Telling Stories by Marana
Le plaisir peut s'appuyer sur l'illusion, mais le bonheur repose sur la réalité; la liberté n'est qu'un mot, l'évasion une chimère. On est son propre geôlier tant qu'on a un coeur...
Résumé: Liz Foster est une jeune femme dynamique, employée dans une grande maison d'édition londonienne. Elle a cependant un problème: oppressée par le poids de son passé, elle a la fâcheuse tendance à fuir la réalité, se réfugiant dans toutes sortes de rêveries et de fantaisies. Mais à force de se prendre pour une héroïne de roman, elle s'écarte de ce qui pourrait rendre sa "vraie" vie plus intéressante: l'amour.
All my life I'd been hooked on plots. (Toute ma vie j'ai été attachée à des intrigues)
Margaret Atwood in Lady Oracle
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Je n'ai rien d'une menteuse. Je me permets juste d'arranger la vérité quand je trouve que cette dernière n'est pas très convaincante. Et quand on a vécu une vie comme la mienne – du moins jusqu'à ce fameux jour où tout a été mis en question – il est normal que parfois on aie envie de modifier certains détails. Oh, rien de bien méchant, je vous rassure ; il s'agit plus d'occulter que de réellement transformer. En fait, j'ai toujours eu un peu de mal à tenir fermement les rennes de ma vie qui a toujours eu tendance à partir dans tous les sens dans un jeu de courbes et contre-courbes, tel le cadre d'un miroir baroque. Enfin… je dis « ma vie » mais je devrais sans doute dire « mes vies », car j'en ai eu plus d'une à la fois. Comment cela ? me demanderez-vous. Oui, j'imagine parfaitement bien votre sourcil se hausser sous l'effet de l'incompréhension et du scepticisme. Et bien c'est assez simple, vous allez voir. A mon avis, tout un chacun mène, d'une manière ou d'une autre, une double vie. Il y a ceux qui fondent parallèlement deux foyers (ce sont les plus à blâmer), il y a ceux qui dissimulent une vie nocturne (comme nos amis les Drag Queens, par exemple), et il y ceux qui, comme moi, on tendance à se créer une vie parallèle, échappatoire, qu'ils vivent simultanément à la vie « réelle ». Oui, je sais que cela peut paraître incongru dit comme ça, et je sens déjà vos antennes d'êtres rationnels se mettre en alerte, mais, vous allez finir par comprendre, et peut-être même cautionner, qui sait ? Nous verrons cela en temps voulu…
* * *
Je fermai la porte à clé derrière moi, comme toujours. C'était comme si j'avais peur que quelqu'un entre subrepticement chez moi et viole mon intimité, chose qui n'était pourtant jamais arrivée. Mais on n'est jamais trop prudent, n'est-ce pas ? Il vaut mieux ne pas prendre de risques inutiles. Je laissai tomber mon énorme valise à mes pieds et embrassai du regard mon living-room. Tout était parfaitement à sa place dans mon petit appartement de Hampstead Road où je n'avais pas mis les pieds depuis plus de deux mois. Avant même de déballer mes affaires, je sortis mon ordinateur portable de sa sacoche et le posai sur la table de la salle à manger. En attendant qu'il s'allume, j'entrepris de lever les persiennes afin de laisser entrer un peu de la pâle lumière automnale de cette fin d'après-midi, et entrouvris les fenêtres pour aérer un peu. Il fallait aussi que je passe au Food and Wine du coin pour remplir – un minimum – mon réfrigérateur, et entretenir une de mes conversations d'usage avec Ali, le gérant. Un type très sympathique, immigré pakistanais qui m'avait demandé en mariage l'année précédente… Mon éclat de rire consécutif à sa demande n'avait, certes, pas été très subtil, mais pitié ! Pourquoi diable aurais-je voulu l'épouser ?
