Observation

C'était le jour de mon entrée au lycée. Je me tenais debout devant le portail en fixant le ciel.

Il avait une couleur pastel inhabituelle. Les quelques nuages épars qui le parcouraient, étaient colorés d'orange pâle comme un soleil couchant. L'heure des festivités étant fixée à dix heures du matin cela me parut surprenant ! Pourtant, je ne m'attardais pas sur cette curiosité météorologique car je n'avais aucune explication, stressant déjà bien suffisamment pour m'inquiéter de ce genre de détail.

Après un léger soupir, je baissais les yeux pour fixer l'édifice. Il s'élevait sur trois étages, tout en béton gris sans aucune décoration extérieure, lui conférant un aspect froid que la couleur du ciel renforçait. A droite de la cour, il y avait l'administration, sur la gauche les salles d'enseignement scientifique. La structure en forme de U qu'elles formaient avec le bâtiment principal m'impressionnait plus que je ne l'aurais souhaité. J'avais comme un pressentiment, une sensation inexplicable que tout aurait dû être différent. Je contemplais l'ensemble du lycée quand une voix me tira de ma réflexion.

« Axel ! Axel tu viens ? On ne va tout de même pas attendre ici indéfiniment. »

Mon regard s'était baissé pour croiser les yeux de mon interlocuteur. Le sourire rassurant sur les lèvres de mon frère chassa une partie de mon appréhension et je fis un pas dans sa direction.

Je l'entendis soupirer silencieusement avant qu'il ne passe son bras par-dessus mes épaules.

« Ne t'inquiète pas. Tout va bien se passer... » me murmura mon jumeau.

Yan et moi étions identiques physiquement : les mêmes cheveux bruns, qui dès qu'ils étaient trop longs avaient tendances à boucler, les mêmes yeux bleus où nos proches arrivaient sans peine à lire nos émotions, la même taille et la même absence de goût vestimentaire. Notre garde-robe se composait essentiellement de jeans et de t-shirts. A l'inverse, nos caractères étaient assez différents. Yan était quelqu'un de réfléchi qui affichait une sérénité que j'étais loin de ressentir. J'étais plus emporté dans mes réactions, ce qui m'avait déjà attiré pas mal de problèmes au cours de ma scolarité. Par contre j'étais ordonné au point que certaines mauvaises langues me diraient maniaque, alors que Yan aimait évoluer dans un désordre qu'il assurait gérer.

Le voir et la pression de son bras sur mes épaules me réconfortait. Une partie de la tension que je ressentais jusqu'à présent s'était évanouie. Mais il n'en allait pas de même pour la sensation de malaise qui m'avait submergé devant le lycée.

« Arriver en retard le premier jour ne serait pas convenable et nous risquerions de faire mauvaise impression ! » continuait Yan en me poussant.

« Je m'en moque ! »

Mon angoisse était en train de monter en flèche et la présence de mon jumeau ne suffisait plus à endiguer ce sentiment de peur et d'impuissance. Alors je remarquais qu'il n'y avait personne en dehors de nous. Tout en effectuant un tour sur moi-même, je cherchais du regard la présence d'autres élèves qui auraient dû regagner leur classe. Mais il n'y avait aucun signe de vie.

« Yan, que se passe-t-il ? Où sont les autres ? »

C'était la première question qui m'était venue à l'esprit. Nos yeux se croisèrent et Yan s'éloigna en baissant la tête.

« Il va être l'heure Axel. Il va falloir te souvenir de notre existence ! »

« De quoi tu parles ? »

« La Clé nous a trouvés ! Il a besoin de nous. »

Je ne comprenais absolument pas ce que signifiait cette phrase. Ma peur gravit un échelon supplémentaire.

« Je pensais que le stress de la rentrée serait suffisant pour que tu te rappelles de notre existence mais j'ai sous-estimé la puissance du Sceau sur ta mémoire. Ce ne sera pas facile d'accepter ce qui va se passer dans les jours à venir mais... »

Tout devenait de plus en plus flou autour de nous. Le contour des bâtiments et la silhouette de mon jumeau se faisaient de moins en moins précis. Mon angoisse quant à elle ne cessait d'augmenter. La voix de mon frère n'était presque plus qu'un murmure à peine audible.

