TURNING POINT

.

Le point de non-retour

.

Disclaimer :

Personnages réels mais histoire inventée de toute pièce (enfin presque, il y a quand même quelques détails réels)

.

Détail important :

Homophobes s'abstenir (sauf ceux que ça peut faire changer d'avis ).

.

Résumé :

Les ragots sur Mathieu disparaissent peu à peu grâce à Laurie, qui répand partout la rumeur de leurs ébats dans le parc. Clemente refait surface et dit à Samy qu'il regrette amèrement pour la vidéo. Samy l'envoie bouler, mais Clemente ne perd pas espoir. Ensuite, Samy et Mathieu se retrouvent à l'infirmerie pour des raisons différentes, et Mathieu essaie de faire craquer Samy, de le faire parler. Mais Samy ne réagit pas et l'ignore toujours royalement. Enfin Mathieu le mord violemment à la lèvre et Samy gémit, la morsure prend des allures de baiser, mais l'infirmière arrive et les interrompt... Peu après, Mathieu panique et décide quitter l'internat et le lycée pour de bon, il est terrorisé de ce qui est arrivé entre Samy et lui plus tôt dans l'infirmerie. Cependant, Samy arrive juste lorsqu'il met les voiles et l'empêche de partir. Contre sa volonté, il finit par lui faire une fellation qui se solde par la fuite de Mathieu. Thomas, dont le passé a été un peu approfondi, trouve celui-ci désorienté et rongé par la honte sur le mur de pierre. Il finit par lui faire avouer la raison de sa tête d'enterrement, et lui raconte dans la foulée le lien glauque qui les unit Samy et lui. Quelques jour après, Mathieu retourne à l'internat pour parler à Samy et lui conseiller d'accepter d'aider Thomas, mais celui-ci vit très mal le fait que Mathieu soit au courant et le met purement et simplement à la porte. Le chapitre se termine sur un des cauchemars de Samy ou l'intégralité de l'anecdote de l'été 97 est révélée : Thomas est lui ont été violés dans un camping où ils passaient leurs vacances.

(Miss SM, trouve un seul « mot qui n'existe pas » dans ce résumé, et je jure sur la tête de Louis XVI que c'est pas un menu Best Of que j't'envoie par air mail, c'est une couronne et le sceptre assorti. ^^)

.

Bijour les gens !! Tout d'abord, désolée pour le retard, encore une fois. Ensuite, petite explication : moi (Nienna), reprends la fic en solo à partir de maintenant... Ainsi donc l'histoire du duo Niessa se soldera par un divorce. Mais un divorce à l'amiable =D

Pour faire court - car je crois que les coulisses de la fic vous laissent indifférents - on s'est rendues compte qu'écrire ensemble devenait vraiment trop compliqué, et que traverser la moitié de Toulouse pour se voir et passer quatre heures sur un seul paragraphe perdait son charme avec le temps... ^^

Nessa m'a aimablement donné l'autorisation de continuer à écrire la fic toute seule, voici donc le premier chapitre entièrement de ma plume. J'espère ne pas vous décevoir, et si c'est le cas, les conseils seront bienvenus ! Bon, je tiens à remercier tous les revieweurs anonymes qui ne laissent pas d'adresses, et tout spécialement Julien, qui a laissé un mot qui m'a fait chaud au cœur alors que je désespérais un peu de me retrouver toute seule sur ce projet... BIG UPPPPPP !!! okay j'arrête. ^^ Place au chapitre, désolée pour les blablatages, on se refait pô !! XD

.

Scène 11: Long Ride Home

oOoOoOoOoOo

How hard would it have been to say some kinder words instead
I wonder as I stare up at the sky turning red...

I've had some time to think about you

Watching the sun sink like a stone,

I've I had some time to think about you

On the long ride home.

Patty Griffin, "Long Ride Home"

oOoOoOoOoOo

La nuit était presque complètement tombée. Une partie du ciel était d'un gris morne, zébré de jaune sale lorsque les derniers rayons du soleil daignaient percer l'épaisse couche de nuages, et plus on tendait le regard vers l'est plus il s'assombrissait, devenant bleu nuit puis noir.

Il n'y avait pas d'étoiles.

Mathieu frissonnait depuis une demi-heure, assis sur le bitume. À son grand désespoir, il avait été obligé de rentrer chez lui la nuit dernière, après que Samy l'ai mis dehors. Sa crise n'avait pas été très violente, mais elle avait duré longtemps, et Mathieu en était sorti épuisé. Il avait su qu'il ne pourrait pas passer une nuit de plus sur les bancs du parc. Alors il avait pris le train sans payer, et était rentré chez lui comme si de rien n'était, espérant de tout son cœur ne pas avoir à rester longtemps. Il était revenu à pied depuis la gare, et sa mère lui avait ouvert la porte et l'avait regardé de pied en cap, ses yeux ternes s'illuminant légèrement.

- J'irai plus au lycée, avait-il dit simplement.

- Oui, avait-elle répondu, de sa voix lointaine et atone.

Il l'avait détaillée avec plus d'attention. Elle devait être dans un bon jour, car elle souriait légèrement, il avait pu le voir aux coins de sa bouche qui semblaient se plisser sensiblement. Puis elle avait posé un doigt sur sa joue blême, comme pour rappeler à un petit enfant qu'il a le devoir de faire un baiser à sa mère. Il avait docilement obtempéré.

Seigneur. Il détestait revenir là. Il avait toujours vécu à l'internat, même lorsqu'il était au collège, et du plus loin qu'il se rappelait, rentrer chez lui avait toujours été un moment de profonde détresse. À quatorze ans, le médecin du collège lui avait même prescrit des antidépresseurs pour l'aider à appréhender les weekends en famille, mais Mathieu n'était jamais passé les prendre à la pharmacie. Sa mère en avait pris pendant des dizaines d'années, et il ne tenait pas à finir comme elle, merci.

- Papa est là ?

C'était l'anxieuse question qu'il lui posait invariablement lorsqu'elle lui ouvrait la porte. Si elle répondait "oui", le weekend serait un vrai cauchemar. Si elle répondait "non", il fallait tout de même vérifier, car elle oubliait parfois qui était là et qui ne l'était pas. Et si véritablement, son père n'était pas là, Mathieu se laisser tomber sur une chaise, le regard dans le vide. Les weekends, dans ces cas-là, étaient juste incroyablement longs.

- Maman. Tu écoutes ? Papa est là ou non ?

Même si elle n'avait pas son pareil pour lui faire perdre sa patience, qu'il mourrait d'envie de la secouer et de lui hurler dessus comme son père faisait, jamais il ne se laissait aller, car contrairement à lui il avait compris depuis longtemps qu'être agressif n'arrangeait pas les choses, bien au contraire.

- Non, avait-elle dit après une hésitation.

Et effectivement, après une discrète inspection de la maison, Mathieu avait conclu qu'il n'était pas là. Il s'était demandé une seconde où il était, mais en vérité il s'en fichait. Il pouvait bien avoir une autre femme et des enfants ailleurs, Mathieu ne voulait pas le savoir.

Il avait observé sa mère mettre le couvert avec sa méticulosité angoissante. Il connaissait le rituel par cœur : elle disposait l'assiette doucement, prenant garde à ne pas heurter la table trop fort. Surtout, éviter le bruit. Puis elle repartait chercher un verre, le posait devant l'assiette, à un centimètre environ. Elle regardait le résultat, et invariablement, elle finissait par rapprocher le verre de l'assiette, jusqu'à les coller.

Qu'est-ce qu'il y a dans ta tête, maman ? Pourquoi tu fais ça, chaque jour, à chaque repas ?

Ça faisait bien longtemps qu'il avait abandonné l'idée de la comprendre un jour, mais des fois, il ne pouvait s'empêcher de se poser la question. Sa mère était ensuite repartie chercher la fourchette et le couteau, puis la serviette, et l'eau. En tout, cela prenait une vingtaine de minutes, et enfin elle était satisfaite de son grotesque assemblage. Mais il fallait prendre garde de surtout ne rien bouger en s'essayant, sinon elle devait tout recommencer et son angoisse atteignait des sommets.

Tout à coup, Mathieu avait réalisé que sa mère avait installé la vaisselle hors de prix qu'elle remisait d'habitude tout en haut du vaisselier, soigneusement enveloppée dans du papier à bulles.

- Maman. C'est le service anglais que ta sœur t'a offert au mariage, je vais pas manger là-dedans...

Il avait fait le geste de reprendre l'assiette, mais elle lui avait donné une petite tape sur la main.

- Non !

Il avait donc mangé un hamburger au pain rassi réchauffé au microondes dans une assiette en faïence d'une valeur de cent cinquante euros.

Elle n'avait pas prononcé un mot. Le lendemain, il avait pris tout l'argent que contenait le vase de chine bleu qui trônait sur la plus haute étagère de la chambre à coucher de ses parents, et avait embrassé sa mère sur la joue.

- Je m'en vais.

- Oui.

- Je sais pas quand est-ce que je reviendrai. Le weekend prochain sûrement. J'ai pris les sous dans le vase.

Son air absent s'était mâtiné de perplexité.

- Si Papa trouve le vase vide, dis-lui que c'est moi. Tu comprends ? Maman ! Dis-lui que Mathieu a pris l'argent. Pas toi, moi. D'accord ?

Elle n'avait pas répondu, ses yeux s'affolant légèrement dans leurs orbites. Elle avait peur. Son esprit cherchait une issue de secours.

- Je rembourserai tout, l'avait-il rassurée. Ne t'inquiètes pas.

- Oui, hein, oui.

Il n'en avait ni l'intention ni les moyens, mais de toute manière, elle ne s'en souviendrait bientôt plus, ou alors le souvenir se transformerait en quelque chose de flou et d'opaque qu'elle confondrait sûrement avec un rêve, et qui finirait invariablement par se fondre dans la masse d'images sans queue ni tête qui constituait sa mémoire. Il avait juste espéré que son père ne s'énerverait pas contre elle.

Elle n'avait pas toujours était comme ça. Toutefois, Mathieu ne l'avait jamais connue autrement qu'avec cet air absent et ses troubles obsessionnels. Il avait essayé de se renseigner, dans son adolescence, pour mettre un nom sur sa maladie. Il avait surtout essayé de se convaincre lui-même qu'elle était normale au sein des anormaux, que d'autres gens souffraient communément de la même maladie qu'elle et que c'était guérissable.