Je m'installai devant mon écran d'ordinateur, sans prendre la peine de consulter mes mails. Je ne le faisais jamais, parce que ça m'ennuyait. Si quelqu'un avait quelque chose à me dire, qu'il téléphone… J'ouvris le document qui se trouvait en évidence sur mon bureau. Récit sans titre. C'était là ce qui m'avait occupée ces deux derniers mois ; la raison pour laquelle j'avais demandé un « congé maladie » à mon travail pour me retirer au fin fond du village écossais dans lequel j'avais grandi. Mon roman – ou plutôt mon manuscrit – avait bien avancé. Pendant deux mois j'avais quitté la réalité de mon quotidien pour me plonger dans un monde imaginaire que j'avais moi-même créé. Un monde dans lequel j'étais l'héroïne et que je pouvais me tailler sur mesure, à mon avantage. Une histoire d'amour. Je parcourus du regard plusieurs des pages que j'avais récemment écrites et m'arrêtai sur un passage au hasard :
Elle lut sa lettre attentivement une deuxième fois. Puis une troisième, s'imprégnant de chacun des mots que sa plume avait posé sur le parchemin jauni. Ces mots magnifiques, magiques qui lui étaient exclusivement destinés, qu'elle lui avait inspiré.
« Mademoiselle Sarah », appela la domestique. « Viendrez-vous prendre le thé ? »
« J'arrive tout de suite, Mary » répondit la jeune fille, dont la joue innocemment rosée était tout d'un coup devenu écarlate, comme prise en flagrant délit de pâmoison romantique.
Elle rangea la lettre sous le matelas de son berceau de poupées et caressa machinalement le petit duvet.
« Garde-la bien, chère Victoria », dit-elle à sa poupée qui la fixait de son regard bleu et vide, son visage de porcelaine encadré d'une cascade de boucles blondes. « Ne laisse personne toucher à mon amour… »
Pour toute réponse, le fragile jouet continua de la fixer, et Sarah lui souri. Puis elle agrippa les pans de sa robe et se précipita hors de sa chambre.
Je poussai un profond soupir. C'était là qu'allait mon inspiration : des romans d'époque, des histoires d'amour impossibles, une romance qui finit mal. Avec moi, tout fini mal. Toujours. Je fermai le document et rabattit l'écran de mon ordinateur avant de me lever pour rejoindre la fenêtre. Le soleil commençait gentiment à se coucher et, à en juger par la fraîcheur du courant d'air qui envahit la pièce, la température venait de baisser. J'aperçus, sur le trottoir d'en face, un homme qui promenait son chien et, je ne sais pour quelle raison, je me dis qu'il était peut-être temps que j'appelle Lord Myron. Ça faisait plus de deux mois qu'on ne s'était pas vu et je devais lui manquer. J'étais sur le point de saisir mon téléphone portable quand on sonna à la porte. Mon premier réflexe fut de saisir les cadres à photo qui étaient posés sur mon meuble et de les cacher dans le tiroir de ce dernier. C'est un geste bien étrange, me direz-vous. Mais je faisais toujours ça quand j'avais de la visite, pour la simple raison que quand quelqu'un voit les photos de votre famille, il pose immanquablement des questions, et cet acte m'évitait tout simplement d'avoir à inventer des histoires. Enfin… plus que je ne le faisais déjà. Je cachais donc ma vie, dépersonnalisais mon appartement. Je me précipitai vers la porte et ouvris en grand.
« Lizzie, Lizzie, Lizzie », s'exclama Owen, mon meilleur ami qui se tenait sur le palier. « Enfin, chérie, ce n'est pas trop tôt, tu es enfin revenue ! Je commençais à me sentir drôlement seul sans toi ! »
Mon sourire s'élargit au moment où il posa ses mains sur sa taille d'un air réprobateur, et je le priai d'entrer pour se réchauffer.
« Alors », demandai-je, « comment va ma grande folle préférée ? »
Il dégagea une mèche de ses cheveux blonds d'un air hautain et entreprit d'ôter son manteau.
« Elle va très bien, écoute », répondit-il. « Et toi ? Comment se portent nos amis écossais ? »
J'avais expliqué à Owen que je partais en Ecosse pour régler une affaire familiale (c'est le genre d'excuse au sujet de laquelle on ne vous pose jamais de questions). En effet, il ne savait rien de mon besoin d'évasion créative.
« Les Ecossais vont bien. Mais dis-moi… tu t'es mis sur ton trente et un ! »
Il portait un pantalon blanc et un pull violet à col en V. Autour de son cou, il avait noué un saillant foulard rose qui cachait en partie le fin duvet de son torse. Selon moi, cette tenue ne laissai aucun doute sur son orientation sexuelle. Ajoutez à cela son comportement maniéré et sa tendance à faire de l'œil à tout ce qui s'apparente à un mâle, et vous devriez vous faire une parfaite idée du genre d'homme qu'était Owen. Il me regarda d'un air malicieux.