« Sache que tu n'es pas seul. Il a certaines réponses que tu devras accepter même si elles te paraissent incroyables. »

Yan fit un signe du menton me montrant quelqu'un qui semblait attendre à l'extérieur. Il s'avança sans quitter mon frère du regard. Malgré une apparence trouble, j'arrivais à reconnaître un adolescent de mon âge. Il me dépassait d'au moins dix centimètres. Ses cheveux blonds étaient courts, coiffés en pics sur sa tête. Il avait un piercing à l'arcade droite et le gris métallique de ses yeux me paralysait. J'avais l'impression de le connaître.

« Je t'avais prévenu que cette intervention ne serait pas suffisante pour lui rendre la mémoire. »

Le nouveau venu parlait d'une voix grave mais mélodieuse. Elle me sembla encore plus familière que sa silhouette. Je l'examinais avec attention, essayant de me rappeler d'où venait ce sentiment de déjà-vu. Physiquement, il n'était pas mal mais il y avait quelque chose dans son attitude qui me mettait mal à l'aise. J'allais intervenir quand Yan me devança et reprit la parole.

« Je devais essayer. Cela n'aura pas été complètement inutile puisqu'il se rappellera de vous à son réveil. » Expliqua Yan avec un petit sourire. « C'est à vous maintenant de tout lui expliquer. »

« Merci du cadeau! Il ne me croira jamais. »

« Je sais que vous disposez de moyens de persuasion plus efficaces que la parole, Pierrick. Axel ne vous a pas lâché des yeux depuis que vous êtes entré, je ne crois pas qu'il opposera beaucoup de résistance. »

Son interlocuteur sourit avant d'éclater de rire.

« Ai-je vraiment la permission d'employer tous les moyens ? » Demanda-t-il en me jetant un regard de biais qui ne me disait rien qui vaille

Alors qu'il s'apprêtait à donner sa réponse, un bruit désagréable m'empêcha de comprendre la fin de la conversation. Ouvrant les yeux, je réalisais que j'étais dans ma chambre, allongé sur mon lit.

Sur la table de chevet, mon réveil sonnait, affichant en rouge 8 heure 30.

Un rêve! Ce n'était qu'un rêve! Si une part de moi en était soulagée, une autre ne put s'empêcher d'en être attristée. Après tout dans ce rêve, il y avait Yan, mort depuis huit ans maintenant.

Je soupirais et me cachais la tête sous les draps. Me rappeler cela le jour de la rentrée n'était pas motivant. Je n'avais absolument pas envie de me lever. C'était bien la première fois que je me souvenais aussi bien d'un rêve. Pendant l'espace d'un instant, j'avais vraiment eu la sensation que mon jumeau se trouvait à mes côtés. Les images de ce songe défilaient sans discontinuer dans ma tête comme un mauvais film. Selon les spécialistes consultés quelques années après la mort de Yan, le choc psychologique avait été trop violent et j'avais développé un mécanisme de défense: ma mémoire manquait de précision et était plutôt capricieuse.

J'entendis un bruit de pas dans le couloir et la porte de ma chambre s'ouvrit sans ménagement.

Je n'avais pas besoin de sortir la tête de sous la couette pour savoir qui venait d'envahir mon antre.

Huit ans auparavant, Eléane, la sœur de mon père m'avait adopté. Cette inspectrice de police célibataire avait bouleversé sa vie pour m'élever et m'offrir ce qui ressemblerait le plus à une famille. Sa voix ferme s'adressa à moi alors que sa main saisissait la couverture. Je pouvais sentir un courant d'air frais remonter de mes pieds jusqu'à ma colonne vertébrale.

« Debout Axel ! Si tu ne veux pas être en retard pour le premier jour du lycée... »

Décidément ils s'étaient passés le mot ! C'était exactement ce que m'avait dit Yan. La coïncidence en était presque risible.

« Je m'en moque ! Axel est aux abonnés absents ce matin... »

Il y eut un temps de silence auquel je ne m'attendais pas du tout. D'habitude quand je lui sortais ce genre de réflexion à deux centimes, ma tante secouait un peu plus fortement la couette avant de me découvrir entièrement. Après elle me menaçait d'aller chercher un broc d'eau froide et de me le jeter à la figure. Mais aujourd'hui rien. Surpris, je sortis ma tête de sous les draps et lui adressais mon plus beau sourire.

