Darkness Slave

Un jour, un seul. Tant attendu, chaque année depuis quelques décennies…

C'était l'occasion à ne jamais manquer, celle qui devait être parfaitement préparée, sans quoi l'échec appelait une nouvelle année d'attente insupportable mais nécessaire, aussi douloureuse qu'inévitable.

Le cœur pourtant léger d'espoir, le jeune vampire leva les yeux vers la lune, complice de sa douleur perpétuelle, gratifiant l'ultime quartier du cycle d'un sourire faible mais sincère et reconnaissant. Il essuya sa bouche tachée de sang du revers de sa manche, et lança au loin la source de son abjecte subsistance, s'allongeant à même l'herbe humide du champ désert de toute présence humaine, savourant ce bref état de répit intérieur, teinté exceptionnellement ce jour-là d'une certaine plénitude fort appréciée par la créature torturée. Il inspira longuement, s'amusant de la saveur glacée de l'air, essayant vainement de raviver ses fonctions respiratoires endormies depuis bien longtemps. Bercé par la douce musique de l'eau se faufilant à travers les herbes folles, guettant par réflexe le bruit étouffé des sabots des quelques bovins restants, rescapés de ces escapades nocturnes, s'attardant parfois sur le hululement d'un oiseau de nuit, Slave se sentait sombrer vers un état second, ce repos rarissime qui anesthésiait sa souffrance, cette paix intérieure éphémère qui effaçait ses peurs et lui invoquait la promesse de jours meilleurs… Cette nuit était belle à pleurer, et l'apaisement fugitif de son cœur sanguinolent, qui semblait se refléter sur le paysage alentour, ne suffit pas à préserver davantage son corps fatigué. Éprouvé par sa jeunesse éternelle, il se laissa progressivement envahir par cette douce et traître mélancolie, habituelle compagne de ses jours malheureux, ne résistant même plus à l'angoisse qui venait de nouveau s'approprier son cœur, le déchirant encore une fois. Il ne chassa pas non plus ces perles salées qui dévalèrent ses joues fraîchement colorées pour aller glisser sur ses tempes et se perdre dans ses cheveux, acceptant docilement cette douleur sourde et familière qui l'envahissait un peu plus chaque nuit de son existence vampirique.

Demain, demain tout irait mieux. Pour un jour, et une nuit…

L'infime coloration du ciel au-dessus de lui, perceptible seulement pour ses sens aiguisés, le sortit de sa torpeur. Il secoua sa tête, s'ébrouant pour chasser ses larmes, et se releva avec une agilité toute particulière, sans tituber le moins du monde malgré le nombre d'heures passées immobile et couché. Ignorant la caresse soufflée par le vent froid, effleurant gracieusement sa peau fraîche de sang glacé, il leva une nouvelle fois les yeux vers le ciel, poussa un dernier profond soupir pour mettre un terme à son supplice, et guida ses pas vers l'orée de la forêt toute proche, détournant au passage son regard dégoûté des lambeaux de sa proie, lacérée une peu plus tôt par ses propres crocs affamés.

Vampire contre son gré, la jeune créature sentit une vague de culpabilité l'assaillir. Tuer un être vivant pour sa propre survie le révulsait tant qu'il s'en rendait malade. Son existence aurait été autrement plus facile sans cet écœurement incessant. Celui qui l'avait arraché à sa vie condamnée de mortel lui avait évité une mort lente et douloureuse à un âge encore jeune pour un être humain, mais s'il avait volontiers accepté la délivrance à ce moment-là, il n'avait eu de cesse de regretter depuis le repos éternel, qui aurait été un soulagement certain face à la famine qui le tenaillait en continu, la solitude insoutenable à laquelle il avait dû s'accoutumer, et surtout, cette terrible culpabilité qui l'assaillait fatalement dès qu'il se devait d'ôter la vie à une créature. Il avait bien entendu renoncé à se nourrir d'êtres humains, et se limitait aux animaux, quels qu'ils soient, malgré le goût infecte de leur sang, qui n'arrivait jamais à le rassasier très longtemps. Il lui était pourtant arrivé de se laisser aller à s'abreuver de sang humain, d'un quelconque criminel en fuite qui avait malencontreusement croisé la route de la pauvre créature affamée qu'il était devenue, mais le dégoût profond de son acte l'avait empêché de profiter du bien-être que devait procurer la sève humaine.

Au vu des circonstances de sa survie, il s'était baptisé Slave, reniant son nom en même temps que sa condition humaine, devenu à jamais esclave de ses principes, un être contre nature, luttant contre la sienne.

Il donna un coup de pied rageur dans une motte de terre, continuant sa marche silencieuse et pensive jusqu'aux fin fond des bois, où la végétation dense et luxuriante lui garantissait calme et sécurité. Rassuré à l'approche de son logis, le désespoir ayant de nouveau fait place à l'espoir, le jeune vampire poussa la lourde porte de sa demeure. L'habitacle, autrefois noble château, délaissé au cours des siècles jusqu'à l'abandon total par ses propriétaires, avait constitué un abri idéal pour la créature nocturne et discrète, qui occupait désormais en solitaire la seule pièce souterraine, ignorée par le temps et ses méfaits, subsistant encore au milieu des décombres du château en ruines. Enjambant son confortable cercueil et les multiples papiers jonchant le sol, il se jeta presque sur le mur lui faisant face, souriant vaguement en arrachant une nouvelle page du calendrier, seul objet moderne qu'il prenait soin de renouveler chaque année.

Le 31 Octobre, enfin..!

Satisfait, il contempla quelques secondes durant la date tant attendue, ces chiffres sombres se détachant sur la blancheur poussiéreuse du papier, puis se prépara à sortir. Il épousseta soigneusement ses vêtements, trouvés quelques siècles auparavant dans les armoires du château, passa sa main dans ses cheveux pour les plaquer sur son crâne, et se retourna inutilement vers un morceau de miroir, dont il avait un jour habillé les murs, réflexe coriace de son ancienne humanité. Pouffant pour la première fois depuis des années, il s'en détourna pour se vêtir d'une longue cape de velours épais, rabattant la capuche sur sa tête avant de ressortir de son logis.

Fin prêt pour son expédition exceptionnelle, il entama sa course vers le village le plus proche, à quelques dizaines de kilomètres d'ici, distance relativement risible pour un vampire aguerri.

Le ciel commençait à s'éclaircir pour de bon, se teintant des premières lueurs de l'aube, alors que Slave dévalait agilement la piste censée le mener à destination. Resserrant les pans de son manteau, se cachant un peu plus dans le tissu à mesure que le temps avançait, la créature nocturne se faufila entre les habitations closes, jusqu'à atteindre un manoir dernièrement restauré, légèrement en retrait des autres maisons, récemment aménagé et habité par de nouveaux arrivants dans la région. Songeant une fois de plus à son apparence certainement peu avenante, voire effrayante, le vampire avisa une flaque sur la chaussée, et scruta son reflet, examinant jusqu'à ses dents, aiguisées et ternies par le sang animal. Mettant à profit son formidable odorat, Slave repéra facilement une pousse de menthe, dont il mâcha quelques feuilles par précaution : s'il serait méconnaissable de par son aspect général, se fondant pour une fois dans la masse, il n'était néanmoins pas certain que les humains soient assez perfectionnistes pour affiner les moindres précisions de leur costume au point d'en avoir les dents réellement souillées… et s'il y avait une chose qu'il ne désirait pas ce soir-là, c'était bien de se faire remarquer par un élément quelconque. Il lui était permis de s'amuser une fois par an, il comptait bien profiter de cette opportunité ! Surtout que cette année, il avait trouvé l'occasion parfaite pour sortir de son isolement… et trouver un peu de compagnie, ne serait-ce que le temps d'une journée.

Le cœur léger mais pas moins dénué d'appréhension pour autant, il se cacha sous le porche de l'immense bâtisse, priant pour qu'un invité se montre sous peu, pestant alors contre la malédiction qui accablait son espèce, lui interdisant de s'immiscer en discrétion dans la demeure de son hôte, qui jusqu'à présent ignorait même la venue de cet invité indésiré. Il ne voulait d'ailleurs pas courir le risque de se faire rejeter en s'annonçant lui-même à l'entrée principale.