« Oui, et d'après toi, c'est pourquoi ? »
Je fis mine de réfléchir.
« Hum... tu as tourné ta veste et décidé de me sortir le grand jeu ? »
Il me lança un regard attendri et je ne pus m'empêcher de sourire.
« En fait », dit-il, « j'ai décidé de te sortir ce soir ! »
« Je m'en doutais ».
« Tu veux aller en boîte ou tu te contenteras d'un pub ? »
« Je crois que pour ce soir un pub fera l'affaire. J'ai fait un long voyage, je n'ai pas très envie de me plonger dans cette musique assourdissante... »
Owen hocha la tête d'un air compréhensif.
« Bien, je comprends. Que dirais-tu d'aller dans celui qui est sur Russell Street ? Comment déjà... The Perseverance ».
Je haussai les épaules.
« Ça me va ».
« Alors dépêche-toi de te préparer, qu'on aille s'amuser un peu ! »
* * *
Je pense que pour mieux me comprendre, il est nécessaire que je vous donne quelques détails de mon passé. Rassurez-vous, je ne vais pas m'étaler sur plusieurs pages pour vous raconter en détails quels ont été mes sentiments au moment où j'ai perdu ma première dent, mais j'estime qu'il y a des épisodes de ma vie qui ont été décisifs. C'est ces épisodes-là que je vais vous relater au fur et à mesure. Tout d'abord, je suis née en Ecosse, dans un petit village proche de Glasgow (inutile de mentionner le nom du village, de toute façon vous ne connaissez pas). Je suis née un mardi, mais ça on s'en fiche, pas vrai ? Les raisons pour lesquelles ma mère à décidé de me prénommer Elizabeth sont floues pour moi. Elle voulait peut-être faire un lien avec la famille royale, elle s'attendait peut-être à ce qu'un jour j'épouse un prince, va savoir. Ma grand-mère m'a dit une fois que c'était une référence à Elizabeth Taylor qui avait joué le rôle de Cléopâtre, le film fétiche de ma génitrice. Mais peu importe, car quoi qu'il en soit, elle voulait créer un lien entre moi et une reine. Ma mère et sa folie des grandeurs ! Quand on y pense, la seule grandeur qu'elle a réussie à engendrer, c'est moi-même. Non, je ne suis pas en train de me vanter, je vous rassure. « Grandeur » s'applique à moi dans le sens de « taille », « épaisseur », « place occupée dans l'espace », bref, grosseur. Parce qu'aussi loin que remontent mes souvenirs, j'étais grosse, ce qui avait tendance à exaspérer ma mère. Il était même très intéressant de retracer son point de vue sur moi en feuilletant ses albums photo : au moment où mes formes démesurées avaient commencé à apparaître (c'est-à-dire vers l'âge de six mois), elle avait totalement cessé de me prendre en photo. Ça, c'est une mère fière de son enfant, non ? En ce qui concerne mon père, et bien… ça allait devenir un tout autre problème. Je me contenterais de dire pour l'instant qu'il était absent et que ce n'était pas plus mal comme ça. En définitive, la seule personne valable à cent pour cents dans cette famille était ma grand-mère maternelle, Moira, alias Mamie avec qui j'avais toujours eu une étonnante complicité.
* * *
Owen et moi pénétrâmes dans le pub. Je le laissai passer devant, comme toujours, pour repérer s'il y avait une table de libre. Il me fit signe de le suivre et me conduisit à l'autre bout la pièce, juste en face du bar. Je m'assis à la table qu'il m'avait assignée, alors qu'il se dirigea vers le bar pour passer commande. Je ne pus m'empêcher de me dire qu'il n'était absolument pas dans le ton de l'établissement, ce qui me fit sourire. Owen n'était jamais dans le ton de quoi que ce soit, et c'est ce que j'appréciais tant en lui. Le groupe d'hommes qui occupait la table voisine se retourna pour m'observer et je détournai le regard, priant pour qu'Owen revienne vite me rejoindre.
« Tiens, une Ale pour la demoiselle, une ! » s'exclama mon ami en déposant la boisson devant moi.
« Merci ».
