Dernier chapitre :)


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- Non ! Non ! C'est hors de question, bégaya Sutherland en croisant le regard horrifié du jeune homme. Bishop, tu peux encore arrêter tout ça ! Si tu te rends maintenant, tout n'est peut-être pas fini pour toi ! On pourra peut-être t'éviter la peine de mort et…

- Tue-le. Tu ne veux pas ?

- Mais bien sûr que non ! Bishop, on ne…

- Ok, le coupa Bishop.

Sutherland se figea, sachant que ce ne serait certainement pas aussi simple.

- Tu vas le laisser partir ? demanda-t-il sans grand espoir.

Bishop sourit et appuya sur la détente du pistolet en regardant Sutherland droit dans les yeux. Le ventre de l'homme explosa sous ses yeux et quelques morceaux de lui, éclaboussèrent le visage de Sutherland et entrèrent dans sa bouche encore ouverte. Il sentit la bile remonter au bord de ses lèvres mais s'efforça de rester debout. Bishop lui tendit ensuite le Colt, toujours souriant.

- Et maintenant : es-tu capable de me tuer, moi ?

Sutherland saisit le revolver avec fureur et le colla sur le front de l'homme au regard dément. Le doigt sur la détente, s'il appuyait, le cerveau de Bishop exploserait et tout serait fini. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à terminer ainsi cette affaire. Son affaire. Le tuer n'était pas ce qu'il voulait. Il voulait le voir crever en prison, livré à la seule justice possible, la justice humaine.

- Tue-moi.

- Non, je...

- Tu n'y arrives même pas ? questionna Bishop, les sourcils levés. Ne t'inquiète pas, je t'apprendrai.

Et il retira des mains de Sutherland le Colt. L'inspecteur allait résister mais il s'aperçut que le barillet était vide. Bishop n'avait jamais eu la moindre l'intention de se faire tuer mais il avait simplement voulu le tester après avoir tué l'homme sous ses yeux.

Tâchant d'éviter la vue du corps béant, comme si une fleur géante et sanglante avait éclos dans le ventre de l'homme à ses pieds, Sutherland profita de ce moment où Bishop était désarmé et bondit sur lui, frappant comme il pouvait avec ses mains toujours menottées.

Les deux hommes se bagarrèrent plusieurs minutes jusqu'à ce que Bishop reprenne le contrôle et réussisse à immobiliser les jambes et les bras de son adversaire par le poids de son corps. Il plaqua la lame étincelante sur la gorge de Sutherland pour bien lui faire comprendre que toute nouvelle tentative de résistance serait mortelle.

L'inspecteur Sutherland respirait difficilement, écrasé par la masse du tueur penché sur lui et sentant l'acier s'enfoncer dans sa gorge à chacun de ses gestes. Il leva les yeux vers Bishop dont le visage était déformé par un rictus malsain et saisissant.

- Tu vas comprendre pourquoi une partie du sang n'est jamais retrouvée sur les lieux de mes crimes et pourquoi j'accepte volontiers le titre de vampire que m'a donné la Presse.

Sur ces paroles, Bishop fit glisser la lame glacée sur le cou de l'homme qu'il immobilisait. Une peur animale submergea Sutherland lorsqu'il sentit le métal inciser sa chair et son sang s'échapper hors de lui, et il ne put empêcher un gémissement de terreur de lui échapper. Bishop se rapprocha alors de sa gorge frémissante, lèvres tendues vers la plaie ouverte. Sutherland essaya de se débattre et de se libérer avant que ce Vampire moderne ne le vide de son sang mais son agitation n'eût pour seule conséquence qu'une pression supplémentaire de la lame sur sa carotide.

- Chut, ne bouge pas, murmura doucement le tueur.

- Vampire de pacotille… grogna Sutherland en espérant que le mettre en colère lui ferait relâcher sa pression et qu'il pourrait reprendre le contrôle de la situation.

Mais Bishop se redressa un peu pour mieux l'examiner et l'interrogea, plus perplexe que réellement blessé.

- Pourquoi tu dis ça ? prit-il même la peine de demander, intéressé.

- Tu t'es tellement convaincu de ton rôle de vampire que tu vas vraiment boire mon sang ? Redescends sur terre, bordel ! T'es un homme, Bishop, rien qu'un homme… Les vrais vampires n'existent pas et... Et même si... Tu crois vraiment qu'un vampire aurait besoin d'un couteau pour sucer le sang de ses victimes, si ce n'était pas qu'une stupide légende ?

- En incisant mes victimes avec une lame et non directement comme ceux que tu appelles les « vrais vampires », au moins personne ne pense à faire d'analyse de salive sur les bords de la plaie ! Et tu sais bien que le département scientifique va pas s'amuser à lancer des analyses superflues, n'est-ce pas ?

