A force de coups de pieds aux fesses, je finirais bien par réussir à écrire la fin de cette histoire ! A part ça, j'ai trouvé un chapitre en double (le 7 était la copie du 5), j'espère vraiment que c'est la dernière erreur dans ce texte parce que là je fatigue XD j'ai tout revérifié, n'hésitez pas à me dire si un truc vous semble louche ou en-dehors du rythme.

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Peu à peu, les ténèbres de la nuit laissaient effectivement place au soleil, qui baignait tout le village endormi dans une lueur rosée irréelle. Depuis sa chambre qui donnait sur le bois, Loann avait pris l'habitude de se réveiller avec les gazouillis des oiseaux encore enveloppés de sommeil, s'éveillant à la quiétude du petit matin pleins d'entrain nouveau. Et depuis qu'il dormait fenêtre ouverte pour Nathaniel, il avait également pris l'habitude de trouver sa chambre un peu humide de la rosée du matin... mais cette humidité-ci, chaude et douceâtre, le poursuivait depuis bien plus longtemps. Son corps dysfonctionnel semblait toujours prendre un plaisir malsain à commencer de cracher du sang aux heures les moins intelligentes de la journée... comme en plein cours, ou pendant qu'il marchait dans la rue, ou encore lorsqu'il dormait.

Soudain parfaitement éveillé, Loann arracha ses couvertures d'un grand geste en jurant, les yeux brillants, et bondit de son lit pour courir à la salle de bain, où il passa vingt bonnes minutes sous l'eau à se frotter vigoureusement les cuisses pour en ôter toute trace de souillure. C'était immonde, ça n'avait rien à faire là, absolument tout ce qui avait trait à son anomalie n'avait rien à faire dans sa vie ! Brûlant de l'intérieur, il appliqua une de ces protections complètement démesurées pour son âge, qu'il haïssait tant, dans son boxer masculin, passa un vieux jogging pour cacher le tout, et retourna dans sa chambre en prenant soin de ne croiser personne (ce qui ne risquait pas d'arriver si tôt le matin). Il ne supportait pas qu'on le voie donner des signes de sa « maladie ». La vue du sang sur ses draps l'enragea davantage, et il arracha tout pour aller les rincer à grande eau dans la douche.

Il ne cessa de s'activer que lorsqu'il eut fait disparaître toute trace de l'existence de ses règles de sa chambre et du reste de la maison. Soudain envahi de lassitude, il se laissa tomber devant son ordinateur et prit la photo du nourrisson qui n'avait jamais quitté son bureau depuis l'arrivée de Nathaniel dans sa vie, et la dévisagea un moment en silence. Il lui avait toujours parlé pendant de longues minutes à chaque fois que cette période du mois arrivait, mais cette fois, il ne put trouver quoi dire... En reposant le cadre à droite de son écran, il était au moins sûr qu'une chose : quoiqu'il choisisse avec son ange, ça impliquerait de ne plus avoir de règles.

Préférant finalement parler aux vivants, il se tourna vers la cage de Marenga et la laissa sortir.

- L'échéance est tellement proche, maintenant... et tu te rends compte que ce n'est pas pour mon sexe que je m'inquiète, mais pour le départ de Nathaniel ? S'il m'entendait...

- Je t'entends et je le craignais, soupira la profonde voix de l'ange derrière lui.

Comme à son habitude, il s'était coulé par la fenêtre sans faire le moindre bruit, et Loann sauta en l'air, manquant de renverser sa chaise.

- Mon devoir était de t'accompagner et de te soutenir au mieux pendant cette expérience... et au lieu de cela...

- Ne dis pas ça, Nathaniel. Je préfère encore rester anormal et t'avoir rencontré plutôt que d'avoir un sexe fixe mais pas d'ange !

- Des propos que tu n'aurais jamais tenu il y a deux semaines encore.

Il était très difficile de déchiffrer les expressions d'un ange - en tout cas, celles de Nathaniel, qui avait toujours un visage neutre derrière ses yeux gris comme les nuages. Loann devinait dans ses paroles qu'il estimait avoir mal joué son rôle, mais il était incapable de décider s'il s'agissait d'une constatation ou d'un remords... Sans prévenir, une crampe au bassin le plia en deux et il serra les dents, et les mains sur son ventre. Oh, comme il détestait ça... il n'y avait rien à faire, aucun médicament qui puisse faire passer la douleur. Il en avait tant essayé... Il sentit Nathaniel poser une main fraiche sur son épaule, à la base du cou, et le masser doucement. Peu à peu, la crampe passa, et il se redressa, se décrispant petit à petit.

