LE MOT DE PASSE

Auteur : Pilgrim et Nicolina

Genre : Romance

Rating : M

Petite info avant que vous ne commenciez :

Notre fic peut se lire sans voir lu préalablement les fics précédentes dont elle est la séquelle (« Mon ciel dans ton enfer » et « Une autre histoire », qui était déjà la suite d' « Une histoire comme une autre »), mais vous en trouverez ici le résumé succinct :

Les deux héros, Samuel et Thomas, se sont rencontrés pour la première fois lors de la sortie du premier livre en français de Thomas, « Mon ciel dans ton enfer », roman autobiographique retraçant l'aventure de Thomas avec un kiné, Julian.

Ce roman avait, quelques temps plus tôt, été le lien qui avait rapproché le jeune Samuel de son professeur de français David, alors que Samuel sortait avec une jeune lycéenne, Sayuri. Après la mort de cette dernière en couches, Samuel élève seul son fils Raphaël et trouve un emploi dans une maison d'édition. Quelques années plus tard, Samuel a refait sa vie avec David, mais revoit Thomas pour la sortie de son second livre. C'est à ce moment que commence notre fic.

Thomas quant à lui est également veuf et père d'un garçon, il vit aux Bahamas chez son père naturel, après avoir rompu avec Julian, avec lequel il a vécu une aventure houleuse, retracée dans son roman. Alors qu'il cherche à publier la suite de son roman, il décide de se rendre lui-même en France pour rencontrer Samuel avec lequel il avait sympathisé.

Cette histoire se situe:

Pour "Mon ciel dans ton enfer" : entre le chapitre 35 et le 36

Pour "Une autre histoire": juste avant l'épilogue

Cette fic est une succession de POV. Pilgrim fait les POV de Thomas et Nicolina les POV de Samuel.

Nous vous souhaitons bonne lecture !

POV THOMAS

Le taxi s'immobilise devant l'hôtel entouré d'un vaste jardin. Il est ancien, me parait plus grand que sur les photos du site. Un bel hôtel français, cossu, à la sortie de la ville. Sans doute une bonne table aussi.

Je paie et descends, un homme vient prendre mes bagages, s'adressant à moi en français :

-Je m'occupe de vos valises, Monsieur.

-Merci.

A la réception une jeune femme brune parle en italien au téléphone, j'attends qu'elle termine sa conversation en jetant un œil alentour.

Un grand hall, des fauteuils en tissu, des plantes et des miroirs. Peut être le style de la Région, mais je ne le connais pas. Je me demande encore ce que je fais là. Non, je sais. Un homme m'attend, tout à l'heure. C'est pour ça que je suis là, si loin de chez moi.

Après les formalités d'usage je monte dans ma chambre, spacieuse et élégante. Tout le charme de la France. Je découvre avec plaisir un petit balcon avec une table et deux chaises, donnant sur le jardin couvert de fleurs. Idéal pour le petit déjeuner. Le printemps est plus avancé qu'en Angleterre, tout à l'heure j'irai faire un tour dans les allées, flâner.

Je résiste à l'envie d'appeler Julian, comme tous les jours. Ce manque qui me bouffe le ventre, encore plus devant un beau paysage, que je voudrais partager avec lui. Rien n'a le même goût sans lui, même si j'ai appris à vivre sans lui.

Mais est-ce réellement vivre ?

Je regarde ma montre. Avec le décalage horaire mon fils doit dormir, aux Bahamas. Je l'ai confié à mon père pour quelques jours, le temps de régler « quelques affaires sur le continent ».

Jolie expression. Chic.

Qui recouvre en fait la location de mon Manoir à des américains de passage et le rendez-vous pris pour la parution de la suite de mon livre « Mon ciel dans ton enfer ». Un livre écrit sous les tropiques, avec froid dans le cœur. Parce que Julian n'est pas là. Ne sera plus jamais là. Après la scène horrible faite par son ami Will j'ai fui chez mon vrai père et perdu tout espoir de revoir Julian.

Mauvais lieu, mauvaise heure.

Il ne reste de notre amour qu'un livre virtuel sur un fichier Word, avec un mot de passe. Et il n'y a qu'une seule personne au monde qui connait le mot de passe, et à peu près tout de moi et de mon histoire. La seule personne en qui j'ai suffisamment confiance pour lui confier les clés des secrets de mon âme, comme disent les romans à l'eau de rose.

Pas d'eau de roses pourtant dans ce récit, que de l'eau trouble, amère, salée. Celle de mes souvenirs.

Toujours les mêmes doutes, toujours le même besoin.

Publier et le trahir, ne pas publier et me trahir.

A force de rêver devant le balcon, le temps passe et je risque d'arriver en retard à mon rendez-vous. Tant pis, je me promènerai dans le jardin plus tard.

Un taxi pile devant l'hôtel, je m'y engouffre, direction Auxois.

