu plus de quatre ans maintenant. Tout le monde avait le droit de donner sa réponse. Le premier à la trouver gagnait le menu du jour. Monsieur Drangé, un vieux professeur à la retraite gagné quatre à cinq fois par semaine. Parfois il soumettait une énigme au patron. Aujourd'hui, il se contenta de lire l'énigme, de réfléchir quelques minutes en regardant le plafond et finalement, comme Arthur s'y attendait, il referma la carte et attendit qu'il arrive. Ce qu'il fit tout de suite.

« Je crois que je suis parti pour un menu du jour » Plaisanta le vieil homme « Votre énigme, il ne s'agirait pas de Chateaubriand ? ».

« Le menu du jour se compose d'une demi-douzaine d'huîtres, fraîches, bien sûr, risotto et côtelettes d'agneaux. Baba au rhum en dessert ».

« Parfait, je prendrais un demi avec ceci. Merci ».

Arthur se détourna, souriant. Combien de fois avait-il dit à son patron que le vieux professeur était incollable en littérature ? Il demande un menu du jour aux cuisines et prépara le demi, qu'il apporta, le sourire aux lèvres. Son client revenait des toilettes, s'attardant au grand tableau de liège, sur lequel étaient affichés les énigmes que les clients posaient et qui n'avaient pas encore étaient résolu par le personnel. Arthur n'y était pas allé depuis le début de la journée et avait était absent tout le week-end.

« Dites-moi mon petit Arthur » L'arrêta le professer.

Arthur sourit de plus belle. Il avait une tête de plus que son client, et bien deux lorsqu'il était en Hily. Ce qui n'avait jamais été le cas, bien sûr, puisque Hily n'existait plus. Sortant de ses pensées, il écouta la question du professeur qui le laissa perplexe.

« L'énigme du jour étant résolu, je peux vous demander : avez-vous trouvé la réponse à cette énigme bizarre qui est là depuis vendredi ? ».

« Énigme bizarre ? » Demanda Arthur « Non, je n'ai pas encore eu le temps d'aller voir ».

« Et bien allez-y. Elle laisse vos collègues perplexe et moi aussi, je dois bien vous l'avouer ».

Arthur hocha la tête et s'avança vers le tableau. Il décrocha d'office une question sur l'histoire médiévale dont il avait la réponse sitôt après l'avoir lu et une autre sur une constellation. Un de ses collègues le rejoignit alors qu'il lisait l'énigme dont parlait le professeur.

« C'est une fille qui l'a déposé, vendredi soir. On l'a tous lu, et on ne trouve pas » Expliqua Nicolas.

« Vous trouvez pas parce que c'est pas une énigme ».

« Ah ? ».

« La fille en question, elle était très grande avec un grand décolleté, de grands talons et une mini jupe ? Brune aux cheveux longs ou aux carrés et très maquillée, non ? ».

« T'étais là ? ».

« Nan, mais je ne vois qu'elle pour faire ça ».

Il arracha la troisième énigme et la relut :

Je sais bien que tu ris, ma little Hily, Même si c'est pas joli, on est toujours demi. Je sais bien que tu pleures, ma toute petite sœur, Je sais t'en as pas l'air, mais t'en as rien à faire. Quinze ans, samedi, 19 heures.

« Faut que je demande mon week-end ».

« Encore ? » Râla Nicolas « Arthur, tu ne peux pas, on a besoin de toi le week-end. Y'a que toi qui sais gérer le samedi soir ».

« Je sais. Je suis désolé, mais tu vois, ça » Il montra le papier « C'est un premier pas que je ne peux pas louper, et ils ont besoin de moi aussi ».

« Explique-moi. C'est quoi le rapport avec Hily ? Puis elle veut rien dire cette énigme ».

« Nico, c'est pas une énigme. Les deux premières phrases ce sont les paroles de la chanson Little Hily, de Superbus, pour attirer mon attention, je ne peux pas te dire pourquoi, tu ne me croirais pas et le reste, c'est un rendez-vous. Un bar où j'ai travaillé fête ses quinze ans et je dois y être ! ».