Toutefois, personne ne se montra.

Pétrifié par le chant des oiseaux diurnes, saluant le lever de leur astre vénéré, Slave n'eut alors plus d'autre solution que s'approcher courageusement de la porte, s'emmitouflant encore un peu plus dans sa cape, et de secouer d'un bras tremblant la cloche faisant office de sonnette, redoutant déjà l'explication qu'il allait devoir fournir quant à sa présence en ce lieu de fête… supposée privée.

Guettant le bruit de pas, qui mettait décidément bien du temps à se faire entendre, le vampire se rapprocha anxieusement de plus en plus près de l'entrée pour échapper aux premiers rayons redoutés, se retrouvant finalement tant et si bien collé à la porte qu'il en oublia de se détacher lorsque celle-ci s'entrouvrit. En proie à une panique sidérante, il se rattrapa juste à temps pour éviter la chute, et se jeta contre la porte pour la refermer sur la lumière bien trop vive de l'extérieur. Haletant, il s'appuya contre le panneau en bois, en essayant de retrouver un semblant de bravoure pour affronter le regard de son hôte. Il se tourna lentement vers lui, essayant vainement de se rappeler du peu d'arguments qu'il avait préparé pour l'occasion.

Le garçon qui lui faisait face, au physique musclé et bien bâti, éclata d'un rire sonore devant son air apeuré, embaumant l'air d'une odeur âcre de bière.

« Wow, déjà habillé, mec ! Pas mal, le costume. Les yeux, ça fait super vrai. Respect ! Moi c'est Todd, au fait. Ravi ! Installe-toi, moi je retourne au salon. Y en a qui installent le décor, dans la cuisine et le garage… ou peut-être à l'étage, 'sais pas. Enfin si tu veux les aider… Tu peux même faire la cuisine, ce sera pas de trop ! sinon c'est poker morning avec nous, c'est toi qui vois ! »

Il lui lança un dernier coup d'œil appréciatif et retourna sur ses pas, non sans un sourire espiègle en lui indiquant d'un geste large le couloir menant à ce qui semblait être la majorité des pièces du rez-de-chaussée, exception faite du salon, compte tenu de la direction opposée que prit son inviteur.

Todd… C'était pas le bon. Son hôte se prénommait Krys, selon ses recherches. Il se calma peu à peu, rassuré que son étrange première rencontre humaine ne l'ait pas percé à jour. Il s'autorisa un sourire, et remarqua en passant machinalement sa main dans ses cheveux que la capuche censée le recouvrir avait glissée dans sa bataille. Il hésita un instant à la remettre en place, puis se résigna à la laisser sur ses épaules. Que risquait-il, après tout ? C'était Halloween et, de toute façon, à l'heure d'aujourd'hui personne, du moins à l'âge fraîchement majeur des convives de ce jour, ne croyait encore aux vampires : il ne risquait donc rien.

Tous ses sens accaparés par la découverte de ce lieu habité, il ne se douta pas une seconde qu'il était curieusement observé par le maître des lieux, qui s'était arrêté à mi-chemin dans les escaliers, s'étant aperçu que l'un de ses amis avait réagi avant lui à l'écho de la cloche.

Slave, à qui l'atmosphère particulièrement festive du manoir avait redonné contenance, osa s'aventurer plus avant dans le vestibule, tirant la langue à son invisible reflet dans un grand miroir orné de fausses toiles d'araignées, qui dissimulait sans doute un placard. Mû par une intuition soudaine, il souffla sur le verre et traça les lettres de son nom sur la buée. Le cœur plus léger et des papillons joyeux agitant ses entrailles, il se décida à explorer la demeure. Il avait hâte de rencontrer les autres invités ! Il sentait tellement de présences humaines autour de lui qu'il était à présent certain qu'il passerait quasiment inaperçu.

Pourtant, à son plus grand étonnement, ce ne fut pas totalement le cas. Nombre de jeunes filles le suivaient presque à la trace, gloussant dès qu'il osait leur lancer un regard. Certaines engagèrent même la conversation, ce qui eut le don de le mettre mal à l'aise, à tel point qu'il faillit plusieurs fois prendre ses jambes à son cou pour rentrer se terrer dans son cercueil. La lumière du jour et sa hantise de retrouver le quotidien morne et monotone qu'il connaissait le forcèrent néanmoins à affronter ses peurs, infimes et de nature toute différente de celles qui l'habitaient habituellement, et il se plia à la volonté des jeunes filles, chacune minaudant à son encontre, se chamaillant pour être pendues à ses bras alors qu'elles l'accompagnaient dans la suite de sa visite des lieux. Si sa répugnance à assouvir sa soif de sang humain lui suffisait d'ordinaire à y renoncer, il se félicita tout de même de s'être totalement rassasié la nuit précédente : nul doute que sa lutte aurait été bien mise à mal dans de pareilles conditions. S'imprégnant avec bonheur de la jovialité ambiante, le jeune vampire en arrivait presque à se sentir bien. Jamais il n'avait été aussi bien traité que par ses compagnes, qui le couvraient d'attentions, certaines osant même déposer un bisou léger sur ses joues pâles, qui se coloraient alors d'un rose tendre à son plus grand étonnement, faisant pouffer ses prétendantes. Il avait toujours fui la présence des autres vampires, et les rares fois où il s'était mêlé à des humains, il s'était contenté de les observer de loin, à l'abri d'un coin sombre. La seule présence qu'il tolérait était celle des animaux sauvages, à qui il s'adressait parfois en cas de solitude extrême, quand il ne s'en allait pas les dévorer. Sa seule véritable amie était la lune, pourtant trop éloignée et immobile pour le réconforter réellement dans sa peine.

Mais aujourd'hui, tout était tellement différent… même la lumière artificielle des lustres ne l'impressionnait guère, il se sentait enfin… différent. Comme s'il avait retrouvé le soupçon d'humanité qui lui avait manqué.

Mais les demoiselles qui lui vouaient tant d'admiration s'avérèrent ne pas être les seules à se soucier de sa présence. Quelques garçons vinrent en effet à sa rencontre, l'ôtant en compatissant des griffes des jeunes filles, s'attirant ainsi quelques protestations de leur part, afin de lui faire prendre part aux préparatifs. Il se mit ainsi à contribution de l'équipe enjouée qui s'était proposée pour s'occuper des décors du manoir, qui se devait d'être parfait pour la soirée. Il se surprit même à échanger quelques rires avec ces parfaits inconnus. Quelques bougies et toiles d'araignées accrochées plus tard, il fut assigné aux fourneaux, et se révéla même être un cuisinier acceptable, grâce à l'aide des indications que lui dictaient ses nouvelles amies. Il prit plaisir à s'affairer en cuisine, préparant avec soin de multiples gâteaux et petits-fours, bénissant les propriétaires des lieux de ne garder aucune gousse d'ail en leur possession. Il s'amusait beaucoup de l'attitude des invités qui venaient parfois le voir à l'œuvre, attirés par les délicieuses odeurs qui filtraient par la porte, tous agissant avec lui comme s'il était l'un des leurs. Personne ne semblait s'être rendu compte qu'il ne connaissait personne ici, et que par conséquent, il n'avait rien à y faire. Ou peut-être n'était-il pas le seul à avoir eu vent de la soirée organisée au manoir…

L'heure du déjeuner arriva, et encore une fois, personne ne sembla remarquer qu'il ne touchait pas à la nourriture. Il se mêlait à tous, rencontrant sans cesse de nouvelles personnes, pour son plus grand bonheur. Il y avait tellement longtemps qu'il s'était senti aussi bien… cela ne s'était en fait jamais produit depuis sa mutation.

Il passa la meilleure journée de sa longue vie, oubliant pour un temps le mal qui le rongeait d'habitude. Il s'amusa, plus à observer qu'à se faire remarquer, restant malgré tout aussi discret que possible. Il se plaisait à imaginer le soleil brûlant au dehors, derrière les fenêtres calfeutrées de lourds rideaux impénétrables, alors que lui-même était parfaitement éveillé pour une fois, bien loin de son cercueil.

