Ta ta dam tam da (love is gonna get you down)

Genre : life is life, nana nanana (romance, ou presque en tout cas)
Censure :
K+/PG
Date : 7 avril-4 mai 2009 ; 28 décembre 2009

Note : Merci à Spooky pour l'aide avec le titre et le « tu te poses trop de questions » ;p

oOo

Matthi dormait depuis peu lorsqu'une main sur sa hanche et une voix près de sa joue le réveillèrent :

« Matt, Matthi… »

Il grogna et cacha le visage dans l'oreiller, loin d'être prêt à affronter la journée, surtout pas le regard d'Éli. Il ne lui avait fallu qu'un instant avant que sa bourde de la nuit lui revienne, un instant avant que son estomac le pince affreusement.

(Je t'aime, a-t-il soufflé à Éli.)

« Matt, je pars deux jours. Reste à l'appart, ok ? T'auras moins loin pour ton boulot. Je te vois lundi. »

Un baiser sur sa nuque, inattendu, le matelas qui bouge, les pas dans la chambre, puis la porte qui se referme. Matthi entrouvrit les yeux, foudroya du regard la place vide à ses côtés et mordit l'oreiller d'un coup de mâchoire vindicatif.

Il s'y était attendu.

Deux jours pour s'éloigner, puis Éli reviendrait, Matthi retournerait chez lui. Le temps de silence par la suite dépendrait de l'humeur d'Éli ou de la résistance de Matthi.

« Merde », murmura-t-il.

Il ferma les yeux très fort, décidé à se rendormir, mais en vain. Il avait quoi, trois, quatre heures de sommeil au compteur ? Il ne savait pas combien de temps il était resté éveillé la nuit dernière après qu'ils avaient baisé, terrifié à l'idée de voir arriver le matin.

Comme si, en refusant de dormir, il pouvait empêcher le soleil de se lever.

Ça ce serait un pouvoir cool, pensa-t-il.

Il se leva, enfila un caleçon qui trainait par terre et sortit dans le séjour avant de rejoindre le comptoir de la cuisine où l'attendait la Nespresso. Éli ne l'avait pas éteinte en partant et il put se faire un café tout de suite, rapidement suivi d'un second. Il attrapa une pomme et s'installa sur le balcon pour la croquer. Il n'était pas huit heures et demie du matin, et même si le soleil s'était levé depuis un moment déjà, il y avait quelque chose de neuf dans l'air. Il faisait frais, il avait la chair de poule, mais le balcon donnait plein Est et la chaleur naissante compenserait bientôt.

Les deux cafés lui avaient fait du bien, le beau temps avait terminé le travail.

Ok. Crise de panique, terminée.

Éli s'était fait la malle, d'accord. Mais il ne l'avait pas éjecté de l'appartement au passage, au contraire. Il avait permission de passer le week-end ici, Éli avait été vaguement affectueux avant de partir et il lui avait dit : à lundi.

C'était un progrès considérable, songea Matthi en regardant son trognon de pomme. Peut-être qu'il y aurait rétention de sexe pendant quelques temps mais ça arrivait dans tous les couples.

Seigneur, voilà qu'il venait de penser le mot en « c ». Et tout ça après avoir dit à voix haute ce que même Jean Jacques Goldman vous conseillait de garder sous silence. Quelque part sur l'autoroute, Éli avait dû sentir un frisson lui parcourir l'échine.

Matthi renversa la tête en arrière. Il devenait sarcastique. On lui avait dit une fois que le sarcasme était un signe avant-coureur de l'amertume, elle-même un panneau où clignotait : j'en ai marre, ras le bol, j'abandonne, au revoir.

« Un torse nu au réveil, la journée commence bien », lança une voix non loin.

Matthi leva la tête. Les bras appuyés au rebord, Francesco avait passé la sienne par la fenêtre de sa cuisine un étage plus haut.

« Qu'est-ce que tu fais debout si tôt, beau gosse ?

— Je te retourne la question, répliqua Matthi, agitant le trognon de sa pomme en guise de salut.

— Hé, moi y'avait personne pour me garder au pieu et m'empêcher de dormir cette nuit. Aussi, je bosse à neuf heures et demie, l'un des serveurs du week-end est malade. Il ronfle, le Charléli, pour que t'aies fui comme ça ? »

Matthi sourit malgré lui. Il aimait bien la façon dont Francesco manipulait le prénom d'Éli – Charles-Élisée, en réalité, prénom que son propriétaire haïssait avec une passion que seules justifiaient des années de tortures subies à l'école. Matthi trouvait particulièrement amusant qu'il se fasse appeler Éli, se demandant toujours ce que pensait sa famille ultra catholique de ce surnom à consonance juive.

