Je n'ai jamais cru aux contes de fées.

J'ai eu une enfance un peu merdique, il faut dire. Je n'ai pas à me plaindre, j'ai toujours été nourri, logé, on ne m'a jamais frappé. Mais il y eut une époque où j'aurais tout donné pour qu'on me raconte de belles histoires, le soir, avant de m'endormir. Pour me faire rêver un peu…

J'ai grandi dans un orphelinat. Les cheveux bruns, les yeux bruns, le teint pâle, j'étais un petit garçon trop ordinaire, sans histoire, sans famille. Certains soirs, je m'endormais en me disant que je pourrais disparaître sans que personne ne le remarque.

Je me trompais et ce qui devait arriver finit par arriver. J'avais seize ans et, comme tous les gosses de cet âge, j'avais les hormones qui déconnaient. Pour compliquer les choses, il avait fallu que je m'enflamme pour un autre garçon. Il était ce qui se rapprochait le plus d'un meilleur ami, dans cet endroit bizarre où nous avions grandi ensemble, décalés de la réalité. Depuis que nous étions tout petit, il aimait me taquiner en me chatouillant le ventre. Mais voilà, nous avions grandi, il était devenu séduisant, et en me tordant de rire contre lui, je n'avais pas réussi à contrôler mon érection. J'avais senti le rouge me monter aux joues, puis il s'était reculé vivement, les yeux écarquillés, avec le teint livide de quelqu'un qui vient de voir un fantôme.

Muet, j'avais baissé les yeux et je n'avais rien vu d'autre que mes vêtements tombés sur le sol. J'avais disparu. Littéralement. Là où j'avais conscience de mon corps, je ne voyais que du vide. J'avais alors fui, comme si ça pouvait y changer quelque chose. J'avais fini par réapparaître, nu comme un ver, courant dans les couloirs vides, pour me réfugier dans ma chambre. Avec quelques vêtements dans mon sac à dos, je m'étais rhabillé et j'avais quitté l'orphelinat pour ne jamais y revenir, ne sachant pas comment expliquer l'étrange phénomène dont avait été témoin mon ami.

Pendant quelques semaines, j'avais erré dans les rues, sans savoir quoi faire de ma peau. Je repassais sans arrêt ces images dans ma tête, cherchant une explication. Je mangeais peu, il faisait froid, les courtes nuits passées sur un banc de parc commençaient à dessiner des cernes sous mes yeux et je me sentais terriblement seul. Je m'étais réveillé un matin, roulé en boule sur un banc, et j'avais dévisagé l'homme qui s'était assis à côté de moi.

- Vous avez pas un peu de monnaie ? Pour manger…

- Tu mérites mieux, Alexandre.

J'eus un mouvement de recul, les yeux écarquillés. Comment cet homme connaissait-il mon nom ? Allait-il me ramener à l'orphelinat ? J'eus envie de disparaître à nouveau, pour m'enfuir une nouvelle fois. Je ne voulais pas faire face à la situation. Mais voilà, soit j'avais rêvé cet incident, soit je ne pouvais pas disparaître sur demande. Cette fois, je n'avais pas le choix. Je finis par retrouver l'usage de la parole.

- Qui êtes-vous ?

- Je m'appelle Tom Johnson, je suis enseignant dans une école très spéciale. Il y a longtemps qu'on est à ta recherche.

- Une école ? Ça a rapport avec l'orphelinat ?

- Pas tout à fait. Je sais ce dont tu es capable. Tu sais de quoi je parle. Tu as un don, Alexandre. Et mon école pourra t'apprendre à l'utiliser correctement.

J'avais détourné le regard pour réfléchir. De toute façon, qu'est-ce que j'avais à risquer ? Je n'allais quand même pas passer ma vie à vivre dans la rue, à fuir les flics et à quémander pour manger… J'acceptai d'un hochement de tête, le suivis jusqu'à sa voiture et m'y glissai sans hésiter. Je n'avais jamais eu de parents pour m'apprendre à ne pas suivre les étrangers.

