Ce récit commence par une visite au supermarché. Plus précisément dans le rayon « Habitat et Jardin » du supermarché susnommé. Mme Glargebouis était totalement excitée. En effet, ce jour là nous étions le premier du mois. Et comme tous les premiers du mois elle allait acheter un énième nain de jardin.
M. Glargebouis, quand à lui, n'était pas excité du tout. À vrai dire, il avait l'air d'avoir autant de tonus qu'une éponge humide restée collée sur le rebord de la fenêtre de la salle de bain. Et pour une fois les apparences n'étaient pas trompeuses.
M. Glargebouis était en effet au bord de la dépression. Le trente-deuxième nain de jardin du mois dernier avait poussé une nouvelle centaine de ses neurones à se suicider. Ce qui rongeait le plus le pauvre Glargebouis c'est qu'il était à l'origine du suicide de ses propres neurones. Effectivement, c'est à la saint-valentin que, prit du désarroi habituel de celui qui ne sait plus quoi offrir, et sous l'influence certaine d'une remise exceptionnelle de trente-cinq pour cent, cet homme avait offert à sa femme un superbe nain.
Superbe, c'est le mot. Un chapeau rouge rabattu sur le côté, une salopette bleue et une petite pioche dans la main, ce nain était le plus beau des modèles disponibles en magasin. « Quel cadeau original » c'était-il dit. Malheureusement, il n'avait pas pensé aux conséquences de ses propres actes.
Car depuis ce jour, son jardin s'était vu transformé en réserve naturelle pour bonshommes en bois de petites tailles.
Un mineur, affairé à creuser des galeries sous le gazon, un ramoneur, chargé de nettoyer la cheminée de la maison à nain, un jardinier, là pour de bonnes raison et vingt neuf autres tous aussi mignons les uns que les autres.
Mignons certes mais fort inutile pour M. Glargebouis. Car, il faut bien le dire, un nain ramoneur ne nettoiera jamais une cheminée, par plus qu'un jardinier n'entretiendra les plantes…
Bien sûr, comme tout bon mari docile et soumis, c'était à lui que revenait la lourde de tâche de nettoyer le parc à nain. Mme Glargebouis quand à elle était bien trop occupée. En effet, c'est elle qui le regardait, un thé glacé à la main, en lui hurlant de ne pas frotter trop fort ou de repasser un coup de poliche au nain qui tient une lanterne.
Bref, ce pauvre M. Glargebouis n'en pouvait plus ! Et on le comprend. Il était donc totalement avachi sur le caddie en se demandant pourquoi il ne partirait pas simplement de la maison. Ses pensées pourraient être interprétées de la façon suivante.
« J'sais pas faire la cuisine. J'suis pas assez riche pour partir avec une minette de vingt ans qui se tiendrait à mes côtés en espérant me voir tombé d'une soudaine crise cardiaque. Et j'suis pas assez beau pour trouver une nouvelle femme, sauf si cette femme est laide, stupide et qu'elle ne cherche qu'à collectionner des nains de jardins… »
Arrivés à ces constatations dramatiques pour la santé mentale de M. Glargebouis, cent vingt huit neurones de son propre cerveau se suicidèrent d'un même élan, ou d'un même geste. (ce qui signifie la même chose mais qui évite toute méprise sur une possible origine cérvidée)
Mme Glargebouis arriva donc devant le rayon « nains et accessoires » du supermarché sus-ci-nommé.
Ah, Mme Glargebouis, s'exclama un vendeur apparemment agaçant. Je me demandais si vous alliez venir !
Tout le monde connaît une personne du même acabit que ce vendeur. En général, un air nigaud, voire ahuri, occupe son visage. Il sourit toujours bêtement. Mais la particularité de ce genre d'homme est la suivante : Ils vous donnent envie de plonger votre bras dans sa gorge, d'attraper son intestin grêle, de lui faire voir la lumière du jour, et finalement de le bâillonner avec. Et ceci sans que vous ne puissiez dire ce qui ne va pas chez lui.
Ils sont incommensurablement énervants pour la majorité des personnes pensantes.
Malheureusement pour M. Glargebouis, il ignorait que sa femme ne faisait pas partie de la dite majorité.
Bonjour mon petit Lucas, répondit-elle avec un sourire presque aussi énervant que le petit Lucas lui-même. Vous avez pensé que je vous priverai de ma visite ?