Il n'avait pas trouvé, du moins pas vraiment. Rien qui ne cadrait précisément avec les symptômes que présentait sa mère.

Il avait fini par se résigner, peu importait le nom de la maladie en fin de compte, il fallait juste savoir l'appréhender. Après tout, comme disait la chanson "Maman est folle et on y peut rien, mais ce qui nous console c'est qu'elle nous aime bien." Et sa mère aimait bien Mathieu, à sa manière. Et celui-ci – bien qu'il ne soit pas franchement fou d'elle – l'aimait aussi assez pour lui rendre son affection comme il le pouvait.

Il s'était soudain senti horriblement coupable, en regardant dans ses yeux bleus-verts complètement abrutis. Oui, il l'aimait bien.

- Même s'ils me renvoient, je vais trouver un travail, et un appartement. Tu me rendras visite, d'accord ? Ça serait bien, ça, non ?

Elle avait souri. Mathieu n'en était toujours pas revenu.

- Mon fils, avait-elle dit, et elle l'avait serré dans ses bras.

- Oui, avait-il répondu, ne sachant pas quoi dire devant une telle démonstration d'affection.

Puis, gêné, il avait déguerpi sans se retourner et était reparti à la gare pour atterrir ici, sans surprise, devant le mur de pierre. La transition était si facile. Trop facile, à vrai dire. De chez lui à ailleurs, de chez lui à n'importe où, la transition était d'une facilité déconcertante. Dès qu'il quittait sa maison et ceux qu'elle contenait, ceux-ci rejoignaient dans sa tête les choses dont Mathieu avait honte et ne parlait jamais, et il les oubliait. Ou faisait semblant.

Il était assis en tailleur au pied du mur, ses jambes à moitié pleines de crampes . Ce n'était pas qu'il aimait ce mur - même s'il l'avait bien sûr adoré auparavant, quand Samy et lui y grimpaient tout le temps – mais il n'avait pas d'autre endroit où aller, et il ne voulait aller nulle part ailleurs. Et puis d'ici, il pouvait voir la fenêtre de la chambre de Samy. Enfin, leur chambre.

Techniquement, il n'était pas encore exclu du lycée, il aurait donc pu rentrer librement à l'internat, mais il ne voulait pas. Plutôt crever de froid dehors que de se pointer dans la chambre de Samy en disant "Hey, je sais que tu veux pas voir ma gueule et tout, mais devine quoi ? Je suis pas encore viré alors cette chambre est toujours autant à toi qu'à moi pour le moment.". Il irait trouver un hôtel pas cher, plus tard dans la soirée. Et puis demain, il irait chercher un job, peut-être à McDonalds. Peut-être comme vendeur dans un magasin de fringues, ou autre chose, n'importe quoi.

Il soupira.

C'est ça, rêve. Tu as à peine de quoi te payer un hôtel miteux pendant une semaine. Tu ne tiendra jamais plus longtemps, même si tu trouves un super job, ce qui est complètement improbable. Il te faudra rentrer chez toi bientôt.

Il fut parcouru d'un énième frisson, et jeta pour la énième fois un coup d'œil à la fenêtre de la chambre de Samy.

Les lumières étaient éteintes.

Bordel. Il fallait qu'il l'ait dans la peau pour rester assis par terre, congelé, à lever le nez vers sa fenêtre toutes les vingt secondes comme ce crétin de Roméo devant ce foutu balcon...

Sa honte le réchauffa légèrement, mais elle n'était plus aussi virulente qu'elle l'avait été auparavant, lorsqu'il se serait tué plutôt que d'être homo, et ses frissons revinrent aussitôt.

Par association d'idées, ses pensées dérivèrent avec amertume vers cette caresse qui lui avait coûté tant d'efforts et pour laquelle Samy l'avait flanqué dehors, mais une voix le sortit de sa funeste rêverie.

- Eh bien eh bien, tu te résignes à te mettre à la hauteur du commun des mortels, on dirait !

La silhouette de Thomas se détachait de l'ombre immense de la cathédrale.

- Tant mieux. Monter sur ce putain de mur, ça va une fois, pas deux.

Mathieu sourit.

- C'est une question d'entraînement, répondit-il.

- Peu importe, je tiens pas à crever la gueule en vrac sur le goudron...

- Mouais. C'est sûr que crever avec tout un tas de drogues pas chères dans le sang, c'est plus classe. Plus Kurt Cobain.

Thomas eut le bon goût de rire.

- Je t'emmerde.

- Je me doute.

Il dirigea son regard là où celui de Mathieu était fixé lorsqu'il était arrivé.

- Oh non, me dis pas que tu restes là comme un con à attendre d'apercevoir Samy par sa fenêtre ?

- Je t'emmerde.

Le blond s'assit près de lui, dos au mur.

- Je me doute.

Il souffla, énervé, cachant ses mains gelées dans ses manches.

- Putain, tu le vis ? On est en mai, merde, pas en décembre ! Lille, c'est Tahiti, en comparaison ! Je sais pas comment t'as fait pour dormir dehors, sérieux.

- Je me suis fait peur la dernière nuit que j'ai passé sur les bancs du parc. J'ai cru que mes orteils allaient me quitter.

Thomas rit, puis le silence retomba. Mathieu sentit qu'il prenait son courage à deux mains. Au bout d'une minute, il se racla la gorge.

- J'espérais que tu serais ici, à vrai dire. Fallait que je te parle.

Mathieu le regarda. Ses yeux étaient baissés et fixaient le sol. Il comprit qu'encore une fois, il n'était pas vraiment venu pour prendre de ses nouvelles.

- Tu veux savoir si j'ai parlé à Samy ?

Le blond parut soudain très anxieux.

- Alors... tu l'as fait ?

- Oui.

Thomas ne répondit pas. Il avait l'air de celui qui vient d'abattre ses dernières cartes et qui attend de voir si le jeu tourne enfin en sa faveur.

- J'arrive toujours pas à croire que c'est vrai. Ça me rend malade rien que d'y penser.

- Et... Tu lui as parlé du type ? De ce que j'ai trouvé sur lui ? Il t'a dit s'il acceptait de porter plainte ?

Mathieu se tourna pour regarder Thomas droit dans les yeux. Mieux valait tout déballer, arrondir les angles n'arrangerait pas les choses.

- Il veut pas. Il dit qu'il veut juste être tranquille, et que tu peux faire ce que tu veux dans ton coin du moment qu'il n'est pas impliqué.

L'air transi d'impatience de Thomas se décomposa et laissa place à un masque impassible, distant. Son regard se voila et Mathieu retrouva le garçon aux yeux ternes et sans expression qui était arrivé au début du trimestre. Sa main rougie par le vent vint triturer nerveusement le col trop fin de son pull, et il eut l'affreuse impression de voir un pendu essayer lamentablement de desserrer sa corde.

- C'est fini, quoi, chuchota le garçon.

- Comment ça ?

Le blond haussa les épaules.

- Tout. C'est fini.

- Je suis désolé, dit sincèrement Mathieu. Je voulais autant que toi qu'il accepte. Mais il s'est créé un espèce de cocon, une armure en carton pâte... Il ne veut pas s'avouer que ça ne suffit plus. Peut-être qu'il lui faudra beaucoup de temps. Je sais de quoi je parle, ajouta-t-il à voix basse.

- Mais moi, je peux plus attendre.

Mathieu ne sut pas quoi répondre, il ne sut même pas ce que Thomas avait voulu dire. Les minutes passèrent, des bourrasques de vent froid se succédèrent, venant leur glacer les os.

- Merci, finit par dire Mathieu. De m'en avoir parlé, je veux dire.

Mais Thomas n'écoutait pas ce qu'il disait. Il semblait très loin, le regard dans le vague.

- J'y ai vraiment cru, à un moment, fit-il. Je me suis dit que tu étais ma dernière chance, et qu'il t'aimait tellement que tu réussirais forcément à le convaincre...

Le cœur de Mathieu se mit à battre ridiculement vite.

- Hein ? Non. Il me déteste. Désolé, mais ton calcul était à chier. Je suis la dernière personne sur terre qu'il a envie d'écouter en ce moment.

Thomas se remit debout, avec une lenteur de vieillard ankylosé. Mathieu ne sut pas si il avait écouté ce qu'il venait de dire.

- Merci d'avoir essayé, lui dit-il. Je vais rentrer à ma chambre, maintenant.

Mathieu le regarda partir lentement vers l'internat, balloté par les rafales. Le pendu se balançait au bout de sa corde... Mathieu frissonna. Puis son regard revint immanquablement fixer la fenêtre.

Si tu pouvais te dépêcher de réaliser que tu fais une connerie, Samy...

Soudain, la fenêtre s'éclaira, et une jolie tête rasée se découpa dans la lumière.

Mathieu bondit instantanément sur ses pieds et se fondit dans l'ombre de la cathédrale, rasant le mur. Il resta un moment comme ça, le cœur battant, espérant ne pas avoir été repéré. Depuis sa cachette précaire, il observa Samy à son insu pendant quelques minutes.

Puis il se mit à sourire bêtement, oubliant Thomas, le froid et les briques râpeuses du mur de la cathédrale dans son dos. Il oublia même que Samy l'avait repoussé méchamment la dernière (et la première) fois qu'il avait voulu avoir un geste attentionné et réconfortant envers lui. Parce que Samy, malgré ses airs de macho offensé, regardait par sa fenêtre en direction du mur de pierre, l'air aussi nostalgique que cette mijaurée de Juliette.

oOoOoOoOoOo

"Il s'appelle Xavier Bartolomeo."

Au début, Samy avait revu le visage de l'homme aux moments de la journée où il s'y attendait le moins. Comme si pendant toutes ces années, son esprit n'avait voulu qu'une chose : une identité, un nom à calquer sur ce visage.

"Xavier Bartolomeo."

Il secouait la tête, l'image disparaissait. Il reprenait sa discussion avec Keira, ou replongeait dans sa lecture, ou même dans son sommeil. Mais bientôt d'autres images suivaient.

"Il est conseiller fiscal."

Il revoyait les mains de l'homme. Des mains propres, blanches, d'une douceur fourbe. Des mains qui ne touchaient que de la paperasse. Les informations s'accouplaient aux images, donnaient du sens à ses souvenirs.

