Nicolaï marchait, la mâchoire et les poings serrés. La scène à laquelle il venait de participer le mettait dans une colère noire.
Vingt minutes plutôt, il se disputait avec son petit ami. Tyler avait beau lui répété qu'il ne le trompait pas, Nicolaï ne voulait rien savoir, il ne voulait rien entendre. Trop énervé pour réfléchir clairement, il sortit en claquant la porte.
Il s'arrêta un instant et ferma les yeux. Repassant toutes les scènes dans sa tête. Il ouvrit lentement les yeux et soupira.
Il se trouva tout à coup stupide. Faire une crise de jalousie comme un gamin pour un malheureux sms. Mais qu'est-ce qui lui était passé par la tête ?
Il connaissait son compagnon depuis six ans et ils vivaient ensemble depuis quatre. Le chemin qu'ils avaient décidé d'emprunter n'avait pas été facile.
Leurs parents n'avaient pas accueilli leur « coming out » avec la plus grande joie.
Le père de Nicolaï était un homme d'affaire réputé et respecté. Le chemin que devait prendre son fils était tout tracé depuis sa naissance. Ainé de trois enfants, il devait reprendre la société, sous les directives de son père pendant deux ans après avoir fini des études d'économie, puis après cette « période d'essai », son père lui laisserait la responsabilité totale de l'affaire familiale.
Un mariage aurait surement été arrangé avec une jeune fille d'une famille aussi riche que la leur, puis, maison, enfants, travail. Tout devait s'enchainer comme cela.
Petit hic dans les plans de papa, son fils était homosexuel et ne comptait changer pour rien au monde, ni faire semblant devant les gens pour éviter le discrédit de l'entreprise de son père ou tâcher leur nom. Il leur avait présenté Tyler comme son petit ami officiel, quelques jours après cette révélation.
Il leur avait donc laissé le choix, lui et son homosexualité ou rien du tout. Dans un premier temps, son père l'avait mis à la rue sans ménagement. Il avait dû se débrouiller seul une année entière, conciliant étude et travail. Mais il avait eu la surprise de retrouver son père devant la porte de son appartement, un soir d'automne. Ils avaient longuement parlé. Essayant l'un et l'autre de comprendre les points de vu de la partie adverse.
Tyler avait subit le même sort. Il pensait ses parents ouverts d'esprit mais pas en ce qui concerne leur fils unique apparemment.
Après plusieurs rencontres entre parents et enfants, ils avaient réussi à leur faire comprendre, qu'ils s'aimaient vraiment et que ce n'était pas une crise d'identité sexuelle.
Leurs parents avaient capitulé après encore quelques semaines de silence radio. Ils allaient donc régulièrement chez leurs beaux-parents respectifs, sans jugements, ni insultes. Tout se passait dans la bonne humeur, même si les parents de Tyler restaient tristes de ne jamais avoir de petits enfants.
Un sourire naquit sur ses lèvres. Il devait s'excuser.
Il fit demi-tour. Marchant à grande vitesse, à la limite de la course, traversant à grands pas la rue.
Mais on dit souvent qu'à vouloir faire vite, on fait mal les choses.
Il ne le vit pas ... Mais il aurait dû.
Il ne l'entendit pas ... Mais il aurait dû.
Percuté sans ménagement par un camion.
Aucune chance de s'en tirer.
Aucune chance d'espérer.
Décédé sur le coup.
Plongé dans un trou noir, Nicolaï priait. Il priait pour retrouver son amour perdu. Il priait pour pouvoir encore le serrer dans ses bras, l'embrasser, lui faire l'amour. Il priait pour qu'on lui redonne sa vie.
Nicolaï se réveilla en sursaut dans son lit. L'air un peu hagard.
Un rêve ? Ce n'était que cela. Il se mit à rire comme un dératé. Il avait vraiment eu l'impression de passer sous ce camion. Il mit sa main sur sa poitrine au niveau de son cœur, essayant de retrouver un rythme cardiaque normal.
Un détail attira son attention. Il se leva d'un bon et alla dans la salle de bain. Allumant le néon. Il papillonna des yeux avant de les écarquiller. Il se figea en voyant son reflet dans le miroir. Il se regarda de la tête aux pieds, puis des pieds à la tête, allant même jusqu'à toucher le miroir pour vérifier qu'il n'était pas en pleine hallucination.
Il portait les vêtements de la veille, sauf qu'ils étaient tous déchirés et du sang avait infiltré les lambeaux de tissu. On aurait vraiment dis qu'il était passé sous un camion. Il ouvrit la bouche comme une carpe hors de l'eau. Non, non ça ne pouvait être vrai.
Il toucha son corps finement musclé par des heures de musculation dans une salle de gym pas trop loin de son appartement.
Aucune trace de coupure ou de blessure quelconque.
Nicolaï nageait en pleine incompréhension. Puis les détails de son rêve lui revinrent. Cela ne pouvait être vrai ?! Mais si ça l'était ... Pourquoi était-il encore en vie ? Et comment était-il rentré chez lui ?
Il secoua la tête. C'était définitivement impossible. Peut être était-ce une blague de Tyler. Il avait parfois un humour assez particulier. Mais bon ça faisait parti de son charme et pour rien au monde Nicolaï n'aurait voulu le changer.
Il prit une douche salvatrice, effaçant par la même occasion les traces de sang sur sa peau couleur soleil. Il réfléchissait à la présence de ce sang sur lui. Du ketchup ? Il porta un peu des traces rougeâtres à sa bouche puis fît une grimace. Cela avait le gout légèrement ferreux du sang humain, même pas une chance que ça soit d'un animal.