Nicolas ne répondit pas et Arthur frappa à la porte du bureau de son patron. Celui-ci le fit entrer, l'écouta cinq minutes puis lui donna son week-end avec un sourire. Arthur avait de l'avenir ici, il le savait, mais il savait aussi que malheureusement, il ne le garderait pas éternellement. Il lui manquait quelque chose, ici, dans ce petit restaurant, qu'il ne saurait trouver que dans les bars du soir.

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Arthur avait une boule dans le ventre en composant le numéro de Jonas. Il avait peur. Il ne savait pas s'il arriverait à se remettre dans la peau de Hily. Même pour un soir. Pour le moment, il avait besoin de trouver un endroit où dormir et où il pourrait se pomponner. À sa grande surprise, ce fut Bébé qui répondit. Il aurait reconnu sa voix entre mille. Il avait un timbre particulier qui faisait qu'on ne l'oubliait pas. Même au téléphone, même après presque cinq ans.

« Allôho ? » Persista la voix.

« Bébé ? » Demanda-t-il au cas où.

« Moi-même et c'est ? ».

« Devine ».

« Je suis nulle aux devinette ».

« Je sais. Disons que j'ai travaillé au Calamity et que j'avais un petit succès ».

« Hily ! » S'écria alors Bébé au téléphone « Bah merde alors, moi qui pensais ne jamais te revoir. T'es dans le coin ? ».

« Nan, pas encore. D'ici une heure ou deux, peut être. Je voulais demander à Jonas de m'héberger. Je ne voyais pas à qui d'autre demander » Il s'arrêta et réfléchit. Si Bébé répondait au téléphone de Jonas, cela voulait sûrement dire que... « Écoute, je suis désolé. Euh... On peut se retrouver en ville d'ici deux heures ? Le temps que je me trouve un hôtel et ».

Le rire de Bébé l'arrêta dans sa tirade.

« Mais y'a pas de soucis. Tu viens en train ou en voiture ? Jonas a déménagé. On vit en collocation pas très loin du centre ville, au dessus d'un bar le Leviathan. Tu connais ? ».

« Euh, oui... Je peux te rejoindre là ? ».

« Ouais. Dans combien de temps ? ».

« Le temps que je prenne mes affaires et que je passes chez ma sœur lui déposer des papiers. Deux petites heures. Ça te va ? ».

« Très bien. Je t'attendrais au Leviat'. Prends ton temps ».

« Ok et... ».

« Si je pouvais éviter de dire que tu as appelé et que tu viens, ce serait sympa de ma part, c'est ça ? ».

« Oui ».

« Motus et bouche cousu. À tout à l'heure. J'attends ça avec impatience ».

Arthur raccrocha avec une boule en moins. Bébé était toujours là. Jonas aussi. Il ne serait pas perdu. Il rassembla ses affaires, appela sa sœur pour lui dire qu'il allait passer et après un quart d'heure, réussit à prendre sa voiture et partir.

Comme il s'y était attendu, sa sœur l'accapara. Il la quitta après une demi-heure, roulant tranquillement puisque sa sœur lui avait pris moins de temps qu'il ne l'avait prévu. Il se trouva rapidement une place et tira sa valise derrière lui jusqu'au petit bar. Bébé, serveuse dans ce bar, l'embrassa tout de suite, débitant à toute allure « bienvenue », « je suis contente que tu sois revenu », « tu va voir ce que ça va faire comme surprise », « je suis heureuse » et elle termina par un « Jonas est sous la douche » avant de lui ouvrir la porte de la cage d'escalier.

« Tout en haut de l'escalier. Numéro quatre, tu ne peux pas te tromper ».

