Masked Faces

Le jeune homme s'arrêta dans le long corridor, légèrement paniqué. Il n'arriverait jamais à rassembler assez de courage pour rentrer…
Un couple d'inconnus masqués le bouscula en riant, tandis que d'autres personnes affluaient en direction de la salle de bal, les hommes parés de tuniques bouffantes et colorées, les femmes de robes encombrantes et ornées de dentelle, tous les visages étant dissimulés par des masques qui ne laissaient deviner que le menton et les yeux.

Le roi en personne avait convié sa cour à cette soirée particulière, lui-même étant friand de fêtes et autres évènements frivoles.

Le jeune garçon, dont les cheveux d'un brun soutenu aux reflets flamboyants retombaient en boucles soyeuses sur ses épaules, ferma les paupières un instant et inspira doucement par la bouche à peine ouverte. Finalement, il se mêla à un groupe de jeunes gens enthousiastes et bruyants et pénétra à son tour dans la salle. Il n'était qu'un simple valet du château, mais ses compagnons et les gouvernantes l'avaient presque forcé à aller s'amuser, et s'étaient même chargés de lui trouver une tenue et un masque pour l'occasion. Il avait beau se sentir fort déplacé dans sa parure de velours et de soie blanche et or, il devait néanmoins admettre que cela lui donnait l'impression d'être véritablement l'un de ces courtisans qui résidaient au château. Il porta ses doigts tremblants à son masque pour vérifier qu'il était bien en place et cachait son front jusqu'à son nez. Sa mère et ses tantes, qui toutes travaillaient à la cour, avaient elles-mêmes confectionné cette merveille, dont les fins contours tracés de noir faisaient ressortir les nuances de blanc et d'argent, agrémentées de perles dorées scintillantes. Ses cheveux le gênaient un peu, il préférait amplement les retenir dans une queue de cheval haute, comme il le faisait pour travailler, mais il ne pouvait évidemment courir le risque d'être percé à jour.

Il saisit une coupe de vin clair et se recula contre un mur, désireux d'observer ce qui se passait autour de lui, sans pour autant y participer. Il porta la coupe à ses lèvres, et laissa son regard errer sur la foule joviale et amusée. Il eût beau se concentrer sur les visages, il était impossible de reconnaître leurs véritables traits. Il nota pourtant bien vite que malgré les masques et les tenues excentriques, les attitudes n'en restaient pas moins hautaines et contenues. Un orchestre jouait au fond de la salle, des couples tournoyaient et se croisaient au rythme des violons. C'était donc à cela que ressemblait une réception royale… ce n'était pas l'image qu'il s'en était faite suite aux multiples échos qui se propageaient parmi les valets, mais après tout, ce qu'il avait entendu n'était que rumeurs.

Un homme, qu'il devina tout aussi jeune que lui, le jaugeait du regard, tout en semblant à peine prêter attention aux discussions de ses compagnons. Le jeune valet accrocha son regard quelques secondes, incapable de s'en détacher. Malgré la vivacité des couleurs de chacun, lui paraissait curieusement contraster, avec ses vêtements pourpres et dorés, à tel point que soudain, il lui sembla ne voir plus que lui dans la salle pourtant comble. L'étrange individu, caché derrière un masque d'or, inclina la tête vers les deux demoiselles pendues à ses bras ; ses lèvres remuèrent à peine et elles s'écartèrent en gloussant pour le laisser s'éloigner.

Le jeune brun avala une gorgée de vin de travers, tandis que son observateur se rapprochait d'un pas souple et décidé, ses yeux d'un bleu profond de nouveau ancrés dans les siens. Arrivé à sa hauteur, ses lèvres s'étirèrent en un mince sourire et il se plaça à ses côtés, sa main gantée de soie se posant avec légèreté sur son épaule.

« Jeune homme, vous me semblez fort ennuyé par ses mondanités ! Et je ne me souviens pas vous avoir jamais vu à pareil évènement… »

Le jeune brun remua un peu, mal à l'aise. Que risquait-il vraiment à être découvert ?

« J'étais juste curieux d'assister à la fête pour une fois, voilà tout… »

Son interlocuteur étouffa un petit rire, tout en tendant les bras pour lui emprunter son verre et y tremper les lèvres. L'autre le dévisagea discrètement, son regard étudiant les traits fins de son menton et ses joues à peine creuses, si proches de lui qu'il ne pouvait qu'en apprécier l'apparente perfection. Ses longs cheveux d'un blond subtilement doré dansèrent dans son dos, alors qu'il se tournait pour poser le verre sur le plateau d'uns des serviteurs arpentant la pièce. Ses yeux marines replongèrent dans les siens et il se pencha vers lui, sa main remontant sur sa nuque, et ses lèvres frôlèrent son oreille quand il murmura :

« En réalité, la véritable fête est ailleurs. Si tu désires t'amuser, laisse-toi guider… »

Le jeune brun reprit sa respiration, son souffle ayant été momentanément coupé, et il se laissa entraîner vers les lourds rideaux qui recouvraient les fenêtres, intrigué. Le blond, qui le précédait de peu, se retourna vers lui et lui adressa un clin d'œil malicieux, avant de saisir sa main pour l'attirer à sa suite derrière les épaisses tentures.

Avant que le jeune valet n'ait eu le temps de lâcher une exclamation surprise, il se retrouva dans une nouvelle salle plus petite que la première, dont les lumières tamisées éclairaient faiblement les gros fauteuils et les divans, sur lesquels des couples se roulaient en pouffant. Hommes comme femmes buvaient à la bouteille, certains s'étaient même départis de leur masque. Un jeune homme aux joues bien rouges arrachait des notes vibrantes et enfiévrées à l'imposant piano qui trônait au centre-même de la pièce, et sur lequel était allongée une demoiselle, dont les yeux rieurs ne quittaient pas le musicien.

