My sweet Prince, you are the One
Mes yeux se lèvent vers le bâtiment que je viens de quitter.
Un an déjà. Un an que j'ai touché un bref instant le paradis, le bonheur absolu. Pour si peu de temps… Une nuit. Le jour était arrivé, et le cauchemar avait commencé.
Depuis, j'erre sans but, pâle fantôme perdu au milieu d'une foule que je ne peux m'empêcher de haïr. J'en veux au monde entier, comme si toute cette haine pouvait m'aider à oublier. Mais le résultat est là, je n'y arrive pas. Et je n'y arriverai probablement jamais. Si seulement tout était différent… Je ne peux retenir une larme de couler sur ma joue jusqu'à la commissure de mes lèvres. Je l'essuie d'un coup de langue, minuscule perle salée, cause de mes yeux ravagés d'avoir trop pleuré tout ce temps.
Un an que je vis dans la déprime. Je ne dors plus, je ne ris plus, je ne parle plus. Au début, mes amis ont tenté de m'aider ; je les ai repoussés. Et depuis, je suis seul. J'ai lentement perdu contact avec ma famille, je ne travaille plus, je ne vis que grâce à la modeste somme que mes parents s'acharnent à m'envoyer chaque mois.
Je sombre un peu plus chaque jour, depuis cette nuit. Et à présent, je me noie.
Cette haine que j'éprouve envers ce monde d'incompréhension m'a tenu en vie jusqu'ici, mais elle m'a épuisé. Je n'ai même plus la force d'éprouver un quelconque ressentiment. Mes joues sont de nouveau baignées de larmes. Je me suis pourtant promis de ne pas pleurer, pas encore… Tant pis. De toute façon, c'est la dernière fois.
Je relève la tête et cherche la fenêtre de la chambre sur la façade de l'hôtel. Notre chambre.
Troisième étage, celle avec les rideaux que j'ai fermé et les fleurs sur le balcon. Rien n'a changé.
Les yeux aveuglés par les larmes, je me retourne et cours jusqu'à la jetée d'en face.
J'aurais tellement voulu le revoir…
Tout me revient. Une fois de plus, je me laisse envahir par les souvenirs. Une dernière fois.
Les moindres détails de cette nuit surgissent devant mes yeux, et mon cœur déchiré semble battre de nouveau.
Un dernier murmure s'échappe de mes lèvres. Je t'aime…
- - -
La sonnerie de l'ascenseur nous indique que nous avons atteint notre étage. La porte s'ouvre sur un long couloir orné d'un tapis interminable. Un peu gêné, je sors le premier. Il ne tarde pas à me suivre. La clé de la chambre tremble dans ma main. Pourvu qu'il n'aperçoive pas ce manque d'assurance… Nos pas sont étouffés par l'épaisseur du tapis, l'atmosphère feutrée de cette nuit d'été me paraît à la fois intimidante et excitante. Il glisse sa main dans la mienne, lui aussi tremble légèrement. Chambre 315. Je tourne la clé dans la serrure, j'appréhende. Je suis probablement en train de faire la plus grosse connerie de ma vie. Je ferme les yeux, un court instant. Allez, juste une nuit… Je pousse la porte et nous entrons à l'intérieur.
En refermant la porte, j'en profite pour le contempler discrètement. Il a l'air abasourdi par la luxueuse suite que j'ai louée. Il s'attendait à quoi ? Je suis pas une RockStar pour rien !
Je pousse un soupir imperceptible. Si un jour, on m'avait dit que je partagerai ma nuit avec un mec, j'aurais certainement éclaté de rire. Et pourtant, je n'ai pas pu résister à ce visage d'ange. Dès que mes yeux se sont posés sur lui pendant mon concert, je n'ai plus pu m'empêcher de penser à lui. C'est peut-être un coup de foudre, en fait…
Non, surtout pas ! Juste une nuit, pas plus. Ce n'est pas à lui que je pense, c'est à son corps. Et puis, de toute façon, je ne sais rien de lui… Il m'a juste appris, ensuite, quand j'ai eu la chance de le retrouver devant l'hôtel, qu'il était venu accompagné de sa sœur, tous deux étant fans de mon groupe.