Les maisons défilent, blanches et fleuries, et je me dis qu'on doit vivre bien dans un tel décor. Calme, serein. Les gens ressemblent à leurs habitations, parait-il.

Je retrouve avec plaisir le café où nous avions bu, la dernière fois, et je suis heureux de le revoir. Je souris à l'idée de la surprise qu'il va avoir, puisque je lui avais dit qu'il rencontrerait mon avocat, Cédric. Mais j'ai décidé de venir moi-même, il y a des choses tellement intimes qu'on ne les confie à personne. Pas même à son avocat.

La place est relativement tranquille, à part les enfants qui font de la trottinette et les gens qui promènent leurs chiens, enfants, illusions.

Je m'assois à l'ombre de l'immense arbre, et je commande un thé au citron. Ma part d'Angleterre en France, où je me suis toujours senti étranger.

J'ignore quelques regards féminins insistants, même si les femmes sont belles. Une petite fille dans une poussette me tire la langue avec espièglerie. Tiens, je dois vieillir.

Une silhouette s'approche, fine et juvénile. Samuel Gregor. Il avance en détournant les yeux, cet incroyable regard, puis pile devant moi, surpris :

-Mais j'avais cru comprendre que je rencontrerais votre avocat ? dit-il en restant immobile devant moi.

-Il y a des choses qu'on ne confie à personne, pas même au meilleur avocat. Asseyez-vous, je vous en prie, dis- en tendant la main vers lui.

Sa main est fine, chaude, je suis heureux de lire une once de plaisir dans ses yeux. Son œil plutôt, avec cette couleur si particulière. De l'or. Paillettes irisées, sourire timide. Il s'assoit en face de moi, gêné.

-J'espère que vous m'excuserez cette surprise, Samuel. En fait je me suis décidé très tard à venir, parce que je devais passer chez moi aussi, de toute façon.

-En Angleterre ?

-Oui. Je sais que d'ici ça paraît loin, mais depuis les Caraîbes c'est un saut de puce.

-Vous en avez de la chance, soupire-t-il en étendant ses jambes fines devant lui.

-De vivre aux Bahamas ? oui, sans doute. Vous ne me croirez pas, mais la pluie et le froid me manquent, parfois…

Son sourire s'élargit :

-Vous avez raison. Je ne vous crois pas.

Je souris à mon tour, heureux de cette complicité. Il commande un jus d'orange, le vent fait voleter ses cheveux clairs. Nous restons quelques minutes muets, à boire nos verres. Le vent est si doux ici, si parfumé que j'éprouve la nostalgie du passé. La nostalgie du Vieux Monde.

Je ne me souviens plus comment s'appelle son fils, je l'interrogerai tout à l'heure. Il va bien falloir que je parle de mon livre. C'est drôle, je brûle d'impatience de connaître son avis et pourtant je suis réticent de lancer la conversation.

-J'ai lu votre livre, dit-il fort à propos.

Mon cœur accélère, je baisse la tête vers ma tasse de thé, pressant le citron avec deux doigts.

-Ah…

-Je me doutais que vous écririez une suite, vous savez.

-Je suis donc si prévisible que ça ?

-Non ! Bien sûr que non. En plus je ne vous connais pas, bien évidemment. Disons que je souhaitais que vous l'écriviez. Je trouvais ça logique.

-Logique ? Voilà un adjectif qu'on utilise peu à mon propos, mais bon… Tant mieux. Et… vous en avez pensé quoi ? dis-je, plus inquiet que je ne souhaiterais l'être.

-Ca m'a beaucoup plu, assure-t-il sans lever les yeux sur moi.

Immédiatement une vague de déception vient se fracasser sur la falaise de mes illusions. C'est tout ? Mais je ne peux rien dire, rien montrer sans passer pour un insupportable prétentieux. Ce que je suis, sans nul doute.

Imaginez, vous écrivez l'histoire de votre vie, de la manière la plus crue et sincère, sans en oublier les aspects glauques et dérisoires, sans oublier votre désespoir et votre amertume, et vous recevez un accueil poli, comme si c'était un joli récit. Je ne lui en veux même pas, je sais qu'il est pudique, juste pudique. Que pour lui c'est sans doute un grand compliment, déjà.

Comment peut-il deviner que j'ai tant besoin d'être rassuré ?

Que je crève de trouille, intérieurement, derrière mon masque détaché d'anglais ?

-Vous n'avez pas été déçu, par rapport à la première partie ?

-Non, pas du tout.

-Il n'y a pas de décalage, dans le style ?

-Non. Aucun.

-Quelque chose qui vous a déplu, choqué ?

-Non, répond-il en fronçant les sourcils, se demandant où je veux en venir.

-C'est aussi bien, ou moins bien ? Ou mieux ?

Je suis pathétique. Je voudrais mourir.

Pourquoi j'ai si peur, à mon âge ?