- Désolé, marmonna-t-il.

Sans répondre, l'ange fit glisser sa main le long du torse nu de Loann, effleurant son cœur sous sa poitrine de femme, et appliqua sa paume à la base du ventre, juste au dessus de son pantalon. Loann se trouva paralysé, incapable de réfléchir à ce qu'il fabriquait ni se poser la moindre question, galvanisé par le contact de l'être aimé sur son corps... Il leva les yeux vers le visage de Nathaniel mais celui-ci, penché en avant, avait les siens fermés et murmurait pour lui-même, bougeant à peine les lèvres... et le miracle se produisit : peu à peu, si lentement qu'il n'en n'eut d'abord pas conscience, ce corps hermaphrodite qui le torturait cessa de bouillonner. Toute la zone des cuisses au nombril sembla se détendre, reprendre un rythme normal, comme une vague de bien-être qui s'étendait depuis la main de Nathaniel et se répandait dans son corps. Il n'avait plus mal ! Il sentait que le sang suivait encore son cycle naturel d'élimination, mais le processus semblait devenu indolore.

- Ce n'est que pour cette fois-ci, mais ça devrait t'aider à te détendre, finit par dire Nathaniel.

Il rouvrit les yeux, sourit à Loann et se redressa, frottant sa main. Si le jeune humain avait approché à cet instant son oreille de la bouche de l'ange, il aurait également pu sentir que sa respiration s'était accélérée, mais tout occupé par la disparition de sa douleur, il n'y fit pas attention. Il avait les yeux écarquillés.

- Ça alors ! Tu as...

Aspiré ton mal, compléta Nathaniel pour lui-même, sans parler. Il ne voulait pas que Loann commence à s'inquiéter pour lui alors qu'il ne se rendait pas compte de ce que cette douleur représentait pour un Immortel : pas grand chose. Comme de juste, il sentit immédiatement l'appel, ce doux besoin de se trouver dans une maison de Dieu, qui était le signe que son superviseur allait venir lui parler. Il soupira. Ehveras allait être furieux, cette fois ; les missionnaires n'étaient pas censés accomplir des miracles autre que le but de leur mission - en l'occurrence, opérer les transformations nécessaires sur le corps de Loann pour lui permettre de choisir son sexe. Il n'était pas questions d'utiliser les pouvoirs du Père pour soulager des maux de ventre. Un simple ange en aurait d'ailleurs été incapable, mais Nathaniel avait été conçu pour être une Puissance, pas un missionnaire, et disposait à son gré des dons du Ciel. Il lui semblait stupide de laisser souffrir son protégé alors qu'il avait les moyens de l'apaiser.

Pour la seconde fois, il n'y répondit pas immédiatement, préférant rester avec Loann le temps que celui-ci soit prêt à partir en cours ; après quoi, seulement, il masqua ses quatre ailes et remonta les rues à pied, se dirigeant vers la place où se trouvait le temple qui l'avait accueilli après son différent avec Ehveras. L'évocation de cet incident mémorable le fit hésiter. Cette fois-ci, son superviseur devait être en rage, et la colère le rendait violent, comme aucun Immortel de son entourage ne l'ignorait, et certainement pas Nathaniel. Était-ce bien judicieux de risquer de causer un nouveau scandale en ville, surtout après qu'il ait fait un départ publique ?

- Non, vraiment, Ehveras, je crois que je vais trouver un lieu de rendez-vous un peu plus isolé, si ça ne t'ennuie pas que je prenne cette liberté, murmura-t-il entre ses lèvres.

L'appel se fit sentir plus distinctement en réponse, mais il n'était pas sûr que son ancien ami y soit pour quelque chose. Il préparait sans doute sa matérialisation.

Il bifurqua donc plutôt vers la côte. Le village était construit en croissant de lune autour de l'attirante crique qui avait poussé les habitants à s'installer ici : à l'ouest, surtout, les falaises de granit et les récifs surplombaient la mer, ornés d'une végétation rase de bruyère et d'épineux en tout genre, ajoncs, ronces, fougères... dès qu'il fut certain d'être seul, il déploya ses ailes et en battit une ou deux fois pour détendre ses muscles. Leur poids familier dans son dos lui manquait souvent lorsqu'il était avec les humains et qu'il devait les masquer... Le sentier qu'avait emprunté Nathaniel en sortant de la ville serpentait entre les pins, dans une forêt clairsemée aux troncs noircis à la base, témoins d'un incendie oublié. Tendant la main jusqu'au sol, Nathaniel laissa descendre son rat, qui se mit aussitôt à trottiner devant lui d'un air suffisant.