« Et bien on n'apprécie plus la blague? »

Mon sourire se figea quand je croisais son regard. Elle était si pâle ! J'avais l'impression qu'elle allait s'évanouir. Dans ses yeux vert clair, je vis passer différentes émotions dont la peur. Des mèches de cheveux roux qu'elle n'avait pas encore attachées en chignon me cachèrent son visage quand elle baissa la tête. Depuis huit ans que je vivais avec elle, je n'avais jamais vu une expression aussi terrifiée sur son visage. Son poing se crispa sur la couette et au ton de sa voix résonnant d'une colère contenue que je ne m'expliquais pas, je me recroquevillais contre mon oreiller.

« Une blague ? »

« Oui pour chasser le stress! » Balbutiais-je sur un ton d'excuse que j'espérais convaincant. « J'ai très mal dormi(t) cette nuit. J'ai rêvé de Yan... »

« Ah! Il y avait longtemps que tu n'en avais pas parlé. »

Sa colère s'envola, remplacée par de l'inquiétude lui dessinant des rides sur le front. Elle soupira et relâcha le coin de ma couette avant de sortir en me disant de me dépêcher car j'allais finir par être en retard. Bien qu'intrigué par son revirement et par l'inquiétude qui marquait toujours son visage, je me saisis des vêtements déposés sur la chaise de mon bureau et me dirigeais vers la salle de bain.

Un coup d'œil par la fenêtre et un bruit léger mais bien particulier me confirma qu'il pleuvait. Je soupirais en repensant à l'étrange ciel de mon rêve. Finalement cette couleur était plus agréable que la grisaille qui s'annonçait. Au moment d'enfiler mon jean, je ressentis une vive douleur en haut de la hanche droite. J'aperçus une brûlure rouge et boursoufflée comme une cicatrice qui se refermerait mal. C'est à peine si je supportais le contact du tissu sur ma peau. Dans l'armoire à pharmacie je trouvais de quoi me soigner. Quand cela fut fait, j'enfilais un t-shirt noir et un sweat rouge à capuche qui me servirait pour me protéger de la pluie. Je finis par un coup de peigne en espérant pouvoir lisser mes cheveux mais avec l'humidité et n'ayant pas de gel, c'était peine perdue. J'abandonnais donc rapidement et me rendis dans la cuisine.

A mon entrée, Eléane, assise devant une tasse de café, releva la tête du journal où elle était plongée et sourit. Ne voulant pas l'inquiéter davantage, je gardais pour moi ma découverte. A mon retour du lycée, si cela n'allait pas mieux, je lui demanderais conseil à propos de cette étrange marque.

Le petit déjeuner fût le premier moment de la journée ressemblant aux autres matins de ma vie. Je commençais à manger tout en savourant avec plaisir la confiture et le beurre étalés sur le pain grillé. Il m'était déjà arrivé de râler contre la monotonie de mon quotidien. Comme tout le monde. Mais pas ce matin-là. Savourer mes tartines était apaisant et calmait l'angoisse de cette rentrée.

Eléane, quelques minutes plus tard posa le journal et sortit de la pièce pour aller se préparer. Nous avions convenu que pour ce premier jour, elle me déposerait en voiture devant le lycée. Elle savait que ce changement d'établissement n'était pas anodin pour moi.

Enfin pour être honnête, je devrais dire que tous les changements avaient de fâcheuses répercussions sur mon état d'esprit. Mes réactions impulsives ne facilitaient pas ma vie sociale. Eléane pendant les deux premières années après mon adoption, l'avait entendu dans la bouche des psychologues et en avait eu confirmation à plus d'une occasion. Mais d'après ces mêmes spécialistes, c'est tout naturel pour un adolescent de se sentir comme E.T. Donc, je suis un adolescent de seize (16) ans normal et équilibré ! Et malgré toutes leurs prévisions je n'ai pas franchi la ligne me séparant de la folie. Quand j'ai commencé à parler d'homosexualité, les docteurs ont fait comprendre à Eléane que mon attitude devenait dangereusement déviante. Sa réaction m'a beaucoup aidé : elle a éclaté de rire à la tête des médecins en les sermonnant sur leur étroitesse d'esprit. Elle acceptait quand ils lui soutenaient que l'accident avait eu des séquelles sur mon psychisme et ma mémoire, mais elle n'admettait pas que ma sexualité en soit une preuve manifeste. Depuis nous n'avons plus consulté. Je savais que je devais apprendre à mieux me maîtriser, mais ce n'était pas évident quand les médecins vous cataloguent de psychotique, vous avez l'impression que le monde entier en fait autant.

