ÉPILOGUE
PARTIE 2
Chapitre 50
Dis-moi encore que tu m'aimes
Ca y est cette fois c'est là, la vraie fin dans la vraie vie, mais racontée par Mark, pour changer un peu ^^
Mille mercis encore à vous tou(te)s qui avez suivi cette fic, et plus encore à tous ceux et toutes celles qui ont reviewé. C'est grâce à vous et pour vous que j'écris, avec une spéciale dédicace pour ma bêta, Nicolina, merveilleux auteur.
« Dis-moi encore que tu m'aimes » est une chanson de Gaétan Roussel
La vie reste fragile tout de même
Et ce trafic qui nous emmène
Et si l'on rejouait toutes les scènes
Dis-moi encore que tu m'aimes
POV MARK
Un mois plus tard
Une abeille tourne paresseusement autour du pot de marmelade d'oranges, je me sers une seconde tasse de thé en essayant d'apprécier au maximum ce matin de fin d'été, un des derniers où je pourrai déjeuner dehors, sans doute. Les ultimes glycines tombent en grappe, une agréable odeur de chèvrefeuille me chatouille les narines, j'ai tout le temps ce matin. Parce que ce soir…
Jeannette, la gouvernante de mon grand-père, chantonne dans la cuisine, au rythme de la radio aux accents cubains qu'elle écoute en boucle. J'ai été heureux de pouvoir les réembaucher, elle et son mari, même si Hugo a hurlé à l'idée d'avoir des domestiques, avant de réaliser que l'unique alternative pour eux était 6 ans de chômage avant la retraite. En plus elle est une cuisinière hors pair et repasse remarquablement les chemises, ce qui ne gâche rien. Tout juste marmonne-t-il quand elle nous surprend ensemble, mais elle disparaît si rapidement qu'on ne peut pas la soupçonner de nous épier.
Je n'ai pas dit à Hugo combien elle désapprouvait notre couple, au début, « parce que deux messieurs qui partagent la même chambre, ça ne se fait pas », mais je sais qu'ils ont appris à s'apprécier, notamment grâce au bœuf bourguignon et à l'aïoli maison, auxquels il fait toujours honneur, ce qui la comble, bien plus que tous mes compliments.
Le vent soulève les pages du journal replié sur la petite table, que Paul tient à m'apporter tous les matins, comme il le faisait pour mon grand-père. Mais moi je ne m'intéresse ni à la politique internationale ni à la Bourse, je feuillette les rares pages artistiques et musicales, sans entrain. Non, le matin j'aime observer le jardin, l'évolution des fleurs, écouter le bruissement du vent dans les branches, respirer calmement avant de débuter – tard - une journée de fou.
Il y a un entrefilet dans un des journaux sur l'ouverture de la boutique, avec une photo de moi et Diego lors de l'inauguration – Hugo a refusé de se laisser photographier. L'attitude très fair-play de Diego, et ses éloges sur les vêtements, m'ont plutôt rassuré, et ont coupé court à toutes les insinuations et questions des journalistes. Bien sûr l'article parle plus de la séparation professionnelle des deux anciens associés que de notre nouveau projet, mais l'essentiel est d'éveiller la curiosité des clients. Par chance les rédactrices de mode parisiennes invitées sont tombées sous le charme du concept et des matières bio, et les premiers articles ont été très élogieux, plus que je ne l'espérais. On va dire que ça n'a rien à voir avec mes cheveux blonds et mon sourire. Ou ma fortune.
Je jette un coup d'œil à notre chambre, au premier, dont les rideaux sont toujours tirés. Étonnant qu'Hugo dorme autant, il est plutôt du genre matinal. Mais je présume que les soirées à répétition ont dû l'épuiser, d'autant plus qu'il est loin de s'y sentir à l'aise. Ça me conforte dans mon idée de cabinet d'avocat – même si je compte bien l'employer pour moi, avant tout. Il ressemble à un poisson hors de l'eau dans toutes les manifestations et opérations de promotion, et je parie qu'il ne fait toujours pas la différence entre un vert d'eau et un vert céladon, ni entre le lin et le coton.
Une silhouette apparaît en haut du petit escalier qui mène au jardin :
- Tu viens déjeuner avec moi, Hugo ?
- Il fait un peu frais, non ? dit-il en frissonnant et en passant ses mains sur ses bras, pour se réchauffer.
- Mais non, il fait plutôt doux, et c'est tellement agréable de déjeuner dehors. Passe un pull et viens me rejoindre, il faut profiter des derniers soleils.
- Tu crois ?
- Oui… Tu viens ?
- OK, j'arrive.
Il s'éloigne à nouveau, je note avec satisfaction que Jeannette apporte une cafetière pour lui, sans mot dire. Le fait de désapprouver notre liaison ne va pas jusqu'à ne pas faire son boulot correctement, voire plus.
- Vous voulez encore du pain ?
- Oui, merci, dis-je en regardant le dernier pain au chocolat dans le petit panier d'osier, le seul auquel j'ai résisté.
- Et des toasts ?
- Non, merci, j'ajoute avec un petit sourire contrit, en soupirant.
Dès qu'elle a le dos tourné je plonge mes doigts avec plaisir et culpabilité dans le miel, léchant avec volupté le nectar sucré.
- Je peux goûter ? ronronne une voix derrière moi.
- Hugo ? Je ne t'ai pas vu revenir.
- Hé hé ! J'arrive au bon moment, je crois. Alors, je peux goûter ? fait-il en se penchant vers moi.
- C'est pas très sérieux, non ?