Peu à peu, le portrait s'étoffait.

Il savait très bien quel avait été le raisonnement de Thomas, pourquoi celui-ci avait décidé de tout dire à Mathieu plutôt que de prévenir l'infirmière psychologue, ou même ses parents. Il le haïssait d'avoir vu si juste, et il se haïssait encore plus pour être si prévisible.

Thomas avait mieux compris que lui-même que Mathieu était le centre de son monde, que tout gravitait autour de lui. Que les mots qui sortiraient de sa bouche prendraient des dimensions insensées aux oreilles de Samy et qu'ils creuseraient leur chemin vers son cœur à la dynamite, à cause de leur sens bien sûr, mais surtout parce que ce serait Mathieu qui les dirait.

"Xavier Bartolomeo, conseiller fiscal, Marseille."

Samy avait été complètement anéanti.

Il avait essayé de continuer à confiner ses souvenirs dans un coin reculé de sa mémoire mais les mots de Mathieu en avaient pulvérisé les limites, et les images tournaient dans sa tête comme un carrousel funèbre. Et plus ses souvenirs revenaient le hanter, plus sa volonté faiblissait. À quoi bon prétendre que rien ne s'était passé, maintenant que Mathieu était au courant ? Il aurait beau enterrer l'été 97 sous des tonnes de sourires et de bonne humeur, un seul regard de Mathieu lui rappellerait toujours que c'était chose vaine... Parce que si lui savait, le monde entier pouvait bien savoir. Samy s'en foutait.

Au bout de deux jours il était lentement sorti de cet état larvesque dans lequel l'avaient plongé les révélations de Mathieu. Ce ne fut d'abord qu'une minuscule étincelle dans sa poitrine. Puis une sorte de pression lancinante, comme si tout son être se révélait trop étroit pour accueillir un sentiment d'une telle puissance. Sa résignation avait muté en quelque chose de beaucoup plus fort, qui fouettait son sang, faisait battre son cœur, désengourdissait ses membres. Un mélange abrasif de soif de revanche, d'envie bestiale de faire mal et de haine pure.

C'était enivrant, libérateur.

"Il a deux enfants. Deux petits garçons."

Chaque fois qu'il se répétait les mots de Mathieu, chaque fois qu'il les associait aux fugaces images de l'été 97, la boule de rage à l'intérieur de sa poitrine s'en nourrissait avidement et enflait, le gorgeant d'une énergie furieuse.

Enfin, il allait mieux. Car il avait réalisé une chose : c'était un homme qui lui avait fait ça. Pas un souvenir, pas un cauchemar, pas quelque chose d'intangible et d'impalpable, pas quelque chose de démoniaque ni de terrifiant.

Juste un homme. Un petit bourge au salaire replet qui s'appelait Xavier Bartolomeo, un conseiller fiscal et qui avait deux garçons. Les détails que Mathieu lui avait fourni lui permettaient de rationaliser, de replacer le monstre de son souvenir dans un contexte précis. Le grand méchant loup devenait alors un simple être humain pathétique et pervers, et la haine de Samy se teintait d'une pitié cruelle.

Quatre jours après seulement, les images ne s'imposaient plus dans ses rêves ou lorsqu'il relâchait son attention. C'était lui qui faisait appel à elles. Il les analysait sous toutes les coutures, autopsiait le cadavre de ses cauchemars pour comprendre de quoi sa peur était faite.

Au soir du quatrième jour, enfin, il entra dans sa douche et cessa de penser pendant quinze minutes. Lorsqu'il en ressortit, il effaça la buée qui recouvrait la glace , plongea son regard dans celui du reflet et formula une phrase qui clôtura symboliquement onze années d'angoisse, de honte et de tabous.

Quand j'avais sept ans, je me suis fait violer par un pédophile.

Les mots rougeoyèrent devant ses yeux quelques instants, incandescents et corrosifs. Mais il ne quitta pas son reflet du regard.

Il n'avait plus peur. Ni de ce qui lui était arrivé, ni des mots pour le dire.

- Y a quelqu'un ?

Samy vit les yeux de son reflet s'agrandir, et pria de toutes ses forces :

Mathieu. Mathieu. Mathieu. Mathieu...

Il se sécha en vitesse, laissa tomber sa serviette sur le sol, enfila un jogging et sortit de la salle de bain comme un ouragan.

- Wow ! Heu... Salut...

- Oh. Salut.

Samy essaya de ne pas trop laisser transparaitre sa déception en se retrouvant face à Clemente, qui semblait agréablement surpris de le voir torse nu. Il attrapa le premier tee shirt à sa portée et l'enfila, gêné.

Clemente arqua un sourcil moqueur et pointa son index vers le torse de Samy.

- C'est pas que je sois spécialisé dans la garde robe à Mathieu, mais je crois que ce tee shirt est à lui.

Il baissa les yeux et constata, honteux, que Clemente avait raison. Il ne fit pas mine de l'enlever pour autant.

- Tu le fous dehors et tu lui piques ses fringues ? Sympa, dis-moi !

Clemente rit de toutes ses dents, mais Samy eut beaucoup de mal à sourire.

- Désolé, dit le mexicain en secouant la tête. Désolé, je sais que c'est pas très délicat, mais personne ne sais comment mentionner Mathieu sans te faire frémir, de toute manière...

Samy pensa rétorquer, mais le fait était que Clemente avait raison. Il se contenta donc de le fixer et lui demanda :

- Et sinon, tu es entré dans ma chambre pour... ?

Clemente parut perdu un instant.

- Oh, pour... tu sais. Juste te voir un peu, quoi.

La main chaude de Clemente effleura le bras de Samy, lentement, sur toute sa longueur, et la glace fut habilement rompue.

Juste me voir un peu...

Samy oublia l'allusion à Mathieu et sourit intérieurement. Clemente était vraiment mignon, avec son espèce de regard mi-gêné mi-séducteur, ses faux airs confus et ses gestes aguicheurs... Enfin, mignon. Beau, quoi. Pas beau comme Mathieu, mais beau quand même. Une beauté souple, arrondie, aux traits doux et exotiques. Des lèvres brunes et pulpeuses, un teint foncé sans trop l'être, des sourcils en demi-cercle qui venaient agrandir des yeux noirs et profonds...

Et ce dont il se souvenait concernant le reste de son anatomie n'était pas en reste, bien au contraire.

Samy ne put empêcher une bouffée d'orgueil.

Ce mec est à tomber, et il me veut dans son pieu.

Mais Mathieu, même absent, vint s'interposer entre les deux jeunes hommes. Samy revit son visage dur et froid, ses pommettes saillantes, son nez fin et droit, ses cheveux de jais et sa peau laiteuse, ses lèvres fines et aristocratiques. Il revit surtout ses yeux. Bleus ou verts, ça dépendait du temps, de la lumière, de celui qui les regardait. Glaciaux, brillants, qui vous passaient au rayon X et vous laissaient complètement vidé. Nom de Dieu, il lui manquait... Par réflexe, il se tourna vers la fenêtre de sa chambre, là où il se plantait désormais toutes les trois minutes en espérant voir Mathieu sur le mur.

- Oh ! T'as affiché mon dessin, fit Clemente, toujours souriant, mais de moins en moins innocemment.

Le bouquet d'orties et la rose éclairaient un peu le mur blanc au dessus de son bureau. Il avait pensé les mettre là où pas si longtemps auparavant s'étaient trouvées les fameuses photos qui attendaient maintenant des jours meilleurs sous son lit, mais il n'en avait pas eu le cran. Peut-être qu'un jour, ces photos remonteraient sur le mur. Mais il avait tenu à l'afficher quand même, et plus il le regardait, plus il adorait ce dessin. D'une part parce qu'il était vraiment beau, d'autre part parce qu'il lui rappelait qu'un garçon s'intéressait à lui, même si ce n'était pas Mathieu. Et ça lui faisait beaucoup de bien.

- Ouais, je l'ai affiché... Il est cool, ce dessin.

- Tu rougis, Samy.

- Vanne.

- J'te jure.

Samy lui concéda une moue amusée et se mordit la lèvre. Jusqu'à ce qu'il remarque l'effet que cela produisait sur Clemente, à savoir une déglutition difficile et un regard beaucoup, beaucoup plus animal. Il se sentit rougir de plus belle et trébucha sur ses mots :

- Hum, oui, donc. Tu vas faire une école de dessin l'an prochain ou tu vas aller à l'univ...

Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase.

Clemente l'attira soudain vers lui et pressa ses lèvres contre les siennes, fougueusement, comme s'il avait passé des jours entiers à essayer de résister. Samy resta figé, complètement abasourdi.

Qu'est-ce que... Je...

Clemente soupira contre ses lèvres, un soupir impatient, presque douloureux.

Samy oublia alors mystérieusement les raisons de sa courte hésitation, et se retrouva en train de répondre fiévreusement au baiser.

Mmmmhh...

Ça faisait des millénaires que personne ne l'avait embrassé comme ça. Depuis... eh bien, depuis sa dernière soirée en boîte, en fait. Avec la violence d'un ras de marée, l'envie d'être touché, de sentir contre lui quelqu'un qui le désirait vraiment brûla chaque centimètre carré de son corps.

Il rompit le baiser, haletant.

- Touche-moi...

Mais une boule se forma dans sa gorge. Ce n'était pas vraiment à Clemente qu'il parlait.

Le mexicain le libéra du tee shirt de Mathieu, et lorsque le tissu frôla son visage, Samy respira son odeur si particulière à la fois douce et piquante, de menthe et de poivre...

L'amertume, le regret, la peur que cette odeur ne soit bientôt plus qu'un souvenir le prirent au ventre. Il essaya de ne pas trop penser à lui et se colla davantage à Clemente, qui caressait chaque parcelle de peau qu'il pouvait atteindre.

- Putain... J'ai passé des mois à bander rien qu'en te regardant...

Nom de Dieu. C'était bon d'entendre ça. Samy se sentit plus désirable, plus beau qu'il ne s'était senti depuis longtemps. Il prit en coupe le visage de Clemente et l'embrassa de nouveau, savourant son goût, sa chaleur, la raideur évidente dans son pantalon.

- Dis-moi que je t'ai manqué...

La boule dans sa gorge enfla. Cette supplique n'était pas vraiment pour Clemente.