Une fois mon petit déjeuner fini et la vaisselle expédiée, je regagnais ma chambre pour y prendre mon sac et retrouver Eléane qui devait être dans le salon en train de chercher les clefs de la voiture. Elle avait tendance à être désordonnée et à poser les objets n'importe où.

« N'entre pas ! » me cria-t-elle pour ne pas m'imposer la vision du désordre qu'elle avait semé dans toute la pièce.

« Trop tard ! » fut ma réponse en commençant à ramasser les coussins lancés de-ci de-là.

« Où ai-je bien pu les mettre ?! »

« Tu as regardé dans le frigo ? »

« Pourquoi seraient-elles là ? Je suis tête en l'air mais tout de même... » reprit-elle en me regardant avec étonnement.

Je pris le temps de finir d'arranger la banquette avant de lui répondre.

« C'est là que tu les mets généralement. »

Elle haussa les épaules et partit en direction de la cuisine. Une exclamation étonnée provenant de l'autre pièce me fit sourire. En rangeant le beurre dans le réfrigérateur, j'avais remarqué leur présence habituelle mais incongrue. Cette histoire fit ressurgir un passage de mon rêve : Yan avait parlé d'une clé en me montrant quelqu'un. La voix d'Eléane, dans l'entrée de l'appartement, me tira de mes pensées : j'allais finir par arriver en retard. Sans me faire prier davantage, je la retrouvais sur le palier et jetais un coup d'œil à ma montre. Elle indiquait 9 heures et demie passées de quelques secondes. Un rapide calcul me permit de savoir que je serais à l'heure au lycée. Le trajet se fit en silence. Il pleuvait des cordes, ma tante hésitait à me laisser seul sous la pluie devant le portail fermé.

« Ne t'inquiète pas Tatie! Ils ne vont pas tarder à l'ouvrir cette grille et les autres élèves vont arriver. »

« Ne m'appelle pas comme ça ! » soupira-t-elle avec un sourire contraint au coin des lèvres.

« Tu ne dois pas te mettre en retard par ma faute ! »

« Je sais, mais... »

« C'est à se demander lequel est le plus angoissé ! En plus Lyne et Marc ne vont pas tarder. »

« Et tu crois que cela suffit à me rassurer ! Marc, c'est bien ton ami comptant se faire une réputation au lycée ? Ne va pas t'enticher de lui ! »

« Il n'est pas mon genre et on se connaît depuis le primaire. Je ne vois pas le souci. »

« Ne va pas te créer de problèmes... »

« Supplémentaire, c'est bien ce que tu allais dire? »

Elle rougit un peu honteuse, mais hocha affirmativement la tête. Je pouvais comprendre son inquiétude. Mon dossier scolaire avait dû suivre et les différents rapports disciplinaires qu'il contenait, ne parlaient pas en ma faveur. Même si de mon point de vue, pour chaque bagarre, j'avais d'excellentes raisons, comme celle de l'année dernière où j'avais corrigé une petite frappe homophobe.

« Je ferai de mon mieux. Tu as ma parole ! »

C'était tout ce que je pouvais lui promettre. Elle me sourit doucement en attrapant son sac sur la banquette arrière. Sans dire un mot, elle fouilla à l'intérieur et finit par me tendre un petit paquet mal emballé.

« Un petit cadeau pour le cas où... »

« Le cas où quoi ? »

J'aurais bien défait le papier histoire de l'arranger correctement, je me contentais de l'ouvrir, ne pouvant retenir une exclamation de surprise.

« C'est un téléphone. Mon numéro y figure déjà. Pour les urgences. »

Jusqu'à ce jour et pour je ne sais quelle obscure raison, elle avait toujours refusé que j'en aie un.

J'étais aux anges et incapable de sortir le moindre mot pour la remercier! Cela dut se voir sur mon visage car elle me donna une légère tape dans le dos en me montrant la grille du lycée qui coulissait et au loin en face de nous un groupe d'adolescents se rapprochant.

« Allez va ! On reparlera des détails ce soir ! »

« Merci beaucoup Eléane » marmonnais-je rouge de confusion tout en rabattant ma capuche avant de descendre de la voiture.

« Pas de quoi, mon grand ! » répliqua-t-elle alors que je refermais la portière de la voiture.

Le « mon grand » devait être une petite vengeance pour le « tatie » de tout à l'heure. Je lui répondis par une grimace avant de m'éloigner en direction du lycée. Pour démarrer, elle attendit mon entrée dans la cour. Ce n'était pas par manque de confiance : depuis ce matin son comportement était inhabituel. Je me promis qu'en rentrant, si elle agissait toujours de façon étrange, j'essaierais de lui soutirer quelques explications.