Je ne peux plus le quitter des yeux. S'il se retourne, je lui saute dessus. Perdu ! Il se poste devant la fenêtre et, d'après sa moue hébétée, j'en déduis que la vue est magnifique. Je me demande pour la énième fois ce qui m'a pris de l'amener ici avec moi. L'excitation d'un concert peut vraiment faire faire n'importe quoi !
Ses cheveux d'un noir éclatant mêlés de mèches d'or dansent autour de sa tête. Il a ouvert la fenêtre et respire un grand coup l'air frais de cette soirée. Je crois qu'il est tout aussi perdu que moi… L'odeur de la mer et des fleurs décorant le balcon pénètre dans la pièce.
Le bruit des vagues se brisant sur la plage est tellement apaisant… N'y tenant plus, je me dirige sans bruit vers lui. Je serre son corps mince contre moi, m'enivrant de son parfum aux senteurs sauvages et épicées. Merde. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi bien. Une rafale de vent me fait redescendre sur terre. J'éteins la lumière et ferme la fenêtre. La lueur de la lune presque pleine entoure sa silhouette d'un halo de lumière dorée. Oh non, c'est tellement romantique… J'essaie de refouler la vague de tendresse qui m'accable. C'est pas vrai ! Je me suis dit juste une nuit !!! Rien à faire, je crois que je suis amoureux. Le coup de foudre, ça existe donc vraiment ? Une part de mon être rit de ces sentiments puérils, l'autre me pousse à lui faire l'amour comme s'il était l'homme de ma vie. Visiblement angoissé par mon brusque arrêt, il se retourne et me lance un regard anxieux et interrogateur. L'autre moitié de moi-même a gagné. Je me rapproche de lui jusqu'à sentir son souffle contre mon visage. Il déglutit difficilement, gêné de cette soudaine proximité. Mon regard se fond dans ses yeux sombres et farouches. Je n'ai jamais vu une telle merveille. L'ombre de ces cils lui donne un air encore plus mystérieux dans l'obscurité. Ses lèvres fines entrouvertes m'attirent irrésistiblement, j'y pose délicatement les miennes. Lorsque je me sépare de lui, il baisse les yeux et me confie d'une voix timide mais oh combien craquante qu'il n'a jamais eu de première fois. Mon cœur s'emballe. Waw ! Une créature aussi magnifique que lui encore vierge ?! Je caresse son cou de mes doigts et lui souris en essayant d'être le plus rassurant possible avant de capturer de nouveau ses lèvres. Je veux que cette nuit soit absolument parfaite. Pour lui…
Lorsque nos langues se rencontrent, je sens mon cœur au bord de l'explosion. Je l'aime, c'est sûr. Elles entament une danse langoureuse, et je parcours son dos de ma main sous ses vêtements, j'ai tellement besoin de sentir sa peau contre la mienne… Malgré son air rebelle et confiant, je le sens presque fragile dans mes bras. Je m'écarte pour nous enlever nos chemises.
Ses yeux pétillent, mais je remarque une lueur d'appréhension dans ses pupilles. Je m'empresse de le plaquer contre la vitre derrière lui, il frissonne à ce contact froid. Mes doigts se glissent entre les siens, mon autre main sillonne son torse. Son cœur bat très fort contre le mien, sa respiration se fait irrégulière. Je ne me lasse pas de l'embrasser, encore et encore. J'ai envie de lui, mais j'ai bien trop peur de le brusquer pour oser être plus entreprenant. Pour l'instant. Je veux qu'il se souvienne toute sa vie de cette nuit. De sa première fois, avec moi.
Peu à peu, je le sens s'abandonner à la douceur de mes caresses.
Ses baisers exaltés et sa virilité dressée sous son jean moulant à souhait me font comprendre que son désir ne demande qu'à être satisfait.
Je le prends par la main et l'attire à ma suite vers le grand lit au fond de la chambre. Je l'étend sur le dos et me positionne à califourchon sur son bassin. Ses yeux se font de nouveau anxieux quand j'entreprends de le déshabiller. J'abandonne pour l'embrasser encore. Ma langue glisse le long de ses lèvres, mes yeux plongés dans les siens cherchent à y lire le moindre de ses désirs. Je ne veux pas qu'il ait peur, surtout pas. Mes lèvres se déposent sur sa peau nacrée, et tracent une ligne de sa bouche jusqu'à son nombril. Je ne pensais pas qu'un jour je puisse être aussi patient, mais aujourd'hui, c'est tellement différent de toutes ces autres fois… Je souhaite profiter de chaque seconde écoulée. Pour lui, et pour moi. Je ne sais pas où tout cela va nous mener, je sais simplement que je l'aime comme je n'ai jamais aimé personne, et qu'en cet instant, je serais capable d'aller lui cueillir des étoile s'il le voulait.