- Tu m'as manqué. Tu m'as manqué comme pas possible...

Samy se pencha vers lui, lentement. Il ferma les yeux, frôla ses lèvres, leurs souffles chauds se mêlant et se mélangeant. Puis il pressa fermement sa bouche contre la sienne et passa une main derrière sa nuque. Clemente gémit lorsque leur langues se goûtèrent, et Samy se mit à le caresser à travers son pantalon, frottant doucement sa main contre la bosse de son entrejambe. Il mordit sa lèvre inférieure délicatement, arrachant à son amant des petits sursauts de douleur mêlés de plaisir, savourant ses gémissements et ses plaintes rauques. À bout de souffle, Clemente finit par mettre fin au baiser.

- Putain... T'embrasses vraiment bien... soupira-t-il, ses lèvres brunes gonflées et humides, ses yeux brillants comme des lacs de pétrole.

Samy lui sourit, mais presque tristement cette fois. Car ce baiser n'était pas vraiment pour Clemente non plus. Il le laissa mordiller la peau fine de son cou et gémit. Il voulait se sentir bien, il le voulait plus que tout. Juste profiter de l'instant présent et oublier tout le reste.

Oublier Mathieu, bordel.

La bouche de Clemente descendit dans son cou, puis sur son torse, et Samy soupira lorsqu'elle attrapa son téton et le mordit délicatement, en tordit l'extrémité entre ses dents.

Clemente continua de descendre. Sa langue lécha le ventre frémissant, embrassa son nombril, et Samy le regarda baisser son jogging en haletant. Mais tout à coup, il prit ses mains dans les siennes, l'empêchant de continuer.

- Attends. Viens...

Le mexicain se redressa, et Samy passa ses mains sous son débardeur, puis lui passa par dessus la tête. Mais lorsqu'il voulu descendre à son tour contre son torse, Clemente posa ses doigts sur sa bouche et sourit.

- Non. Aujourd'hui, c'est tout pour toi.

Il fallut à Samy quelques secondes pour comprendre ce que ces paroles signifiaient.

- Qu... Quoi ?

- Chhh. Ferme les yeux.

Oh, d'accord... Aujourd'hui, c'est tout pour moi.

Clemente embrassa ses paupières closes, son nez, sa bouche, son menton. Samy se laissa faire avec reconnaissance lorsqu'il reprit sa descente vertigineuse vers sa braguette, et enfouit ses mains dans ses cheveux. Il essaya d'apprécier au maximum d'avoir à son tour quelqu'un qui lui faisait l'amour sans mélodrame. Quelqu'un qui le faisait rire, avec qui il pouvait avoir une relation normale.

Mais son amertume était plus brûlante que les baisers du mexicain, et le visage de Mathieu lui réapparut, dansant devant ses yeux comme un spectre, aussi impénétrable que d'habitude.

Il le haïssait pour de multiples raisons. Pour l'avoir laissé comme un misérable gigolo après s'être fait sucer, pour s'être pointé dans sa chambre en lui annonçant qu'il connaissait son pire secret et lui avoir fait la morale par dessus le marché, pour lui avoir laissé cette cicatrice au sourcil, pour ne lui faire voir la vie qu'à travers le prisme déformant de sa passion, pour tout un tas de choses. Mais il lui manquait tellement que sa haine s'était figée et refroidie, comme du fer en fusion qu'on trempe dans l'eau gelée.

Je suis désolé, putain. Je voudrais que tu reviennes. J'aurais pas dû m'énerver lorsque t'as posé ta main sur mon bras l'autre soir, je sais que tu voulais me réconforter et que ça t'a sûrement coûté beaucoup d'efforts. Mais j'étais remonté, j'ai démarré au quart de tour. Tu sais ce que c'est, non, de pas arriver à se maîtriser ? Merde Mathieu, tu peux bien comprendre ça !

Il se concentra de toutes ses forces pour ne pas que le spectre disparaisse, pas tout de suite, et le supplia intérieurement.

Reviens. Vas sur le mur, que je te revoies au moins de loin. S'il te plaît...

- Samy.

Le visage de Mathieu disparut comme une bulle de savon. Samy regarda Clemente, se rappelant soudain de sa présence. Il était à genoux devant lui, avait baissé son jogging et son boxer, et paraissait très déconcerté par l'absence totale de réaction que ses caresses provoquaient (ou plutôt, ne provoquaient pas) chez le jeune homme.

- Qu'est-ce qui se passe ?

Samy ne sut dire s'il avait l'air vexé, frustré ou juste triste. Il se sentit soudain affreusement mal, pour lui-même et pour le garçon agenouillé devant lui.

- Je sais pas, répondit-il. Merde... Je sais pas. Désolé...

Clemente se releva, soupira et appuya son front contre celui de Samy.

- Je te plais plus ? Murmura-t-il.

- Si... répondit Samy. Si, t'es... vraiment beau. Mais...

Il caressa sa joue, tentant de dire les mots qu'il fallait. Mais il ne les trouva pas et baissa les yeux sans rien dire. Il avait honte, vraiment honte.

- Samy, dit Clemente, écoute. Si c'est cette histoire de vidéo diffusée qui te fout la pression, je te jure sur ta vie et sur la mienne que je regrette comme pas possible et que jamais je referai un truc aussi con.

- Je...

- Attends. Juste... laisse-moi finir, parce que sinon je sens que cette saloperie va continuer à nous pourrir la vie. Je me suis senti utilisé, et d'habitude, c'est plutôt le contraire, tu vois ? Tu me plaisais déjà beaucoup avant, mais après ce qu'on a fait dans la salle V.I.P, j'ai réalisé que j'étais en train de tomber amoureux de toi. C'est pour ça que ça m'a fait vraiment mal que tu me repousses, j'ai complètement déconné. Je t'en supplie, faut que tu m'excuses.

D' "embarrassante", la situation passa à "franchement gênante". Samy ne sut que répondre à cette déclaration, qui le prit complètement au dépourvu. Mais les yeux de charbon de Clemente le regardaient avec une telle appréhension qu'il s'entendit murmurer :

- Heuuu... ouais, je t'excuse.

Il douta fortement de sa crédibilité, étant donné que ce n'était pas vraiment le genre de sentence que l'on prononçait communément avec son pantalon ratatiné sur les chevilles, mais cela parut soulager immensément Clemente qui ferma les yeux et dit :

- Merci.

Samy resta coi, ignorant s'il devait formuler de plus amples explications sur son absence d'érection. Il devait le faire, il le savait. Clemente venait de lui faire une semi déclaration, et il ne pouvait pas lui mentir en lui rendant la pareille. Il l'embrassa sur les lèvres, et l'écarta délicatement. Puis il remonta son boxer et son jean et regarda le tee shirt de Mathieu que Clemente avait jeté sur son lit. Il soupira. Tant pis pour "l'amour sans mélodrame"...

- Désolé. Y a quelqu'un d'autre. Je croyais être capable de faire abstraction, mais visiblement non.

Il vit Clemente baisser les yeux, serrer les mâchoires et passer une main nerveuse dans ses dreads hérissées. Il avait l'air blessé et en colère. Quelques secondes s'écoulèrent, puis il lâcha :

- Ouais. Ceci dit, la prochaine fois, essaie de me prévenir avant que je me retrouve à genoux devant ta bite et que je te fasse une déclaration.

La répartie acide raviva la honte de Samy.

- Je suis vraiment désolé, s'excusa-t-il platement. Quand tu te comportes pas comme un connard impulsif, t'es un type bien. Vraiment. J'aurais largement préféré tomber amoureux d'un gars comme toi.

- Ouais. Ben moi aussi. Bon... je vais y aller, j'crois.

Clemente se renfila son débardeur avec des gestes brusques, le visage fermé. Puis il se dirigea vers la porte, mais se retourna juste avant de partir et désigna le tee shirt de Mathieu sur le lit.

- Si un jour ce connard te sort de la tête, n'oublie pas que je suis là.

Puis il referma la porte, et Samy se retrouva planté dans sa chambre comme un idiot. Il s'en voulait. Il s'était comporté comme un vrai con, un enfoiré de première.

Il soupira, et remis le tee shirt de Mathieu. C'était un tee shirt noir sans motif, simple, sombre. Encore une fois, son odeur lui emplit les narines, et il ferma les yeux.

Okay. Je me fous que les gens sachent, Mathieu, je veux juste que tu reviennes. Pas juste pour chercher tes affaires après ton expulsion pendant que je serai en cours. Je veux que tu reviennes vraiment pour les quelques jours qu'il te reste, que tu me parles, que tu dormes ici, que tu te brosses les dents en bavant partout et que ça me fasse rire, que tu lises tes foutus livres de philo avec ton air concentré...

Samy se força à respirer. Il avait envie de rire et de pleurer à la fois. Plus les souvenirs affluaient, plus sa gorge se serrait douloureusement. Il revoyait Mathieu avec son dentifrice qui coulait sur son menton, il le revoyait sourire, parler, faire des choses simples...

Tu me manques, espèce d'enfoiré... Tu me manques, putain c'est horrible...

Il s'approcha de sa fenêtre et se planta devant, comme il l'avait fait la veille et l'avant-veille, et comme il l'avait d'ailleurs fait la plupart du temps depuis quatre jours. C'était un tic idiot, comme celui de vérifier si on n'a pas reçu de SMS toutes les trois minutes alors que l'on sait pertinemment que la sonnerie n'a pas retenti, ou celui de regarder sa montre en permanence alors que ça fait quinze jours qu'on ne la porte pas.

Mais rien à faire, il avait beau savoir que Mathieu n'y serait pas, il se planta devant sa fenêtre pour essayer de le voir, son regard suivant immanquablement le même trajet : d'abord il inspecta le devant du lycée, puis remonta sur la gauche vers la cathédrale, et repartit à droite pour atterrir sur le mur de pierre.

Au sommet duquel il n'y avait personne, bien entendu.

Je veux que tu reviennes et qu'on fasse l'amour. Ça changerait des coups et des engueulades.

Il imagina son corps svelte et blanc entre ses draps, contre le sien. Il imagina un Mathieu doux et consentant, aux mots soyeux, aux gestes attentionnés. Confiant. Son regard aux couleurs étranges dénué de peur et d'amertume, ses traits adoucis par le plaisir...