L'inconnu à la chevelure blonde émit un petit rire ravi et glissa sa main sous le menton de son invité, dont la bouche s'était ouverte de stupéfaction face au spectacle débridé qui s'offrait à ses yeux. La main de son compagnon se posa sur son dos et il le poussa vers un buffet couvert de mets, leur servant à tous deux de nouveaux verres avant de les entrechoquer, gratifiant le jeune brun d'un nouveau clin d'œil complice.

« Que la fête commence ! »

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Voilà qui ressemblait plus aux récits qu'on lui avait rapportés… L'insolence et la débauche régnaient en maîtresses sur les lieux. Les corsages des demoiselles étaient outrageusement ouverts, les jeunes messieurs se pavanaient devant elles, riant fort et buvant sans restriction. Le mystérieux jeune blond lui-même virevoltait parmi les quelques danseurs au rythme déchaîné du piano, insouciant et magnifique.

Le jeune valet termina son verre, le sourire aux lèvres. Effectivement, ce genre d'évènement valait le détour ! Il se sentait bien plus à l'aise à présent, il ne risquait plus de se faire remarquer, de quelque manière que ce soit. Son compagnon le rejoignit de son pas gracieux, lui souriant tout en enlaçant sa taille.

« Alors, bel inconnu, que dis-tu de cela ? »

L'interpellé esquissa un sourire et, mû par un instinct audacieux, se pencha vers lui, son murmure caressant ses lèvres toutes proches.

« Ma curiosité est comblée ! Mais je n'imaginais pas vraiment les choses ainsi…
- Ce ne sont pourtant pas les rumeurs qui manquent, à la Cour. Surtout en ce qui concerne mes petites fêtes privées… »

Le jeune valet n'eût pas le temps de déglutir que, déjà, le jeune blond rapprochait ses lèvres jusqu'à les presser contre sa bouche entrouverte.

Sa main rejoignit la sienne, et il s'écarta finalement en souriant d'un air espiègle.

« Il semblerait que quelque chose d'encore meilleur nous attende, ce soir… »

Il lui adressa un clin d'œil malicieux et détala, l'attirant aussitôt à sa suite.

Le jeune valet se laissa entraîner dans un couloir sombre, au bout duquel se dressait une porte close. Son hôte détacha une petite clé du ruban qui ornait son poignet, tandis que l'autre essayait de réfléchir, trop troublé pour arriver à suivre la cadence des évènements.

Comment ça, « ses petites fêtes privées » ??

Le déclic de la serrure lui sembla résonner entre les murs tapissés, un frisson parcourut son échine. Il pouvait toujours s'enfuir, n'est-ce pas ?

La main qui se glissa dans son dos pour le guider vers la porte désormais ouverte le fit presque sursauter. Apparemment non, la fuite n'était plus envisageable.

Il avança d'un pas mal assuré dans la vaste chambre royale, incapable de réfléchir depuis qu'il sentait le souffle chaud et tentateur de son… monarque sur sa nuque. Oh et puis de toute façon, il était bien plus risqué de vexer le roi que de se soumettre à ses désirs, alors autant en profiter aussi… Il se retourna vers lui, et happa ses lèvres sans la moindre hésitation. Cette fois, les deux compagnons approfondirent leur baiser, soupirant déjà au gré de leurs mouvements.

Le jeune homme à la crinière blonde renversa son invité sur les draps pourpres de son lit, et caressa du bout des doigts les contours de son visage.

« Je te nomme valet favori du roi ! Tu seras désormais le seul autorisé à veiller mon sommeil, et tu devras m'être fidèle et dévoué… parfaitement dévoué. Qu'au moindre de mes désirs tu accoures et mettes tout en œuvre pour l'assouvir… »

Comme le jeune valet écarquillait les yeux un peu plus à chaque mot soufflé contre sa bouche, le monarque l'observa un instant, fier du dénouement de sa soirée. Le jeune homme ignorait probablement qu'il n'était pas passé inaperçu aux yeux du roi malgré le nombre démesuré de personnes à son service… Le jeune souverain se permit un sourire radieux, se félicitant de l'avoir désormais sous son emprise.

Ses lèvres capturèrent une fois encore les siennes, avec plus de passion et d'impatience, cette fois. Son serviteur ferma les yeux, autant pour savourer pleinement leur étreinte que pour essayer de clarifier ses idées. Lui qui avait souhaité s'infiltrer dans cette fête royale en toute discrétion… Il risquait de payer cher sa témérité, avec le temps. Il ne savait que trop bien ce que signifiait servir le roi lui-même : le moindre faux pas face à ses caprices et il se retrouverait banni de la cour, à moins que le monarque ne s'entiche d'un nouveau domestique et ne le renvoie à ses fonctions antérieures. Les mains chaudes et frémissantes de son souverain, désormais privées des gants de satin, se glissèrent sous ses vêtements pour venir frôler la peau de son ventre, chassant immédiatement ses craintes. Il était trop tard pour regretter, après tout. Il enlaça son roi, et la pression de son bassin entre ses jambes instinctivement ouvertes le conforta dans son idée : pour l'instant, il avait moins à perdre qu'à gagner…

Advienne que pourra par la suite !

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En espérant que cet OS vous ait plu...
Merci d'avoir lu !

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