Il reste bouche bée quelques secondes, puis fait cet incroyable geste : il pose sa main à côté de la mienne, doucement, et murmure :

-C'est parfait. Juste parfait. Vous écrivez incroyablement bien, M. Mc Leary.

Je le regarde, ému, tentant de rester parfaitement impassible, de faire taire les battements de mon cœur, d'effacer ce sourire idiot que je dois arborer. Cette fois il a trouvé les mots. Les mots qui pansent les blessures, qui effacent les doutes, et sa main est douce sur la mienne.

Je me demande quel est ce sentiment qui gonfle ma poitrine : Joie ? Reconnaissance ? Non, mais le mot m'échappe. Comme un mot de passe oublié, je l'ai sur le bout de la langue, aux confins de ma conscience.

Le regard se prolonge, sa bouche s'entrouvre, cherche un mot, puis se referme. Cherche-t-il le mot de passe, lui aussi, ou me fais-je des illusions ? Parfois la lumière est si belle en soirée qu'on lit sur les plus beaux visages des émotions qui n'existent pas.

Il finit par détourner les yeux et retirer sa main, doucement. Comme s'il ne voulait pas me réveiller de mon songe.

Une moto qui pétarade finit de rompre le charme, et nous parlons soudain tous deux ensemble :

-Ca vous paraît… ?

-Ca me semble…

Nous rions de concert, il me laisse la parole :

-Je voulais savoir : ça vous parait publiable ?

-Bien sûr que oui !! Ce sera une joie pour nous de publier la suite de votre livre, vous savez.

-Vraiment ? Mais… vous l'avez fait lire à quelqu'un d'autre, dans votre maison d'édition ?

-Non, pas encore. Vous m'aviez demandé de ne pas le faire, répond-il, surpris.

-C'est vrai. Je suis un peu parano, avec mes bouquins. C'est idiot, je sais. Donc vous n'êtes pas sûr qu'il sera accepté ?

-Pas formellement, mais il n'y a pas de raison que ce ne soit pas le cas.

J'acquiesce, mal à l'aise :

-Parfois je le trouve tellement banal et impudique à la fois. Je me demande qui ça peut bien intéresser, vous savez.

-Ca intéresse beaucoup de personnes, rassurez-vous. Et vous en avez une en face de vous, ajoute-il courageusement.

Mon sourire se met au diapason du sien, je n'ajoute rien. Comme dans une recette compliquée, un soupçon de plus serait de trop. Je finis mon thé, il sirote son jus d'orange. J'ai l'impression que plusieurs personnes nous observent, et ça m'énerve :

-Et si nous faisions quelques pas ? Je suis resté tellement longtemps dans l'avion, hier que j'ai besoin d'exercice. A moins que vous ne soyez pressé, bien sûr…

-Non, non, dit-il en regardant l'heure sur son portable. Je dois chercher mon fils à l'école dans une demi-heure.

-Ah ? Vous devez partir, alors ?

-Non, c'est tout à côté.

Je paie les consommations, le serveur me lance un petit clin d'œil que je ne comprends pas. Est-ce pour le pourboire ?

Nous avançons sur la place vers la mairie, sous les arbres. Il est un peu plus petit que moi, très mince. Sa démarche est juvénile et contraste avec son sérieux.

-Vous repartez bientôt ?

-Je ne sais pas exactement. Ca dépendra de l'avancement de mes affaires. Mais je ne veux pas vous mettre la pression, bien sûr. Faites lire mon livre par votre hiérarchie, et puis vous me donnerez votre réponse. Je loge à l'hôtel Impérial, à la sortie de la ville. Vous le connaissez ?

-De nom, oui.

-On y mange bien, à votre avis ?

Il hausse les épaules, indécis. Je reprends :

-Je ne m'inquiète pas, on mange toujours bien, en France.

-Vous croyez ?

-Je vous jure. J'ai pas mal voyagé, croyez-moi. Vous avez beaucoup de chance d'habiter ici.

-Vous n'êtes pas à plaindre non plus, répond-il du tac au tac.

-Vous avez raison …je ne suis pas à plaindre. Je sais que ça peut vous paraître bizarre, mais… j'aimerais beaucoup dîner avec vous, un de ces soirs, à mon hôtel. Pour parler du livre, bien sûr… j'ajoute un peu trop rapidement.

Il me lance un coup d'œil étonné :

-Avec moi ?

-Oui. Ca ne se fait pas, ici ? Je déjeune souvent avec mon éditeur, à Londres.

-Mais… vous ne préférez pas dîner avec mon patron ? demande-t-il avec une gêne non feinte.

-Non, je ne préfère pas, Samuel, dis-je en me tournant vers lui. Mais il n'y a pas d'obligation, vous savez…

-Je… vais réfléchir. Il faut que je m'organise, pour mon fils. Je vous appellerai demain, d'accord ?

-D'accord, Samuel. Allez vous occuper de votre fils.

Nos mains se serrent et se séparent. Je le regagne s'éloigner, un sourire aux lèvres.

A suivre