De nouveaux invités ne cessèrent d'arriver jusqu'au soir, pourtant la vaste habitation était si grande qu'elle ne semblait ne jamais pouvoir se remplir complètement.

L'après midi se déroula bien vite, oscillant entre fous rires et création des costumes tous plus extravagants les uns que les autres.

Lorsque le dernier convive pénétra dans la demeure en criant « Il fait nuiiiiiit ! », le cœur presque paralysé de Slave, dont les battements automatiques se faisaient de plus en plus rares au cours des décennies, se mit à battre plus fort, alors que plusieurs des personnes présentes se jetaient sur les fenêtres pour les découvrir, chacun contemplant avec impatience le crépuscule. Une musique puissante et endiablée envahit soudain les lieux, et les buffets furent vite recouverts de plats et d'alcool, le tout accueilli à grands cris par la foule qui s'était regroupée dans le salon, prête à entamer les réjouissances. Les derniers arrivés enfilèrent à leur tour masques et autres déguisements, et se mêlèrent à la cohue, prenant d'assaut les boissons et petits fours mis à leur disposition. Subitement intimidé par tant d'agitation, Slave se retira dans le couloir faisant office de vestibule, et contempla les individus avec une certaine curiosité teintée de crainte. Il s'était attendu à ce que l'alcool coule à flot, mais tout de même pas à un tel rythme dès le début ; la soirée promettait d'être vraiment animée !

La lueur vacillante des bougies, qui remplaçaient à présent la lumière artificielle des plafonniers, rendait une certaine ambiance surnaturelle aux environs, et l'odeur de cire brûlée se mêlait maintenant aux multiples senteurs de chair et de sang humain, que Slave pouvait sentir pulser dans les veines de chaque invité se mouvant sous ses yeux rubis… Un frisson de convoitise le secoua, le ramenant bien vite à ses esprits, et il se força à repousser les idées sanguinaires qui envahissaient progressivement son être. Tout concentré à se focaliser sur d'autres sensations moins périlleuses qu'il était, il n'entendit ni ne sentit un groupe de jeunes hommes s'approcher de lui, et sursauta vivement lorsqu'un des leurs le héla.

« Tiens, prends un verre, reste pas comme ça dans ton coin !
- Ouais, amuse-toi, mec ! »

Il eût droit à un coup d'épaule complice de son dernier interlocuteur, et réalisa qu'en effet, il était là pour ça. Pas la peine de se tracasser, autant en profiter. Un élan d'audace le poussa même à accepter le verre qu'on lui tendait, les vapeurs d'alcool envahissant la pièce lui tournant déjà la tête, sensation de légèreté qu'il se décida d'expérimenter un peu plus en goûtant de cette boisson magique qui avait don de plaire aux humains. Il trempa ses lèvres dans le liquide translucide, appréciant immédiatement la chaleur fluide qui se propagea dans sa gorge. Hélas, la question redoutée qu'il avait oubliée de craindre dans la journée le frappa soudain, et il manqua de s'étouffer sous la surprise :

« Au fait, t'es qui toi ? »

Il eut un moment d'égarement et la panique le submergea furtivement, alors qu'il tentait vainement de réfléchir à une explication plausible à fournir aux visages qui le fixaient avec curiosité, visiblement étonnés de son absence de réaction.

Face à son incapacité complète à trouver une réponse, le jeune vampire commençait à reculer discrètement vers la porte pour s'échapper quand un bras puissant se posa sur ses épaules, lui interdisant toute retraite salvatrice.

« C'est mon cousin, un cousin assez éloigné en fait. Faites pas trop attention, c'est un grand timide, pas très sociable, mais adorable quand on le connaît bien ! Hein, Slave ? »

Son sauveur lui adressa un grand sourire, resserrant son étreinte protectrice sur ses épaules pour le rassurer. Il était décidément près, bien assez près pour que les yeux du vampire effleurent sa gorge, attirés par les pulsations hypnotisantes de sa jugulaire, qui battait sous la peu fine de son cou, à quelques centimètres seulement de la bouche asséchée de la créature, dont tous les sens étaient accaparés par l'envie de sang, de ce sang.

« Oh, je savais pas que t'avais un cousin de notre âge, Krys ! - »

Ce prénom fit frémir Slave, le ramenant enfin à la réalité, bien qu'il fut encore incapable de se concentrer sur les paroles échangées par ses compagnons, écœuré de sa propre attitude.

Krys… Le fameux Krys, dont il avait tant appréhendé la rencontre…

Les sens encore bien trop en alerte, il se dégagea poliment du groupe qui l'entourait, murmurant vaguement une excuse à peine audible, et se perdit dans la foule enhardie par la musique et la boisson, qui se déhanchait au milieu du salon, l'espace ayant été spécialement dégagé des meubles pour l'occasion. Les narines dilatées, Slave se faisait fureur pour ne pas retourner sur ses pas, fuyant cette odeur délicieuse dont le moindre de ses sens s'était malheureusement épris. Il secoua sa tête avec rage, se maudissant d'être si facilement tenté. Il avançait avec peine au milieu des danseurs, se laissant transbahuter au gré des mouvements, s'imprégnant des odeurs qui l'entouraient à présent, sueur, alcool, caoutchouc, tellement moins enviables que celle qui se refusait à quitter son être ! La tête lui tournait tant il avait peur de céder à sa nature première. Il se laissa porter jusqu'au bar, où le garçon qui l'avait accueilli dans la matinée lui servit avec joie un verre plein de vodka pure, hilare face à l'effet que la boisson avalée d'un trait fit au vampire. Crachant et toussant, l'alcool lui brûlait les entrailles, mais réussissait miraculeusement à dévier momentanément l'orientation de sa soif. Tant et si bien que Slave s'empara de la bouteille, s'abreuvant directement au goulot, s'efforçant d'annihiler toute pensée vampirique. Hélas, à peine eut-il lâché le récipient de verre qu'un haut le cœur le saisit, quand il s'aperçut qu'il lui était désormais impossible de se défaire de son envie sanguinaire. Titubant sous l'alcool ingurgité, il se pressa tant bien que mal à rejoindre la sortie, ignorant les protestations des danseurs dérangés qu'il s'attirait en bousculant toute personne faisant obstacle à sa fuite. Ayant enfin réussi à atteindre le hall d'entrée, vide de la personne qui avait attisé sa faim, il se rua sur la porte, se débattant avec la poignée jusqu'à se jeter dehors, sans un seul regard en arrière.

Il était tellement paniqué qu'il ne se doutait même pas où le guiderait sa course effrénée, se contentant de concentrer ses sens sur l'air frais et humide, empreint des senteurs automnales de la nuit, forçant son être tout entier à oublier la folie des besoins types de son espèce.

Exténué par sa course éperdue, sa vitalité mise à mal par l'absence de son habituel repos diurne, et l'esprit noyé dans des brumes alcoolisées, rendant la maîtrise du moindre de ses mouvements tout à fait approximative, il se laissa finalement tomber à genoux sur l'asphalte dur de la voie goudronnée, se recroquevillant sur lui-même, honteux de sa conduite indigne. Il aurait tout donné à ce moment pour redevenir humain, ou à défaut être appelé par le Ciel, priant pour la destruction du monstre qu'il était devenu, aspirant à un salut salvateur.

Des bribes de musique lui parvinrent, et il se rendit compte avec horreur que ses pas l'avaient ramené à proximité de son point de départ, source de cette nouvelle douleur. Le cœur serré par une angoisse dévorante, il rassembla ses forces pour se lever, et s'éloigna faiblement du lieu maudit, en direction de son logis précaire.

Son corps le força néanmoins à s'arrêter quelques mètres à peine plus loin, régurgitant tout ce qu'il avait avalé dans la journée. Libéré de l'emprise de la boisson, mais un peu plus encore vidé de ses forces, il reprit courageusement son chemin.

Ce n'est qu'une fois qu'il eut atteint le sous-bois sombre et protecteur que sa terreur commença à s'apaiser lentement, sans pour autant le départir du dégoût amer qu'il s'inspirait lui-même . Il se traîna jusqu'au champ qui lui servait de garde-manger, les larmes d'impuissance ruisselant sur ses joues alors qu'il se préparait une nouvelle fois à ôter la vie d'une créature innocente, chose dont il aurait dû pouvoir se passer pendant encore quelques jours.

