Elle écrit. Par pour sa famille, pas pour ses amis -elle n'en a pas-. Elle écrit, poussée par une envie, un besoin, vital, urgent, nécessaire.

Elle écrit tout, rien.

Le temps qu'il fait dehors, soleil, tempête, pluie, neige, vent...Changeant, comme son humeur.

Elle écrit les bruits qu'elle entend le soir, lorsque, assise seule à son bureau, les paupières lourdes de sommeil, le stylo oscillant au dessus de la page, ses oreilles perçoivent des bruits étranges, murmures, grondements, soupirs.

Elle écrit les gens qu'elle croise chaque jour, lorsque que son corps se traine au lycée, obligé de supporter tout ça, les rires, les bousculades, les cris, les regards, les autres.

Son corps. Trop lourd. Trop lourd et pourtant si vide.

Elle écrit des phrases sans suite, sans sens -sauf pour elle-, elle les écrit comme elles viennent, en pagaille, au hasard de la page, petites taches d'encre noire, sombres insectes insaisissables qui se tortillent sur la page.

Elle n'écrit plus ses envies, ses rêves.... ils ont disparu depuis longtemps. Elle écrit ses tourments, ses cauchemars, toute cette noirceur qui envahit son coeur, la ronge, la déchire de l'intérieur.

Elle écrit jusqu'à ce que la fatigue la gagne, aux premières heures de l'aube, la fasse lâcher son stylo, renverse sa tête sur sa feuille, et la fasse plonger dans ce sommeil qu'elle déteste tant, ce tourbillon noir, sans couleur.

Les couleurs se sont échappées il y a bien longtemps, quand le soleil brillait encore dans sa tête, quand les rêves étaient encore là, quand la vie souriait. Mais les couleurs sont parties, sans un mot, sans un adieu, sans se retourner.

Les couleurs sont lâches.

Elle écrit dès le réveil, sans prendre le temps de s'habiller, se laver, manger... tant d'actions inutiles.

On ne s'occupe pas d'une enveloppe vide.

Elle écrit dès qu'elle a le temps.... Elle écrit tout le temps, elle oublie le monde. Elle oublie sa vie. La vie. Un si petit mot chargé de tellement de sens... Pas de sens pour elle. La vie. Une corvée. Obligée de vivre. Condamnée à la prison de la vie.

Aujourd'hui pourtant, elle n'écrit pas. Elle est allongée sur le trottoir, une flaque de sang formant une auréole autour de sa tête.

Aujourd'hui, elle est morte.

Elle est morte comme ça, d'une chute de quatre étages.

Elle est morte comme ça, comme des milliers de gens chaque jour.

Elle est morte comme ça, elle ne sera plus qu'une ligne dans le journal. Une ligne, quelques mots.

Elle est morte comme ça, son stylo en poche, un papier dans la main. Derniers écrits.

Je vous rends la vie et récupère les couleurs