« Il est parti y'a une heure, répondit enfin Matthi, les yeux sur Montmartre qu'on apercevait au loin entre deux immeubles. Il revient pas du week-end.

— Chez ses parents ?

— Aucune idée. »

Il y eut un silence, peut-être gêné. Matthi se demanda ce que Francesco pouvait bien penser d'eux et s'il lui arrivait d'en voir défiler d'autres que lui. Il évitait d'y réfléchir parce qu'il avait beau avoir décidé de prendre Éli comme il venait, l'idée restait un peu désagréable.

Il n'oublierait jamais ce choc, deux ans plus tôt, lorsqu'il était venu tôt un matin pour récupérer sa carte de transport oubliée la veille sur la table d'apéro.

Ce n'était pas qu'il se leurrait sur les sentiments d'Éli, même à l'époque. Il ne s'agissait même pas d'une possessivité malvenue ; ils ne s'étaient rien promis, n'étant ni l'un ni l'autre du genre à la jouer relation exclusive avec avenir envisagé d'office comme certains des copains de Matthi, mais à l'époque ils se connaissaient depuis un an, couchaient ensemble depuis dix mois et même s'ils n'en avaient pas parlé, Matthi avait senti quelque chose de sérieux se former entre eux. Ils se voyaient pas mal, passaient des week-ends entiers ensemble, Éli était relativement affectueux en public…

Ouuuh, la désillusion lorsqu'il avait sonné à la porte ce matin-là.

Se rendant compte qu'il avait le sentiment d'être trompé et que de toute évidence ils n'étaient pas du tout sur la même longueur d'ondes, Matthi avait choisi de faire une marche arrière monumentale. En commençant par ne pas répondre au téléphone trois jours plus tard lorsqu'Éli finit par l'appeler.

Coup de chance, ça avait coïncidé avec la signature de son CDI à la boite d'architecture où il était en stage et il avait pu se noyer dans ce soulagement et le boulot.

Un mois plus tard, Éli l'embrassait à la soirée d'un copain commun et Matthi, paillasson sans volonté qu'il était, s'était laissé faire. Ils n'avaient jamais parlé de ce qu'il s'était passé.

Deux ans, putain, songea Matthi avec surprise.

Deux ans à entendre Éli dire à ses parents au téléphone qu'il voyait « sa copine », à surveiller ses paroles et ses gestes parce qu'Éli pouvait se trouver soudain très occupé des semaines durant si Matthi laissait filtrer ses sentiments.

Qu'est-ce que je lui trouve, déjà ?

Malheureusement, il y avait des réponses. Il y avait le cul, bien sûr, mais Éli n'était pas le seul mec au monde à bien baiser.

Ils avaient commencé par bien s'entendre.

Ils aimaient le même genre de musique, le même genre de littérature, s'accordaient moins au niveau des films mais tous deux étaient bon public. Même si Matthi pouvait être plus impulsif, ils étaient tous deux du genre posé. Ils pouvaient passer des heures sans se parler et des heures à discuter de tout et de rien.

Tant qu'on restait dans leur cercle, Éli hésitait rarement à passer un bras autour de la taille ou des épaules de Matthi en public, même dans la rue. Il lui arrivait de faire des choses extravagantes, comme cette fois où il avait décidé que Matthi avait besoin de vacances et qu'il l'avait emmené deux jours dans la Baie de Somme.

Et celle où ils avaient visité Paris comme deux touristes, où Éli avait parlé avec un faux accent anglais toute la journée.

Et celle où Éli l'avait conduit en voiture jusque dans l'Yonne pour l'enterrement de sa grand-mère parce que la SNCF était en grève. Deux heures à l'aller, deux heures au retour, et une nuit dans ses bras.

Par bien des aspects, Éli était son meilleur ami. L'un de ses meilleurs, du moins. Tant que Matthi ne laissait pas sous-entendre qu'il était fou amoureux, bien sûr.

C'était l'éléphant rose à pois bleus clignotants qui les suivait partout et qu'ils faisaient de leur mieux pour oublier.

« Hé, y'a un concert ce soir au 9-1-1, tu devrais passer, lança Francesco. Le groupe est sympa pour une fois, si t'aimes le rock qui hurle pas trop.

— À quelle heure ?