- Pas moins que de plonger les doigts dedans. Allez, juste un peu…
Il attrape ma main et se met à lécher et suçoter mes doigts en me regardant d'un air provocant, je sens une chaleur se répandre dans mon bas ventre. Un petit bout de langue rose provoque une érection irrépressible, je souffle :
- Attends, il y a autre chose à lécher, plus bas.
- Avec du miel ?
- Chiche…
Sa main s'aventure sous la table, frôlant mon sexe tendu, je ne peux m'empêcher de gémir, hypnotisé par le va et vient de la langue impudique sur mes doigts, les suçant un à un. J'imagine déjà la sensation chaude et humide sur mon prépuce, la légère aspiration des lèvres et la bouche gourmande qui se referme sur ma chair intime.
J'ai fermé les yeux, tout entier pris par les sensations et mon imagination quand je perçois un petit « hum, hum » d'avertissement. Je retire précipitamment ma main en apercevant Jeannette, sourcils froncés, qui dépose du pain sur la table de jardin, visiblement choquée.
Hugo prend un air dégagé pour la saluer, avant de marmonner « quelle idée d'avoir des domestiques » dès qu'elle a le dos tourné.
- Nous sommes dehors, quand même.
- Oui, mais chez toi. C'est pénible de devoir se surveiller tout le temps ! ajoute-t-il en tartinant un morceau de pain de beurre et confiture de myrtille maison.
- Ou excitant… non ? dis-je en enroulant mon pied autour de sa jambe, encore excité par ses caresses buccales.
- Comment ? Tu ne veux pas sérieusement dire que tu comptes continuer ici ?
- Hmmm ? Non, peut être pas ici, mais il y a une chambre, au premier, qui nous attend.
Il se retourne et objecte en croquant dans sa tartine:
- Celle où ta servante fait le lit ? Tu comptes lui demander de participer aussi, ou juste de regarder ?
- Très drôle. Tu ne perds rien pour attendre…
- Non, pas une miette, dit-il en plongeant à nouveau mes doigts dans le miel pour mieux recommencer à les lécher.
- Hugo !
- Quoi ? Elle fait la chambre, donc on est tranquilles, non ? Et si tu ouvrais le parasol ?
- Le parasol ? Pourquoi ?
- Attends, tu vas voir.
Il se lève et déplie le parasol d'un claquement sec, nous protégeant momentanément de la vue des fenêtres.
- Mais … tu fais quoi, Hugo ?
- Appelons ça des préliminaires. Viens, redonne-moi tes doigts. Tu sais que je n'ai jamais rien vu de plus excitant que quand tu te lèches les doigts ? murmure-t-il d'une voix rauque.
- Ah oui ? Comme ça ?
Joignant le geste à la parole je trempe à nouveau mon index dans la confiserie, que je lape sensuellement sous son regard qui chavire.
- Tu me rends fou, Mark. Laisse-moi lécher aussi, j'en ai trop envie, susurre-t-il en attrapant ma main avec poigne pour l'approcher de son visage qui a rosi.
- Hmmmmm… Lèche-moi tranquille, Hugo.
- Partout ?
- Oui, partout, je murmure en fermant les yeux, à nouveau submergé par les émotions.
La douce moiteur autour de mes doigts réveille mes désirs et mes pulsions, je sens le sang affluer à nouveau dans ma verge qui durcit, et des millions de papillons dans mon ventre. Sa bouche passe alternativement de mes doigts à ma bouche, nous échangeons un long baiser sensuel, excités par nos gestes et le danger, peut-être.
Cette langue qui s'enroule autour de la mienne je voudrais la sentir ailleurs, j'en ai tellement envie que je commence à bouger les hanches, presque malgré moi. Hugo marmonne, la bouche bien occupée :
- Tu sais que je les adore, tes doigts ?
- Ah oui ? A quel point ?
- Maximal. Partout. Tout le temps.
- Oh… Et toi, tu sais que je l'adore, ta langue ?
- Ah oui ? Où ?
- Partout.
- Ici ? demande-t-il en léchant mon cou, qui me fait frissonner.
- Oui.
- Et là ? renchérit-il en suçotant mon oreille.
- Oui.
- Et ici ?
- Oui…
- Et là ?
- Oui, oui, oui…
Peu à peu il descend, je me cambre pour mieux lui permettre d'atteindre ma peau cachée sous ma chemise entrouverte. Il frotte délicatement son nez et sa bouche contre mon pantalon qu'il commence à mordiller, je suis au bord de lui crier de me prendre pour me soulager, vite. La vue de ses dents sur la bosse formée par mon sexe me met les nerfs à vif, je l'attrape par les cheveux :
- Vas-y, bon Dieu.
- Oui, mais pas comme ça, susurre-t-il en libérant ma chair rose qui émerge hors de ma braguette, raide.
- Quoi ?
- Attends, ne sois pas trop pressé, murmure-t-il en approchant le pot de miel de mon bas ventre. Ca va être délicieux.
- Quoi ?
Délicatement il verse quelques gouttes du nectar sur mon sexe puis vient les lécher à petits coups de langue, avec gourmandise :
- Hum… délicieux.
- Non, non…, je balbutie en perdant peu à peu la tête sous ses attentions perverses.
- Si, si… Tu n'aimes pas ?
Les sensations sont accrues par la vision de cette bouche impudique, qui alterne sucements, mordillements et suçotements infernaux sur ma verge merveilleusement maltraitée et de cette tête brune penchée sur moi. Les changements de rythme et de pression sur mon gland et ma hampe me rendent fou de désir, j'en veux plus, toujours plus. J'ai à peine le temps de me demander quel goût a le mélange de ma peau et du miel qu'il se relève et m'embrasse, répondant à ma question.