- Le très saint Ehveras n'a pas de buse cendrée, lui, dit-t-il.

- Je ne pouvais pas prévoir que Manasiah en aurait une. Très peu d'anges ont un familier de manière générale. Mais il est vrai que je suis censé t'apprendre à te présenter à tes semblables.

- Il faudra y penser à un moment donné avant que tu ne m'emmènes au Ciel !

Entendre l'expression que les humains employaient pour parler de la mort troubla Nathaniel. Ils évoquaient par là la fin de la vie, le néant... pas forcément le paradis... juste une disparition définitive. Quand il serait à nouveau dans la dimension sainte, il serait mort pour Loann. L'humain ne le verrait plus, n'entendrait plus jamais parler de lui, finirait peut-être même par l'oublier. Il pourrait se trouver une compagne, une vraie femme, qui puisse lui donner ces fameux enfants dont il rêvait chaque fois qu'il regardait son frère sur sa photo. Il ne lui avait jamais demandé pourquoi il était fils unique. Est-ce que ses parents avaient avaient été bouleversés par la mort de leur premier enfant, ou est-ce qu'ils peur de faire d'autres hermaphrodites ? C'était sûrement un sujet délicat, et Nathaniel avait déjà touché à suffisamment d'entre eux pendant son séjour sur Terre.

Il parvint finalement à son but. Devant lui, la mer, battant les flancs des récifs, et sur ces derniers, une chapelle de pierre que personne n'utilisait plus que pour les pique-niques. Le vent soufflait fort ici, déplaçant le ciel nuageux à une vitesse vertigineuse. C'est avec soulagement que l'ange baissa la tête pour se mettre à l'abri des murs.

Après le sifflement de l'air au-dehors, il eut l'impression d'avoir pénétré dans un sanctuaire de silence... Il n'y avait même pas de bancs, simplement quelques chaises poussées de côté. Les plumes en bas de ses ailes qu'il tenait pourtant repliées frottaient sur un sol de terre battue poussiéreux. Les parois de pierre fatiguée s'ornaient de quelques statues de templiers en hauteur, et la charpente apparente était de bois sous les ardoises ; un bloc de granit surmonté d'une épaisse planche de bois gris figurait l'autel, avec quelques gobelets également en bois et un napperon qui avait dû être blanc dans un lointain passé. Les vitraux avaient depuis longtemps cédé, et quelques coulées de lierre passaient par les fenêtres, dont le cadre était couvert de mousse par endroits. L'endroit plut immédiatement à Nathaniel. Pourquoi n'était-il pas venu directement ici ?

Alors même qu'il formulait cette pensée, ses sens furent assaillis par la proximité d'un Immortel. Il n'eut pas besoin de se retourner pour savoir que son vieil ami se tenait dans l'encadrement de la porte.

- Ehveras.

Encore une chose qu'un missionnaire ordinaire n'aurait jamais dite pour saluer son superviseur. La Puissance se courba à son tour pour entrer et jeta un regard circulaire à la petite chapelle.

- Un endroit bien de toi...

Saisi d'émotion par le ton neutre, Nathaniel n'osa pas parler. Pour la seconde fois depuis l'accident, son ancien partenaire ne lui crachait pas ses mots à la figure avec agressivité. Ils ne s'étaient que rarement adressé la parole depuis de toute manière, mais cette mission avait été riche en rebondissements... Occupé jusque là à examiner la chapelle, Ehveras se tourna subitement vers son exécutant avec un ample geste de tissu, et planta ses yeux d'acier dans ceux de l'ange.

- Tu n'as pas pu t'en empêcher, n'est-ce pas ? Ce garçon-fille causera ton trépas.

- Il me semblait inutile de le laisser souffrir et l'empêcher ainsi de réfléchir à son choix.

Avec effort, Nathaniel se bornait à répondre de sa mission. Ici, le superviseur aurait pu répliquer que sa présence aimante perturbait déjà assez la mission, mais il n'en fit rien et préféra se détourner de nouveau, balayant le sol du regard. Nathaniel comprit qu'il cherchait Darguel ; le rat était au-dehors. Traumatisé par sa première rencontre avec Ehveras, il ne semblait pas disposé à entrer dans la même chapelle que lui.
Cela ne ressemblait pas du tout à cette orgueilleuse Puissance de tourner comme ça autour du pot. Il avait manifestement bien réfléchi depuis la visite qu'il avait rendue à son exécutant et à Loann dans la forêt - bien que son ancien partenaire ne voie absolument pas d'où venait la chose - et avait sans doute sauté sur la première bévue de Nathaniel pour le convoquer à nouveau et lui en parler... alors pourquoi cherchait-il mille prétextes pour ne pas le faire ? Depuis quand le très saint Ehveras hésitait-il ? Finalement, il s'approcha.