Affaibli comme il était, il se contenta d'approcher une bête endormie à l'écart du troupeau, enfonça ses crocs pointus dans son encolure pour la vider de son sang, et aspira lentement sa substance vitale encore chaude, des sanglots secouant tout son être alors qu'il repensait à sa soirée gâchée. Sa cape en velours traînait au sol, pourtant rescapée de la course folle, et l'une de ses chaussures manquait à l'appel, tandis que son pantalon évasé aux chevilles souffrait de quelques déchirures. Ses larmes intarissables creusaient ses joues, se perdant dans le pelage tiède de l'animal qu'il serrait entre ses doigts blanchis, son corps était secoué de spasmes de chagrin et de peur. Qu'avait-il fait pour mériter un tel châtiment ? La douleur dont il était victime le paralysait, et lui était de plus en plus intolérable. Souffrance de solitude et d'un besoin perpétuel de compagnie, mais aussi d'une soif maudite qui l'assaillait irrémédiablement dès qu'un être humain s'approchait trop de sa personne, le condamnant ainsi au malheur éternel… Un autre sanglot s'échappant de ses lèvres affairées, il leva ses yeux rougis vers le ciel, cherchant sa seule amie parmi les étoiles, son astre bien aimé s'avérant introuvable dans l'immensité noire parsemée de rares éclats de lumière.

La douleur aveuglant ses sens, il ne pressentit pas l'arrivée du risque, qui se révéla à lui sous la douceur de doigts chauds et tendres qui vinrent écarter ses cheveux, pendant le long de son visage, certains traînant dans la plaie béante du bovin tué. Trop meurtri et immobilisé sous le coup de la surprise, Slave n'esquissa pas le moindre geste pour se détacher de ce corps pressé contre son dos courbé. Les lèvres de sa proie convoitée effleurèrent sa nuque dégagée, propageant un délicat frisson de bien-être le long de son échine, et deux perles liquides et salées s'écrasèrent sur la peau de son cou. Les effluves délicieuses de son odeur atteignirent finalement les narines du vampire, lui invoquant assez de force pour qu'il s'écarte vivement du jeune homme, se tournant de façon à lui faire face. Ses yeux d'un pourpre soutenu rencontrèrent les siens, profondément émeraudes, humides et empreints d'une triste compassion à son égard. Il semblait le comprendre, mais être peiné par sa fuite. Slave retroussa ses lèvres sur ses dents, faisant siffler l'air entre elles pour lui faire peur, tentative désespérée de lui sauver la vie. Pourtant, même si le vampire pouvait clairement sentir la peur envahir le corps de son vis-à-vis, ce-dernier n'eut pas le moindre mouvement de recul. Il se contenta de le fixer tristement, sans prononcer le moindre mot pendant de longues secondes.

« Laisse-moi t'aider… »

La panique prenant de nouveau possession de son corps, la créature sanguinaire ne put que souffler faiblement sa supplication jusqu'alors silencieuse :

« Va t'en, je t'en supplie… Je vais te tuer si tu restes là, va t'en !
- Alors tue-moi si ça peut alléger ta souffrance, mais laisse-moi t'aider, Slave… »

L'inconscient se releva, esquissa un pas en direction du vampire, qui se recula instantanément en sifflant.

« Personne ne peut m'aider, va t'en, je te dis ! Même si je te tue, tout redeviendra très vite comme avant, ça ne sert à rien… Ne gâche pas ta vie, idiot, va t'en !!
- Mais regarde-toi ! Tu n'arrives même pas à vivre, tu souffres sans cesse, ça crève les yeux ! Je t'ai observé toute la journée, tu mérites pas ça, tu peux pas mériter une existence pareille !! Les vampires, c'est immortel, non ? Alors bouge-toi ! Tu vas pas rester l'éternité comme ça ! Bats-toi !
- Qu'est-ce que tu sais de mon espèce ?! Laisse-moi je te dis, VA T'EN !! »

De rage et de désespoir, Slave se rua sur lui pour le pousser à partir. Insensible à sa haine, Krys se laissa bousculer sans broncher, refusant toutefois de fuir. Son cœur avait pris en pitié la pauvre créature, il ne se déroberait pas à la promesse qu'il s'était faite en choisissant de le suivre : s'il ne pouvait rien faire pour le sauver, alors il préférait mourir en le soulageant ne serait-ce qu'un court instant que de se résigner à l'abandonner à son triste sort. Son corps commençait pourtant à faiblir sous les coups du vampires, qui usait de sa force pour l'éloigner de lui. Tant et si bien qu'il finit par tomber sur l'herbe fraîche de rosée nocturne, sans être capable de trouver la force de se relever. Il s'allongea en étoile au sol, accueillant les coups de son plein gré, malgré les meurtrissures dont se plaignait déjà son corps. Las de lutter sans réussir à obtenir l'effet escompté, et aussi un peu inquiet quant aux blessures qu'il avait causé à son adversaire, Slave se calma, observant le jeune homme de ses yeux carmin, incrédule face à son attitude rebelle.

« Tu peux frapper encore, si ça te soulage… Mais je bougerai pas, Slave, je bougerai pas tant que j'aurais pas pu t'aider.
- Pourquoi tu fais ça ? »

Un profond soupir lui répondit, alors qu'il massait son torse et ses épaules endoloris.

« Pff, franchement ? J'en sais rien. J'ai pas vraiment eu le temps de me le demander… Quand je t'ai vu entrer chez moi… Tu étais… si pâle… différent. Et puis, je ne te connaissais pas, et je savais ne pas t'avoir invité. Tu m'as intrigué, en somme, alors plutôt que de t'accueillir pour te jeter dehors illico, j'ai préféré t'observer à la dérobée. »

Curieux de comprendre son acharnement, le jeune vampire s'assit à ses côtés, attentif, toutes ses émotions contradictoires alors mêlées dans son être empêchant l'indésirable fonctionnement de ses sens vampiriques. Soulagé de la trêve autorisée, Krys continua, chuchotant presque, impressionné par l'atmosphère ambiante.

« Tu avais l'air… bizarre. Je me disais que ça venait peut-être de ton costume, que tout était calculé, et que c'était exactement l'effet que tu cherchais à produire… Mais plus je t'observais, plus je sentais que tu n'étais pas… comme nous. Tu t'étonnais de tout, ne parlait presque pas… Et quand tu le faisais, c'était avec une voix… »

Son visage se colora légèrement, tandis qu'il fixait le ciel d'encre en cherchant ses mots.

« Je sais pas comment expliquer, tu dois même pas t'en rendre compte… Douce, mais aussi… faible, et puis… chaude et froide en même temps… »

Il rit nerveusement à l'entente de ses propres mots, adressant un coup d'œil désolé à son auditeur.

« Oui bon, je sais, je dis n'importe quoi. Enfin, je sais pas comment dire autrement… C'est vraiment ce que j'ai ressenti. Comme si tu étais confiant et méfiant à la fois, tu vois ? Alors forcément, ça m'a encore plus intrigué. Après, je t'ai perdu de vue, alors je suis retourné aux préparatifs. Jusqu'à ce que j'entende mes potes par hasard, en traversant le couloir. J'ai tout de suite senti que c'était à toi qu'ils s'adressaient, alors je me suis dépêché de vous rejoindre. Au bon moment, je crois... Mais je pensais pas que ça te dérangerait ! Je me disais qu'après ça, on pourrait avoir l'occasion de discuter deux minutes, histoire de soulager ma curiosité. Ou plutôt de vérifier les hypothèses que je m'étais faites… Bref, rien de tout ça, t'es juste parti précipitamment, comme si… je te faisais peur. Ou pire… que je te dégoutais. Ça m'a fait un choc que tu me plantes comme ça, surtout que j'étais venu t'aider, à la base… Ok, c'est vrai qu'après t'avoir espionné toute le journée, j'avais un peu l'impression de te connaître, au moins un tout petit peu… Comme si tu faisais partie de mes potes aussi, quoi… Alors, évidemment, ça m'a un peu vexé, sur le coup, que tu réagisses comme ça. Du coup j'ai même pas cherché à te rattraper pour qu'on s'explique, je suis juste resté planté comme un imbécile dans ce couloir… Et quand je me suis décidé à bouger, je t'avais perdu. J'ai tourné un moment dans la maison, et finalement, je suis sorti, et je t'ai vu, plus loin, sur la route. Et je t'ai suivi… C'était un coup de tête, tu vois, j'ai même pas cherché à réfléchir ! Juste… t'avais l'air tellement… perdu, désespéré, même… Ça m'a fait mal de te voir comme ça. Je veux t'aider, Slave, s'il te plaît… »