Sutherland détourna le regard, sachant pertinemment que le Vampire avait raison sur ce point.

- Bon, maintenant que tu as dit ce que tu avais à dire, je peux y aller ? fit moqueusement Bishop en tournant la tête de sa victime pour que sa gorge lui soit offerte.

Sutherland laissa échapper un nouveau frisson de terreur alors que les lèvres chaudes du Vampire venaient épouser la coupure sur son cou. Il ferma les yeux de toutes ses forces, son corps se cambrant viscéralement pour essayer de rompre ce contact vulgaire mais à chaque fois, la lame pressée contre l'artère de son cou pénétrait un peu plus profondément dans sa peau tendue. Le policier parvint cependant à se calmer, comprenant que chaque effort le faisait souffrir en vain. Il resta inerte sous la succion vorace de l'homme qui le vidait de son sang. Il entendait avec horreur le fluide de sa vie s'échapper doucement et passer dans la gorge du vampire qui s'en délectait.

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Bishop mit fin à ce contact alors que des points noirs apparaissaient déjà dans le champ de vision de Sutherland. Le menton dégoulinant de sa vie et les yeux brillant d'un éclat aussi écœurant que captivant, il sembla lutter pour ne pas replonger ses lèvres dans son cou.

- Prends-le comme tu veux, mais ton sang est tellement savoureux... C'est une vraie torture d'y résister et de ne pas tout boire, articula Bishop d'une voix étrangement chaude et grave.

Sutherland le regardait prononcer ces mots et sentit son cœur s'emballer. Un sentiment de haine et d'attirance mêlées. Il y avait une puissance charismatique dans sa façon de se mouvoir et, si chacun de ses gestes pouvait mettre fin à sa vie, Bishop les exécutait d'une manière étrangement envoûtante. L'inspecteur cligna des yeux. L'état légèrement anémique dans lequel il se trouvait brouillait ses pensées et il oubliait presque que tout ceci n'était pas un jeu. Le regard du Vampire le troublait, par sa droiture et sa violence. Et ses paroles l'avaient perturbé, par l'intensité qu'elles contenaient.

Bishop se déplaça un peu, permettant à l'inspecteur de respirer plus aisément. Il sembla réfléchir un instant puis lança le poignard qu'il pressait toujours sur le cou de son prisonnier un peu plus loin avant de se relever.

- Donne-moi une minute...

Il s'éloigna alors souplement de Sutherland pour aller fouiller les poches de sa veste sans sembler rien remarquer de la gêne du policier. Lorsque Sutherland parvint enfin à revenir à lui, son regard s'arrêta sur le couteau maculé de son propre sang. S'il arrivait à s'en saisir… Il tendit la jambe et entreprit de le faire glisser jusqu'à lui. Il coula un regard vers Bishop pour vérifier qu'il n'avait rien vu de son manège mais il fut frappé par une autre constatation plutôt gênante. Son pouls s'accélérait d'une façon un peu trop enthousiaste à la vue du Vampire. L'angoisse sourde due à sa situation s'atténuait pourtant un peu alors qu'un désir inavouable et obscène montait en lui lorsque son regard dérivait sur lui, bien que sa raison lui hurlât de cesser de le scruter et de mettre à profit le couteau qu'il venait d'attraper.

Comme s'il avait conscience du regard brûlant dans son dos, Bishop se retourna en riant doucement.

- Je ne te savais pas comme ça, Sutherland !

- De… De quoi tu parles ?

- J'entends ton cœur qui bat plus vite chaque fois que tu poses les yeux sur moi… C'est comme si ton regard me transperçait de part en part d'une façon... délicieuse.

- Tu délires... protesta faiblement Sutherland.

- Bien sûr que non. J'ai l'ouïe plus fine que toi et j'entends ton cœur battre plus vite qu'il ne devrait. Et il bat de la même façon… Non, encore plus fort que quand tu regardais la fille dans le bar, tout à l'heure. Il bat si fort que je serais idiot si je ne comprenais pas…

Sutherland ne put s'empêcher de froncer les sourcils, ce qui fit sourire le tueur face à lui. Comment avait-il pu percevoir son changement d'attitude et son embarras alors qu'il lui tournait le dos ?

- J'ai les sens beaucoup plus développés que toi. Je suis un vampire, ne l'oublie pas, ajouta Bishop, comme s'il répondait à la question muette du policier.

- Les vampires n'existent pas, répéta Sutherland comme pour s'en convaincre.

- Tu ne diras peut-être plus ça très longtemps, sourit Bishop.