- Tu aimes cet humain.

Ce n'était pas une question ; aussi Nathaniel se dispensa-t-il d'y répondre.

- Je ne te comprends plus, ange déchu. Tu tues mon fils, tu renonces à ton prestigieux titre, tu prends des rats comme sous-fifres... puis tu laisses ta pupille prendre ma place dans ton cœur.

Nous y voilà. Nathaniel répondit lentement, choisissant ses mots avec soin, avec l'impression qu'il n'avait jamais tenu de conversation plus importante au cours de sa longue existence.

- Un partenaire ne saurait être remplacé par aucun humain. Tu m'as renié suite à la mort de Justin : il m'était impossible de rester une Puissance sans toi.

- Et moi, une Puissance avec toi !

Ehveras n'alla pas plus loin. La haine au cœur, il était déjà dangereusement près du blasphème. Ledit ange déchu poussa un soupir triste.

- J'aimerais que nous ayons eu cette conversation plus tôt...

Nathaniel était tendu et plein de regrets ; et pour une fois, il avait l'impression que son superviseur ne se fermait pas complètement à ses sentiments. Il était fort capable de savoir ce que ressentait son exécutant, mais jusqu'ici, il n'avait pas semblé ne serait-ce que vouloir lire en lui. Pourtant, cette fois, Ehveras releva la tête et plongea ses yeux dans les siens, sans rancœur, juste avec la franchise qui le caractérisait. Nathaniel n'eut pas besoin de ses anciens pouvoirs de Puissant pour deviner qu'il regrettait aussi. Spontanément, il avança les mains pour lui prendre le visage, et appuya son front contre le sien, comme ils l'avaient fait si souvent par le passé. Ehveras ne recula pas, se contentant de lui effleurer les coudes. Darguel, un peu rassuré, s'était posté à l'entrée de la chapelle et les regardait. Ils étaient de taille égale, et se ressemblaient par bien des côtés, comme bien sûr la double paire d'ailes, ou la finesse des cheveux, qu'Ehveras avait noués comme Nathaniel, par un ruban blanc au creux des reins. Le maître du jeune rat lui avait expliqué que la plupart des anges ne touchaient pas à leurs cheveux, mais c'était déjà le deuxième que Darguel voyait le faire... par leur lien, le familier ressentait le soulagement de l'ancienne Puissance – il avait craint que son superviseur ne se recule et se mette en colère. Au contraire, celui-ci avait fermé les yeux à son tour.

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Assis dans la cour du conservatoire, Loann finissait de raconter à Aurore tout ce qui s'était passé depuis l'arrivée de Nathaniel dans sa vie, et lui révéla enfin qu'il avait la possibilité de choisir son sexe d'ici lundi.

- C'est incroyable, quand même, insistait la jeune fille en mordant à belles dents dans son sandwich. Tu sais qu'il faut être sacrément exceptionnel pour qu'un ange s'intéresse à toi personnellement. C'est un sacré compliment.

- Un compliment sacré ?

Tout deux éclatèrent de rire, ce qui ne fut pas très heureux, en étant à la moitié de leur repas respectif.

- Plus sérieusement, reprit Aurore, merci de m'avoir raconté tout ça. Ne t'arrête pas en si bon chemin. Fille ou garçon ?

Loann retrouva instantanément un visage grave. Il s'était posé la question, fortement, et ne parvenait pas à trouver de réponse. La balance aurait dû pencher en faveur de garçon, ainsi qu'il avait été considéré jusqu'à l'adolescence et encore maintenant par ses parents ; mais dans le même temps, cela signifierait faire avaler des histoires de chirurgie embarrassantes à son entourage moins proche, notamment ses amies à qui il tenait, les professeurs... Il n'aimait pas mentir, mais personne ne le croirait s'il expliquait que l'ange qui avait à moitié détruit le toit du Hall Martineau était en fait en ville pour lui personnellement... il ne savait même pas si celui qui était venu chercher la grand-mère d'Aurore avait fait une apparition remarquée ou pas.

- Ça s'est passé comment, pour ta grand-mère ?

- C'est pas une réponse, ça. Et puis, je t'ai déjà tout dit : il est arrivé juste avant qu'elle ne s'éteigne, lui a fermé les yeux, m'a souri et l'a emportée par la baie vitrée.

- A quoi est-ce qu'il ressemblait ?