Assis sur la banquette arrière, je dévorai le sandwich qu'il m'avait offert. Je n'avais pas aussi bien mangé depuis des jours… Rassasié, je parcourus des yeux le document que Monsieur Johnson m'avait remis. Il y avait une photo de moi, qui datait d'un bout de temps déjà, et toutes sortes d'informations banales à mon sujet. Mon nom complet, ma date de naissance, l'adresse de l'orphelinat où j'habitais, le genre de plats que je préférais… En lettres rouges, il avait les mots « pouvoir d'invisibilité » et j'avais tressailli en les lisant. Ainsi, ils savaient. Y en avait-il d'autres comme moi ?

Je n'étais pas d'un naturel très bavard, alors je m'étais retenu de poser des questions durant le trajet. J'acceptais passivement cette nouvelle situation, sans vraiment chercher à comprendre. La voiture s'arrêta un moment devant une grille en fer forgé et je compris qu'on était arrivés. Le portail finit par s'ouvrir et la voiture roula lentement sur un chemin pavé, entre les arbres, pour finalement s'arrêter devant un large escalier à l'entrée du bâtiment, une école au style classique, en blocs de pierre, aux grandes fenêtres carrelées. Une vingtaine de jeunes de mon âge s'étaient rassemblés pour me regarder arriver et je rougis en sortant du véhicule, mon sac sur l'épaule. Je devais faire pitié à voir, avec mes vêtements troués et sales, parce que tout le monde chuchotait en me regardant passer, suivant Monsieur Johnson jusqu'à son bureau. Je tentai de me convaincre que je n'en avais rien à foutre et les ignorai de mon mieux.

Je pris place dans le fauteuil capitonné en velours rouge face au bureau de Monsieur Johnson et l'écoutai distraitement pendant qu'il m'expliquait les règlements de l'établissement. En somme, c'était un pensionnat comme les autres, avec des horaires, des dortoirs, des règles de bonne conduite.

Il fit entrer un autre étudiant en précisant qu'on allait partager le même dortoir et mon cœur se mit à battre la chamade.

Il fallait évidemment que je partage ma chambre avec le plus beau garçon que je n'avais jamais vu. Il avait les cheveux presque noirs, décoiffés, un piercing en argent à la lèvre et des yeux d'un bleu tellement pur que je retins mon souffle de peur de m'y noyer.

Il m'adressa un sourire un peu gêné et je me sentis fondre. Je baissai les yeux pour m'assurer que je n'avais pas disparu, vaguement conscient que le désir avait été à l'origine de ma première disparition. Jusque là, tout était sous contrôle et je suivis mon compagnon de chambre jusqu'à une petite porte en bois d'acajou, qu'il poussa pour me laisser entrer.

La pièce était toute blanche. Le soleil entrait à flots par les grandes fenêtres carrelées, baignant la chambre d'une chaleureuse lumière. Deux lits simples et deux armoires meublaient essentiellement la pièce, dont un côté était jonché de divers magazines, bouquins, vêtements et sac. Je posai mon sac à dos sur le matelas qui semblait m'avoir été réservé. Une pile de vêtements propres m'y attendait et je compris que c'était l'uniforme dont Monsieur Johnson m'avait parlé. Je jetai un coup d'œil derrière moi. Mon compagnon de chambre était appuyé contre le cadre de porte et me regardait avec un sourire au coin des lèvres. Il portait l'uniforme, un pantalon gris et une chemise blanche agrémentée d'une cravate grise carrelée. Sur lui, l'uniforme était drôlement sexy. Convaincu qu'il ne m'irait pas aussi bien, je me dis que ça vaudrait quand même mieux que les vêtements déchirés et tachés que je portais depuis plusieurs jours déjà. Je m'empressai de me changer.

Mon compagnon de chambre avait fermé la porte et s'était couché sur son lit pour se replonger dans un livre. Les vêtements propres étaient agréables sur ma peau, me procurant une sensation de bien-être que j'avais presque oubliée. Je pris place sur mon lit, les jambes croisées, observant à la dérobée le garçon de l'autre côté de la pièce. Je n'avais même pas pensé à demander son nom…

- Je m'appelle Alexandre. Et toi ?

- Liam.

Il avait posé ses magnifiques yeux bleus sur moi et j'eus l'impression qu'il pouvait lire en moi aussi facilement qu'il le faisait avec le livre posé devant lui. Je chassai aussitôt cette impression bizarre et me concentrai à nouveau sur la conversation, m'efforçant de soutenir son regard.