Il s'arrêta en sentant un début d'érection.

Et c'est maintenant que tu te manifestes, bordel de merde ! Et pour si peu, en prime ?!?

Le regard de Samy toisa son propre reflet dans la vitre constellée de gouttes de pluie :

Tu es un pauvre con. Tu peux rêver, prier et bander tout ce que tu veux, il ne reviendra pas. Il n'a plus rien à faire ici.

Pourtant, quelques fois, quelque chose lui disait que Mathieu était dehors, et qu'il l'attendait. C'était vraiment idiot quand on y pensait, mais Samy ne pouvait pas se l'expliquer autrement. Il était paisiblement en train de lire sur son lit ou de somnoler lorsqu'il ressentait soudain une espèce de tiraillement dans le ventre, une envie puissante de se lever pour aller regarder par la fenêtre. Et lorsqu'il appuyait son front contre le carreau en s'attendant à croiser le regard brillant de Mathieu, il ne voyait que le triste gris du béton, des nuages et des parapluies des passants...

Il soupira et enfila un pull. Bientôt 19h00, il allait descendre manger un morceau à la cafétéria. Avec un peu de chance, il y trouverait quelques personnes pouvant écarter ses pensées de Mathieu pour un temps.

oOoOoOoOoOo

Tout au fond du self, seul à sa table, Thomas regarda Samy entrer dans la cafétéria en tenant son plateau nonchalamment. Ses yeux parcouraient la salle à la recherche de ses amis, évitant soigneusement de croiser ceux d'Arlette qui montait la garde pire qu'un bouledogue. Pierre, Keira, Fiona, Dorian et Louis, assis au milieu de la grande salle, lui firent des signes de la main, et il les rejoint avec un sourire.

C'est pas juste, pensait Thomas, étouffé par la rancœur. C'est pas juste.

Cette phrase avait une connotation puérile qu'il n'aimait pas, mais elle clignotait tout de même dans sa tête comme un puissant néon rouge, alors qu'il regardait Samy et ses amis.

Il était tellement beau. Il avait des amis qui l'aimaient malgré ses frasques, du succès chez les filles comme chez les garçons, des notes acceptables.

Ce n'était pas juste.

Qu'est-ce qui avait fait qu'il était à sa place aujourd'hui, et Thomas à la sienne ? Pourquoi l'un était devenu un déchet, un camé, et pas l'autre ?

Peut-être parce qu'il disait la vérité, finalement. Parce qu'il allait bien. Qu'il avait oublié, qu'il s'en était sorti. Cette pensée le fit grincer des dents. Il n'avait pas le droit de s'en remettre alors que lui allait si mal.

Il se sentait faible, fatigué d'être dans la position du demandeur, en colère de se trouver dépendant de Samy, usé d'élaborer de pitoyables stratagèmes qui se heurtaient toujours à l'égoïsme inébranlable de ce dernier. Seigneur, il le haïssait, et il se haïssait aussi au passage pour avoir besoin de lui comme ça. Il se faisait l'effet d'un parasite. Voilà ce qu'il était, une tique.

Le rire de Keira parvint à ses oreilles, et il la vit donner une petite tape sur l'épaule de Pierre, comme pour se venger d'une taquinerie. Il était évident qu'elle flirtait avec ce gros nul. Il se penchait vers elle pour lui parler à l'oreille, l'air enchanté, et Thomas imagina quels pouvaient être les mots susurrés. Il serra les poings sur ses genoux.

Le gâteau sans la cerise aurait été trop fade, évidemment, il fallait qu'elle en rajoute une couche... Comment avait-il pu être aussi débile ? Ah ! Il en aurait rit tellement il se trouvait con. Les crapauds n'épousaient pas les princesses. Jamais. D'ailleurs, il n'y avait pas de princesses, tout ça c'était des conneries. C'étaient toutes les mêmes, avec leurs gestes tendres, leur voix suave et leurs cheveux parfumés... On croyait qu'elles étaient la meilleure chose qui pouvait nous arriver, qu'elles nous aideraient à nous relever et à reprendre la route, puis on réalisait trop tard qu'elles ne faisaient que s'amuser de nous en passant et qu'elle nous laisseraient à genoux derrière elles.

Il trifouilla sa nourriture avec plus de dégoût que d'intérêt, et sa fourchette émit un cri aigu en heurtant le bord de son assiette lorsqu'il se prit la tête entre les mains.

Qu'allait-il faire, maintenant ?

Trou noir. Cette question ne trouvait pas de réponse. Que pouvait-il faire ? Rentrer à Lille et dire à sa mère que le soleil du sud ne l'avait pas guéri parce que dans le sud, il n'y avait PAS de soleil ? Porter plainte quand même et gaspiller trois ans de sa vie pour que le procès aboutisse à un non lieu ? Il ne le supporterait pas. Et sa mère encore moins...

Il se sentit épié soudain. Il leva la tête et vit que Samy, Keira et Louis le regardaient. Keira rougit violemment et se détourna, murmurant quelque chose.

Alors ça, c'était le bouquet. Une colère noire l'envahit. Comment osaient-ils se foutre de lui devant son nez ? Ils... Ils n'avaient vraiment aucune décence, aucun respect... Il leur hurla dessus intérieurement. Il n'aurait jamais dû venir ici, dans cette ville, c'était une grosse erreur. La pire erreur de sa vie.

Les gens le regardaient. Pas juste Keira, Samy et leurs amis, tout le monde. Il le sentait, il sentait leurs yeux posés sur lui comme des mouches sur de la viande avariée, il les entendait murmurer... Son cœur se mit à battre très fort à ses tempes, et sa salive s'épaissit. Il ne pouvait plus bouger, englué dans leurs regards poisseux. Il entendit des rires venant de la table de Samy et des mots lui parvinrent, déformés par le filtre de sa paranoïa et réinterprétés : "sûrement défoncé..." "beaucoup trop maigre ! ". Est-ce que c'était elle qui parlait ? Est-ce que c'était Keira ? "Pas d'amis du tout." Il était sûr de reconnaître sa voix... Oui c'était forcément elle, maintenant il en était certain...

Sa rancune avait un goût de lait tourné, il ne pouvait plus avaler. L'envie de pleurer l'assaillit si violemment qu'il en fut aveuglé, des larmes acides emplissant ses yeux et brouillant le décor. Sa gorge était nouée, brûlante, ses dents serrées, et il tourna la tête vers le mur pour leur cacher le réjouissant spectacle des larmes sur ses joues. Il voulait se lever, marcher droit vers eux et tous les tuer, avec n'importe quoi, leurs couteaux à beurre s'il le fallait. Il voulait leur faire aussi mal que possible, leur faire sentir qu'il n'était pas encore mort, mais leurs rires le clouaient à sa chaise comme des centaines de petites fléchettes. "Hahaha ! Encore puceau, non ?" Ses entrailles se tordaient, des spasmes l'empêchaient de respirer. Il mordit son poing pour ne pas attirer l'attention des gens aux tables alentours. Tu l'imagines, se répétait-il en boucle. Tu l'imagines, Thomas, il ne sont pas réellement en train de parler de toi... Mais alors une nouvelle vague de rire lui agressait les tympans comme une nuée d'insectes. Si, c'est de moi qu'ils se foutent... De qui d'autre, sinon ? Ils voient bien que je pleure, ils le voient bien...

Et pourtant il ne pouvait pas s'arrêter. De grosses larmes roulaient sur ses joues, son menton, au bout de son nez, et il les sentaient aux commissures de ses lèvres gercées...

Un raclement de chaise près de lui faillit lui faire renverser son assiette par terre. Silence soudain. Même le bruit tonitruant de ses pensées en effervescence et de son cœur en panique totale s'assourdit. Il resta obstinément tourné vers le mur, son pouls frénétique, espérant que le quidam qui venait de s'asseoir à côté de lui se découragerait rapidement et partirait sans faire d'histoire.

- Thomas ?

C'était sa voix. Son cœur remonta dans sa gorge. Qu'est-ce qu'elle voulait ? Le voir de loin n'était plus suffisant ? Elle voulait une place aux premières loges ?

- Je peux manger mon dessert avec toi ?

Il ne répondit rien. Il en était incapable.

- Heu... Tu... tu veux pas me parler ?

Non, il ne voulait pas lui parler, pas l'entendre, pas la voir. Et plus encore, il ne voulait pas qu'ELLE le voit.

- Thomas, est-ce que ça va ? Regarde-moi, au moins.

- ...

- S'il te plaît.

- ...

- Thomas, si c'est un jeu, c'est pas drôle.

Un jeu ? UN JEU ? Comment pouvait-elle dire ça ? Elle croyait qu'il s'amusait, peut-être ?

- Bordel, Keira, qu'est-ce que tu veux ??

Sa voix était baignée de larmes, et la jeune marocaine parut stupéfaite lorsqu'il se tourna enfin vers elle.

- Tu pleures ?

- Qu'est-ce que tu VEUX, putain ??

Il avait hoqueté ses mots tant bien que mal. Le silence se fit dans le réfectoire. Arlette se tourna vers eux d'un air mauvais, mais il s'en fichait éperdument à présent. Les yeux de Keira s'étaient agrandis sous le coup de la surprise, mais elle ne se laissa pas démonter et répondit honnêtement :

- Je veux rien. Je veux juste être av...

- Tu veux rien ??? Tu me prends pour un con, Keira, c'est pas possible !!

- Calme-toi.

Ces deux mots lui firent l'effet d'un coup de fouet. À l'intérieur de lui, le vacarme reprit de plus belle. Des voix dans sa tête criaient des mots haineux, son sang courait dans ses veines à toute allure, sa respiration sifflait n'importe comment.

Keira lui donnait des ordres. Elle venait pour l'humilier, et en plus et elle lui disait de se calmer. Avant qu'il ait eu le temps de réaliser ce qu'il faisait il s'était levé en renversant sa chaise, et son plateau était parti s'écraser cinq mètres plus loin. Des morceaux de verres et de nourriture s'étalaient entre les tables, devant les regards médusés et choqués du reste du réfectoire. La jeune fille sursauta violemment et protégea son visage de ses bras.

- SI VOUS VOULEZ VOUS FOUTRE DE MOI, VENEZ TOUS À MA TABLE AU LIEU DE L'ENVOYER À ELLE !!!

- Thomas !