Il pleuvait toujours et je me tenais debout au milieu de la cour en observant le lycée. Il était exactement comme celui que j'avais vu en rêve. La structure en U des différents bâtiments était identique. Seules la pluie et la présence des élèves se dirigeant vers l'entrée pour se mettre à l'abri, apportaient une différence. Je restais un moment figé à regarder l'imposant immeuble quand je fus poussé doucement en avant.

« Salut Axel ! Tu ne devrais pas rester là à rêvasser sous la pluie ! Tu vas finir par fondre. »

Je me retournais pour sourire et saluer Marc à qui appartenait cette voix enjouée et déterminée reconnaissable entre toutes par son éraillement. Il me bouscula encore un peu en m'obligeant à le suivre vers l'entrée principale où étaient affichées les listes de classe. Il était un peu plus petit que moi. Contrairement à ma philosophie vestimentaire, il portait toujours des habits à la dernière mode et s'arrangeait pour que leurs couleurs mettent en valeur le bleu foncé de ses yeux. Marc n'étant pas d'une nature discrète, notre arrivée dans le hall ne passa pas inaperçue ! Ils étaient nombreux parmi les élèves à se retourner sur notre passage alors que nous nous frayions un chemin vers le tableau d'affichage.

Je cherchais mon nom dans la liste des secondes : Axel Fanneck, seconde 3. Un cri de victoire de la part de Marc me fit sursauter. Comme depuis le collège, nous serons encore réunis dans la même classe cette année. Il me montrait un nom dans la liste, ce n'était pas le sien mais celui d'une fille se trouvant dans le même collège que nous et pour laquelle il en pinçait sans avoir encore osé lui faire son numéro de charme : Lyne. C'était aussi une de mes amies et j'avais le pressentiment que cette année, il allait encore me demander de jouer les entremetteurs. Non que je ne veuille lui rendre service, mais ce genre de truc n'était pas pour moi. De plus Lyne et lui étaient les deux seuls à ne pas m'avoir repoussé au collège quand j'avais proclamé haut et fort mon homosexualité. Je ne leur avais jamais demandé d'explications, mais j'avais apprécié leur loyauté. Il était hors de question que je perde l'amitié de l'un ou de l'autre.

« Bonjour Axel » me salua une voix claire que je reconnus sans peine.

Lyne venait de se joindre à nous devant le tableau d'affichage. Elle nous sourit tout en scrutant le tableau de ses grands yeux noirs. Elle était habillée simplement d'un jean et d'un manteau de couleur beige. Dans sa main droite, elle tenait son sac de cours et dans la gauche un parapluie qui s'égouttait sur le carrelage. De sa longue chevelure brune, je ne voyais pas grand chose car elle avait dû les natter et les mettre à l'abri dans son manteau.

« Bonjour Lyne! » s'exclama Marc ravi. « Nous sommes dans la même classe, tous les trois »

« C'est ce que je vois » répondit ma camarade avec un sourire poli à l'intention de Marc qui la dévorait fort peu discrètement des yeux.

Je soupirais. Elle avait forcement remarqué le manège de Marc au collège. Malheureusement, Lyne était loin d'avoir le caractère que son apparence de mannequin laissait envisager. Si je m'entendais aussi bien avec elle, c'était parce qu'elle était franche et colérique au point de préférer laisser parler ses poings plutôt que sa raison. Elle était aussi affublée d'un défaut lui attirant pas mal d'ennuis : la curiosité.

L'heure de début des cours allant sonner, nous nous sommes mis en route pour notre salle de classe. Marc avait bien essayé d'entretenir la conversation mais avec mon manque de participation et les réponses laconiques de Lyne, cela s'était vite transformé en un barbant monologue.

Comme je m'apprêtais à attraper la poignée, elle se déroba sous ma main. Emporté par mon élan, je ne dus mon salut qu'à la personne contre laquelle je vins buter. Je reculais rapidement en bafouillant une excuse alors qu'un doigt sur mon menton relevait ma tête.

« Tout le plaisir est pour moi, Honey ! »

Non mais dites-moi que je rêve! La voix que j'entendais ne pouvait pas être celle-là! Cette main m'obligeant à regarder mon interlocuteur dans les yeux, ne pouvait pas appartenir à l'inconnu de mon rêve! C'était impossible pourtant c'était le même regard, les mêmes cheveux blonds coiffés en pétard, le même piercing à l'arcade droite et surtout la même suffisance dans la voix ! Et chose encore plus aberrante, il ne pouvait pas m'avoir appelé Honey ?