- Alors, il paraît que tu peux disparaître ? C'est vrai ?

- Je… Ce n'est arrivé qu'une seule fois. J'ignore comment le faire sur demande.

Le souvenir de mon ami, de son corps collé contre le mien et du désir qui m'avait envahi, entre deux éclats de rire, me revint à la mémoire et je sentis le rouge me monter aux joues. Le sourire de Liam s'étira avec une pointe d'amusement et il détourna le regard. J'eus vaguement l'impression qu'il avait rougi, lui aussi.

- Oh. Tu apprendras bien vite à t'en servir. C'est une bonne école.

- Ça fait longtemps que tu es ici ?

- Quelques mois… Bon, je ferais mieux d'y aller, j'ai un cours, cet aprèm.

Il se leva, ramassa quelques livres qu'il fourra dans son sac et sortit sans dire au revoir. Je restai assis en tailleur, me demandant ce que j'étais sensé faire du reste de l'après-midi. Monsieur Johnson m'avait expliqué qu'on me remettrait un horaire de cours dès le lendemain et que je pouvais profiter du reste de la journée pour me détendre.

Je décidai finalement d'aller faire le tour de l'établissement. Je sortis de la chambre avec un mélange d'anticipation et d'appréhension. Je trouvai d'abord les douches, au même étage que les dortoirs. Je n'avais pas pris une douche depuis que j'avais quitté l'orphelinat. En me glissant sous le jet d'eau chaude, je réalisai combien ça m'avait manqué.

Propre, rhabillé, je continuai d'explorer mon nouvel environnement. Il y avait plusieurs chambres sur l'étage, en plus de la salle de bains communautaire. Je trouvai un escalier et, grimpant les marches, je compris bien vite qu'il y avait plusieurs étages de chambres, tous identiques. Quelques étages plus haut, je trouvai une pièce commune, où plusieurs étudiants passaient le temps. Je ne m'y aventurai pas. Je n'avais pas trop envie qu'on me pose une tonne de questions auxquelles je n'avais, de toute façon, aucune réponse. Je remarquai tout de même qu'il y avait dans cette pièce des étagères remplies de livres, des tables de jeu, des fauteuils et même une cheminée. Il faudrait bien que j'y revienne plus tard. Quand il y aurait moins de monde…

Je sortis finalement à l'extérieur et fis le tour du parc qui entourait l'école. C'était un endroit magnifique. Les arbres se balançaient au gré du vent et je finis par m'asseoir à l'ombre d'un saule. J'avais toujours vécu en ville et je découvrais avec plaisir la beauté innocente de la nature. Ses odeurs. Ses bruits. La sensation de sérénité qu'elle éveillait en moi. J'en oubliai le temps qui passait et il était tard quand je finis par retourner à l'intérieur. Mon estomac criait famine. Ne sachant pas où aller, je retournai à ma chambre pour voir si Liam était revenu. Je poussai la porte sans faire de bruit. Il était étendu sur son lit, toujours plongé dans son bouquin. Je restai un instant à le regarder, appréciant la courbure de son dos, puis sursautai lorsqu'il se retourna vers moi. Il se leva d'un bond, souriant.

- Enfin ! Je commençais à me demander si tu avais… disparu.

- Très drôle.

- Le repas du soir est servi jusqu'à dix-neuf heures. On ferait mieux de faire vite.

Je le suivis sans rien dire, dans un couloir que je n'avais pas remarqué plus tôt. Au fond, de grandes portes vitrées ouvraient sur une pièce large, remplie de tables et de jeunes en uniformes. En y entrant, l'odeur de la nourriture me fit saliver. Je suivis Liam, avec un cabaret rempli de mets délicieux, jusqu'à une table vide. Je me demandai pourquoi il n'allait pas s'asseoir avec les autres. N'avait-il pas d'amis dans cette école ? Une partie de moi était quand même rassurée. J'avais passé toute ma vie avec les mêmes gosses, à l'orphelinat, et je n'aimais pas rencontrer de nouvelles personnes, surtout en groupes.