Ses derniers mots sortirent dans un murmure, et envahirent le vampire d'une étrange sensation… chaleureuse. Avoir ce garçon pour ami serait de loin la meilleure chose qui puisse lui arriver, évidemment. Mais il refusait de courir le risque de le tuer à tout moment, pour un peu que ses instincts se réveillent et l'aveuglent à nouveau. Il ne pourrait pas lutter contre eux indéfiniment…

« C'est trop dangereux, je devrais même pas être en train de parler avec toi… Mais… merci. Tu sais, ça fait des siècles que je ne parle à personne, que j'évite les…
- Humains ?
- Ouais, c'est ça. J'ai tellement peur de faire du mal… Alors je me cache, j'essaye de survivre sans sacrifier personne pour ça… Il n'y qu'un seul jour dans l'année où je me permets de côtoyer des hommes. Halloween… Une super invention, je dois dire. Ça me permet de rester discret, en ayant un peu de compagnie, de me divertir... Enfin, je reste quand même assez à l'écart, j'observe de loin, c'est plus sûr. Mais là… tu sais, c'est la première fois que je me senti aussi… vivant. Normal, presque. C'est juste que… quand tu m'as rejoint, je… »

Il s'arrêta, soudain gêné de devoir lui expliquer à quel point son odeur était… irrésistible. Après tout, en y réfléchissant, les groupies qui l'avaient collé toute la matinée s'étaient elles aussi montrées physiquement proches, voire très proches, de lui, sans que sa soif ne se réveille pour autant…

« Je sais pas ce qu'il s'est passé, ça m'a déstabilisé, j'ai eu peur de perdre le contrôle de moi-même. C'est pour ça que j'ai préféré m'éloigner. Pas parce que tu me dégoutais ou quoi ! Au… contraire, même. »

Pour la première fois depuis le début de leur discussion, il cessa de regarder son vis-à-vis, préférant s'intéresser aux herbes dansant sous la brise automnale. Il enchaîna rapidement :

« Et puis tu m'intimidais un peu, aussi. J'étais pas très fier de m'incruster comme ça… Désolé. »

Un rire lui répondit, alors que son émetteur levait les yeux au ciel.

« Pff, y a pas de quoi ! Comme si je pouvais t'en vouloir de chercher à fuir cette horrible solitude… »

Les deux complices se turent un instant, profitant de cet instant de paix.

« C'est pas trop insupportable ?
- Pardon ?
- Là, maintenant, d'être avec un humain… tu dois avoir soif pourtant, non ? Mais tu cherches même pas à me mordre…
- Je viens de me nourrir, figure-toi. Il indiqua d'un geste las la carcasse de l'animal, qui gisait plus loin.
- Ah, c'est donc pour ça. C'est comment ?
- De quoi ?
- Le sang animal.
- Infect !
- Et le sang humain ?
- Euh…
- C'est bon, parle. Je risque de finir en loque vidée de son sang, après tout, c'est toi qui l'as dit. J'ai le droit de savoir, donc !
- C'est… bon. Enfin, c'est supposé être bon, voire même délicieux, souvent. Mais j'ai du y goûter qu'une ou deux fois, hein… Et de toute façon, j'ai même pas eu le temps de savourer tellement je me dégoutais…
- Ça a pas toujours le même goût, donc ? Et la saveur, ça dépend de quoi ? L'âge, peut-être ?
- Krys, j'ai vraiment pas envie de parler ça… surtout avec un mortel, tu vois. T'es vraiment suicidaire, ça me fait peur…
- Allez, raconte… S'il te plaît ?
- Mais je sais pas, de quoi ça dépend ! Juste, il y en a qui sont meilleurs que d'autres, c'est tout.
- Hmm… tu le sais à l'avance ? Ou c'est la surprise à chaque fois ?
- Krys !
- Hé, comment tu veux que je devine tout seul ! Apprends-moi…
- T'as pas besoin de connaître ce genre de chose, c'est… répugnant !
- Tu viens de dire que le sang humain c'était délicieux, pourtant…
- Non ! Enfin si, mais… Comment tu peux parler de ça comme ça, avec autant de légèreté ? Le sang, c'est… comme une drogue. Si tu commences à boire, tu es obligé de finir… Un vampire est en quelque sorte obligé de finir sa proie, même s'il doit se faire violence pour arrêter dès que le cœur ne bat plus. On parle de tuer des êtres de ta propre espèce, et c'est tout ce que ça te fait ?!
- Ben… C'est un peu glauque, mais c'est la loi de la nature, n'est-ce pas ?
- On peut aussi se nourrir des animaux. Pas besoin d'autant de barbarie !
- Ouais, t'en es la preuve vivante, hein ? Et ça te réussit, c'est sûr…
- Hé !
- C'est à moi de dire ça, t'as toujours pas répondu à ma question…
- …
- Le goût…
- Ça dépend de l'odeur. C'est tout ce que je sais, j'ai pas assez d'expérience pour avoir découvert les autres critères qui jouent aussi… Mais c'est vrai qu'avec l'âge, l'odeur est différente…
- Donc le sang, moins bon, c'est ça ? Les jeunes sont meilleurs que les vieux… Pas étonnant ! Ils sont forcément moins frais…
- Il doit y avoir des exceptions, j'en sais rien.
- Le physique, ça joue aussi, non ?
- Euh… Comment ça ?
- Quelqu'un qui correspond plus à ce que tu aimes, doit forcément te paraître meilleur, non ?
- Je… Tu crois ? »

Pensif, Krys contemplait toujours l'étendue obscure du ciel, les bras ramenés sur sa poitrine. Dubitatif, le vampire l'observa avec curiosité. Cet humain n'était décidément pas comme les autres.

Quelqu'un qui correspond plus à ce que tu aimes doit forcément te paraître meilleur… Jamais il ne s'était posé toutes ces questions. Quelle importance, de toute façon ? Il réfléchit cependant à ces paroles, essayant de se remémorer ses malheureuses victimes. Un homme, dont le goût ne l'avait que vaguement satisfait. D'âge moyen, au physique.. Peu avenant. Et l'autre… Une femme, plutôt séduisante, quand il y repensait. Elle s'était effectivement trouvée de meilleur goût que le premier… Mais il ne les avait pas choisis, ils s'étaient juste trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, et le vampire n'avait pas cherché à anticiper la saveur qu'ils devaient avoir.

Il se rappela aussi ces rares moments où il avait été en présence de mortels. Effectivement, tous avaient une odeur plus ou moins différente… et les plus attirantes s'accordaient à un personnage de même catégorie, maintenant qu'il y pensait.

Mais alors…

Il orienta discrètement ses yeux vers le jeune homme, dont seule la respiration animait le corps immobile.

C'est vrai qu'il était plutôt charmant, dans son genre. Autant dans son apparence que dans ses actes, Slave pouvait facilement le sentir, pour un peu qu'il se focalise sur sa personnalité. Quand à son physique…

Il était assez grand, plus grand que lui en tout cas, à peine musclé. Ses cheveux hérissés en pics étaient bruns aux racines, plus clairs aux pointes, entre le châtain clair et le blond, striés de quelques mèches noires.

Le jeune vampire humecta ses lèvres et, la curiosité prenant place à sa peur, se permit d'aspirer un peu d'air, goûtant les odeurs que son compagnon dégageait.

Odeurs chimiques, de gel et de coloration, certainement, pour les cheveux.