Après avoir soufflé doucement sur la chair échauffée il fait dégouliner à nouveau du miel sur toute la longueur de mon sexe, qu'il lèche ensuite à grands coups de langue râpeuse, m'amenant au bord de la jouissance. J'aimerais que l'instant se prolonge encore, malgré le risque, mais ses doigts se glissent sous moi pour parfaire les caresses et bientôt mon nectar vient se joindre au miel, dans sa bouche, qu'il avale d'une longue gorgée.
- Je voudrais des petits déjeuners comme ça tous les jours, murmure-t-il en s'essuyant les lèvres avec sa serviette.
- Pervers ! Tu as vu l'état de mon pantalon ?
- Qui a commencé à mettre les doigts dans le miel ?
- Je mets mes doigts où je veux.
- Oh ! C'est choquant, venant de quelqu'un qui a reçu ton éducation, Mark.
- Sûrement, oui. Et si on refermait le parasol pour terminer notre déjeuner ? Tu n'as presque rien mangé.
- Non, j'avais la bouche occupée ailleurs. Mais je crois que j'ai eu mon compte de calories quand même.
Il se radosse à sa chaise, l'air repu du chat qui a mangé la souris. Des volets claquent, je soupçonne Jeannette de se douter de se qui s'est passé, et de ne pas approuver. Elle doit me prédire l'enfer, et pourtant elle ne connait pas le quart de la moitié de mon histoire scandaleuse. Je décide qu'il est temps de revenir à une attitude plus convenable.
- J'aimerais bien profiter des derniers jours de soleil, tu veux refermer le parasol ?
- Oh là là ! On dirait un vrai pépé ! Tes derniers jours de soleil ? T'es pas si vieux que ça, si ? interroge-t-il en le refermant sèchement.
- Ben si. En tout cas merci pour la petite gâterie, pour mon anniversaire, mon amour, je lâche sournoisement.
- Quoi ? Oh mince, j'ai failli oublier ! Bon anniversaire, Mark.
- Non, tu n'as pas failli oublier, tu as oublié ! Quand je pense que j'avais organisé une super fête avec tes copains de fac pour le tien, et tu as oublié le mien.
- Je suis désolé. J'y ai pensé hier, je te jure, d'ailleurs je t'ai même acheté un cadeau, dit-il précipitamment en se levant.
- Non, attends, reste assis. Tu me le donneras ce soir, plutôt.
- Ce soir ? Tu as prévu quoi ? demande–t-il avec une inquiétude qui me ravit.
- Une soirée, pour mon anniversaire. Comme je savais que je ne pouvais pas compter sur toi…
- Comment ? Mais si, d'ailleurs les meilleures soirées sont celles qu'on passe tous les deux, non ?
- 364 jours par an, oui. Mais ce soir, je veux faire la fête.
Sa mine déconfite me réjouit secrètement, Hugo redoute les soirées branchées et les surprises, mais ce soir, c'est mon anniversaire, donc c'est moi qui décide.
- Une fête ? Il y aura qui ?
- Ah ah ! Surprise… Que des gens que tu connais, promis.
Cette nouvelle ne le rassure pas, il s'adosse à sa chaise, l'air morne :
- Pas encore une boîte de nuit, hein ? Je suis encore à moitié sourd d'avant-hier.
- Non, tout se passera ici.
Je sens mon cœur accélérer à l'idée de la « surprise » que je lui ai réservée, et je pose ma main sur son bras, en signe d'apaisement :
- Ça te plaira, je suis sûr. Et puis, tu peux bien faire un petit effort, pour mon anniversaire ?
- Tu sais que tu es insupportable ? soupire-t-il.
- Moi aussi je t'aime…
oOo oOo oOo
A 20 heures tout est prêt dans la grande salle, je fais un dernier tour des lieux pour vérifier que tout est parfait, je sais que ma minutie me perdra mais je déteste l'à peu près. Les tables et chaises sont recouvertes d'un tissu crème qui leur donne beaucoup de classe, et les petites lumières dissimulées ça et là mettent bien les bouquets blancs en valeur. L'ensemble me fait irrésistiblement penser à un mariage, mais ce n'est qu'un anniversaire. Mon anniversaire.
J'ai envoyé Hugo pour cinéma pour avoir le champ libre, il s'attend au pire, c'est sûr. 200 invités VIP anglais ou le retour de KK, son cauchemar secret.
Le jeune chef français qui officie pour la soirée me tend une coupe en souriant :
- Vous êtes satisfait ?
- Moi, oui. Mais j'espère que mes invités le seront aussi.
- Il serait difficile d'être plus difficile que vous, souffle-t-il avec une petite moue.
- C'est un compliment ?
- Non, une constatation.
Il me fixe avec un sourire complice, il est incontestablement mignon avec ses yeux noisette et sa petite fossette, et je ne parle pas de ses muscles ni ses épaules. C'est clair qu'à une certaine époque il aurait eu toutes ses chances de finir aux toilettes avec moi, mais je suis heureux, et fidèle.
En plus sa confiance en lui et ses œillades en public m'énervent, il ne doit pas oublier qu'il est à mon service, ici, ce jeune impertinent.
- Eh bien, je vous dirai ce soir si vous avez donné satisfaction, je lâche avec un léger mépris.
- J'ai beaucoup d'autres atouts pour vous satisfaire, murmure-t-il en me dévisageant longuement.
- Ca m'étonnerait. Je pense que vous n'avez aucune idée de mon niveau d'exigence.