Nous avons mangé en silence. Je m'efforçai de ne pas trop le regarder, mais lorsqu'il baissait les yeux sur son assiette, j'en profitais pour le détailler. J'étais vaguement fasciné par ses lèvres roses, mises en valeur par le piercing en métal noir au milieu de sa lèvre inférieure.

Lorsqu'on retourna à notre chambre, il se plongea à nouveau dans son livre et je restai étendu sur mon lit à songer à ce qui m'attendait le lendemain. Je n'avais pas posé beaucoup de questions sur cette école et surtout sur le pouvoir d'invisibilité dont j'étais doté. Quel genre de pouvoirs avaient les autres élèves ? Et Liam ?

Je tournai la tête et sursautai en voyant qu'il me fixait de ses grands yeux bleus.

- On devrait dormir, maintenant.

- Ouais…

Il éteignit la lumière et dans la pénombre je le vis se dévêtir avant de se glisser sous les couvertures. Je me mordis la lèvre en m'efforçant de chasser l'image de son corps élancé qui était restée imprégnée dans mon esprit, et me dévêtis à mon tour pour me glisser sous les draps. J'eus d'abord du mal à me détendre, mais je finis par sombrer dans un sommeil sans rêve.

Au matin, je m'éveillai dans la chambre toute blanche, baignée de lumière. Je m'étirai avec volupté sous les draps. Il me semblait que je n'avais pas dormi dans un lit depuis longtemps… Je me redressai et eus l'impression de plonger dans les grands yeux bleus qui me regardaient fixement de l'autre côté de la pièce. Liam me dit « bonjour » avec un sourire et je l'imitai.

Je me levai et commençai à revêtir mon uniforme. Je sentais son regard sur moi. J'avais vaguement l'impression qu'il voulait me dire quelque chose, mais plusieurs minutes plus tard, il n'avait toujours rien dit et nous sortîmes de la pièce pour nous rendre à la cafétéria. J'avalai mon petit déjeuner avec appétit, malgré l'angoisse qui commençait à me serrer l'estomac. Je me rendis à mon premier cours, heureux tout de même d'être dans la même classe que Liam. Je me sentais moins seul, avec lui, même si on ne disait pratiquement rien, là moitié du temps.

L'enseignante était décidément un drôle d'oiseau. Une grande femme, mince, avec un chapeau aux bords immenses et un collier de plumes. J'entrai dans la classe avec une impression d'irréel qui n'était pas sur le point de s'envoler. J'appris toutes sortes de choses qui me paraissaient illogiques, insensées ou tout simplement loufoques. Je pris tout de même des notes, au cas où un jour j'y comprendrais quelque chose. Lorsque le cours fut terminé, plusieurs élèves se regroupèrent autour de mon bureau et j'eus envie de disparaître. C'était le moment fatidique des questions sans réponse. Une fille aux yeux félins se pencha au-dessus de mon bureau.

- Il paraît que tu peux disparaître… C'est cool…

- Heu… C'est arrivé une seule fois…

Un garçon costaud me demanda pourquoi je commençais les cours plus tard que les autres. J'haussai les épaules, ne sachant pas quoi répondre. Comment j'aurais pu être ici plus tôt alors que je n'avais appris l'existence de cette école qu'une journée plus tôt. Liam vint à mon secours et je lui en fus reconnaissant.

- Ils n'ont pas pu le trouver plus tôt, parce qu'il n'avait jamais utilisé ses pouvoirs avant.

Un long silence suivit son intervention et les élèves se dispersèrent sans raison apparente. Je fronçai les sourcils en regardant autour de moi. Je perçus un air de tristesse sur le visage de Liam, mais je n'osai pas demander ce qui se passait.

La première semaine de cours passa avec la même sensation d'irréel. Je ne comprenais pas grand-chose à ce qui se passait, et je n'osais pas poser de question. Lorsque je me retrouvais seul avec Liam, je me sentais bien. Je n'avais pas besoin de parler et ça m'arrangeait.