Et puis, nous avons toute la nuit…
Il cède enfin. Je lui ôte lentement ses derniers vêtements, il se laisse faire docilement, abandonnant sa candeur. Je crois qu'il a compris que, pour moi, son plaisir passe avant le mien. Je me déshabille à mon tour, son corps tremble sous le mien. Il se mord la lèvre lorsque nos fiertés se frôlent, et je ne peux m'empêcher de sourire imperceptiblement. Mes mains glissent le long de ses cuisses jusqu'à son entrejambe, qu'elles caressent avec une envie grandissante. Ses doigts se mêlent à mes longs cheveux qui tombent sur son corps. Tandis qu'il s'y agrippe, sa tête se renverse en arrière, s'enfonçant dans les oreillers de soie. J'embrasse avec passion cette gorge qui m'est offerte, sans cesser les vas et viens insistants. Il se mord toujours la lèvre inférieure, blanchie par la force de ses dents. La tête me tourne. Je ne pensais pas que se préoccuper seulement du plaisir de son partenaire pouvait être aussi aphrodisiaque. Son corps est secoué d'un léger spasme lorsque ma bouche enserre à son tour sa virilité. Un gémissement aigu franchit malgré lui la barrière de ses lèvres. Mon amour… Ma langue danse sur sa peau fiévreuse, mes lèvres montent et descendent à un rythme enivrant. Je n'en peux plus, je le veux… Je veux qu'il soit à moi, qu'il m'appartienne. Je veux lui faire toucher les étoiles, lui faire l'amour jusqu'à notre épuisement total. Je m'écarte de lui et admire une nouvelle fois son corps. Ses mains relâchent mes cheveux et encerclent mon cou. Ses yeux se posent sur moi, animés d'une lueur fébrile. Ses lèvres se scellent aux miennes et nos langues se cherchent avec frénésie. Le contact de ce corps qui se moue contre mon torse, mon ventre et entre mes cuisses achève de me rendre fou. Il m'embrasse encore, plus tendrement, cette fois. J'ai compris, il est prêt à m'offrir sa virginité. Oh mon Dieu, j'espère que je saurai être assez doux et que je ne lui ferai pas mal… Je lèche sensuellement ma main, et pénètre lentement un doigt dans son intimité pour le préparer, puis un deuxième. Sa poitrine se soulève au rythme de son souffle saccadé et, par pudeur, il n'ose plus me regarder. Ses bras faibles cherchent à s'accrocher aux draps, ses yeux fermés m'empêchent d'y lire ce qu'il ressent, mais l'accentuation de ses gémissements me rassure. Je retire mes doigts et écarte doucement ses cuisses, les caressant de mes mains impatientes. Son corps se contracte furtivement lorsque je m'infiltre en lui, avant de se cambrer sous l'effet de l'extase. Ses mains s'accrochent désespérément aux couvertures du lit, ses gémissements deviennent stridents. J'accélère les mouvements de mon bassin, les mains serrées sur ses hanches saillantes. J'ai une irrésistible envie de lui hurler que je l'aime, ce que je ne fais pourtant pas.
L'excitation est à son point culminant, nous atteignons ensemble le paroxysme du plaisir. Je sens vaguement ses ongles griffer mon dos, il sert mon corps aussi fort qu'il le peut contre lui, comme s'il voulait que nous ne soyions plus qu'un, unis pour l'éternité… Nos cris s'élèvent en choeur dans cette nuit claire quand je me délivre en lui. JE T'AIME !! Je sens son liquide chaud couler contre mon bas-ventre. Je suis au plus près de l'euphorie : jamais je n'ai ressenti cette sensation de chaleur intense envahir mon cœur et chaque parcelle au plus profond de mon être. Ma vue est voilée par le plaisir. Je sens son corps faiblir, et je me décide enfin à me retirer de son intérieur. Je m'étends à ses côtés pour reprendre mon souffle et mes esprits.