Malgré l'obscurité, il distinguait parfaitement ses yeux, d'un beau vert presque vif, qui lui conférait un regard doux et pénétrant à la fois, attentif et intelligent.

Sa peau était légèrement bronzée, d'une couleur plus tendre au niveau des lèvres. Odeur de petits-fours et de chorizo.

Slave sourit, se demandant s'il savait que c'était lui qui les avait faits, s'il les avait aimés. Il avait du se fier à son instinct pour ce faire, lui ne ressentant qu'un goût fade pour la nourriture.

Et son cou… était parfait. Senteur légère d'une eau de toilette, de qualité, sans nul doute, qui se mariait très bien avec son odeur naturelle. Et cette odeur, dominante sur toutes les autres, était… délicieuse, exquise. Et correspondait parfaitement au jeune homme. Ou du moins à la perception qu'il en avait…

Oui, tout bien considéré, Krys était définitivement attirant.

Le sujet de ses pensées fut parcouru d'un frisson, et ses yeux se tournèrent immédiatement vers son observateur, incitant celui-ci à couper court à ses révélations.

« Bon, Slave, si tu ne te décides pas à me mordre maintenant, ça t'ennuierait de me conduire chez toi ? Je commence à avoir froid, moi… »

Froid, évidemment. Le garçon était sensible à la température, forcément. Détail que le vampire avait oublié.

Se maudissant de ne pas y avoir pensé plus tôt, ce-dernier se releva d'un bond, dans le but d'aider son ami à se lever à son tour. Il se ravisa néanmoins, laissant retomber sa main le long de son corps, avant que Krys n'ait eu le temps de s'en saisir : autant ne pas tenter le diable, il était plus prudent d'éviter tout contact, même si la créature tendrement sanguinaire apprenait progressivement à supporter la douce torture qu'était l'ensorcelant parfum de l'âme mortelle.

« Désolé, j'avais oublié… Il vaudrait mieux que tu rentres chez toi… » ajouta-t-il sans grande conviction : il commençait sérieusement à apprécier la présence de son compagnon et redoutait plus que jamais la solitude.

« Je te suis ! »

Le jeune homme se secoua un peu pour se débarrasser des brins d'herbes humides qui collaient son jean fraîchement trempé, et se dépêcha de suivre son protégé, s'adaptant à son allure soutenue.

Un peu inquiet de la tournure des évènements, le vampire continua pourtant sa marche à travers les bois, ralentissant le pas quand il sentait que les pas à sa suite prenaient du retard.

« Euh, Slave… »

L'interpellé stoppa net et se tourna vers lui, se forçant à espérer que le garçon avait changé d'avis et était prêt à rentrer au chaud dans sa propre demeure.

« Je… Désolé, hein, mais j'ai un peu du mal à te suivre, là.
- Oh, pardon. Je vais ralentir, promis.
- Non, attends ! C'est pas de la vitesse que je parlais… C'est juste que euh, ben il fait noir, quoi… »

Il essaya pourtant d'avancer à pas prudents droit devant lui, tâtonnant dans l'obscurité pour trouver appui sur les troncs d'arbres, écartant à l'aveuglette les branches qui barraient son chemin.

Ça aussi, le vampire l'avait oublié.

« Ah, désolé, désolé, désolé ! Je -
- Aaaaaïaïaïaïaïeeee !! »

Sursautant à ses cris, Slave se précipita à sa rencontre, se figeant soudain quand une odeur connue et redoutée atteignit ses narines.

« Bordel !! Je suis coincé dans des ronces… Slave ! … Slave !! … Slave, t'es où ?! Aide-moi, je t'en supplie, ça fait mal ! … Slaaaaaave !!!
- C'est pas bon, pas bon du tout ! Excuse-moi, Krys, je vais devoir te laisser te débrouiller tout seul… Il faut que je… que je rentre, tout de suite !
- … Tu vas quand même pas m'abandonner là ?.. »

Le vampire commençait déjà à reculer, hésitant pourtant à laisser le jeune homme seul et sans défense.

« Hé, Slave… C'est pas vrai, tu vas pas me laisser… Slave… Slave !! T'es malade ou quoi ?! Je suis coincé, je te dis ! Je vois rien dès que je bouge, ça me déchire la jambe, bordel !
- Alors bouge plus. Le jour ne devrait plus tarder, tu pourras retrouver ton chemin quand il fera plus clair. Je suis désolé Krys, il faut que je m'éloigne, c'est trop dangereux…
- Alors lâche-toi, mords-moi !! Fais quelque chose, ce que tu veux, mais m'abandonne pas ici tout seul… j'te jure, j'ai peur ! Et si c'est quelqu'un d'autre qui m'attaque, hein ?! Je préfère mille fois mourir de tes crocs plutôt que ça !
- Tu risques rien, je le saurai s'il y avait des vampires dans le coin.
- Attends ! Slave, je t'en supplie… Me laisse pas ! »

Indécis face à ses supplications sincères et effrayées, Slave se décida finalement à jouer avec le feu. L'idée de se retrouver à nouveau seul lui était véritablement devenue insupportable. Il soupira profondément, et esquissa un pas tremblant en direction de Krys.

« Slave ? Tu… T'es où ?? »

Ledit vampire le saisit à la taille sans un mot, se baissant aux niveau de sa jambe prise au piège pour la défaire des branches. Obnubilé par le sang, ses lèvres soulevèrent le tissus du pantalon pour effleurer la peau écorchée, son souffle glacial caressant ses plaies, et sa langue avide vint lécher lentement les perles suintant des blessures.

Le cœur du jeune homme avait presque cessé de battre tandis qu'il retenait son souffle, ses mains se cramponnant instinctivement au bras entourant sa taille et aux épaules de la créature agenouillée à ses pieds. L'action ne dura que quelques secondes à peine, puis le vampire s'écarta légèrement, lapant une dernière fois le sang délicieux. Il arracha les ronces de ses mains, ignorant les entailles superficielles qui se refermaient déjà, et souleva le rescapé pour l'éloigner du buisson. Sans lui laisser le temps de réagir, il s'empara de sa main, passa un bras sur ses épaules en le couvrant de sa cape de velours, et l'entraîna au fond des bois.

Anxieux de la réaction de son ami face à la précarité sordide de son abri de fortune, il hésita devant les ruines.

« On est arrivés ? »

Incapable de lui répondre, la créature se contenta de l'attirer au sein des restes du château, prenant soin de ralentir l'allure pour faciliter l'avance de son compagnon, le guidant pour franchir les décombres et pour descendre les escaliers de pierre brute.

Enfin, il poussa la porte aux barreaux de fer, et déclara, bénissant le ciel de n'avoir pas donné la vue nocturne aux mortels :

« Oui… On est arrivés. »

Il avisa du regard la pièce froide et insalubre, regrettant de n'avoir pas profité des chambres luxueuses dont était pourvu le château quand il en était encore temps.

Il dirigea son invité vers un large fauteuil, et s'affaira dans la pièce, inquiet par les tremblements dont était atteint son compagnon. Lorsqu'il eut terminé de rassembler en tas toutes le feuilles volantes, arrachées au cours des années à ses précieux calendriers, il se tourna avec espoir vers son hôte, silencieux.

« À tout hasard… Tu n'aurais pas des allumettes, sur toi ?
- Euh, non… Ah si ! J'ai oublié de les ranger après avoir allumé les bougies… »

Krys sortit une main tremblante de ses poches, lui tendant une boîte presque vide.

« Merci. »

D'un craquement sec, Slave en alluma une et la jeta sur les papiers, qui s'embrasèrent aussitôt, plissant les yeux sous la lumière un peu trop vive des flammes.

« Voilà. Ça devrait t'aider à te réchauffer… »

Krys lui adressa un sourire reconnaissant, examinant la salle du regard, s'arrêtant un instant sur le cercueil. Finalement, il baissa les yeux sur ses jambes, découvrant l'une de son pantalon griffée et abîmée. Il la souleva, et s'aperçut avec stupeur que toute trace avait disparu de sa peau.

« Slave…
- Hm ? Ah, ça. Eh bien… Les vampires ont la capacité guérir, cicatriser très rapidement. Apparemment, j'ai réussi à t'en faire bénéficier… »

Un silence gêné s'installa, brisé seulement par le crépitement des flammes.