Les enseignants m'avaient tous demandé la même chose. Je devais identifier la cause de ma première disparition. C'était la première étape pour apprendre à un jour pouvoir disparaître lorsque je le désirais. Honnêtement, je ne voyais pas trop à quoi ça allait me servir… Et surtout, je n'avais aucune envie d'expliquer aux autres comment j'avais découvert mon pouvoir. C'était embarrassant et personnel. D'après ce que j'avais compris, pour la plupart des jeunes de mon âge, c'était d'éviter de déclencher leurs pouvoirs qui était difficile. Cela faisait près deux semaines que j'étais dans cette école et je n'avais encore rien fait qui sorte de l'ordinaire. Je ne comprenais pas ce que je faisais là. Les autres élèves se moquaient de moi. Les enseignants me mettaient la pression pour que j'apprenne à déclencher mon pouvoir, sans quoi ils ne pouvaient rien m'apprendre. J'avais l'impression de tourner en rond et je rageais. Je claquai la porte de ma chambre et me laissai tomber sur mon lit. J'avais envie de partir d'ici. D'avoir une vie normale. De toute façon, je n'avais jamais cru aux contes de fées. Qu'est-ce que je faisais là ?

J'entendis la porte s'ouvrir doucement derrière moi et le matelas s'affaisser légèrement. Je soupirai et levai la tête pour plonger dans les yeux bleus de Liam. Ça me calma un peu. J'avais l'impression qu'il me comprenait sans que j'aie à ouvrir la bouche. Nous restâmes longtemps assis côte à côte, sans rien dire. Il finit pourtant par parler, d'une douce voix grave qui me chatouilla les oreilles.

- Alexandre… Si tu ne fais aucun effort, ils vont finir par te renvoyer.

Je plongeai dans le bleu de ses yeux avec un léger sursaut. C'était possible ?

- Ils ont déjà renvoyé des étudiants ?

- Eh bien… non. Mais ils n'ont jamais vu un élève aussi borné que toi.

Je me renfrognai légèrement. Oui, j'étais un peu asocial et non, je n'avais aucune envie d'expliquer à tout le monde que mes hormones adolescentes étaient à l'origine de mon mystérieux pouvoir. Je commençais même à me demander si je n'avais pas rêvé tout ça. Et si je retournais à l'orphelinat… Si seulement je pouvais tout recommencer. Mais c'était impossible.

- Ils ne peuvent pas me renvoyer. Pas après tout ce que j'ai vu. Je risquerais de révéler le secret de l'école.

- Idiot. Monsieur Johnson est très puissant. Il est capable de manipuler ton esprit. Et de te faire oublier tout ce que tu as vu ici…

Je sursautai à nouveau, commençant à me demander s'il était en train de me mener en bateau… Mais pour le peu que j'en savais sur ce monde étrange, il pouvait très bien avoir raison… Je repensai à l'orphelinat. Peut-être serait-ce mieux si j'y retournais et qu'on me forçait à tout oublier… Je pourrais retourner à ma vie d'avant, continuer comme ça aurait dû continuer, si tout ça n'était pas arrivé. En plongeant mon regard dans celui de Liam, je me dis qu'il y avait quand même certaines choses que je n'avais pas envie d'oublier… Ses grands yeux bleus, par exemple. La douceur de sa voix. Et ses lèvres roses, tellement tentantes… Je m'efforçai de réprimer la vague de désir qui montait en moi. Mais comme s'il avait suivi le cours de mes pensées, il se pencha sur moi pour m'embrasser tendrement.

Mon corps s'embrasa d'un seul coup et la vague de désir que j'avais tenté de réprimer m'inonda complètement. Le temps sembla s'arrêter, mais il détacha ses lèvres des miennes et j'eus à peine le temps de percevoir son sourire avant qu'il ne sorte de la pièce, me laissant seul avec son goût sucré sur mes lèvres. Je baissai les yeux avec une certaine appréhension. Comme je m'y étais attendu, mon uniforme était à plat sur le lit et mon corps avait disparu. Je me laissai tomber sur le matelas en poussant un râle exaspéré.