Arthur hocha la tête et monta. La porte était ouverte. Il laissa sa valise dans l'entrée et observa l'appartement qui prenait tout l'étage. Ils devaient être bien ici, dans une rue piétonne. Seul l'été devait être difficile lorsqu'ils laissaient les fenêtres ouvertes et que les gens consommaient au bar. La décoration laissait voir que Jonas était là, de par ses tableaux. La présence de Bébé était confirmée par deux paires de talons aiguilles qui traînaient dans l'entrée et aussi par la propreté de l'appartement. Jonas n'était pas un grand fan du ménage, ne le faisant que lorsque c'était vraiment nécessaire. La porte de ce qui devait être la salle de bain s'ouvrit et Jonas apparu en serviette de bain. Il s'arrêta net, le regarda quelques secondes puis l'embrassa.

« Ben merde alors ».

« Eh ben non, c'est bien moi ».

« Tu viens pour les quinze ans du Calamity ? ».

« Et quoi d'autres ? ».

« Ben merde alors ».

« Tu l'as déjà dit ».

« C'est que je suis super content de te revoir ! Ça fais un bail quand même ».

Après une longue accolade, Jonas s'habilla, laissant la porte de sa chambre ouverte. Tout en enfilant ses vêtements, il discuta avec Arthur qui s'était installé sur le canapé. Une fois prêt, ils descendirent boire un café à la terrasse du bar en attendant 17 heures. Lorsque ce fut l'heure ils allèrent se préparer. Arthur utilisa le salon pendant que les deux autres étaient dans leurs chambres respectives, puis il investi la salle de bain, en même temps que Bébé pour le maquillage. Il n'avait pas perdu la main. Cela le rassurait. Il enfila ses talons et se sentit près à partir. Il n'avait plus besoin de perruque. Au cours des quatre dernières années, il avait laissé pousser ses cheveux et les avaient teinté en bleu électrique. Peut être une façon à lui de se dire que Hily était toujours là, quelque part. Aujourd'hui, il savait que ça n'avait pas été inconscient. Au fond de lui, il avait toujours espéré revenir au Calamity.

Il n'avait plus la boule dans l'estomac. S'il était toujours inquiet par sa future rencontre avec Lilou, l'appréhension de la soirée, elle, s'était minimisée avec l'après-midi en compagnie de ses deux anciens collègues. Justine passa frapper à la porte et sauta au cou de Hily, trop heureuse de la revoir.

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Lilou était assise au bar, discutant avec Jules, derrière, faisant un cocktail qu'il lui tendit. Elle l'attrapa d'une main distraite en se retournant pour voir les arrivants. Hily pu voir son geste s'interrompre et senti son regard lui peser. Puis elle s'avança et la serra contre elle. Hily attacha ses bras à son cou, soulagé. Lilou lui avait manqué. Peut être même plus que tous les autres réunis. C'était à Lilou qu'il devait cette vie. À Lilou et Valère. Mais ça n'avait plus d'importance de savoir à qui il devait plus, puisqu'ils étaient tous les deux dans ses bras.

« Ce que tu as pu me manquer » Murmura Lilou à son oreille.

« Si t'avais pas été aussi con ! » Répondit simplement Hily.

Lilou se dégagea et la regarda, un œil froncé. Puis elle l'attrapa par la main et l'entraîna vers un coin plus reculé du bar pour discuter pendant que tous les autres partaient à leurs tâches. Lilou garda le silence et Hily le rompit.

« Quand même, t'imagines que je me suis barré parce que tu as déconné ? ».

« Moi ? ».

« Fais pas l'innocent ! T'as mal joué ton coup. Si t'avais été moins con tu m'aurais dragué en temps que Lilou, je t'aurais dis que j'étais gay, et alors, tu aurais pu venir en tant que Valère. Mais non, tu t'es entêté, t'as attendu je ne sais quoi et t'as piqué une crise quand je suis parti avec Jonas... Je crois que c'est là, que j'ai commencé à réaliser que Valère et toi, vous ne faisiez qu'un. Comme Hily et moi ».