Mais bien sûr que non ma chère Madame.
Ils rirent.
Vingt-sept neurones en moins pour M. Glargebouis.
Alors mon petit Lucas, continua-t-elle, vous avez quelque chose de nouveau ?
Mais oui très chère, suivez-moi.
Tout trois partirent donc en direction du fond du rayon. Là sur un présentoir, debout tel un héros, un nain aux vêtements rouge et bleu tenait fièrement une fourche à quatre dents en mâchouillant la tige d'un épi de blé.
Ce fut le coup de foudre immédiat entre ce nain et Mme. Glargebouis. Ce coup de foudre fut bien entendu à sens unique, mais ça Mme. Glargebouis l'ignorait.
Après quelques propos insipides et donc totalement dénué d'intérêt échangés entre Mme. Glargebouis et le vendeur, le couple rentra à la maison avec un trente troisième nain de jardin.
Durant le chemin du retour Mme. Glargebouis parla de son nouveau et sensationnel nain de jardin. Elle lui expliquait qu'elle voyait pour lui un grand avenir. Il se tiendrait juste à côté de la maisonnette en bois. Autant dire un projet d'une ampleur jusqu'ici inégalée.
Arrivé à la maison, M. Glargebouis eu à peine le temps d'arrêter la voiture avant que sa femme ne sorte en courant pour poser son nain à côté de la fameuse maisonnette.
Après près d'une demi-heure, durant laquelle M. Glargebouis devait donner son avis sur la position exacte du nain, Mme Glargebouis décida qu'il était bien installé.
Ils partirent donc dans la maison pour fêter ça en ouvrant une bonne bouteille d'eau gazeuse.
Tu ne trouves pas qu'il est extraordinaire ! s'exclama Mme Glargebouis.
M. Glargebouis hésita entre la réplique habituelle « Mais oui ma chérie, il est merveilleux. » et une autre tout à fait inédite « Mais je m'en contre fout, j'vais boire une bière et arrête de me saouler avec tes cons de nains. »
M. Glargebouis, étant d'une nature particulièrement lâche, dit :
Mais oui chérie, il est merveilleux.
Sur ce, il finit son verre d'eau pétillante et alla se réfugié dans le seul endroit où il se sentait bien. Loin de sa femme.
Assis sur sa chaise de bureau délabrée, il se demanda s'il faisait bien de lâcher tout les mois une centaine de franc pour ces nains haute qualité alors que sa chaise était aussi pitoyable qu'un joueur de foot parlant de philosophie.
Mais le budget de ce pauvre homme n'était pas extensible à volonté. Il se devait donc d'assouvir la passion de sa femme avant de penser à son propre confort. C'est ce que lui dictait sa lâcheté légendaire.
Il eut presque le temps de se dire que sa vie n'était pas encore trop insupportable lorsque sa femme arriva en trombe dans le bureau armée d'un sceau d'eau savonneuse et de divers bouts de tissus.
Chéri ! Il est l'heure de faire une beauté à Alfred.
Ah oui. Elle donnait des noms à chacun de ses nains…
M. Glargebouis, tenant à cet instant l'ouvre lettre en forme de dague, du la serrer avec une force certaine dans ses mains pour ne pas qu'elle finisse dans l'œil de sa femme.
J'arrive mon amour.
Le trajet entre le bureau et le jardin était particulièrement court mais pour M. Glargebouis il lui parût duré plusieurs heures.
Cette effet, qui pourrait être attribué à la théorie de relativité restreinte, était du à un phénomène sociologique bien connu.
Prenez une personne 'A' dite « normale ». Mettez la à côté d'une personne 'B' dite « AHHHHHH, MAIS TAIS TOI ». Faites en sorte que la personne 'B' soit passionnée par quelque chose de vraiment très vide de sens. Par exemple, le football, l'histoire des taxes à travers les âges ou encore la vie sexuelle des fourmis rouge amazonienne. Et finalement faites parler la personne 'B'.
À cet instant vous créez artificiellement un puits gravifique immense, communément appelé « trou noir », tellement puissant que même le temps se distant. De ce fait la personne 'A' pensera que deux heures se sont écoulées, alors qu'en fait seules deux petites minutes ont eu le temps de passer.