- Laissez-moi ma chance… J'ai beaucoup de spécialités, et toutes ne sont pas culinaires, reprend-il en penchant un peu la tête, séducteur.
- Vous avez votre chance. En cuisine, dis-je en le plantant là.
Un coup de sonnette retentit, c'est ma mère et ma sœur qui arrivent de Londres, lourdement chargées.
- Ouh là ! Laissez-moi deviner. Vous avez déjà fait les boutiques ?
- Non, non. Ça, c'est juste tes cadeaux. Les boutiques, ce sera pour la semaine prochaine, dit Camélia avec un petit clin d'œil.
Ma mère me serre dans ses bras, visiblement émue. Nous sous sommes peu vus depuis la mort de son mari puis de son père, son visage est marqué par le chagrin, même si tout est soigneusement dissimulé derrière son maquillage et son sourire de circonstance. Nous n'avons pas besoin de parler pour nous comprendre, je la sens heureuse mais un peu affectée de revenir dans cette maison, celle de sa naissance.
- C'est bien que tu l'aies rachetée, Mark, c'est une belle maison.
- Tu es ici chez toi, maman. Tu seras toujours la bienvenue.
Un petit sourire illumine brièvement son visage bronzé, je demande :
- Alors, la Barbade, c'était bien ?
- Oh, bourré de touristes. Mais ça fait du bien, un peu de soleil.
- Tu veux que je t'aide à défaire tes valises ?
- Non, ça ira, merci, Camélia et Jeannette vont le faire. Occupe-toi de tes invités, mon chéri.
Un nouveau coup de sonnette retentit, cette fois c'est Diego et ses amis – trois beaux jeunes hommes à la moue boudeuse - qui me tendent chacun une bouteille de champagne :
- Bon anniversaire mon ami ! Tu sais que tu as une mine splendide ? C'est l'amour ou le bio ? interroge Diego en me tapant dans le dos.
- Diego ! Entre, entre… Eh bien, c'est les deux, en fait.
- Oh ! Gourmand…
- Et toi ? C'est lequel ? dis-je en désignant discrètement les éphèbes.
- C'est les trois ! Tu me connais, pas vrai ?
Avec un rire tonitruant il s'approche du buffet et commence à picorer les amuse-bouches en tendant sa coupe au serveur le plus mignon, vraisemblablement le favori du chef :
- Vous savez que vous avez des yeux superbes ? Qu'est-ce que vous perdez votre temps derrière ce comptoir ?
- Hé bien, je… je termine un apprentissage.
- Prenez ma carte et appelez-moi, je cherche de nouveaux visages, lui susurre-t-il avec un petit clin d'œil, en reluquant ses fesses.
En me retournant je m'aperçois qu'Hugo est immobile sur le seuil, sans doute intimidé.
- Viens, fais comme chez toi. Tu reconnais Diego ?
- Oui, bien sûr, se rembrunit-il.
- Tu ne vas pas me faire une scène de jalousie ? Tu sais que c'est un très bon ami à moi, en plus il est venu accompagné.
- Ah oui ? Par qui ?
- Les jeunes gens, là.
- Les deux ?
- Non, les trois mignons. Quelle santé, pas vrai ?
- Comme tu dis, fait-il avec un ton désapprobateur.
Ça commence mal, et ce n'est que le début. Parfois je me demande pourquoi j'adore me mettre me danger, par goût des difficultés ou tendances suicidaires. Mais ce soir je veux faire tomber tous les faux semblants, crever tous les abcès.
- C'était bien, le film ?
- Oui, oui.
- Tu as vu la décoration ?
- Oui, oui.
- Ça te plait ?
- Beaucoup, oui, dit-il d'un ton neutre. C'est toi qui as préparé tout ça ?
- Non, c'est le chef, là-bas.
- Celui qui n'arrête pas de te dévorer des yeux ?
- Oui, je sais, c'est un peu pénible. J'ai même failli passer à la casserole, tu sais. Mais je lui ai dit que je n'aimais que toi, parce que tu étais le seul à me satisfaire.
- Tu plaisantes ? demande-t-il avec effroi.
- Mais oui ! Allez, relax. On ne va pas toujours se cacher, si ? T'as peur de quoi ?
Au moment où il ouvre la bouche pour répondre, ma mère et ma sœur s'approchent de nous, et je sais que j'ai ma réponse. Hugo baisse précipitamment la tête, espérant sans doute leur échapper, mais je glisse mon bras sous son coude :
- Tu veux une coupe ?
- Deux, même…
Même si ma mère le salue poliment je vois à la légère crispation de ses lèvres qu'il l'agace, sans que je sache pourquoi.
- Maman, tu te souviens d'Hugo, bien sûr ?
Elle opine à peine avant de s'éloigner froidement, je sens que la tension se relâche dans le bras d'Hugo. Camélia lui sourit franchement, ce qui me rassure :
- Alors Mark a réussi à vous entraîner dans sa folie ?
- Eh oui…
- Je ne savais pas que vous appréciiez le milieu de la mode.
- Moi non plus, lâche-t-il avec une petite grimace, avant de rire avec elle.
Je vois que la main de ma mère tremble légèrement en prenant une coupe, ce qui ne lui ressemble pas, elle qui est impassible en toutes circonstances. Diego lui claque deux bises sur les joues, elle sourit difficilement.
- On attend encore quelqu'un ? demande Hugo en finissant un nouveau verre et en se gavant de toasts.
- Hum… oui. Deux personnes.
- Mais on est déjà nombreux, non ?