Lilou hocha la tête, se sentant bête. C'est vrai qu'elle n'avait pas assurée. Elle avait eu Arthur sous la main près de dix-huit heures par jour. Pourquoi avait-elle attendu que Jonas lui face du rentre dedans pour réagir ? Elle ne savait pas. Et comme elle ne savait pas quoi dire, elle se contenta de s'approcher et d'embrasser Hily, qui ne fut pas surpris et qui répondit. Lui aussi avait un peu espéré avant de sortir avec Jonas. Il avait longtemps cru que Lilou était une vraie fille, mais cela ne l'avait jamais empêché de baver sur Valère.

Lorsque le monde commença à arriver, Hily reprit rapidement ses repaires. Elle salua son ancien patron qui lui offrit un verre. Ce soir, ils n'étaient pas là pour servir la clientèle, mais pour profiter de la soirée, comme tout le monde. Des intérimaires avaient été embauchés pour le service. Il invita ses employés à monter sur la petite estrade du Calamity et annonça fièrement que cette soirée était aussi bien pour ses clients que pour ses employés qui contribuaient au bon fonctionnement et au plaisir de ses clients depuis de nombreuses années.

Les employés se tenaient les uns les autres par la taille. Dans son dos, Hily pouvait sentir d'un côté la main rassurante de Jonas et de l'autre la main possessive de Lilou. S'ils avaient pu savoir... S'ils avaient pu savoir que le plus heureux de tous, ce soir, ce n'était pas les clients, ce n'était pas James, le patron, et ce n'était pas les employés, mais c'était Arthur. Il venait de retrouver quelque chose qu'il aimait vraiment. Une place où il se sentait lui-même. Et aux côtés de Lilou, Bébé, Justine, Jordan, Jonas et Jules, il était l'une des Reines du Soir qui lui avait vraiment manqué. Il était aussi un employé du Calamity, comme s'il n'était jamais parti. Il reprenait le dessus sur cinq ans de sa vie. Bien sûr, il ne pourrait pas se travestir toute sa vie, mais il ne comptait pas passer une journée de plus en laissant Hily au placard comme il l'avait fais ses cinq dernières années. Elle lui avait trop manqué pour ça. Il allait devoir s'arranger avec le patron de Badaboum. Demain était un autre jour.


Little Hily

Je sais bien que tu ris, ma little Hily,

Même si c'est pas joli, on est toujours demi.

Je sais bien que tu pleures, ma toute petite sœur,

Je sais t'en as pas l'air, mais t'en as rien à faire.

Tu te caches et tu dors, tu veux rêver encore,

Tu te caches et tu dors, tu n'aimes pas le bruit du décor.

Laisse faire les grands, laisse faire le temps.

Je sais bien que tu ris, ma little Hily,

Même si c'est pas joli, on est toujours demi.

Je sais bien que tu pleures, ma toute petite sœur,

Je sais t'en as pas l'air, mais t'en as rien à faire.

Tu te parles et tu penses à toute cette belle ambiance,

Je te parle et je pense qu'il y a une ressemblance.

Laisse faire les grands, laisse faire le temps.

Je sais bien que tu ris, ma little Hily,

Même si c'est pas joli, on est toujours demi.

Je sais bien que tu pleures, ma toute petite sœur,

Je sais t'en as pas l'air, mais t'en as rien à faire.


Fin


[1] N'étant pas fumeuse, je n'ai appris que tard cette habitude de fumeur. Pour ceux qui ne connaisse pas : Lorsque l'on ouvre son paquet de cigarette, lorsqu'on prend la première cigarette, on l'a replace à l'envers dans le paquet en faisant un vœu. Ce sera la dernière cigarette à rester dans le paquet. Et normalement, le vœu se réalise. Au moins, autant que pour les conneries de ce genre.


Note : Et voilà, enfin, j'ai réussi à la terminer après plus de deux mois à écrire une ligne de temps à autres. Elle aurait dû être parmi les Aléas mais je ne savais pas quel quo mettre en titre et j'avais peur de vendre la mèche. D'autres part, le chapitre a pris plus de pages que prévu, donc je le mets en indépendant. J'espère qu'il vous aura plu.

Merci à Sahad pour l'illustration, correction, lecture et impressions. Je te nem !

À bientôt j'espère.

Cerb