Le plus étonnant est que ce phénomène fonctionne de manière opposée pour la personne 'B' qui pensera, elle, après deux heures réelles n'avoir parlé que durant deux ridicules minutes.
Ce phénomène étrange est appelé « ennui » ou « passion », tout dépend de quel côté vous vous trouver.
Il est un fait avéré que ces trous noirs artificiels sont souvent créés par des trous du cul.
Arrivant dans le jardin, Mme Glargebouis tendit à son cher mari le sceau d'eau, les morceaux de tissus et la bouteille d'huile de lin qu'elle avait mise dans sa poche.
Après ce rapide échange, elle alla s'asseoir dans une chaise longue pour siroter tranquillement son grand verre de thé glacé.
Met-y du cœur chéri ! Alfred veut être tout beau pour épater les voisins.
En réalité, Alfred s'en foutait pas mal. S'il avait pu choisir, il ne serait certainement pas là. Mais qui prend en compte les vœux personnels d'un nain de jardin ?
Personne.
Ne t'inquiète pas ma chérie. Il va briller de mille feux.
Il ajouta également « mais qu'est-ce que je fais là » assez doucement pour ne pas être entendu par sa femme.
Évidemment, le nain pensait la même chose.
M. Glargebouis entreprit donc de briquer le nain. D'abord de l'eau savonneuse pour enlever la poussière du magasin. Ensuite, un bon coup de serviette pour ne pas que l'eau sèche toute seule et fasse des traces. Et pour finir, une bonne couche d'huile de lin pour l'imperméabiliser et le faire briller.
À chaque étape, Mme Glargebouis jetait un œil afin de veiller à la bonne marche des opérations. Si quelque chose n'allait pas comme elle le voulait, elle émettait un son très spécifique. Une sorte de « hin hin ».
Onomatopée signifiant « non ce n'est pas comme ça qu'il faut s'y prendre ».
À chaque fois qu'il entendait ce son, M. Glargebouis pensait intérieurement « si ça te plaît pas, fait le toi-même … ». Les '…' étant remplacé par divers noms d'oiseaux, suivant l'humeur du laveur de nain.
Et bien sûr, à chaque fois que ce son était émis, M. Glargebouis répondait :
Quelque chose ne va pas mon sucre ?
Finalement, comme toujours, Mme Glargebouis disait :
Tu sais très bien ce qui ne va pas chéri.
Cette phrase est toujours munie du regard de la femme qui gronde quelque peu son enfant après qu'il ait mangé la peinture qu'il était sensé étaler sur une grande page blanche. Et paf le gamin.
Ce fut donc après le regard de Mme Glargebouis que son cher et soumis mari remouilla quelque peu les yeux du nain pour, cette fois-ci, les essuyer dans le sens inverse des aiguilles d'une montre.
Ah, souffla-t-elle, voilà qui est mieux !
Le nain et celui qui le lavait vacillèrent sur la ligne du burn-out. Prêts à tomber d'un instant à l'autre en dépression, ils essayaient de s'accrocher à quelque chose de réjouissant.
C'est alors que Mme Trepond arriva.
Et là, c'est le drame.
Mme Trepond était la meilleure amie de Mme Glargebouis, autant dire une bonne raison de se suicider.
Oh la la ! s'extasia-t-elle. Mais quelle merveille !
Elle alla se placer à côté du nain en faisant gentiment comprendre à M. Glargebouis qu'il fallait qu'il se pousse.
Mais quel réalisme ! J'en suis complètement abasourdie !
Je ne pensais pas qu'il pouvait y avoir pire que celle qui m'acheté, pensa le nain.
Et pourtant si ! Il y avait pire ! Ne pensions-nous pas qu'il n'y avait pas pire que Francis Lalane avant de découvrir Britney Spears ? La vie est comme ça parfois.
Alors là ma chère, j'en suis toute retournée !
Mme Glargebouis se fendit d'un grand sourire. Elle venait d'avoir ce qu'elle recherchait. La convoitise d'une voisine.
Je sais ma chère, répondit-elle en essayant de paraître blasée. Désormais, je suis sûr de gagner le prix du jardin le mieux décoré.
En tout cas, je vous le donnerai sans hésiter !
Mme Glargebouis était aux anges, M. Glargebouis en était au poliche. Désormais le nain brillait de mille feux sous le soleil éclatant.