- On sera 10, même si j'avais prévu 8. Mais avec Diego on a toujours des surprises, dis-je en soupirant.
- Et je les connais, les deux dernières personnes ?
- Un peu, oui, je réponds en mentant effrontément. Ils ne devraient plus tarder.
- Mark, dis-moi que ce n'est pas KK, ni le fameux ami de ton père, James…
- Mais non, qu'est-ce que tu vas imaginer ! Je sais que je suis maso, mais quand même…
- Oh, avec toi, je m'attends à tout, surtout au pire.
Un nouveau coup de sonnette l'interrompt, je respire un grand coup, soudain nerveux.
Hugo ne peut réprimer un hoquet de surprise quand ses parents entrent dans la pièce, visiblement effarouchés. Elle tient gauchement un bouquet de fleurs, lui une bouteille de blanc d'Alsace, je devine qu'ils ont fait un effort pour s'habiller.
- C'est une blague, n'est-ce pas ? Dis-moi que je rêve. Tu n'as pas invité mes parents ?
- Ben si, pourquoi ? On ne les voit jamais, j'ai pensé que ce serait une bonne occasion.
- Une bonne occasion de quoi ? De me foutre dans la merde ?
- Toujours ta parano ! Non, de faire mieux connaissance, puisque maintenant nous sommes…
- Nous sommes… ?
- Partenaires d'affaires. De quoi tu as peur ?
- Dans l'ordre ? De ma mère, de la tienne, de Diego, de son copain qui a un piercing dans la lèvre et où sais-je encore, et…
- Stop ! Allez, va embrasser tes parents, Hugo. Je vais prendre les fleurs.
La mère d'Hugo le prend dans ses bras pour l'embrasser, j'échange une chaleureuse poignée de main avec son père, que je ne connaissais pas, mais qui me fait meilleure impression que ce qu'Hugo en a dit.
- Merci d'être venus !
- Merci de nous avoir invités, répond-elle vivement. Dites donc, c'est beau ici ! C'est chez vous ?
- Oui, c'est chez nous, on vient de s'installer, je réponds mine de rien. Vous avez fait bon voyage ?
- Oui, avec le TGV, c'est rapide. Tu vas bien, Hugo ? Tu en fais une tête !
- Qui ? Moi ?
- C'est la surprise… J'avoue j'ai un peu fait des cachotteries, alors Hugo cache sa joie. Pas vrai ? je tente, pour alléger l'ambiance.
- Je… hum… bien sûr ! Quelle bonne surprise…
- Heureusement que ton ami est là, parce que toi tu ne viens jamais nous voir, déclare sèchement sa mère, et je dois me mordre la lèvre pour ne pas éclater de rire.
- Venez boire un verre, je vais vous présenter ma famille, dis-je avec cérémonie alors qu'Hugo pâlit.
Après les présentations un peu brèves quoique polies nous passons à table, Diego et ses mignons d'un côté, nos parents face à face à l'autre bout, et Hugo sur des charbons ardents au milieu, à ma droite. Il roule des yeux mécontents en me regardant, je lui fais mon plus beau sourire, lui soufflant de se détendre. Ce n'est qu'un dîner, après tout.
A ma grande surprise sa mère et ma sœur entament avec les entrées une conversation animée sur les différences entre les cultures anglaises et françaises, je pressens qu'elle aimerait bien que Camélia soit l'heureuse élue de son fils, au lieu de la grande asperge blonde – moi. Ma mère et son père discutent de je ne sais quoi, mais je suis sans crainte, ma mère peut parler de n'importe quel sujet avec aisance, sans même se montrer offusquée de l'attitude pour le moins désinvolte des amis de Diego.
- Nous avons été très étonnés qu'Hugo change de métier, déclare sa mère d'un ton péremptoire, interrompant le flot des conversations. Pourquoi tu as fait ça, mon chéri ?
- Je… euh… entame le « chéri », mal à l'aise.
- Pour moi. Parce que je le lui ai proposé. J'avais besoin d'un partenaire connaissant les mécanismes financiers et juridiques, et Hugo a accepté.
Ce dernier me flanque un grand coup de coude, mais ma sœur intervient déjà :
- Hugo a beaucoup de courage de supporter Mark, il peut être impossible dans certains cas.
- Merci, ma chère sœur.
- Elle s'appelle comment votre boutique, déjà ?
- Ethnic World.
- C'est un peu branché, non ? Très bobo.
- Oui, c'est tout à fait la cible, sœurette. L'écologie et le respect de certains principes de confection nous paraissent importants, pas vrai, Hugo ?
- Oui, bien sûr…
- Et ça marche ? reprend Camélia, intéressée.
- On démarre, mais on a eu de bons articles, et je compte un peu sur toi pour nous dévaliser la boutique et me faire de la pub à Londres. Tu pourras te vanter d'avoir été la première à nous découvrir.
- Oh ! Okay, why not ? En tout cas, c'est courageux de repartir de zéro, après le succès que vous aviez eu, Diego et toi.
Je remercie le ciel in petto que ma mère n'intervienne pas pour en rajouter une couche sur le mode « quel dommage d'avoir quitté une si belle affaire », mais elle est discrète et ne me juge pas, jamais. De toute manière la fortune familiale me mettant à l'abri, mes tocades n'ont pas vraiment d'importance, ce qu'Hugo a du mal à comprendre. Je lui ressers un verre, espérant qu'il se détende, mais il reste du chemin à faire, visiblement.
Les aides du chef retirent les assiettes de l'entrée, les amis de Diego parlent de leurs préférences en matière de rosebuds, je prie pour que les parents d'Hugo n'entendent pas.