—21h. »

Matthi contempla un instant l'immeuble d'en face, puis il hocha la tête.

« Je passerai. »

Satisfait, Francesco lui dit au revoir et referma la fenêtre. Matthi avait envie d'une cigarette.

-

Il ne céda pas avant la fin de la soirée. Il avait passé l'après-midi à travailler, profitant du silence. Pickles, le chat de Francesco, l'avait interrompu vers dix-huit heures à coups de miaulement pathétiques devant la fenêtre de la cuisine, comme cela lui arrivait souvent. Éli, qui aimait les gosses, les bébés animaux et sauver la planète, lui ouvrait toujours pour le ramener à son voisin du dessus ; Matthi partait du principe que si le félin avait pu arriver jusque-là, il pouvait rentrer tout seul.

Pickles et lui s'étaient longtemps regardés.

« Tu peux toujours rêver si tu crois que je vais te nourrir », lui avait signalé Matthi, mais il lui avait ouvert et l'avait ramené à Francesco qui se préparait pour le service du soir.

Un peu avant 21h, il avait rejoint le 9-1-1 où la musique n'était effectivement pas si mal, quoiqu'un peu forte.

Il sortit prendre l'air sur le trottoir, s'éloigna un peu des fumeurs pour éviter la tentation. Mais l'un d'eux s'approcha de lui. Pas mal, remarqua Matthi, grandes mains aux doigts fins, sourire engageant, boucles brunes.

« Tu veux une clope ?

— J'ai arrêté il y a un an.

— Oh. »

L'inconnu fit une sorte de moue.

« Tout le monde fume autour de moi, dit-il. Quitte à fumer, je préfère être actif plutôt que passif. »

Matthi ne put s'empêcher d'esquisser un sourire, l'autre réalisa ce qu'il venait de dire et lâcha un rire bref.

« Ok, non, ce n'était pas un moyen désespéré d'attirer ton attention, promis.

— Contrairement au coup de la cigarette ? répondit Matthi d'un ton amusé.

— Ouuuuch, bon, je vais retourner me cacher…

— Auprès des fumeurs actifs ? »

Avant qu'il ait le temps de réagir, Matthi lui avait délicatement pris sa cigarette. Un instant d'hésitation seulement ; il la porta à ses lèvres, inspira profondément, les yeux fermés. Ses poumons le brûlèrent agréablement, la nicotine lui monta à la tête.

Les premières notes d'une reprise de Renegade filtraient par la porte ouverte du bar.

« Je m'appelle Matthi, dit-il.

— Sébastien. »

Sébastien avait un sourire sans détour et une lueur dans les yeux. Ils rentrèrent dans le bar ensemble et s'installèrent au fond pour discuter sans gêner les musiciens, sans que les musiciens les gênent.

À Minuit passé, Sébastien se pencha vers lui, murmura à son oreille alors qu'il avait parlé normalement jusque-là :

« Rentre avec moi. »

Rien de surprenant ; ce jeu entre eux n'avait rien eu d'innocent. Matthi eut envie. Il en avait envie comme d'une cigarette volée. Dire oui et découvrir si Sébastien était au lit comme il fumait ou s'il était plus flexible, passer la nuit à explorer un corps inconnu et sentir sur lui des doigts sans rien de familier. Ne pas se surveiller. Ne rien attendre ni espérer d'autre qu'un bon moment.

Tout regretter au matin.

-

Peut-être parce qu'il sentait combien dire non avait été difficile, Sébastien ne montra qu'un peu de déception. Sur une serviette il écrivit son numéro de téléphone et son adresse .

« Hésite pas. »

Après son départ, Matthi n'eut plus envie de rester non plus. Il dit au revoir à Francesco et rentra à l'appartement sans trop se presser. Il se déshabilla au milieu de la chambre, laissa ses vêtements tomber sur le sol sans les ramasser et se glissa dans les draps.

Un instant plus tard, il roula sur le ventre, le nez dans l'oreiller d'Éli.

-

Éli appela le lundi vers 17h.

« Tu finis à quelle heure ? demanda-t-il sans préambule.

— À trente, répondit Matthi. Bonjour à toi aussi.

— Hi, babe.

— Je peux garder mon envie de te frapper jusqu'à te voir, tu sais.

—Je sais, t'as toujours été patient. Je passe te chercher, ok ? J'arrive sur Paris, là.

— … oook… ?