Il me fallut un moment pour analyser ce qui venait de se passer. Et même si je ne comprenais pas ce qui avait poussé Liam à faire ce qu'il avait fait, je dus me rendre à l'évidence : il avait eu raison. Il était temps que je me prenne en main et que j'affronte ce pouvoir mystérieux qui dormait en moi, que je le provoque, pour finalement apprendre à le maîtriser. Je m'efforçai d'analyser ce que je ressentais à l'intérieur, alors que mon corps était invisible. Je reconnus un étrange fourmillement dans mes membres, et bien évidemment ce désir qui pulsait dans mes veines. Je m'efforçai de rester invisible aussi longtemps que j'en étais capable, me concentrant sur le souvenir qui venait de se graver dans ma mémoire. Je finis pourtant par réapparaître après plusieurs longues minutes. Je poussai un soupir en me rassoyant sur le bord du matelas, le visage enfoui au creux de mes mains.

Je repensai au baiser de Liam, à son goût sucré sur mes lèvres. Puis j'imaginai ses mains sur mon corps et sa peau contre la mienne, m'efforçant de faire ressurgir cette sensation enivrante qui me forçait à disparaître. Je restai seul plusieurs heures, à aiguiser mon désir et à rejouer dans ma tête les images de ce baiser inattendu. Ma tentative échoua lamentablement. J'avais au moins essayé. Je finis par m'endormir, frustré. Finalement, ce baiser éphémère m'avait laissé un goût amer.

Lorsque j'ouvris les yeux, au petit matin, Liam était assis sur son lit et me regardait dormir. Je m'étirai en me demandant si je n'avais pas rêvé tout ça. Mais le sourire amusé sur ses lèvres me laissait croire que ce n'était pas le cas. Je me redressai et appuyai mon dos contre le mur, soutenant son regard. Je me demandais à quoi il jouait.

- Tu es resté invisible longtemps ?

- Heu… une quinzaine de minutes.

- C'est bien…

Il se leva et s'approcha de moi. C'était le week-end, il ne portait pas l'uniforme du collège mais un jeans moulant et un t-shirt blanc. Je retins mon souffle lorsqu'il grimpa sur mon lit, s'agenouillant au-dessus de moi. Sa langue se glissa dans ma bouche et ses mains sur ma poitrine et je sentis le fourmillement familier dans mes membres. L'instant d'après, il se retournait dans la cadre de la porte, un sourire énigmatique sur les lèvres.

- Rejoins-moi à la cafétéria quand tu auras réapparu.

Je restai pantelant un moment. Sa langue avait laissé un goût de menthe sur la mienne. Je m'efforçai de calmer mes hormones et de réapparaître. Je comprenais mieux ce que Liam essayait de faire, bien que je ne saisissais pas tout à fait comment il pouvait savoir l'effet qu'il avait sur moi, ni pourquoi il se prêtait au jeu. Je mis quelques minutes avant de réapparaître. Je m'habillai en vitesse et me dirigeai vers la cafétéria. Je me servis un petit déjeuner et rejoignis Liam, assis seul dans un coin de la grande salle. Ses yeux pétillèrent en me voyant prendre place devant lui et je voyais qu'il essayait de réprimer un sourire moqueur.

- À quoi est-ce que tu joues, Liam ?

- Je ne sais pas. Mais ça fonctionne plutôt bien…

Je soupirai. Ce garçon était vraiment exaspérant. Et pourtant… sa façon de sourire éveillait en moi un sentiment agréable. Ne sachant pas quoi répondre, je commençai à manger.

- Alexandre… Il faut que tu apprennes à utiliser ton pouvoir.

- Je sais. C'est ce que tout le monde me répète.

- Alors pourquoi tu ne le fais pas ?

- J'essaie…

- Tu as vu, ce garçon ?

D'un geste à moitié discret, il m'indiqua un garçon qui n'était pas trop difficile à remarquer. Seul à sa table, les cheveux dressés sur la tête, il dégageait un peu de fumée comme s'il venait d'enfoncer sa fourchette dans une prise électrique.

- Son pouvoir, c'est les décharges électriques. Pour tout le monde, le plus difficile est de retenir nos pouvoirs. Toi, tu es tellement renfermé sur toi-même que tu ne réussis même pas à le faire quand tu veux.

- Et alors ?

- Tu fais tout à l'envers. Tu dois te laisser aller un peu.