La voix de Samy lui parvint distinctement, forte, masculine, et il le vit qui traversait le self dans sa direction en même temps qu'Arlette.

- Mais quoi putain ? QUOI ??? C'est ça, viens Samy, venez tous !! VOUS ALLEZ BIEN VOUS MARRER, BANDE DE CONNARDS !!!

Il pleurait tellement que ses mots étaient à peine compréhensibles. Il avança entre les tables en renversant les chaises sur son passage, faisant fuir les élèves qui abandonnaient là leurs plateaux, et leva les bras au ciel comme pour réclamer une ovation.

- Vous me voyez bien, là, ça va ?? LE JUNKIE QUI CHIALE, ça serait dommage de rater ça, non ?? Allez-y riez, allez ! Ahahahahahahaha !! Ahahahahahahahaha !!! On s'amuse, non ??? AHAHAHAHAHAHA !!!

- Tu te calmes, maintenant !

La voix stridente d'Arlette retentit près de lui, mais elle n'osait pas l'approcher. Elle restait figée à quelques mètres, ses petits yeux terrifiés trop enfoncés dans l'impressionnante masse graisseuse de son visage. Un deuxième plateau se fracassa par terre, éclaboussant ses pieds boursouflés de sauce rougeâtre. Il allait en envoyer un troisième éclater la vitre lorsqu'une main saisit son poignet. Samy le fixait de ses yeux sombres, angoissé mais résolu.

- Arrête.

- LÂCHES-MOI !!!

- Je veux juste t'aider.

- Oh, tu veux m'aider ? TU VEUX M'AIDER ???

Thomas partit d'un rire discordant et enroué, qui ressemblait beaucoup à un sanglot.

- Tu crois pas que c'est un peu tard pour ça, Samy ?

Il se mit à se débattre furieusement, de toutes ses forces, mais Louis aida Samy à le ceinturer, l'empêchant tant bien que mal de les frapper et de renverser les tables.

- Putain, Thomas, mais arrête !!

Arlette à leur suite, ils le trainèrent vers la porte du self pendant ce qui leur sembla des siècles, les cris décuplés par l'affreux silence qui pesait sur la salle.

Lorsqu'enfin la porte se referma, le faux rire hystérique résonna aux oreilles de Keira pendant plusieurs minutes, puis fut lentement remplacé par les gloussements des élèves qui reprenaient leur dîner. "Complètement taré..."

"Faut l'enfermer !" "Pété son câble, lui !" . Plusieurs filles s'étaient rassemblées autour d'elle pour voir si elle n'avait rien et la réconforter, mais elle n'avait pas besoin de réconfort et ne les voyait même pas. "T'as vu comme il chialait ? Pfff..." Elle resta là, incapable de bouger, regardant les femmes de ménage nettoyer les dégâts. La balayette rassemblait les morceaux d'assiette, les restes de pâtes éparpillées, et ses poils de plastique se tintaient de rouge, trempant dans la sauce tomate.

Puis au bout d'un moment, le ton des conversations se fit moins enthousiaste, on se mit à parler de choses plus intéressantes que la pathétique intervention de ce junkie défoncé qui venait d'on ne savait trop où. Lorsqu'enfin elle monta dans sa chambre, ni le sol ni les esprits ne gardaient plus trace de l'incident.

oOoOoOoOoOo

- Eh bien messieurs, merci pour votre aide. Il va mieux maintenant, vous pouvez partir. Nous avons appelé la famille de son correspondant pour qu'ils viennent le chercher, une nuit hors de l'internat lui fera du bien.

Si Samy n'avait eu autre chose à penser pour le moment, sa mâchoire aurait chuté d'une bonne trentaine de centimètres. C'était la première fois en trois ans de lycée qu'Arlette s'adressait à lui, sinon gentiment, du moins avec une politesse formelle.

- Vous êtes sûre ? s'enquit Louis. Parce que moi je trouve que le laisser tout seul dans sa chambre, c'est pas vraiment une riche idée...

- Ne vous en faites pas. Nous serons trois surveillants à... eh bien, à le surveiller. Si on entend le moindre bruit dans sa chambre, on interviendra, mais autrement il faut le laisser tranquille.

- Si vous entendez le moindre bruit ? À mon humble avis, s'il décide de s'ouvrir les poignets, ça fera pas un vacarme de tous les diables. Peut-être qu'il faudrait quelqu'un avec lui, dans sa chambre.

Samy décela un léger tremblement mentonnier chez la redoutable pionne, signe que sa courtoisie n'allait pas faire long feu si le jeune homme continuait à l'importuner.

- Louis, j'apprécie votre implication, mais on gère la situation. Il a besoin d'être seul. De toute manière, la famille de son correspondant ne devrait pas tarder. Je crois que ce sont les parents d'Aymeric.

Louis, prenant à son tour conscience de divers signaux d'alerte chez la pionne, décida qu'il s'était montré assez préoccupé et charitable pour pouvoir vaquer à ses occupations sans plus se soucier de Thomas et d'une potentielle crise d'hystérie nerveuse. Toutefois, avant de regagner ses pénates, il glissa à Samy :

- À ton avis, c'est quoi qui a déclenché sa crise ?

- Qu'est-ce que j'en sais ? mentit Samy.

- Chais pas, je demandais ça comme ça. Parce que bon, je veux bien qu'il en pince pour Keira, mais se mettre dans cet état-là pour une fille... Et puis qu'est-ce qu'il a voulu dire par " C'est un peu tard" quand t'as dit que tu voulais l'aider ?

- Écoute Louis, j'en sais rien, okay ?

Haussement de sourcil, regard torve.

- Okay.

- Cool. Bon... ben, je rentre à ma chambre.

- Okay, répéta Louis. Pareil.

Coup d'œil suspicieux, froncement de sourcil. Puis haussement d'épaule désabusé.

- À demain.

- C'est ça, fit Samy.

Il passa devant la chambre de Thomas, là ou Arlette était postée avec d'autres pions qui discutaient sans réellement se préoccuper du garçon qu'ils étaient sensés surveiller. Il espéra qu'il n'y aurait pas de drame avant l'arrivée des parents d'Aymeric. Thomas lui avait vraiment fait peur dans le réfectoire, il avait eu l'air de craquer complètement. Contrairement à la plupart des gens, il ne pensait pas qu'il ait été défoncé, et cela l'avait d'autant plus secoué.

Il entra dans sa chambre, ferma la porte, et écouta le silence, planté au milieu de la pièce. Il savait que ce subit déchaînement de violence était en partie de sa faute. Thomas le lui avait clairement fait comprendre. Il admit ne pas vraiment avoir repensé à sa proposition. Les informations que lui avait révélées Mathieu avaient pris tellement de place dans son esprit qu'il n'avait plus pensé qu'à ça, oubliant en fait la raison pour laquelle ces révélations lui avaient été faites.

Samy ne voulait pas de procès. Il n'en était pas à ce stade, pas encore, car sa colère ne s'était pas apaisée. Cette solution lui paraissait trop sage, trop raisonnable...

Xavier Bartolomeo, conseiller fiscal, Marseille, deux enfants.

Non, il ne voulait pas de procès. Il voulait pire sans vraiment oser y penser, du sang, des cris, il voulait de la torture. Rien de rationnel et de sensé, la colère ne laisse pas de place pour ce genre de chose. Pourtant il savait qu'il ne ferait rien à Xavier Bartolomeo, il avait trop pitié de lui. Mais il ne pouvait s'empêcher d'en rêver.

Il passa dans sa salle de bain, et se déshabilla lentement.

Il n'était pas prêt pour ça. Il ne pensait pas être capable d'encaisser un procès sans craquer, pas maintenant. Surtout que cela signifierait mettre ses parents au courant, ses amis, ses connaissances les plus proches... Tout se passerait trop vite, tout changerait. Rien, de toute sa vie, rien ne serait plus jamais pareil.

Pourtant la part de lui qui n'était pas régie par sa haine sourde lui intimait de réfléchir, de reconsidérer cette option. Fantasmer sur des scenarii de vengeance sanglante était certes apaisant mais cela ne faisait pas avancer les choses, et dans la vie réelle le temps passait et se perdait sans que Bartolomeo soit puni. Samy avait conscience que tôt ou tard, il faudrait bien se rendre à l'évidence : c'était en fait son seul moyen d'enterrer définitivement l'été 97, et reculer l'échéance ne lui garantissait pas qu'il serait prêt un jour. Peut-être qu'il ne le serait jamais, c'était même probable. Peut-être qu'on ne guérissait tout simplement pas de ce genre de choses, peu importait qu'un océan entier soit passé sous les ponts.

Il se regarda, complètement nu, dans le miroir au dessus du lavabo. Et soudain il eut un flash. Il se vit décharné à faire peur, les joues creuses, des cernes violacés. Tout un réseau de veines bleutées striaient sa peau, parfois enfouies, parfois curieusement saillantes, remontant sur ses avant-bras comme de petites couleuvres sans tête. Plusieurs avaient été piquées plein de fois, trop de fois, une infection avait commencé au bras gauche, stoppée tant bien que mal par des jets d'alcool à 90° et des antibiotiques volés à un autre élève. Une grosse veine apparente, au niveau de sa cheville, était elle aussi constellée de points et de rougeurs. Samy releva la tête et croisa son regard. Ses yeux ressemblaient à ceux des chiens errants, affamés et vides.

C'est pas juste...

- Arrête, s'ordonna-t-il, légèrement effrayé. Arrête.

Son corps redevint le sien. Il enfila un boxer propre. Pendant tout le temps qu'il passa à se laver les dents, et même après, en se plantant devant la fenêtre pour fixer le mur où il n'y avait toujours personne, il se demanda qu'est-ce qui avait fait qu'il était à sa place aujourd'hui, et Thomas à la sienne.

Lorsqu'il se coucha, il n'avait évidemment pas trouvé de réponse.

Il décida que lorsque Thomas rentrerait de chez sa famille correspondante, il irait lui parler du procès.

oOoOoOoOoOo

Thomas dormit profondément durant la nuit qui suivit l'incident à la cafétéria, dans le lit de la chambre d'amis qu'il occupait les weekends. Rien ne le troublait, ni les ronflements d'Aymeric dans la chambre à côté, ni l'envie de fumer un pétard ou autre chose de plus costaud. Il ne prit que trois gélules de méthadone que lui avait refourgué ce pauvre imbécile de Charlie pour cinq euros seulement, et il ne rêva même pas. Il en fut de même pour la nuit qui suivit son retour à l'internat.