- Je vous montrerai votre chambre, tout à l'heure.
- Merci, oui. Ca a l'air grand, ici. Tout l'étage est à vous ?
- Oui. C'est une maison familiale en fait, mon grand père vivait ici, il est mort il y a peu.
- Je suis désolée, vraiment. Mais vous ne voulez pas dire que tout l'immeuble est à vous ?
- En fait, si. Mais on y a plusieurs bureaux, on travaille ici aussi. Il y a même de la place pour un futur cabinet d'avocat, pour Hugo, dis-je étourdiment.
- Hugo compte ouvrir un cabinet d'avocat ? Alors qu'il vient de quitter la profession ? Qu'est-ce que c'est que ça, Hugo ? C'est une blague ?
- Disons que c'est un vague projet, rien de bien défini, répond-il, mal à l'aise. Juste une idée de Mark.
- Il faudrait quand même que tu saches ce que tu veux, Hugo, ajoute-elle sèchement. On ne peut pas courir plusieurs lapins à la fois.
- Déjà qu'on trouvait bizarre que tu quittes ton métier, renchérit son père en rajustant ses lunettes.
« Est-ce que tu as bien réfléchi ? » demande sa mère, et je vois Hugo faire de gros efforts pour garder son calme.
- Maman…
- Non, c'est de ma faute, dis-je avec un sourire forcé. C'est… hum… une espèce de plaisanterie entre Hugo et moi. Pas de quoi s'inquiéter, dis-je d'un ton apaisant. Encore un peu de vin ?
Je fais un signe au chef pour qu'il envoie rapidement le plat, Hugo me lance un regard lourd de reproches et chuchote discrètement :
- Merci pour ton cadeau, Mark. Belle idée d'inviter mes parents. C'est pas ton anniversaire ce soir, c'est ma fête !
- Je voulais juste clarifier les choses, pour que nos proches aient le même niveau d'information. On ne peut pas se cacher tout le temps.
- Les choses, quelles choses ?
- Notre mariage, par exemple.
- QUOI ?
Hugo s'étouffe et tousse bruyamment, je lui tape dans le dos d'un air dégagé :
- Une arrête ?
- De l'eau, vite, émet-il en se cachant derrière sa serviette.
- Je plaisantais. C'était pour détendre l'atmosphère.
- Rends-moi un service, veux-tu ? Arrête les blagues, je ris trop, j'attrape des rides.
- Chochotte !
- Mais tu ne vois pas que c'est l'enfer, pour moi ?
- Pourquoi ? Tu ne veux toujours pas décevoir tes parents ? Je croyais que tu avais fait une analyse ?
- Non, j'ai suivi une thérapie, pas une analyse, et si j'aime mieux pas tout raconter à mes parents, ça me regarde, murmure-t-il derrière sa serviette. Et puis j'ai l'impression que ta mère me déteste.
- Ma mère ? Allons bon ! Pourquoi elle ferait ça ?
- Aucune idée, dit-il en haussant les épaules.
Les invités ont repris leurs conversations, je jette des petits coups d'œil à ma mère qui observe en effet Hugo avec sévérité, voire mépris. Camélia quant à elle parait tout à fait à l'aise, se révélant une hôtesse charmante pour ses voisins.
Après le dessert nous allons prendre le café dans le petit salon, je me glisse aux côtés de ma mère :
- Tout va bien ?
- Très bien, merci. Je suis seulement un peu fatiguée.
- Les parents d'Hugo sont gentils, n'est-ce pas ?
- Sans doute, répond-elle prudemment, sans les regarder.
- Qu'est-ce qui ne va pas, maman ?
- Comment ? Tout va bien, je te l'ai dit.
- Non, non, je vois qu'il y a quelque chose qui te déplaît. C'est parce qu'ils ne sont pas de notre milieu ?
Elle hausse les épaules et fait mine de se lever, je la retiens par le bras.
- Maman, c'est important pour moi. Qu'est-ce qui te choque ?
- Rien, je te l'ai dit, réplique-t-elle sèchement.
- Maman, c'est la dernière fois que tu me vois si tu persistes dans cette attitude envers Hugo. Donne-moi une bonne raison de le mépriser, et je te laisserai tranquille.
Elle se tourne vers moi, et je lis tant de détresse dans son regard bleu que je sens une sourde angoisse monter dans mon ventre.
- Je ne peux pas en parler ici. De toute façon ça n'a pas de réelle importance, tu as toujours fait ce que tu as voulu, à tort ou à raison…
- Si, ça a de l'importance pour moi. Hugo est le premier et seul homme que j'aie vraiment aimé, j'ai le droit de savoir.
- Le droit ? Tu n'as aucun droit sur moi, je te rappelle que je suis ta mère.
- Parfait. Je n'ai plus de mère, alors, je lance en m'éloignant vers la porte.
- D'accord, lâche-t-elle finalement en se levant. Allons dans le bureau de ton grand-père.
Je la suis dans le couloir, légèrement inquiet. Arrivée dans le bureau elle allume une petite lampe mais s'assoit dans un fauteuil qui lui tourne le dos, maintenant son visage dans l'obscurité.
- Je t'écoute, maman.
- C'est… très gênant pour moi.
- Je comprends, je te connais.
- C'est très personnel.
- Sans doute. Mais pour moi aussi, puisque ça concerne Hugo.
Elle reste encore quelques minutes muette, cherchant sans doute ses mots, puis souffle :
- Après la mort de ton père, j'ai trouvé un… carnet dans ses affaires, dans sa garçonnière. Je… je n'aurais sans doute pas dû le lire, d'ailleurs j'ai failli le jeter, et puis… je l'ai ouvert.