J'espère que je l'ai comblé autant que je l'ai été… Je tourne la tête vers son corps, l'admirant silencieusement autant qu'il est possible d'admirer quelqu'un. Mon ange… Sa respiration se fait lente et régulière, son torse se soulève plus faiblement. Une de ses mains est posée sur son nombril piercé. J'essuie délicatement le liquide déposé un peu plus bas sur sa peau et ne peux m'empêcher de le porter à ma bouche. Ce n'est que lorsque je lève les yeux vers son visage angélique que je remarque les larmes s'échappant de ses paupières closes. J'ai l'impression de recevoir une averse d'eau glaciale sur ma peau nue. J'ai tellement peur de l'avoir blessé… Je me hâte de le prendre dans mes bras pour l'apaiser. Nous nous asseyons, sa tête vient se nicher au creux de mon épaule. Mon cœur se serre. Mais qu'est-ce que j'ai fait ??! Les larmes glissent sur ses joues encore rougies de nos ébats, et viennent se perdre sur ses lèvres. Je le berce avec toute la tendresse dont je me sens capable, ma gorge nouée m'empêche de lui murmurer des paroles réconfortantes. Ses mains tremblantes cherchent les miennes, sa poitrine est secouée de sanglots qu'il n'arrive plus à retenir et qui me brisent un peu plus le cœur. Le temps est comme suspendu à ses pleurs. Nous restons de longues minutes ainsi enlacés, l'angoisse me tiraillant les entrailles. Quand il réussit enfin à se calmer, il se confond en excuses et m'assure qu'il a passé une nuit au-delà de ses rêves les plus fous, ce qui achève de me tourmenter. Mais alors, qu'est-ce qu'il a ? L'émotion, sans doute… Et puis me fixant de ses yeux mouillés, cernés de maquillage qui a miraculeusement résisté à ses larmes, il ajoute d'une voix faible qu'il m'aime. Je me sens défaillir. Je réalise alors avec horreur que notre première nuit sera aussi la dernière. Je l'embrasse avec amour, luttant contre le chagrin qui m'accable à présent.
La fatigue nous emporte peu à peu. Je me couche sous les couvertures moelleuses, l'invitant à me rejoindre. Encore une fois je le serre très fort contre moi : je voudrais étouffer de lui. Mes lèvres se posent légèrement sur son visage, ses joues, sa bouche, son cou, sans desserrer notre étreinte. Je sens l'emprise de ses bras autour de moi diminuer au fur et à mesure qu'il sombre dans le sommeil. Je parcours une dernière fois sa peau lisse et fraîche du bout des doigts avant de le laisser s'envoler au pays des songes. La lueur de la lune a faibli, mais je distingue encore son visage encadré de ses mèches rebelles, auréolé d'une douce lumière. Il ne reste plus aucune trace de tristesse, il paraît si calme et innocent… Une larme s'échappe de mes yeux pour courir le long de ma joue. Si on m'avait dit qu'aimer faisait aussi mal…
Je ne me suis pas trompé. Ce jeune homme qui a fait chavirer mon cœur n'est pas aussi fort et insensible qu'il veut bien le faire croire à travers son look provocateur : un léger penchant gothique, accessoires et fringues Black & White, il est surtout le reflet même de l'élégance androgyne. Son allure sensuelle quasi féline masque en réalité une fragilité extrême. Je voudrais le protéger contre ce que la vie pourrait lui faire subir, mais je sais que je n'en serai pas capable. Si nous restons ensemble, mes fans le découvriront tôt ou tard, et il sera le premier à en être affecté. Je me déteste. J'étais pourtant certain que je faisais une connerie ! J'aurais du reculer quand il était encore temps… Même si nous n'avions pas passé cette nuit de rêve, au moins nous n'aurions pas souffert…
Mais c'est trop tard, beaucoup trop tard. Je m'arrache à sa contemplation pour regarder à travers la fenêtre. Bon. Quand la lune aura disparu du cadre vitré… tout sera fini. Il doit me rester moins d'un quart d'heure. Je lutte difficilement contre sommeil. Surtout, ne pas dormir… Malgré moi, mes yeux finissent par se fermer.
Quand je les rouvre en sursaut, il fait presque nuit noire dans la chambre. À tâtons, je récupère mes affaires et me rhabille. Je m'active autant que je peux. Si la tristesse me rattrape, je ne pourrai jamais le quitter… Je cherche un papier et un stylo dans une des armoires, avant de me raviser. À quoi bon ? Je me penche au-dessus de cet ange que je m'apprête à abandonner et remonte les couvertures sur ses épaules découvertes. Fais de beaux rêves, mon amour… Mes lèvres effleurent les siennes, et je lui souffle un imperceptible Je t'aime avant de m'écarter à nouveau.