« Slave… »

Le jeune homme attendit que la créature daigne lever ses yeux vers lui pour continuer, ignorant les battements déchaînés de son cœur en cet instant.

« C'était… comment ? »

Le vampire détourna son regard du sien, fixant les ombres dansantes sur les murs, suivant du regard la fumée qui s'échappait par les fentes entre les pierres.

« Quoi ?
- Mon sang… Tu l'as trouvé comment ? »

Il resta de marbre un instant, puis se résigna à regarder l'être humain en face.

« Exquis. Le meilleur qu'il m'ait été donné de goûter, et sûrement le meilleur que je ne gouterai jamais… Ton odeur aussi, est purement délicieuse. C'est ça qui m'a fait peur, ce soir…
- Slave… »

Krys se départit de la cape dans laquelle il s'était chaudement emmitouflé, et s'approcha courageusement de son vampire. Il leva une main hésitante vers son visage, caressant la peau fraîche de sa joue, sans quitter des yeux les siens, timides et interrogateurs.

« Donc… c'est comme si j'étais quelqu'un de… spécial, pour toi ? »

La créature immortelle caressa le creux de son poignet de ses lèvres, se noyant dans le lac émeraude de ses iris.

« Il semblerait, oui.. »

Sa réponse eut à peine le temps d'être énoncée que son vis-à-vis écrasa ses lèvres contre les siennes, mû par une volonté subite d'y goûter.

Ensorcelé par ce contact, le vampire l'empêcha d'y mettre un terme, appréciant la saveur de leur subtil baiser. Il s'écarta de lui un instant, pour observer sa réaction, mais le jeune mortel captura de nouveau ses lèvres, de façon plus franche, cette fois-ci. Il laissa sa langue errer sur la peau voluptueuse de sa bouche, effleurer ses dents acérées, rencontrer la sienne. Tous leurs sens en émoi, les deux compagnons se serrèrent l'un contre l'autre, approfondissant encore leur étreinte, réveillant des sensations ardentes au sein même de leurs corps.

Le corps entièrement réchauffé désormais, Krys s'écarta du vampire pour se dévêtir entièrement, envoyant valser sa chemise au sol, tandis que Slave le ramenait à lui pour enfouir sa tête dans son cou, embrassant sa gorge et sa clavicule, laissant promener ses doigts fins et frais sur son torse, s'amusant des frissons créés par ses caresses. Sa langue lécha la peau tendre de sa gorge, glissa sur sa nuque, tandis que ses mains descendaient apprivoiser les courbes de son fessier. Ses cheveux fins et relâchés effleurèrent sa peau transie, alors que la créature s'agenouillait devant lui, à hauteur de son membre déjà réveillé.

« Hm, Slave… »

Ce-dernier leva ses yeux assombris de désir vers lui, observant son visage alors qu'il donnait un coup de langue sur son gland rougi, avant de s'emparer de son sexe dans sa bouche, jouant à l'attiser encore en le caressant de sa langue. Il allait et venait sur son entrejambe, suçant, léchant, aspirant, tandis que ses mains erraient sur ses cuisses, glissaient au creux de ses reins et titillaient son intimité. Ses dents acérées frôlant sa verge accentuèrent davantage son plaisir, autant que les doigts tendrement insérés dans ses profondeurs, dont les mouvements ne tardèrent pas à stimuler le point sensible, sa victime se consumant de plaisir sous ses gestes multiples et attentionnés. Le dos cambré et les jambes flageolantes, Krys approchait de l'extase, se refusant toutefois d'en rester là. Reprenant contrôle de ses émotions, il se pencha sur son assaillant, déposant un baiser affectueux sur son front, et laissa ses mains se serrer sur sa gorge, arrachant un gémissement au vampire, qui ne cessa pas pour autant sa tâche. Les doigts du jeune homme se frayèrent une chemin sous la chemise de la créature, épousant ses formes jusqu'à se glisser sous le pantalon de son amant, qui constituait apparemment la dernière et seule barrière à l'atteinte de ses parties intimes. Ledit amant s'écarta soudain de sa victime, lui arrachant une plainte frustrée, craintif à l'idée que son partenaire puisse lui retourner ses gestes empreints de luxure.

Pourtant, Krys ne fut pas intimidé pour autant : il poussa le torse du vampire de ses genoux, de façon à le renverser au sol, et s'assit à califourchon sur son torse, profitant de l'effet de surprise pour l'embrasser langoureusement à nouveau, jouant d'abord avec sa langue et ses lèvres, pour ensuite parcourir le reste de son corps, suçotant même ses tétons, qu'il libéra rapidement de sa chemise, savourant le moindre des soupirs qui s'échappait de la bouche à peine fermée de son amant, se plaisant à se coller à son corps tout juste tiède, pressant sa fierté contre sa peau pâle.

Finalement, après un dernier bisou sur la bouche du vampire, Krys se retourna sur son corps, écartant en hâte le pantalon qui couvrait sa virilité pour s'en saisir à son tour. Estomaqué par cette soudaine prise en bouche, Slave se laissa cajoler de la sorte un instant, gémissant parfois le prénom de son divin amant, avant de s'emparer des cuisses de son dominant, massant leur peau fine et sensible tout en rapprochant légèrement de lui l'arrière de son partenaire. Il appuya faiblement sur ses fesses pour le forcer à écarter davantage ses jambes, de façon à ce qu'il se presse plus contre lui, et, plaçant sa tête entre ses cuisses, embrassa ses bourses, laissa sa langue les caresser, effleurer sa verge, son gland, déposant ses lèvres sur la peau claire de son postérieur, glissant ses mains entre ses fesse pour les écarter, alors que lui-même gémissait de plaisir sous la douce torture qui lui était également infligée. Le corps tremblant de désir, le souffle court et extatique, Slave déposa ses lèvres à l'entrée de son compagnon, sa langue s'immisçant lascivement en lui, goûtant la moindre parcelle de peau qui lui était offerte. Krys ayant accueilli le sexe de son vampire jusque dans sa gorge au même instant, leur cri d'extase se mêlèrent en chœur, alors que leur pénis se gorgeait plus encore de plaisir, leur peau désormais humide et brûlante se frottant l'une contre l'autre, les enflammant davantage encore. Slave se retira du rectum du jeune homme déposant une dernière fois ses lèvres sur l'anneau de chair qui en ouvrait l'entrée, et se renversa sur le côté, se retirant en gémissant de la bouche de son amant. Ce-dernier s'allongea face contre la pierre froide du sol, cherchant la fraîcheur capable de calmer un peu son corps brûlant, en vain.

Le vampire s'assit contre son flanc, caressant avec tendresse et douceur la peau de sa nuque, de son dos, glissant avec amour sur son fessier, épousant ses courbes, se faufilant entre ses cuisses écartées, effleurant ses parties, pour remonter ensuite entourer sa gorge, sur laquelle il déposa une myriade de baisers aériens, soufflant au passage des mots doux à l'oreille du garçon, qui en frémissait de plaisir.

Succombant aux attentions de son amant, et de toute façon bien incapable de lui résister, Krys finit pas se retourner, ses jambes s'accrochant immédiatement au corps du vampire pour forcer celui-ci à se coucher contre lui. Ses mains encadrèrent son visage, il contempla un instant ses yeux fiévreux, saisi par son regard de braise, avant de l'embrasser une nouvelle fois avec passion.

Profitant de cet instant de pure exultation, le vampire enfouit à nouveau son visage au creux du cou du jeune homme, humant l'odeur délicieuse et rassurante de son amant.

« Mord-moi. »

La requête sonnait presque comme un ordre, dans la bouche de son partenaire transi de désir.

Slave dévora encore ses lèvres avec fougue, le suppliant dans un murmure à peine audible :

« Prends-moi, Krys… »

Ce qui eut don d'exciter plus que jamais l'interpellé, qui se jeta sur lui pour le renverser, dos au sol, écartant ses jambes et les relevant au niveau de sa taille qu'elles vinrent entourer immédiatement. Ses lèvres se posèrent au creux du ventre de son amant, sur les siennes à nouveau, et le jeune homme pénétra dans l'intimité étroite et humide du vampire. La douleur ne fut que fugitive, tant qu'elle en fut presque imperceptible. Slave se cambra aux rythme des mouvements que son amant ne tarda pas à entamer, gémissant son plaisir chaque fois que le sexe de son partenaire heurtait sa prostate.