Mais lorsqu'il se réveilla, il était toujours incroyablement fatigué. Ce matin-là il ne bougea pas, restant recroquevillé sur son matelas le plus longtemps possible comme un tétraplégique, emmitouflé dans sa couverture. Il ne faisait toujours pas beau dehors et la pluie hésitait à tomber, une grosse goutte venant parfois s'écraser sur la vitre. Il ferma les yeux et se remémora la conversation qu'il avait eu avec Keira plus d'une semaine auparavant. Elle se tenait debout au milieu des autres élèves qui sortaient prendre l'air à la récréation, resplendissante, et elle brandissait un énorme parapluie de toutes les couleurs.

- Eh bien, au moins, on peut pas te rater, lui avait-il dit.

Et c'était vrai qu'au milieu de tous ces parapluies gris ou noirs, elle détonnait franchement.

- C'est juste pour me remonter le moral, lui avait-elle répondu. Le mauvais temps me fait déprimer. Je suis sûre que beaucoup plus de drames arrivent quand il fait gris que quand il fait soleil.

- Ah bon ? avait-il rigolé. Peut-être. Mais je pense quand même pas que la météo soit un facteur stratégique dans l'explication des grandes tragédies.

- Ben moi, je pense que si. S'il avait fait grand beau temps le jour de certains meurtres, les assassins se seraient montrés plus cléments. Et puis beaucoup de suicides auraient été évités, parce qu'on a moins envie de se suicider quand le soleil brille et que les oiseaux chantent. Si si.

Il avait rit et elle aussi, puis elle avait ajouté :

- En tout cas, moi, je me sens mieux si je lève les yeux vers mon parapluie de toutes les couleurs plutôt que vers le ciel tout gris.

Thomas avait pensé, non sans un romantisme touchant et affligeant, que même si mère Nature avait déclenché la fureur des éléments et qu'une tempête légendaire s'était mise à gronder, il lui aurait suffit de la regarder dans les yeux pour faire abstraction des conditions climatiques désastreuses, tant elle rayonnait comme un astre. Elle était tellement belle. Tellement joviale, positive, entraînante...

Une touche de cynisme désespéré vint mâtiner son souvenir. Elle lui était sûrement apparue ainsi parce qu'il avait pris une très forte dose de codéine dans la nuit et que l'effet pouvait durer longtemps (même si Charlie lui avait promis un résultat comparable à celui de la morphine, ce qui, Thomas aurait dû s'en douter, était loin d'être le cas.) Mais, immobile sur son matelas, il se demanda si en fin de compte elle n'avait pas raison. Peut-être que s'il avait fait un temps magnifique lorsque Mathieu lui avait annoncé que tout était foutu, s'il avait fait beau pendant les jours qui avaient suivi, il n'aurait pas pris la décision complètement folle qu'il avait prise. Peut-être qu'il aurait été plus enclin a relativiser, à se laisser adoucir par la chaleur, ramollir par le soleil.

Mais il ne le saurait jamais, malheureusement, car ça faisait des mois que les jours s'étiraient à l'infini et se noyaient dans la pluie et la grisaille, que l'hiver semblait avoir dévoré le printemps, et sa décision était prise et bien prise.

Il se leva soudain, s'habilla, rassembla toutes ses affaires (c'est-à-dire pas grand chose) et les fourra dans son sac, puis sortit de sa chambre. Devant l'entrée du lycée se tenait la jeune fille au parapluie multicolore, un café à la main, en train de rire avec des amies de la classe. Il crut un instant qu'il allait mourir sur place s'il ne s'arrêtait pas pour la serrer dans ses bras, pour lui dire qu'elle allait beaucoup lui manquer. Le désir de voir une dernière fois ces prunelles qui lui réchauffaient le cœur le consuma si violemment qu'il crut que tout son sang s'était changé en acide sulfurique. Bordel, se réfréna-t-il, la dernière fois que tu l'as vue, tu lui as hurlé dessus puis t'as balancé son plateau, alors tire-toi et rase les murs.

Mais il trépigna sur place. Peut-être qu'elle lui pardonnerait, qu'elle comprendrait qu'il n'était pas bien du tout quand il avait...

Keira se tourna vers lui. Il se figea et attendit, cessant toute tergiversation et la fixant sans ciller, espérant qu'elle allait venir vers lui comme elle l'avait toujours fait. Mais Keira ne fit pas un mouvement dans sa direction. Elle le regarda quelques secondes d'un œil sombre et retourna à sa conversation avec Laurie, qui agitaient ses mains en parlant avec entrain. Bientôt elle baissa le bras, et le parapluie occulta son visage.

Thomas baissa les yeux.

La pluie formait des ruisseaux entre les graviers. Il commençait à la sentir qui imprégnait la toile de ses chaussures. Il se mit à marcher par automatisme, son sac flasque ballotant sur son flanc. Puis il tourna au coin de la cathédrale, et partit sans se retourner.

Quelques minutes plus tard, Samy passa la tête par la porte entrebâillée de sa chambre, mais il ne restait plus de Thomas que la légère empreinte de son corps dans les draps du lit défait.

oOoOoOoOoOo

- Non, j'ai pas vu Thomas. Et je vais te dire un truc, Samy, je m'en porte pas plus mal. Déjà qu'il dort dans ma chambre à l'internat !

Samy serra les poings. Il avait passé la matinée à se demander s'il fallait s'inquiéter ou pas, et en début d'après midi, il avait décidé que oui. Ce n'était pas normal. Il se tourna vers Aymeric.

- Et toi ?

- Nan, pas vu non plus.

- Tu crois pas qu'il est peut-être rentré chez tes parents ? C'est sa famille correspondante...

- Mouaif, p'têtre.

Samy était exaspéré par le manque de coopération de ces deux idiots. Remarquant que le centre d'intérêt d'Aymeric semblait se trouver plus bas, il suivit son regard et s'aperçut qu'il reluquait son postérieur comme si de rien n'était. Il fut tenté de le baffer.

- Savonnetteman, crois moi, mes hormones aussi dominent ma vie en ce moment, mais si tu pouvais prêter attention à ce que je dis et arrêter de penser avec ton zob POUR TROIS SECONDES, je te serais vraiment reconnaissant.

Aymeric rougit, mal-à-l'aise, et Dorian se mit à pouffer grassement en le montrant du doigt.

- Ahhhhh, comment tu t'es fait grilleeeeeeeeeer !!!

- Oh, toi, poursuivit Samy, t'es aussi incapable de penser avec ta bite qu'avec ta tête, alors ta gueule.

Dorian se renfrogna, vexé.

- Franchement, t'as changé, Samy. Avant on se marrait plus avec toi.

Samy soupira, se pinça l'arrête du nez.

- Bon écoutez, dites-moi juste si vous êtes sûr de pas avoir vu Thomas.

- Mais non, on l'a pas vu ton camé, bordel. Et puis merde, tu sais qu'il vient jamais en cours de toute manière, alors attends ce soir et tu le verras rappliquer à l'internat.

- Mais puisque je te dis qu'il a pris ses affaires ! Il est PARTI de l'internat !

- Ben j'en sais rien, moi ! Il est peut-être remonté dans le Nord, ou parti crever sous un pont avec des piquouses pleins les bras. Il fait ce qu'il veut, je m'en cogne ! Et puis qu'est-ce que t'as à faire chier tout le monde, là ? On te dit qu'on l'a pas vu !

En colère, Aymeric ressemblait à s'y méprendre à un Minikeum. Atterré, Samy le regarda quelques instants sans réagir, se demandant comment il était permis d'être à la fois aussi bête, laid et peu doué d'empathie.

- Tu veux ma photo ?

Et plein d'originalité, en plus... pensa-t-il.

- Pitié non, s'abaissa -t-il à répondre.

Il tourna les talons et repéra Keira qui avançait vers la salle d'histoire et géographie. Il laissa les deux garçons derrière lui et s'approcha d'elle.

- Ça va ? lui demanda-t-elle.

Bien qu'elle eut l'air moins jovial que d'habitude, elle souriait toujours, et Samy lui sourit en retour.

- On fait aller, répondit-il.

- On dirait un vieux, quand tu dis ça. T'as même la voix chevrotante et tout.

- Salope.

- Le conseil de discipline de Mathieu te tape pas trop sur les nerfs ? C'est demain, non ?

Il tenta de décoder son regard, essayant de voir si elle se doutait de quelque chose pour Mathieu et lui. Il en conclut que c'était tout sauf ambigu : elle savait, évidemment, comme Clemente, et comme certainement tout ceux qui avaient pris la peine de le regarder vivre ces derniers mois, Louis, Hélène, Pierre, Thomas, Fiona, Lucie, Johanna, Emeline... Même Aymeric devait s'en douter.

Samy se rendit compte qu'il s'en fichait.

- Ouais, ça me tape sur les nerfs. IL me tape sur les nerfs. Pour être franc, j'essaie de pas y penser.

Mr Schlaze arriva, son énorme nez le précédant d'une douzaine de centimètres. Il ouvrit la porte et les élèves prirent place à leur tables respectives dans un concert de raclements de chaises, essayant désespérément de prolonger la récréation de quelques minutes. Samy s'installa à côté de Keira.

- Je sais que t'es pas forcément la personne à qui il faut demander ça, mais... T'aurais pas vu Thomas ?

Elle n'essaya pas de cacher sa rancœur.

- Tu veux dire, depuis qu'il m'a hurlé dessus au milieu du self ?

- Précisément.

- Je l'ai vu ce matin.

Samy se redressa sur sa table, et au même moment M. Schlaze s'avachit sur la sienne, commençant son cours par un bâillement très peu protocolaire.

- Où ça ?

- Devant le lycée. On s'est regardé, puis j'ai baissé les yeux et lorsque je me suis décidée à bouger pour aller lui demander des explications, il était parti. Pourquoi tu me demandes ?

Samy se racla la gorge, hésitant sur la tournure à employer. Keira le scrutait, curieuse.

- Heu... Parce que j'ai un truc important à lui dire. Mais quand je me suis pointé dans sa chambre ce matin, non seulement il était parti mais en plus il avait fait ses affaires, tu vois ? Le genre définitif, quoi.