Je retire une mèche d'or qui lui tombe sur les yeux et l'admire une toute dernière fois. Je me relève et me dirige d'un pas décidé vers la porte. La clé est toujours glissée dans la serrure, à l'intérieur. Je la tourne lentement et m'enfuit dans le couloir. Surtout, ne pas se retourner. J'ai l'impression d'être un monstre. Je n'ose même pas lever les yeux vers le miroir qui orne la cabine d'ascenseur. Mes jambes me guident jusqu'à la sortie, mais mon esprit est totalement égaré. Absent. Je ne cherche même plus à retenir mes larmes. Je remarque à peine le réceptionniste qui veille à son bureau, le même qui m'a donné les clés toute à l'heure et à qui je règle mécaniquement la note de la chambre. Je pousse les lourdes portes vitrées et me laisse avaler par la nuit qui touche à sa fin. Mon regard est voilé par les pleurs, mon cœur meurtri par la douleur. Je n'arrive pas à réfléchir correctement. Le monde entier n'existe plus. Il n'y a que moi, et son visage endormi qui danse dans mon esprit. En cet instant, je ne sais même plus qui je suis. Tout ce dont je suis sûr, c'est qu'il me faut rejoindre l'hôtel où dorment en ce moment les autres membres du groupe.
Lorsque les premières lueurs du jour colorent le ciel, je m'affale sur mon lit et m'endort immédiatement, trop harassé par le concert de ce soir et les évènements presque irréels de cette nuit pour rester éveillé une seconde de plus.
- - -
Je me réveille en sursaut. Il me faut quelques instants pour me rappeler où je suis. La voiture roule sur l'autoroute déserte en cette nuit noire, pas une seule étoile ne brille dans le ciel. Une faible musique s'élève du poste radio à côté du conducteur. À sa droite, les ronflements m'indiquent que notre manager est profondément endormi. À ma gauche, mon batteur et mon guitariste sont absorbés par les mélodies de leur Ipod enfoncé dans leurs oreilles.
Je regarde de nouveau dehors. La voiture qui transporte les trois autres membres du groupe nous suit, ainsi que la camionnette chargée de notre matos.
Voilà près d'une semaine que, chaque nuit, je fais le même rêve. Enfin, on ne peut pas vraiment qualifier ça de rêve, plutôt de souvenir.
Ce soir, son visage m'est apparu encore plus nettement que tous les autres soirs.
Peut-être à cause du fol espoir que j'ai de le retrouver… Durant toute cette année, j'ai tenté de l'oublier, en vain ; à croire qu'il a pris possession de mon cœur pour toujours. Je n'ai même pas pu me résoudre à entreprendre une nouvelle relation.
Et puis, récemment, lorsque nous avons établi les dates de notre tournée, j'ai insisté pour que nous revenions là-bas. Avec l'espoir secret et insensé qu'il m'y attendrait. Je sentais au fond de moi qu'il me fallait y revenir.
Et aujourd'hui, nous y sommes presque… Avant le lever du soleil, nous serons à l'hôtel que j'ai pris soin de réserver moi-même.
L'angoisse et l'excitation montent en moi : je ne sais presque rien de lui, peut-être n'habite-t-il même pas là… Dans ce cas, pourquoi y serait-il ?
Je m'endors de nouveau, d'un sommeil sans rêve cette fois-ci, bercé par le ronron du moteur. Mon amour, je t'en supplie, attends-moi…
L'arrêt de la voiture me réveille brusquement. Je sors le premier, pressé de rejoindre l'hôtel. Notre hôtel. Mes yeux parcourent la façade du luxueux bâtiment qui se dresse devant moi, à la recherche d'une chambre particulière… Ah, celle-là ! Troisième étage, celle avec les rideaux fermés et les fleurs sur le balcon. Un an déjà, et pourtant, rien n'a changé.