- Et ?
- C'était une espèce de… répertoire. Avec des noms, ou des pseudos. Des appréciations sur les personnes, et des commentaires sur leurs rencontres… intimes. Il y avait aussi des photos… horribles. Oh mon Dieu c'était immonde, Mark.
- J'imagine. Continue.
- Je crois que j'aurais dû tout brûler. Je savais qu'il était infidèle, mais je n'avais aucune idée de ce qu'il faisait réellement avec ces… ces personnes. Toute cette garçonnière était immonde, et tous ces objets… ajoute-t-elle en frissonnant.
- Quel rapport avec Hugo ? dis-je d'une voix métallique, que je ne reconnais pas.
- Il… il était sur la liste.
- Tu es sûre que c'était lui ?
- Oui, absolument sûre. Il y avait des détails qui…
- Je ne veux pas connaître ces détails. Jette ce carnet et oublie-le, maman, tu te tortures pour rien. On ne change pas le passé.
- Mais tu te rends compte que ton ami a couché avec ton père ? Tu lui pardonnes ça ?
- C'est aux coupables qu'on doit pardonner, pas aux victimes. Hugo est une victime. Ce salaud l'a attiré en se servant de moi comme appât, comme il l'avait déjà fait quelques années auparavant, et il l'a drogué. Le monstre, c'était ton mari, pas Hugo, maman. Je n'ai rien à lui pardonner. C'est plutôt à lui de pardonner à notre famille…
- Comment ? Mais comment sais-tu tout cela ?
- Père ne s'est jamais beaucoup caché, tu sais. Je crois même qu'il le faisait exprès.
- Je ne te crois pas, Mark.
- Ben voyons ! C'est tellement pratique, de fermer les yeux.
Sous le coup, elle pâlit et se tait. Je voulais crever l'abcès, l'épisode dépasse mes espérances. Je pourrais me pencher sur elle et essayer de la consoler, mais quelque chose m'en empêche. La rancune, peut-être, ou simplement la retenue. Les effusions n'ont pas cours dans ma famille. Je reste droit et immobile, tentant de ne pas me demander ce que mon père a écrit sur Hugo, dans son fameux carnet. Espérant qu'il n'y ait pas eu de photos.
- Je… je n'aurais jamais pu imaginer ça, Mark. Jamais. Je me disais qu'il s'ennuyait avec moi, que je ne pouvais pas lui donner ce qui lui manquait. Mais je n'aurais jamais pu imaginer ça… répète-t-elle avec un dégoût évident.
J'acquiesce sans dire un mot, brûlant d'envie d'ajouter : « Si tu savais tout ce que tu as ignoré… » mais parler du mal serait le faire renaître, et il est mort, et bien mort. Je fixe notre reflet dans le miroir, pâles ombres dans un décor trop somptueux, me demandant quel est le prix à payer pour l'oubli définitif.
- Je ne sais pas comment tu fais pour vivre avec ce garçon après tout ça, poursuit-elle sourdement, moi je n'arrête pas d'y penser, tout le temps, et j'ai tellement honte, tu sais. Quand je croise nos anciennes connaissances je lis la pitié et le dégoût dans leurs yeux, c'est insupportable.
- Alors déménage, quitte le pays. Installe-toi à la Barbade, ou en France, ou en Italie. Tu as largement les moyens de refaire ta vie, alors profites-en. Tes vrais amis te soutiendront, les autres seront un poids de moins. Et pour répondre à ta question, je supporte ce passé douloureux parce qu'Hugo est la seule personne que j'aime, la seule personne qui me fait du bien, qui me fait confiance. Le quitter pour cette raison aurait fait trop plaisir à mon père, alors je m'accroche. Il n'aura pas le dernier mot sur ma vie. Bon, je crois qu'il est temps de retrouver mes invités, non ? Maman, quoi qu'il se soit passé, je te demande de ne pas en vouloir à Hugo. Ne m'oblige pas à choisir…
Elle hoche la tête puis se relève dignement, déjà prête à retrouver son rôle de veuve distinguée, sans états d'âme.
- Je comprends, Mark. Mais je me demande quand même ce que tu lui trouves, à ce garçon, dit-elle en quittant la pièce.
- Si tu savais… dis-je en souriant dans la pénombre, l'esprit empli de lui.
Hugo. Il n'y a pas de mots, je crois, pour décrire ça.
A part amour, peut-être.
Hugo. Des yeux émeraude, des épaules carrées et des kilomètres de mauvaise foi. Des cheveux en bataille et la bouche la plus sexy qui soit, en certaines circonstances. De la révolte et des principes, mélange détonnant.
D'aussi loin que je me souvienne, personne ne m'a aimé comme lui. De la première nuit dans cette chambre d'hôtel – je n'ai que des souvenirs flous de notre première vraie rencontre, sur la plage - à notre dernière nuit ensemble, dans cette maison qui est nôtre, désormais, personne ne m'a fait vibrer comme lui, jamais, nulle part.
Personne ne m'a jamais regardé comme lui, moi, le paumé trop blond et trop maigre, dont le cul ne valait plus un clou à force d'excès. Le champagne coulait sur ses chaussures même pas vernies, de soir-là, il était devenu cramoisi, tellement craquant. Facile à séduire, même pas blasé. Un passe-temps amusant en perspective, le petit brun timide qui ne sait même pas ouvrir le champagne, qu'on prend et qu'on jette. La peau qui sent le sel, peut-être.