- Ah bon ?

- Ouais.

Il se trouvait con, tout à coup. Thomas avait pris ses affaires, et alors ? Peut-être qu'il avait simplement demandé à changer de chambre pour une raison ou pour une autre. Qu'est-ce qui lui prenait de dramatiser et de mettre le lycée sens dessus dessous ?

- Ça me soule... Bref, je suis sûrement en train de me prendre la tête pour rien, soupira-t-il.

- Ne t'occupes plus de lui. C'est un enfoiré qui n'en a rien à foutre de toi et qui ne mérite pas ton attention.

Samy lui jeta un coup d'œil interrogateur.

- C'est à moi que tu parles, ou à toi-même ?

- Les deux.

Il lui fit un triste sourire, qu'elle lui rendit du mieux qu'elle put.

- Hé, écoute. Ne le catalogue pas trop vite. Des fois, il se passe des choses dans la vie des gens que t'es à des années lumières de soupçonner.

- Si tu parles de sa tendance pour la défonce, je crois qu'on est un peu plus de neuf cents dans ce lycée à faire plus que le soupçonner.

- Ouais, mais je parle pas de ça.

Keira lui jeta un coup d'œil incendiaire, signifiant clairement : "Tu as intérêt à m'expliquer de quoi tu parles, et fissa ! " mais l'étrange silence qui régnait dans la pièce les interpella. Ils se turent, se rendant compte que M. Schlaze les regardait fixement depuis plus d'une minute. La suite du cours ne fut qu'un long ronronnement austère, parfois entrecoupé de longs silences lorsque M. Schlaze s'emmêlait les pinceaux dans ses explications nébuleuses.

Samy, puisqu'il avait décidé que son pressentiment était idiot, se remit à penser à Mathieu. Une mauvaise habitude en chassait une autre...

Il griffonna sur sa feuille au hasard pendant une demi-heure, lorsque soudain l'espèce de tiraillement recommença, ce besoin irrépressible d'aller vérifier si Mathieu ne se trouvait pas dehors à l'attendre. Il essaya de l'ignorer, une minute, deux minutes, puis dû admettre qu'il n'y arrivait pas. Il leva donc le nez vers la fenêtre, essayant d'apercevoir le mur de pierre, mais il n'était pas assez près et ne pouvait voir que le clocher de la cathédrale qui s'épuisait à trouer le ciel de plomb.

Il jura intérieurement.

Quel con ! Pourquoi je me suis mis ici au lieu de prendre ma place habituelle près de la fenêtre ?

Il s'injuria un peu plus, puis baissa les yeux et bloqua sur sa feuille.

Au bout d'une minute, il lâcha son stylo. Il FALLAIT qu'il voit. Il allait se lever. Voilà. M. Schlaze pourrait gueuler tout ce qu'il voulait, il allait se lever et regarder par la fenêtre, parce que nom de Dieu, il SENTAIT que Mathieu était là...

Oh, et merde.

- Eh, qu'est-ce que tu fais ? chuchota Keira.

Samy poussa sa chaise et se leva. Tous les regards se tournèrent vers lui. Il marcha droit vers la fenêtre.

De quel côté du lycée est-ce que je suis ? Si je peux voir le clocher, je peux certainement voir le mur, depuis là, même si je suis au deuxième étage...

- Samy J., si vous ne regagnez pas votre place DE SUITE, je vous colle tout demain après-midi et je vous donne un devoir noté.

Samy faillit éclater de rire. Il pouvait bien le coller douze ans. Il sentait que Mathieu était là dehors, et si ça se révélait être le cas, il allait de ce pas quitter le cours et aller lui parler !

Mais tout d'un coup, il s'immobilisa, à deux mètres de la fenêtre. Demain après-midi ? C'était le moment du conseil de discipline de Mathieu. Si il était collé, il perdrait définitivement toute chance de le voir...

Mais merde !! Il est là, je le sens !

- Vous avez entendu ce que je viens de dire ? J'en ai marre de vos clowneries, à tous ! Samy, je tiendrai parole, vous êtes prévenu ! Alors retournez vous asseoir et laissez-moi finir ce cours !

Samy considéra M. Schlaze avec toute la haine qu'il put.

- Je veux juste voir quelque chose. Je retournerai m'asseoir de suite après, ça ne prendra que trois secondes.

Ses énormes binocles glissèrent sur le nez du professeur, accompagnant fort bien le mouvement de sa mâchoire.

- Vous vous fichez de moi, j'espère ? Vous allez retourner vous asseoir de suite.

- Mais laissez-moi juste voir un truc par la fenêtre, merde !

- Samy, si vous n'êtes pas assis dans cinq secondes, c'est vous que je passe par la fenêtre.

- Je ne vous ai rien fait.

- Vous ruinez avec application chacun de mes cours depuis deux ans. Alors obéissez ou vous le regretterez ! Compris ?

Samy se mordit la langue et se retint de l'insulter comme un charretier. Lentement, serrant les dents, il fit demi-tour et retourna à sa place.

- Non mais tu craques, mon pauvre, lui souffla Keira lorsqu'il se rassit. Tu voulais quoi, admirer la vue ?

Il se prit la tête entre les mains. Keira avait raison, il devenait barge. Vraiment, vraiment barge. Tout ça commençait sérieusement à lui taper sur le ciboulot...

Schlaze reprit son cours avec véhémence, comme si cette interruption l'avait remonté à bloc. Un discours passionné sur l'horreur des tranchées vint assommer les vingt-cinq élèves de terminale 5 qui n'en demandaient pas tant, et Samy décida d'essayer de suivre, pour une fois.

Mais avant, il jeta un dernier coup d'œil vers la fenêtre. C'est alors que quelque chose attira son attention : Le regard de Leïla était fixé sur lui, amusé. Ce regard, il le connaissait. Il ne présageait rien de bon...

Qu'est-ce que tu veux, toi ?

Elle prit ostensiblement le temps de lui faire comprendre ce qu'elle allait faire, puis elle prit appui sur sa table et regarda à l'extérieur, essayant de comprendre ce que Samy voulait tellement voir. Elle plissa le front, concentrée. Samy devina le trajet que suivait son regard, lui-même le connaissant par cœur : d'abord devant le lycée, puis vers la cathédrale... Puis le mur.

Soudain, les yeux de Leïla s'agrandirent et sa bouche s'ouvrit dans un "oh" de surprise.

Le cœur de Samy accéléra subitement et ses doigts se crispèrent sur sa feuille.

Qu'est-ce que tu vois, Leïla, meeeerde !!

Un rictus vint flotter sur les lèvres de la jeune fille. Elle se tourna vers Samy, et, voyant qu'il la regardait avec appréhension, son rictus s'agrandit.

- Hé, la femme battue ! souffla-t-elle, on dirait bien que ton chéri est revenu pour te mettre ta raclée...

Le sarcasme lui passa au à dix miles au dessus de la tête.

Mathieu était là. Il était là, devant le lycée, il était revenu. Sa détermination de toute à l'heure partit en fumée, et il se retrouva tremblant, hésitant.

Il est là. Il est là il est là il est là bordel de merde qu'est-ce que je fais ?

Il jeta un regard paniqué à Keira, qui avait malheureusement l'air encore plus désemparée que lui.

- Putain, dit-elle. Oh mon Dieu, Samy, il est là, qu'est-ce que tu vas faire ??

- Tais-toi, chuchota-t-il précipitamment, tais-toi Keira tu me fous la pression !!

- Mais décide-toi, il va partir !

- Mais tais-toi, merde !

Elle baissa la voix, de peur que Schlaze ne repique une crise, et le sermonna à toute allure :

- Écoute. Je sais pas exactement comment vous vous êtes démerdés, mais c'est vraiment le gros bordel entre vous. Faut que t'ailles le voir. Il est peut-être revenu, mais il va sûrement repartir aussi sec, alors bouge !

- Schlaze...

- Mais merde, on s'en fout de Schlaze !

Samy respira un grand coup, profondément. Elle avait raison. Il fallait qu'il bouge. Il se leva comme un ressort avant de changer d'avis, une dose ridicule d'adrénaline courant dans son sang, et planta là ses affaires, M. Schlaze et les élèves. Il claqua la porte sans laisser le temps au professeur d'émettre une quelconque protestation et sortit dans le couloir.

Le chemin jusqu'à la porte principale du lycée lui parut soudain si incroyablement long et semé de tant d'obstacles inutiles et irritants qu'il crut en mourir.

D'abord, respirer. Se mettre à courir. Le long couloir, prendre à droite. Pousser les doubles portes anti incendie. Bousculer les Secondes obstruant le passage. Respirer. Le grand escalier, dévaler les millions de marches menant au premier étage. Premier étage, tourner à droite, éviter Arlette au croisement. Respirer. Prendre le deuxième escalier menant au rez-de-chaussé, ne pas tomber. Rez-de-chaussé, passer à toute allure devant la vie scolaire, répondre au salut du prof de sport sans avoir l'air hystérique, respirer, traverser la cours intérieure, passer devant le secrétariat, respirer, allez, respirer...

Arriver devant la grande porte principale.

Pousser la grande porte principale, sortir enfin, refermer la grande porte principale.

Planter ses yeux dans ceux de Mathieu.

Respirer.

.

.

.

Vilaaaa !!! Bon, eh bien j'espère que mon premier chapitre solo vous a plus =D

Passons aux choses sérieuses : savez-vous que moins de cinq pour cent des lecteurs laissent des reviews ??? HEIN????

ET VOUS POUVEZ DORMIR LA NUIT ????

XD je suppose qu'expliciter ma demande ne sera pas nécessaire ^^ alors vous savez quoi faire !!

En espérant avoir de vos nouvelles, bande d'anonymes !!! (Je parie qu'on vous avait jamais insulté de la sorte ^^)

Autre chose, je m'excuse pour les hypothétiques fautes de présentation, enfin de mise en page, quoi, je suis une grosse quiche en informatique et très honnêtement, j'avoue que c'était Nessa qui se chargeait de tout ça. Elle va me manquer... °°larme à l'oeil, morve au nez°°

XD

Bon, eh bien, je vous dis à bientôt pour le prochain chapitre (il en reste trois maxi). Et méditez bien la susmentionnée statistique =D

Nienna.