Une dizaine de fans nous attend devant le hall. Qu'elles sont adorables ! Rester éveillées si longtemps, dehors, rien que pour nous… Je le cherche sans grande conviction parmi elles, mais ne le trouve pas. Je sors un marqueur de mon sac que je laisse tomber à mes pieds et me dirige vers elles pour les autographes et les photos, bientôt imité par mes musiciens. Je m'efforce de sourire en prenant la pose, bien que le cœur n'y soit pas vraiment. Pourtant, je sais qu'il reste encore une chance : je ne m'avouerai pas vaincu tant que je ne me serai pas rendu au troisième étage.
Un silence pesant tombe soudain sur nous. Les employés de l'hôtel, sortis nous accueillir, se regardent avec gêne. L'un deux, que je suis sûr d'avoir déjà vu quelque part, me fixe d'un air désolé, une clé à la main. J'ai peur. Un étau me compresse le cœur, bien que je ne comprenne pas ce qu'il se passe. Notre bassiste vient de plaisanter en disant qu'il n'y a pas beaucoup d'hommes ici, ce soir. Toutes nos fans ont les yeux rivés sur l'une d'entre elles. Les musiciens se regardent tour à tour, surpris par ce changement subit d'atmosphère. Le marqueur tremble dans ma main lorsque j'observe d'un air interrogateur la jeune fille en question, j'appréhende intuitivement ce qu'elle va dire. Elle réussit à m'expliquer entre deux sanglots que son frère était l'un de nos fans. Les mêmes yeux sombres, la même bouche fine, la même allure fière et sûre démentie par ses larmes… Et cet imparfait qu'elle a employé… Non… NON ! Une de ses amies complète en nous apprenant que ce frère qu'elle n'avait pas revu depuis près d'un an s'était suicidé en se noyant dans la mer, il y a une semaine seulement. Son corps avait été retrouvé un peu plus loin de cet hôtel, au niveau de la jetée de l'autre côté de la route.
J'entends toute l'équipe se lamenter et se confondre en excuses. Pour moi, le temps s'est arrêté. Je me sens transpercé par une infinité de lames acérées, j'ai tellement mal que je ne peux même pas pleurer. Personne ne semble remarquer l'état de choc dans lequel je suis plongé. Personne, sauf un… Je rassemble mes forces et lui arrache la clé des mains. Je me rue dans les escaliers, sans prendre garde au point de côté qui me tord rapidement le ventre. Pas lui… Ça ne peut pas être lui… Je m'arrête brièvement au niveau du troisième étage pour me repérer, et reprends presque aussitôt ma course folle. Je me jette sur la porte et cogne de grands coups contre elle. Il va venir m'ouvrir, je le sais. Il ne peut pas être mort, c'est impossible… Pas à cause de moi… Seul le silence répond à mes gestes. Je glisse la clé dans la serrure et pénètre dans la chambre. Notre chambre.
Rien. Il n'y a absolument personne. Sans prendre la peine d'allumer la lumière, je fais désespérément le tour de la suite, avant de me laisser tomber à terre en hurlant jusqu'à ce que le manque d'oxygène me fasse suffoquer. Je sens des bras qui me relèvent, je les repousse avec rage et martèle le mur de mes poings. Mes mains sont en sang, mais rien ne peut me faire plus mal que toute la souffrance qui menace de faire exploser mon cœur.
À bout de force, je me laisse soigner par le réceptionniste. Il essaie de me calmer, de me consoler, mais aucune de ses paroles ne m'atteint. La rage qui m'aveugle disparaît lentement. Quelqu'un a allumé la lumière. Le staff et mes musiciens me regardent depuis le couloir, terrifiés. Les clients de l'hôtel se massent derrière eux pour tenter de comprendre ce qui se passe.
C'est alors seulement que je remarque le lit défait.
Un verre d'eau à moitié vide est posé sur la table de chevet, quelques affaires jonchent le sol. Des bagues, des piercings et des bracelets sont éparpillés sur une commode. Noirs et argents, tendance gothique. L'employé me sourit tristement. Il m'attendait… Et je suis arrivé trop tard. Une semaine trop tard. Juste une semaine… Je me lève en titubant et ramasse une des chemises que je reconnais immédiatement. Elle dégage une légère senteur sauvage, épicée…
Je tombe à genou en la serrant contre mon cœur, et je me mets à pleurer comme jamais. Tout mon être est secoué de sanglots désespérés.
Je pousse un dernier cri déchirant. Mon amour, pardonne-moi…
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - ~x~ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
Tragique, je sais...
une petite review pour me donner votre avis, quand même ?