« Krys, han ! relève-moi… »

Ce-dernier saisit les mains tendues vers lui, et tira son amant contre son corps, celui-ci s'asseyant sur ses genoux tout en se mouvant contre lui, sa bouche cherchant la sienne, son souffle extatique effleurant sa gorge.

« Fais-le, Slave… Mon ange des ténèbres, je t'en supplie, mords-moi… maintenant ! »

Serrant davantage encore le corps frémissant sous ses doigts, Slave se délecta de sa succulente odeur, frôlant de sa bouche ouverte le cou de son amant, y passant sa langue avide.

« Je crois que je t'aime, Slave… »

La créature tendrement sanguinaire, électrisée par ces paroles, retroussa ses lèvres sur ses dents, qui vinrent doucement caresser sa gorge, avant de se serrer sur elle, perçant délicatement la barrière de peau, pour savourer le liquide chaud et délicieux qui s'écoula dans son larynx, le rendant ivre de plaisir. Sa victime se cambra docilement, gémissant sous l'extase, alors que son amant aspirait gracieusement son sang, lui infligeant un semblant de caresse profonde et puissante, tandis que lui-même se fondait dans ses profondeurs, les faisant vibrer au rythme des convulsions de leurs corps. Au paroxysme du plaisir, Slave relâcha sa proie, renversa sa tête en arrière en criant sa jouissance et se libéra entre leurs deux corps serrés, son intimité se contractant sous l'orgasme fulgurant qui l'assaillit, faisant jouir son partenaire à son tour, tout aussi puissamment .

Leurs corps étroitement enlacés, couverts de frissons et de sueur, se vidèrent de leurs forces, terrassé par l'extrême plaisir de leur étreinte charnelle.

Haletant, Slave déposa un baiser sur la douce morsure qu'il avait procuré à son amant, léchant les dernières perles vermeil qui s'accrochaient à sa peau. Il jeta un regard inquiet à son vis-à-vis, craignant de ne l'avoir trop affaibli.

Mais si Krys était effectivement éreinté, il l'était toujours moins que le vampire lui-même, qui n'avait jamais vécu de journées aussi longue et intense que celle de ce 31 Octobre. Le vampire s'écarta lentement de son adorable mortel, libérant son sexe de son étreinte, et s'allongea sur le sol dur et glacial, posant sa tête sur les genoux repliés de son amant. Ce-dernier se pencha sur lui et l'embrassa tendrement tandis qu'il fermait les yeux, caressant affectueusement sa chevelure ébène, désordonnée par leurs ébats, avant de souffler pour lui-même :

« Je savais pas que les vampires dormaient…
- Je dors pas, je me repose.
- Fatigué ? Lui demanda le jeune homme d'un air faussement innocent, ce à quoi il répondit par un sourire gêné, ses joues rosissant légèrement.
- Bah… un petit peu… »

Riant de sa gêne et de leur acte aphrodisiaque, Krys lui mordilla l'oreille, sa langue venant jouer avec son lobe. Le vampire ouvrit les yeux, cherchant à capter le regard magnifique et tentateur de son amant adoré.

« C'est toi qui m'a dit je t'aime
- Hm…
- Krys ?
- …
- Redis-le, s'il te plaît… »

Troublé à son tour, le garçon lui jeta un regard rebelle.

« Non.
- Pourquoi ?
- C'était l'émotion… J'étais pas vraiment capable de penser correctement, tu vois.
- Donc tu m'aimes pas ?
- Et toi ?
- Toi d'abord.
- …
- Krys…
- À quoi ça sert que je te le dise ? Que je le pense ou non, t'es un vampire, n'est-ce pas ? Immortel… Dangereux. Et magnifique, terriblement magnifique. Il te suffit de le vouloir, et tu peux avoir n'importe qui à tes pieds… Tu peux trouver mieux, quelqu'un qui sentira encore meilleur que moi, qui aura un goût délicieux…
- Oui, je suis d'accord sur le principe. Personne ne peut me résister, il suffit que je ne leur laisse pas le choix… Très utile, si on veut de n'importe qui
- …
- Idiot. Si tu avais été ce n'importe qui comme tu dis, tu crois vraiment que je t'aurais laissé me harceler, me suivre… m'embrasser… me faire l'amour ? Ton odeur, je l'ai fuie. Ce n'est pas ton sang qui m'a retenu près de toi… C'est toi, juste toi. Je n'en voulais pas, je te jure, j'aurais pu y résister si je ne m'étais pas senti capable de préserver ta vie… Et de toute façon, ton sang est tellement exquis que c'est juste impossible de trouver mieux.
- … Merci. »

Le vampire captura ses lèvres et referma les yeux, savourant le moment présent, illuminant d'un coup sa fade existence.

« Slave…
- Hm…
- Je crois que le jour se lève…
- Oui, j'entends les oiseaux. Tu… veux rentrer chez toi ?
- Je vais me perdre.
- Alors reste… »

Krys serra le corps frêle de son vampire chéri entre ses bras.

« Ce soir, tu me raccompagneras ?
- … Si tu veux, oui.
- Tu resteras chez moi ?
- Comment ça ?
- Ben… Ce soir c'était chez toi, demain ce sera chez moi… Tu risques rien ! Mes parents ont autre chose à faire que fouiller ma chambre. Elle est bien assez grande pour nous deux, d'ailleurs. Et les rideaux sont tellement épais, aucune lumière extérieure ne peux les traverser… Et ça te changera de… ça. Finit-il en désignant la pièce alentour, alors que le vampire se relevait, cherchant les vêtements de son amant.
- Krys… je vis la nuit, toi le jour…
- On s'en fout ! On se verra au moins à l'aube et au crépuscule…
- D'accord.
- C'est tout l'effet que ça te fait ?..
- Non. Je t'aime.
- … »

Slave habilla son interlocuteur de sa chemise, le prit par la main et ouvrit son cercueil, s'installant dans le fond molletonné et confortable, sans prendre la peine d'enfiler le moindre vêtement. Il tendit une main en direction de son amant, immobile.

« Viens… Tu vas attraper froid, le feu est presque éteint. »

La créature des enfers jeta un coup d'œil craintif vers la porte, redoutant le chant des oiseaux matinaux, même s'il se savait hors d'atteinte des rayons du soleil ici-bas. Remarquant son anxiété, Krys ne se fit pas prier, et enjamba à son tour les rebords en bois sculpté pour s'allonger aux côtés de son ange noir. Celui-ci referma le couvercle, et se blottit entre les bras offerts de son bien-aimé, appréciant le contact de son corps contre sa peau dénudée.

« Bonne… journée, alors… »

Le vampire esquissa un sourire :

« Merci, toi aussi… »

Il ferma les yeux, aspirant goulument l'air saturé de cette odeur délicieuse.

« Et si tu as encore faim, sers-toi… Je suis tout à toi, chéri.
- Krys !
- Quoi ?
- Ça change rien à ce que je pense, je vais pas sucer ton sang alors qu'il y a du bétail à ma disposition !
- Promet-moi que tu le referas…
- Non !
- Slave… Je veux que tu le fasses chaque fois qu'on fait l'amour. »

Le jeune vampire sentit la chaleur lui monter au visage.

« Hé…
- Haaan, c'était tellement bon…
- Hm, peut-être une fois de temps en temps, alors…
- Oui ! »

Slave sourit.

Un jour, il finirait par se mordre lui-même, pour le laisser boire de son sang aux vertus vampiriques. Ensuite, il ne serait plus jamais seul… Et serait alors capable de supporter toutes les difficultés de son existence éternelle.

Avant de se laisser emporter dans cet état second qu'était le repos diurne des vampire, il caressa le visage lui faisant face, glissa encore une fois ses lèvres sur les siennes, et enfouit sa tête contre son torse, soupirant de bien-être.

« Dors bien Slave, et surtout, rêve de moi… »

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