- Voyons voir... il n'avait qu'une paire d'ailes, longues et fines, pas comme celles de ton ange qui en a quatre et qui sont gigantesques. Il portait aussi du blanc ; il avait des cheveux très fins, châtain clair. Un détail dont je me souviens parce que je croyais que tous les anges étaient blonds...

- Nathaniel a les cheveux blancs en tout cas... et son ex-collègue, bleutés. Ça doit faire bizarre.

- Non, ça lui allait très bien. Il était magnifique, on aurait dit un jeune homme resplendissant.

En tout cas, Nathaniel ressemblait à un adulte resplendissant. Il y eut un silence tandis qu'Aurore revivait la scène, et que Loann réfléchissait à nouveau à son problème. Il poussa un soupir.

- Je n'arrive pas à décider, Aurore... je ne sais vraiment pas. J'ai vécu la première partie de ma vie en garçon, et la seconde en fille... je me sens autant l'un que l'autre.

- Peut-être parce que tu es l'un et l'autre. Rappelle-toi de la conversation qu'on a eue avant le concert... tu avais presque commencé à t'accepter tel / telle que tu es, et cet ange arrive juste à ce moment pour tout défaire ! (elle leva les bras au ciel) tout un travail fichu en l'air ! Je vais devoir recommencer de zéro.

Mais Loann avait gardé son sérieux pendant cette tirade.

- Pas en l'air... Nathaniel m'a dit une fois qu'être les deux sexes à la fois offrait une vue plus sereine sur le monde. Moi, j'ai plutôt l'impression de cacher une partie de moi-même en public, et de la ressortir lorsque je suis avec toi ou mes parents. Avec lui, c'est différent. Quand il est là, j'ai vraiment l'impression d'être en harmonie avec... le monde, avec moi-même... avec lui.

- Ouais, tu es amoureux, quoi.

- C'est très sérieux ! s'écria Loann en lui envoyant le quignon de son sandwich à la figure. Je ne sais pas du tout ce que je vais lui dire dimanche soir. Je crois que ça l'inquiète : il a l'impression d'avoir dérapé dans sa mission.

Aurore lui jeta un regard en coin en croquant dans le quignon rattrapé.

- Il est là pour te faire réfléchir plus que pour t'offrir d'être homme ou femme, si tu veux mon avis. Et ça fonctionne.

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De son côté, Manasiah, assis sur le toit de la mairie, perché sur le cube de béton qui servait à fermer les escaliers, rêvassait. Une partie de lui-même s'inquiétait du discours de son protégé qui devait avoir lieu demain, ce fameux discours où il allait se faire tirer dessus ; l'autre partie était concentrée sur Nathaniel, dont il sentait indistinctement la présence sur une falaise à l'ouest de la ville. Il se trouvait là-bas une petite chapelle abandonnée... avait-il eu envie de s'isoler un moment, ou, plus vraisemblable, avait-il retrouvé son superviseur ? Sur ses genoux, Querué, la buse cendrée, changea de position.

- Jalousie ! Je croyais que la question était réglée.

- Disons que la situation est... stabilisée. Par mes bons soins, qui plus est.

Le rapace poussa un soupir et étendit une aile pour s'étirer.

- Pour une fois, tu avais raison de te lancer là-dedans, j'ai l'impression que ça a aidé... pourtant, je n'aurais jamais cru !

- Je me demande s'il se rend compte qu'il est au centre de la toile, dit pensivement Manasiah en regardant la falaise qu'on voyait se découper au loin. Ehveras qui ne sait plus quoi ressentir à son endroit, Loann qui l'aime, Darguel qui le materne...

- Et toi qui soupire après lui envers et contre tout ! soupira l'oiseau. Tu ferais mieux de t'occuper d'André.

- Tu as raison, Querué... je vais y aller.

Sautant souplement de son perchoir, Manasiah masqua ses ailes et disparut par la porte tandis que son rapace captait le vent pour aller chasser. Il ne serait pas venu à l'esprit de l'ange de la nourrir lui-même, comme Nathaniel le faisait apparemment de son rat - elle s'en serait sentie insultée. Il était bien dodu, celui-là, mais pas question d'y toucher : c'était un familier.

Faisant un ènième détour par le cinquième étage de la mairie, l'ange jeta un œil à la porte au bout du couloir. Elle était fermée à clé, sur ses instructions, et personne n'y avait apparemment touché. Pourtant, il n'arrivait pas à se détendre quand il était autour, malaise qui s'accentuait s'il s'en approchait.

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A suivre...
Histoire en cours d'écriture !