Je faillis m'étouffer avec mon omelette en sentant son pied se glisser par l'ouverture au bas de mon pantalon pour caresser lascivement ma jambe. Je le fusillai du regard mais ça ne suffit pas à l'arrêter. Je fis de mon mieux pour repousser le fourmillement qui commençait à se répandre dans mes membres. Pendant un instant, j'eus l'impression de reprendre le dessus. Mais lorsque son pied s'aventura jusqu'à caresser l'intérieur de mes cuisses, je sentis tous les regards converger vers moi et je sus qu'ils ne me voyaient pas.

Je poussai un juron et m'enfuis jusqu'à ma chambre, préférant ne pas imaginer ce qui se produirait si je réapparaissais, complètement nu, au milieu de la cafétéria. Je claquai la porte derrière moi et trouvai de nouveaux vêtements pour m'habiller. J'étais en train de boutonner ma chemise lorsque Liam entra à son tour. Je lâchai mon vêtement pour attraper la pomme qu'il m'avait lancée sans prévenir.

- Au cas où tu aurais encore faim. Tu es parti précipitamment.

Il me regarda avec ses grands yeux bleus faussement innocents. Son petit jeu était en train de me rendre complètement fou. Il s'approcha de moi et glissa ses mains délicates à l'intérieur de ma chemise, sur ma poitrine, là où je n'avais pas terminé de fermer les boutons. Un frisson remonta le long de ma colonne vertébrale.

- Tu ne m'as jamais posé aucune question sur mes pouvoirs.

Ses mains remontèrent sur ma peau jusque sur mon cou. Du bout de ses doigts fins, il jouait distraitement avec mes cheveux et j'eus envie de fermer les yeux. Je fis un effort pour rester concentré sur la conversation. Effectivement, je n'avais jamais posé la question. Je n'étais pas d'un naturel très curieux. Mais de toute façon, quel était le rapport avec la situation ?

Il sourit comme s'il avait compris le cheminement de mes pensées et se pencha pour me mordiller le lobe d'oreille en murmurant :

- Je suis télépathe.

Je sentis le rouge me monter aux joues. Il avait donc entendu chacune de mes pensées. Depuis le tout premier jour. Un fourmillement familier engourdit aussitôt mes membres. Avant même que je n'aie pu penser à réagir, Liam avait attrapé mes vêtements tombés sur le sol et s'était appuyé le dos contre la porte. Il n'y avait plus de fuite possible. Un sourire satisfait étira ses lèvres et je réalisai qu'il comprenait effectivement mes pensées.

Je finis par comprendre le piège qui venait de se refermer sur moi. Lorsque je réapparaîtrais, je me retrouverais complètement nu devant Liam. Embarrassé, je fis de gros efforts pour demeurer invisible aussi longtemps que j'en étais capable, me concentrant sur les sensations mystérieuses qui engourdissaient mon corps. Mais après de longues minutes, je dus me rendre à l'évidence que tout ça ne menait à rien et que de toute façon, je finirais bien par réapparaître. Je lâchai prise. Il tressaillit légèrement et je sus que je venais de me matérialiser devant lui. Avec une érection pas possible…

Le sourire qui apparut sur les lèvres de Liam n'avait, cette fois, rien de moqueur. Il laissa tomber mes vêtements sur le parquet et s'avança vers moi en passant son t-shirt par-dessus sa tête. Son torse brûlant se colla contre le mien en même temps que sa langue s'insinuait entre mes lèvres pour caresser la mienne. Maladroitement, je défis la fermeture éclair de son jeans et le laissai me guider jusqu'à son lit. Il me fit l'amour d'une façon dont je n'en avais même jamais rêvé. Il savait ce dont j'avais envie avant même que je n'en prenne conscience et prenait un malin plaisir à me faire perdre la tête.

Nous avons passé l'après-midi dans le parc, sous un arbre, main dans la main. Finalement, l'écouter parler me plaisait drôlement. Je n'avais pas besoin de répondre, il faisait seul la conversation, comme pour compenser pour toutes les informations qu'il avait eues sur moi sans même avoir à demander. Je compris que les autres élèves ne voulaient pas de sa compagnie, par peur qu'il ne lise leurs pensées. Il se sentait très seul et ça lui faisait du bien de parler. Alors je l'écoutai jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien à dire.

Et le soir, blotti entre ses bras, je m'endormis en songeant qu'au bout du compte, il n'y a peut-être pas d'âge pour commencer à croire aux contes de fées.