J'étais pétrifié et dans l'incapacité d'avoir une pensée cohérente. C'était une erreur de ma part de croire que la situation ne pouvait être pire. Comme je ne bougeais pas, il m'attrapa par la taille et me tira contre lui. Sa main s'était placée au niveau de la brûlure ravivant la douleur accompagnée d'une étrange sensation indéfinissable mais loin d'être désagréable. Elle avait même quelque chose de familier qui me fit frissonner quand il s'écarta en me faisant un clin d'œil provocateur.

« Quel succès ! » marmonna Marc en me poussant en avant vers des bureaux libres dans le fond de la salle.

J'aurais préféré une place devant. Jusqu'à ce que je sois assis je sentis le regard de tous mes camarades me dévisageant et leurs murmures. Lyne s'assit non loin de nous tout en fixant l'inconnu qui ne semblait pas du tout gêné. Le sourire qui s'inscrivit sur le visage de ma camarade ne me disait rien de bon, surtout quand je la vis se pencher vers sa plus proche voisine et discuter à voix basse. Je dus mettre fin à mon observation quand le professeur entra et qu'il commença à nous expliquer le déroulement de l'année et tout ce qui était important de savoir pour bien réussir sa première année. J'écoutais d'une oreille distraite son discours sur l'emploi du temps, l'organisation des travaux scolaires et les casiers mis à notre disposition pour y ranger nos affaires. D'ailleurs je n'avais pas remarqué leur présence, avant qu'il n'en parle. Toute mon attention était concentrée sur le blond de mes rêves. N'allez surtout pas vous faire d'idées, j'étais en colère après cet individu qui s'était comporté de façon familière avec moi alors que je ne le connaissais pas.

Le cours se termina assez vite. Quand l'enseignant fût sorti, il y eut un silence gênant et tous les regards convergèrent vers Pierrick, puisque tel était bien son prénom et moi. Visiblement ils attendaient quelque chose. Marc me donna un coup de coude en me montrant les casiers.

« On n'a pas encore pris possession des nôtres. »

Sans me soucier de la réaction des autres, je lui emboîtais le pas, en essayant de garder le blond dans mon champ de vision. Pierrick souriait agréablement à un groupe de camarades qui l'avait approché. Lyne était toujours en pleine discussion avec sa voisine. A l'entendre glousser à intervalle régulier, le sujet de leur conversation ne devait pas être très intellectuel.

Une fois devant le casier, je me saisissais du cadenas pour l'ouvrir et voir si effectivement il serait assez grand pour contenir mes livres et autres affaires qui encombreraient mon sac. Satisfait, je m'apprêtais à le refermer quand une main se posa sur la mienne.

« Il faut changer la combinaison du cadenas, Honey » susurra Pierrick s'approchant plus près.

Comme tout à l'heure j'étais dans l'impossibilité de lui échapper. J'étais incapable de faire un pas pour me dégager. Sa main gauche toujours sur la mienne, sa droite revint se placer sur la brûlure me faisant sursauter. Ce contact provoqua à nouveau cette sensation de bien-être que je ne m'expliquais pas.

« Pourquoi pas 999 ? » proposa-t-il en posant sa tête sur mon dos. « C'est un nombre qui te convient parfaitement, n'est-ce pas ? »

Je ressentis un picotement désagréable au niveau de la hanche. Il remonta le long de ma colonne jusqu'à la base de mon crâne où je ressentis les prémisses d'un mal de tête. Je serrais les dents pour lui répondre:

« Je m'appelle Axel, arrête avec tes Honey ! Écarte-toi... »

J'aurais bien voulu le repousser mais je n'arrivais même pas à libérer ma main de la sienne. Je me sentais ridicule de ne pouvoir lui résister mais il y avait quelque chose de pas naturel se dégageant de lui. Une force qui s'imposait à moi et contre laquelle je ne pouvais rien. J'en appréciais même la chaleur gagnant en intensité au fil des secondes. L'envie de lutter pour m'éloigner fondait comme neige au soleil.

« Quel mauvais caractère, Axel » répliqua-t-il en appuyant sur mon prénom avec un mépris me surprenant et me blessant plus que je ne l'aurais cru.

A suivre...

Écrit pour un concours.

Merci à Bernie Calling pour la correction