Je bus une gorgée et me délectai de la sensation que provoqua le liquide alcoolisé dans mon œsophage.
« Alors, chérie, tu reprends le travail lundi ? »
« C'est ça ».
« Tu dois être impatiente », commenta-t-il, une légère ironie dans la voix.
« Contrairement à ce que tu sembles penser, oui, je suis plutôt impatiente. J'adore mon boulot, moi ! »
Le sourire d'Owen s'élargit. J'étais effectivement passionnée par mon travail, pour la simple et bonne raison qu'il consistait – entre autres, bien sûr – à lire des manuscrits écrits par des écrivains, qu'ils soient débutants ou professionnels. J'étais éditrice.
« Je me demande bien comment ils s'en sont sortis sans moi pendant deux mois entiers », ajoutai-je.
« Oh, je suis sûr qu'ils sont complètement perdus sans toi ! Les éditions Orion ne sont rien sans Elizabeth Foster ».
Je ri.
« Je crois que tu exagères. En tout cas, je n'ose imaginer la quantité de travail qui m'attend !»
Il haussa les épaules.
« Que veux-tu ? » dit-il. « C'est ce qui arrive quand on prend le luxe de se payer des vacances... »
Je lui lançai un regard outré et il ri. Un rire aigu qui avait quelque chose de délicieusement efféminé. Soudain, quelque chose derrière lui attira mon attention. Ou plutôt quelqu'un. Un homme, pour être exacte. Il était assis au bar, tout seul, et ses yeux étaient fixés sur sa chope de bière dans laquelle il ne restait qu'un fond. Il soupira et leva la tête ; c'est alors que je pus voir son visage : ses cheveux étaient bruns et il arborait une coupe faussement négligée (à moins qu'elle ne l'aie vraiment été). Les traits de son visage étaient délicats, mais sa barbe de trois jours lui conférait une agréable virilité. Mais le plus important ce n'était pas ses cheveux, et encore moins sa barbe : c'était ses yeux. D'où j'étais, je ne pouvais pas vraiment voir de quelle couleur ils étaient réellement, mais je pouvais toutefois affirmer qu'ils étaient clairs. Il tourna légèrement la tête et nos regards se croisèrent. Nous nous fixâmes pendant quelques instants, puis il me souri. Un sourire craquant et très sexy qui, j'en étais sûre, ferait tomber n'importe quelle femme. Une part de moi avait envie de se laisser séduire, mais l'autre côté, celle que j'avais l'habitude d'appeler ma jumelle diabolique manifestait activement contre cette idée, argumentant qu'une fille comme moi n'avait aucune chance de plaire à un homme comme lui. Une fois de plus, je décidai de l'écouter et détournai mon regard du jeune homme pour me concentrer à nouveau sur Owen.
« Donc, je l'ai retrouvé dans ce bar, à Soho », disait Owen. « On a fricoté, et... enfin, je te passe les détails ».
Je lui souri et hochai doucement la tête.
« Tu penses le revoir ? » demandai-je.
« Je ne sais pas, peut-être. J'attends qu'il me rappelle ».
Je hochai la tête à nouveau. Puis je me redressai un peu plus pour jeter un coup d'œil au bar: le jeune homme avait disparu. Il s'était volatilisé ; ce n'était peut-être pas plus mal comme ça.
Je ne sais plus exactement combien de temps il se passa avant qu'une connaissance d'Owen vienne nous rejoindre. Un homme, cela va s'en dire, la trentaine, beau garçon, extrêmement gentil et incroyablement drôle : l'homme parfait, me direz-vous ? Gay. Définitivement. Et le baiser passionné qu'il échangea avec Owen ne fit que me le confirmer. Et oui, quelque chose me disait que mon ami n'allait pas finir la nuit tout seul.
« Oh, tu sais », s'exclama soudain l'ami d'Owen (je crois que son prénom c'était Glenn, mais je n'en suis plus très sûre), « il y a cette boîte dont je t'ai parlé il y a quelque temps ! Tu serais partant pour y aller ce soir ? »
Mon ami me lança un coup d'œil et je lui fis un petit signe de la tête.
« Ne te fais pas de souci pour moi, vas-y », dis-je avec un sourire rassurant. « Amusez-vous bien ».
« Tu ne veux pas qu'on te raccompagne avant ? »
« Non, c'est inutile, je vais rester ici encore un petit moment et finir ma bière ».