Sutherland ne releva pas. En tout cas, le Vampire ne semblait pas avoir remarqué l'arme qu'il cachait dans sa main. Il serra plus fermement le manche de l'arme dans sa main et observa le tueur qui s'approchait à pas lents et calculés de lui. Il devait saisir le bon moment. Sa vue et son ouïe se brouillaient par intermittence avant de revenir parfaitement clairement. Il lui semblait qu'il n'avait jamais été aussi précis dans ses sens et dans ses pensées mais cet éclairement lui vrillait également les tempes et l'adrénaline brûlait ses veines.

- Tu commences déjà à te sentir mieux, n'est-ce pas ?

Sutherland secoua la tête. C'était un autre effet de l'anémie qui le faisait osciller entre faiblesse et une clairvoyance exceptionnelle.

Il dévisagea Bishop qui n'était plus qu'à un pas de lui. Il le laissa s'approcher et se pencher sur lui jusqu'à ce que leurs souffles se mêlent, les doigts toujours crispés autour du poignard. Le tueur était si proche, juste au-dessus de lui, et avait pris son visage tourné vers le sien entre ses doigts.

- Tu vas bientôt comprendre, ce que c'est vraiment, de tuer, et le plaisir que cela procure…

Presque dans un état second et sans plus attendre, Sutherland sut que le moment qu'il attendait était venu. Il se souleva rapidement et enfonça la lame de métal dans la poitrine de Bishop. Celui-ci hoqueta de douleur, et du sang ne tarda pas à poindre à ses lèvres lorsque Sutherland retira d'un geste bref le poignard de son corps. Le tueur et son meurtrier se dévisagèrent, face à face à genoux, l'un se relevant et l'autre s'écroulant.

Sutherland vit un objet brillant glisser de sa main. La clé de ses menottes. Il ne chercha pas à s'en saisir immédiatement, dévisageant sans comprendre l'homme dont le regard n'exprimait aucune surprise.

Bishop grimaça un sourire douloureux et cracha un peu de sang avant de parler.

- Alors ? N'est-ce pas un sentiment délicieux que d'ôter la vie à celui qui te l'a redonnée ?

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Je t'offre une nouvelle vie. Faite de plaisir et de sang. A l'instant où ma salive est entrée en contact avec ta gorge, le besoin de tuer est passé dans ton corps. C'est ainsi que se fait la naissance d'un vampire.

Sutherland fronça les sourcils, troublé, mais ignora les paroles du dément.

- Bishop… murmura-t-il doucement. Je… ne voulais pas que ça finisse comme ça…

- Bien sûr que si. Tu le voulais. C'est ce que tu désirais. Mon corps, ma vie. Mon sang.

Sutherland saisit le bras de Bishop pour le maintenir agenouillé. Il écoutait les paroles du mourant avec une incrédulité effrayée.

Il le vit rapprocher ses lèvres teintées de rouge des siennes et ne trouva pas la volonté de le repousser. Le goût du sang se dilua sur leurs deux langues emmêlées et Sutherland sentit comme un déclic se faire en lui. Plus rien ne comptait pour lui à part cette chaleur partagée. Mais déjà le corps de Bishop s'affaissait, la vie délaissant son corps à l'image de son sang qui se répandait hors de lui.

- Bois mon sang, Sutherland. Bois-le vite, ça te renforcera… Le tueur s'interrompit pour cracher un mélange de sang et de salive. Et tu verras comme le goût du sang frais est exquis pour un vampire…

Sutherland regarda s'éteindre lentement la dernière lueur dans ses yeux. Finalement, sa folie l'avait accompagnée jusque dans ses derniers instants, puisqu'il était mort toujours convaincu d'être un vampire.

C'était enfin fini. Sutherland poussa un long soupir et tous ses muscles se détendirent enfin. L'affaire du Vampire était finie. Il avait son corps à ses pieds. Pourtant il savait qu'il n'était pas aussi soulagé qu'il aurait dû l'être. Sans doute cette dernière scène qui avait remis en doute toutes ses certitudes... Mais il y avait autre chose.

Une sensation inconnue et effrayante s'emparait de lui. Il baissa les yeux sur le corps gisant contre lui et l'évidence le terrifia. Le sentiment qui montait en lui était un irrésistible désir de boire du sang.

Fin.


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Voila, j'espère que cette courte fiction vous aura plu,

et que vous jugerez cette fin plutôt réussie!


PS : Voui, a priori, à la fin, on est sensé se poser des questions et décider soi-même si oui ou non c'était un vrai vampire ou si c'est juste Sutherland qui débloque et qui a fini par se convaincre qu'il a vraiment envie de boire du sang.