Il a suffi que je me couche nu sur les draps, il était fait comme un rat, pris dans ma toile. Je devinais ses muscles sous son tee-shirt, je ne voulais même pas connaître son nom. Pour combien tu m'aimes, pour combien tu me quittes, disait une chanson dans mon I-Pod, j'avais une liasse toute prête pour ce genre d'expédient, dans la commode. Facile, trop facile. Légèrement ennuyeux, au début. Une bouche malhabile, une main nerveuse et un plaisir rapide. Un parcours trop connu, trop balisé, trop rassurant. Je m'ennuyais ferme, je crois.
Et puis ce soudain dérapage, sa bouche qui m'a mordu, le goût du sang et ma peau qui s'est hérissée, sous l'instinct bestial. Je l'ai enfin regardé, bien observé, la lueur démente dans ses yeux, effrayante et excitante, mon cœur est reparti d'un coup, je me suis cambré malgré moi, attendant la suite, espérant le pire. Oui, ai-je pensé, prends-moi, baise-moi, tue-moi, fais-moi décoller et exploser de plaisir, va au delà de tout. Je n'ai pas eu besoin de parler, sa peau a compris la mienne, mon besoin et ma folie. Le goût du vice, le goût du sang.
La petite mort.
Sa bouche était affamée, sa chair brûlante, son corps lourd contre moi, je n'étais plus rien que l'autre partie de lui, le côté sombre, la part diabolique, cachée. Il m'a aimé ou détesté, je ne sais pas, mais de tout son cœur, du plus profond de lui, sans pudeur ni artifice, entièrement. Sans ménagement. L'absolue violence dont je rêvais et la pureté que je n'osais espérer, il m'a tout offert comme on s'abandonne à un vice, et je crois que je me suis vu dans ses pupilles dilatées, que je me suis accroché à lui en le suppliant de ne pas arrêter, jamais.
Jamais.
Je l'avais enfin trouvé, lui. Celui qui saurait m'aimer comme personne. Ou me tuer, avec un peu de chance. La même folie, le poison violent. La douleur et le plaisir mêlés.
Hugo.
Mon sauveur et mon assassin.
- Qu'est-ce que tu fais tout seul dans le noir ? demande-t-il en allumant brusquement la lumière, qui m'éblouit.
- Je pensais à toi. A notre rencontre.
- Tu crois que c'est le moment ? Tu sais que c'est l'heure du gâteau ? Tu as oublié tes invités ?
- Je crois, oui. Rassure-toi, j'arrive, dis-je en l'enlaçant et en déposant un baiser sur ses lèvres.
- Tu es bien tendre, d'un coup. C'est louche. Tu as parlé à ta mère ? Elle me regarde différemment, on dirait.
- Ah ? C'est bien, alors.
- Tu lui as dit quoi ?
- Rien d'important. J'ai dissipé un malentendu.
- Lequel ?
- Toujours curieux, hein ? Elle voulait savoir ce que je te trouvais, pourquoi j'étais resté avec toi.
- Ouh là ! Et tu lui as répondu quoi ?
- Rien. Ça ne la regarde pas.
Il me scrute, cherchant à deviner ce que je ne dis pas. Je soutiens son regard, j'en ai dupé de plus féroces. Mais sa main contre ma hanche fait accélérer mon cœur, j'ai envie d'éteindre la lumière, fermer la porte, trouver la réponse.
- Je crois que ce que je préfère chez toi, Hugo, c'est ta paranoïa.
- Très drôle.
- Non, j'aime tout, chez toi.
- Hum, un peu bateau, non ? fait-il avec une petite moue.
- Tes qualités, tes défauts, ton courage, tes lâchetés, le fait que tu m'aimes, le fait qu'on a tout traversé pour être heureux. Tu m'as sauvé la vie, tu as failli me tuer. J'aime ça.
- Tu aimes le fait que j'ai failli te tuer ? Mais c'est horrible, non ?
- Non. C'est de l'amour, je crois. Ma vie entre tes mains.
Sa bouche se tord un peu, il est perplexe. J'aime quand Hugo se pose des questions, il aime quand je le perturbe, quand je le choque. Nos corps se rapprochent, c'est chimique sans doute.
J'attends la nuit, la pleine lune qui me dévoilera nos corps, l'union de nos âmes, si Dieu le veut. Si Hugo le veut assez fort, encore.
J'entends les bruits sourds de son cœur contre ma poitrine, je me penche vers son oreille :
- Et toi, c'est juste à cause d'une vague ressemblance que tu m'as aimé ?
- Non. Non, pas seulement, dit-il après une petite hésitation. Je sais ce qui m'a plu en toi, Mark, et qui me bouleverse toujours : ta douceur. Ton incroyable douceur, physique et mentale. Je n'avais jamais connu ça, avant ta peau.
Je baisse la tête, un rayon de lune éclaire sa nuque, je sais que c'est un signe, comme une réponse.
FIN
Bon, voilà, 50 chapitres bien comptés, pas de mariage, pas d'enfants, j'ai évité le conte de fées, ouf ^^
Pour le reste j'espère que cette histoire vous aura plu, même si elle était un peu longue et chaotique, parfois. J'ai trop d'idées je crois, je gagnerais à être plus brève, souvent. Peut-être que la fin du « saut commun de la falaise » aurait été la meilleure, finalement, en termes dramatiques. Mais j'ai pris beaucoup de plaisir (trop ?) à écrire cette fic pour vous, j'espère que le plaisir était partagé… Cette histoire existe en livre, vous la trouverez sur The book edition, sous mon nom d'auteur : Nathalie Bleger.