— À tout'. »

Matthi raccrocha avec un mélange de soulagement et de surprise. D'habitude, Éli avait besoin de plus de temps que ça avant de revenir vers lui. Mais trois quart d'heure plus tard, il était bien là, en double file. Matthi se dépêcha d'entrer dans la voiture. Avant de démarrer, Éli se pencha, déposa un baiser sur ses lèvres, fronça les sourcils.

« Tu sens la clope.

— Mmh », répondit Matthi.

Éli n'insista pas. Il redémarra et le trajet, aussi court qu'il était, parut très long à Matthi dans ce silence inhabituel. Éli l'avait travaillé au corps pour qu'il arrête de fumer. Et il n'avait jamais été du genre à se taire sur le sujet.

Éli mit sa voiture dans le garage sous l'immeuble, ils prirent l'ascenseur toujours sans rien dire, mais juste avant que les portes automatiques ne s'ouvrent, il pressa soudain la main de Matthi dans la sienne, fort, brièvement.

Matthi entra le premier dans l'appartement, se retourna. Derrière lui, Éli posa les clefs sur la petite table à l'entrée, garda les mains appuyée dessus.

« J'ai dit à mes parents que j'étais homo. »

Matthi se figea, les yeux écarquillés, les lèvres entrouvertes.

« Ce week-end ? » réussit-il à prononcer.

Éli opina. Un silence chargé régna un instant entre eux.

Vraiment ? avait envie de demander Matthi. Pourquoi là, comme ça, vraiment ?

« Ça s'est passé comment ? souffla-t-il à la place.

— Mieux que j'osais l'espérer, ils m'ont pas jeté dehors. Moins bien que ça aurait pu, ma mère a beaucoup crié. »

Éli tordit la bouche dans un sourire bizarre.

« Ils veulent te rencontrer.

Quoi ? Pourquoi ? »

Éli secoua la tête et se rapprocha. Il lui glissa une main dans les cheveux avant de l'arrêter sur sa nuque.

« Parce que je leur ai dit que j'ai un copain depuis plus de deux ans. Ça parait raisonnable qu'ils veuillent savoir qui c'est. Pas tout de suite, tout de suite, il leur faut un peu de temps mais…

— Oh, va te faire foutre. »

Matthi lui tourna le dos, lèvres pincées parce que tremblantes de quelque chose qui ressemblait à de la fureur. Il alla se réfugier derrière le canapé.

« Tu avais besoin de leur prouver que c'était pas une mauvaise blague, c'est ça ?

— Dis pas de conneries », soupira Éli.

Il se rapprocha. Matthi croisa les bras. Éli resta près de l'accoudoir sans chercher à le toucher.

« Je suis une brêle, je sais. Pardon. Tu auras le droit de t'en servir comme argument à chaque fois qu'on s'engueulera.

— Quoi, du fait que t'as dit à tes parents qu'on était ensemble depuis plus de deux ans alors que y'a encore cinq minutes moi j'en étais pas sûr ?

— Du fait que je suis une brêle qui t'a fait attendre beaucoup trop longtemps.

— Qu'est-ce que tu veux, exactement ?

— Pouvoir dire que tu es mon petit ami sans que tu me fasses les yeux revolver.

— Et là, c'est donc le moment de l'engueulade où je te rappelle que pendant deux ans tu as fait comme si on baisait-point-final ?

— Si tu veux. Ça peut aussi être le moment où tu m'embrasses. »

Ils se regardèrent en silence. Puis Matthi se passa la paume des mains sur les yeux.

« Toi, t'as vraiment de la chance que je sois une vraie serpillère.

— Je sais que j'ai de la chance », répondit Éli.

Il l'embrassa doucement, pas tout à fait sur la bouche, pas tout à fait sur la joue.

oOo

« Samedi soir j'ai failli coucher avec un autre, dit soudain Matthi. Aussi, j'ai recommencé à fumer. »

Nu contre lui, Éli cessa de lui caresser le côté.

« Failli.

— Il s'est rien passé. Mais j'en ai eu envie.

— De ce type ou de coucher avec un autre ?

— Un peu des deux. »

Matthi sentit la main d'Éli se presser plus fort contre lui.

« Pourquoi tu éprouves le besoin de me dire ça ? En général, on évite. »

Matthi se tourna sur le côté, vers Éli.

« Je suis heureux que tu te sois décidé », murmura-t-il.

Il l'embrassa sans lui laisser le temps de comprendre à quel point ils étaient passés près de la rupture ; Éli aurait largement le temps plus tard de paniquer.

Au moins autant que Matthi à l'idée de rencontrer un jour ses parents.

(fin)

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