« Tu ne veux pas venir avec nous ? » proposa Glenn.
« Dans une boîte gay ? Sans façon. Voir tous ces beaux garçons que je ne pourrai jamais avoir, je sens que ça va me déprimer ! »
Ils rirent, et après les avoir rassuré une dernière fois je les regardai quitter le pub bras dessus bras dessous. Ils étaient mignons quand même, ces deux-là. Une fois seule, je pris mon téléphone portable. Il était temps de glisser à nouveau du côté de la fantaisie : j'appelai Lord Myron.
* * *
Mon histoire avec Lord Myron est aussi très intéressante. Je l'avais rencontré quelques mois auparavant à la soirée de lancement d'un nouveau livre édité par Orion. Il était venu m'aborder près du buffet et sa voix suave m'avait tout de suite charmée.
« Vous travaillez pour cette maison d'édition ?» demanda-t-il.
Je me tournai et tombai nez à nez avec la plus incroyable des apparitions. Cet homme semblait sorti tout droit du dix-huitième siècle. Ses cheveux étaient bruns et dessinaient des boucles structurées ; ses yeux étaient noisette. Il portait une sorte de costume noir, une chemise blanche et, chose étonnante, une longue cape noire elle aussi. Autre fait étonnant : il était appuyé sur une canne. Mais attention, pas une de ces cannes orthopédiques qui vous aident à vous déplacer, non. Une de ces cannes qui ne servent à rien, ou qui font office de sceptre. Je restai totalement ébahie face à cette apparition : il me faisait penser à un quelconque héros romantique ; un Lord Byron des temps modernes. Il avait aussi quelque chose d'un Dorian Gray… Quoi qu'il en soit, la chose importante à retenir est qu'il semblait sorti tout droit d'un roman.
« C'est exact », répondis-je quelque peu troublée. « Et vous êtes ? »
« Lord Myron, pour vous servir ».
Il saisit ma main et y déposa un baiser qui me fit frissonner de la tête aux pieds.
« Myron ? C'est votre prénom ? »
« En réalité, c'est un pseudonyme. Pour l'instant ».
« Une référence à Byron, je suppose ».
« Tout à fait exact. Et aurais-je l'honneur d'apprendre votre nom ? »
« Elizabeth Foster. Mais vous pouvez m'appeler Liz ».
Il esquissa une petite grimace.
« Non… Elizabeth est infiniment plus charmant. C'est un prénom royal ».
« Si vous le dites ».
D'un geste de la main, il rejeta sa cape en arrière, puis il fit un pas vers moi.
« Si je puis me permettre, chère Elizabeth, vos yeux ont la profondeur d'une abîme sans fond dans laquelle tout homme rêverait de plonger ».
« Je…euh…merci ».
Il souri et fit un pas de plus vers moi. A ce moment-là, je sentis l'arrière de mes genoux faiblir sous l'effet du désir que j'éprouvais pour cette homme hors du commun. Peu après il me proposa d'aller chez lui. Je résistai à ses avances pendant cinq bonnes minutes (minimum syndical, tout de même), puis je finis pas céder. Il habitait dans un petit appartement et dans une précarité étonnante, ce qui jurait affreusement avec son apparence. Mais cela n'enleva rien à mon excitation du moment. Il prétendait être un écrivain et un poète, mais il avait toujours refusé de soumettre ses textes à un éditeur car il était sûr que personne ne le comprendrait. Il se considérait comme un artiste damné et incompris, ce qui ajoutait considérablement à son charme romanesque. A partir de ce jour-là, Lord Myron devint mon amant secret. Je le retrouvais plus ou moins régulièrement et nous faisions l'amour. Je savais qu'il avait d'autres maîtresses, il me l'avait dit dès le premier soir, mais je ne m'en souciais pas : entre nous, ça devait rester léger ; il n'était question que de sexe et rien de plus. Il était une forme d'évasion comme une autre.
* * *
Je fermai la porte coulissante du vieux monte-charges. A chaque fois que je pénétrait dans cette cage je me demandais si j'allais en sortir un jour, si cette antiquité n'allait pas rendre l'âme pendant que j'essayais de rejoindre l'étage supérieur. Je frappai délicatement à sa porte et il vint m'ouvrir presque aussitôt. Il m'accueillit avec un grand sourire et vêtu uniquement de sa cape.
« Bonsoir, Princesse », dit-il.
Il me tendit une main que je saisis et il m'attira contre lui.
« Où est-ce que tu étais passée, ça fait longtemps que j'attends que tu m'appelles ».
« J'étais en voyage » répondis-je sur un ton évasif. « Je suis rentrée aujourd'hui et, comme tu vois, je t'ai appelé ».
Il souri et ôta mon manteau. J'appréciai le fait qu'il ne pose jamais aucune question sur ma vie, qu'il ne demande jamais aucun détail.
« Tu danses avec moi ? » demanda-t-il.
« Tu as fait réparer ton tourne-disques ? »
« Non ».
« Peter… »
« Ne m'appelle pas comme ça ».
J'avais appris récemment que son nom de baptême était Peter Kent, ce qui était beaucoup moins romanesque que Lord Myron. Mais je ne l'appelais par son vrai nom que quand j'avais un reproche à lui faire.
« Tu veux qu'on danse sans musique, c'est ça ? » demandai-je.
« Pourquoi pas ? »
Il m'ôta mon pull et promena ses doigts sur mon dos avant de dégrafer mon soutien-gorge. Je pris une profonde inspiration.
« Tout compte fait », murmura-t-il, « j'ai bien envie de laisser la danse pour après ».
Je hochai la tête et il m'embrassa avec passion. Il me saisit par la taille et je me laissai guider jusque sur son lit (qui, il faut le préciser, se rapprochait plus du lit de camp que du lit à baldaquins). Il me déshabilla délicatement, presque religieusement, comme s'il déballait un cadeau de Noël en essayant de ne pas abîmer le papier. Il ne prit pas la peine de retirer sa cape pour faire l'amour, chose qui faisait également partie de son originalité. Quand nous eûmes fini, je me tins allongée à ses côtés, fixant les taches de moisissure qui commençaient à se former au plafond.
« Tu sais, Princesse », commença-t-il, « j'ai laissé tomber toutes mes autres maîtresses. Il n'y a plus que toi maintenant ».
« Je n'y crois pas une seconde ».
« C'est pourtant la vérité. Elles ne me servaient plus à rien, tu es de loin la meilleure. A côté de toi elles étaient d'un mortel ennui ».
« Menteur ».
« Ne me crois pas, ça m'est égal ».
« De toute façon, peu importe que je sois la seule ou non. Je viens, je repars, ce que tu fais en dehors de nos rencontres ne m'intéresse pas ».
Il demeura silencieux.
Je quittai l'appartement de Lord Myron tôt le lendemain matin. Il m'avait proposer d'aller prendre le petit déjeuner avec moi, mais j'avais refusé : il était temps pour moi de retourner à la réalité, aussi ennuyeuse soit-elle. Je descendis dans la rue et le froid matinal me glaça le visage. Je remontais le col de mon manteau quand une fine pluie commença à tomber, la météo londonienne étant ce qu'elle est. Je me réfugiai dans un café proche de Trafalgar Square et commandai un petit déjeuner : une tasse de thé noir et des tartines. J'aurais préféré un bol de porridge, mais…
Je sortis mon téléphone portable et appelai June. June était une de mes amies (je ne sais pas si elle était la meilleure, mais c'est avec elle que je passais le plus de temps). Je le trouvais divertissante car elle était, sans vraiment en être consciente, diamétralement opposée à moi. Elle vivait avec son petit ami, Dean, dans un appartement près de Covent Garden, et son but ultime dans la vie était de l'épouser et d'avoir plein de bébés. A l'entendre, elle voulait repeupler la planète avec sa future marmaille ! Mine de rien, c'était une jeune femme très attachante.
« Allô ? » dit sa voix endormie à l'autre bout du fil.
Oups, je l'avais réveillée, j'allais encore me faire houspiller.
« Salut, c'est moi ».
« Liz... il est huit heures du matin ».
« Ah oui, si tôt que ça ? » répondis-je innocemment.
« Qu'est-ce que tu veux ? »
« Tu peux venir me rejoindre à Trafalgar Square ? »
« Ah non, alors là tu exagères ! Tu ne me feras pas me lever si tôt un dimanche matin ! »
Je soupirai, agacée qu'elle persiste encore à protester. Elle allait finir par céder, elle cédait toujours, alors pourquoi résister ?
« Tu ne veux vraiment pas venir prendre un café avec moi ? Ou n'importe quoi d'autre, c'est moi qui t'invite ! »
« Enfin, Liz, tu sais très bien que… »
« Allez, viens, ça va être sympa ! Plus sympa en tout cas que de passer la matinée à faire griller des toasts pour l'abruti que te sert de petit ami ! »
Je l'entendis pousser un soupir à l'autre bout du fil. Elle était prête à céder, je le sentais.
« D'accord, je viens, mais tu ne traites plus Dean d'abruti, alors ! »
« Très bien, comme tu voudras… Dépêche-toi je t'attends ! »
« J'arrive ».
Je raccrochai, triomphante.
Je la vis pénétrer dans le café une quinzaine de minutes plus tard, emmitouflée dans son manteau. Elle avait ramené ses cheveux blonds en arrière, formant une longue queue de cheval. Je lui adressai un grand sourire.
« Tu es un ange ! » m'exclamai-je quand elle arriva à ma hauteur.
« Je suis une pauvre poire, oui ».
Je lui adressai un petit sourire en coin. Un sourire qu'elle qualifiait généralement d'arrogant, mais je n'y croyais pas une seconde. Arrogante, moi ?
« Ne sois pas si dure avec toi-même », tentai-je pour la rassurer. « Et puis ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vues ; je ne t'ai pas manquée un petit peu ? »
« Tu crois que ça fait mauvais genre si je dis non ? »
« Il se pourrait que je sois triste ».
« Alors là, ça m'étonnerais. Tu n'es jamais triste, toi ».
Je lui adressai un petit sourire forcé. Elle me voyait comme quelqu'un d'inébranlable, que rien ne peut atteindre et je trouvais ça dommage. Cela dit, je ne pouvais blâmer personne d'autre que moi ; c'était moi qui préférais me fermer totalement au monde extérieur. June commanda un petit déjeuner et s'attaqua à ses tartines avec appétit.
« Alors, c'était comment l'Ecosse ? » demanda-t-elle la bouche pleine.
« Pas mal ; j'ai passé mon temps à m'occuper de formalités ennuyeuses à mourir, mais à part ça, ça a été ».
« Tant mieux. Tu n'as pas trouvé de bel Ecossais par là-bas ? »
« Non, je… non ».
Elle haussa les épaules.
« Dommage. J'aimerais bien te voir avec un homme dans une relation qui dure plus de trois semaines ».
« Quand j'en trouverai un qui arrive exciter mon intérêt pendant autant de temps… »
Elle souri.
« Tu es incorrigible Lizzie ».
Je ne répondis pas ; je préférais la laisser croire ce qu'elle voulait.
« Au fait, Dean te salue », ajouta-t-elle. « Il m'a aussi dit de te dire qu'il t'aimait bien, même si tu n'es qu'une teigne ».
« Trop gentil. Et bien tu lui diras que je l'aime bien, même s'il n'est qu'un abruti… »
Elle secoua doucement la tête et laissa échapper un petit rire.
« Qu'est-ce que tu vas faire de ta journée », demanda-t-elle.
Je haussai les épaules.
« Je ne sais pas, je panse que je vais rentrer chez moi, et… me préparer mentalement à reprendre le boulot demain ».
Elle prit un air triste.
« Oh, ça me fait de la peine de savoir que tu es toute seule chez toi… Tu devrais t'acheter un animal de compagnie, tu ne crois pas ? Ou alors te trouver un mec ».
Je la regardai d'un air sceptique.
« Un mec ? Je crois que je préfère prendre l'option poisson rouge. Ils sont d'une meilleure compagnie ».
Elle eut l'air mi-désespérée, mi-amusée, mais ne répondis pas. Quoi qu'elle dise, l'option « homme à la maison » était à proscrire dans mon cas. En ce qui concernait les histoires d'amour avec un « happy end », je n'étais pas croyante.
*****
A suivre...
Hé me revoilà avec une nouvelle histoire, un nouvel univers !
J'espère que vous apprécierez ce nouveau personnage et ses aventures.
Pour ce qui est des updates, elles arriveront petit à petit, mais elles seront là ! ;-)
Un avis ? Un commentaire ?? N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ! :-)