Il n'était pas blessé, ce n'était donc pas le sien. Alors à qui était-il ? Pour avoir perdu tant de sang cette personne devait être grièvement blessée.
Était-ce un accident ? Un suicide ? Un meurtre ?
Il ouvrit de grands yeux. Était-ce de sa faute ? Ou plutôt avait-il une double personnalité ?
Il fut sorti de sa réflexion par la sonnerie stridente du téléphone. Sortant de la douche en portant en tout et pour toute une simple serviette bleue foncée, il décrocha.
A l'autre bout du fil c'était Tyler, lui demandant à quelle heure comptait-il passer le chercher. Il souffla de soulagement. Il avait cru l'espace d'un instant que ce sang pouvait être le sien.
Il répondit presque qu'instinctivement qu'il serait là dans une petite demi-heure, et il raccrocha. S'asseyant sur le lit, toujours en serviette, il se mit à réfléchir. Quand il avait décroché un sentiment bizarre s'était emparé de lui ... comme ... une impression de déjà vu. Il secoua la tête une seconde fois et sourit. Cette journée était vraiment trop bizarre à son gout, il ferait mieux de ne plus y penser.
Il se leva avec la ferme intention de s'habiller. Devant son armoire, à demi-conscient de ses actes. Il prit des vêtements à l'opposé total de ceux qu'il avait dans son rêve. Une chemise noir que son compagnon lui avait offert pour Noël et qu'il ne m'était que très rarement, un jean bleu nuit et des chaussures noires. Le tout parfaitement assortit, chic sans être pour autant tape à l'œil et surtout décontracté.
Il regarda son reflet dans le miroir et eut quelques flashes. Non ce n'était qu'une impression, ça arrive tout le temps et à n'importe qui. Il n'y avait aucune raison de s'alarmer. Il fit un sourire forcé à son image quasi-parfaite, prit ses clefs et sortit de l'appartement.
Il marchait d'un pas rapide, mais son allure n'en était pas pour le moins gracieuse. Il avait toujours été ce que l'on peut qualifier de « canon », une belle carrure, une grande taille, une peau bronzée, des lèvres légèrement rosées et des yeux profonds, d'où un éclair d'amusement brillait souvent. De nombreuses jeunes femmes s'arrêtaient sur son passage et il rirait intérieurement en disant qu'elles pouvaient toujours rêver pour pouvoir l'approcher, seuls les hommes avaient ses faveurs et depuis bien des années un seul faisait battre son cœur.
Ce jour ressemblait à tous les autres, en tout cas on aurait pu le croire. Cette sensation ... Il aurait pu rapidement oublier cette sensation qui devenait particulièrement désagréable et ce rêve si seulement en sortant dans la rue, il n'avait pas eu l'impression d'y être encore.
Tout se passait exactement de la même façon. Les mêmes visages, les mêmes sourires admiratifs, les mêmes « bonjour » polis ... Tout, absolument tout était à l'identique ...
Même le temps semblait être contre lui. Nuageux mais pas grisâtre. Il se rappelait s'être dis qu'il aurait du prévoir un parapluie parce que Tyler lui crierait dessus s'il trempait son atelier.
Cela en devenait effrayant. S'adossant à un mur, il prit le temps de remettre ses idées en place. Il revit chaque scène de son « rêve » avec une précision déconcertante, minute par minute, faisant un ralentit presque forcé.
Il rabattit sa tête contre le mur derrière lui, en émettant un soupire d'agacement mais aussi d'angoisse. Il savait donc qu'après cela il y aurait la dispute avec Tyler, puis ... puis ... sa mort.
Il déglutit péniblement. Hésitant entre faire demi-tour et retourner la queue entre les jambes sous sa couette ou continuer son chemin jusqu'au lieu de travail de son amant.
Il n'avait jamais cru au destin, donc il ne voyait pourquoi aujourd'hui ça changerait.
Il respira un bon coup avant de s'avancer d'un pas décidé vers le lieu de travail de Tyler. On dit souvent que la curiosité est un vilain défaut, mais il désirait vérifier quelque chose avant d'être sur de ses doutes au sujet de ce rêve pour le moins étrange.
Tyler était un peintre reconnu de ses pairs et son atelier ne se trouvait pas très loin de leur appartement. Nicolaï toqua nerveusement à la porte, trahissant son stress.
Son petit ami lui ouvrit rapidement, un sourire tendre sur les lèvres. Comme à chaque fois qu'il le voyait, même après six ans, il ne pouvait s'empêcher de l'admirer et de lui trouver une beauté presque blasphématoire. Des cheveux blonds qui tombaient en cascade sur ses épaules, une peau d'une pâleur maladive, des yeux gris-bleu totalement irrésistibles. Tyler était parfait, un ange, son ange.
Son petit ami lui fit sortir de sa contemplation en lui demandant d'entrer et de patienter quelques minutes, il avait un tableau en cours auquel il devait mettre la touche finale.
Nicolaï attendit donc sans protester, le regardant disparaître dans le couloir amenant à une petite salle. Dans cette salle il y avait plusieurs chevalets, des tableaux au sol, de la peinture un peu partout, des pinceaux, quelques vêtement mais surtout une magnifique fresque murale, représentant un ange et un démon s'accouplant dans le jardin d'Eden. Leurs peaux étaient en sueur mais ils avaient un air ravit sur le visage. Tyler avait pris un peu plus d'un an pour la faire, et quand il l'avait montrée à sa famille, ses amis et Nicolaï, celui-ci était devenu rouge brique. En effet ses deux tentations incrustées dans le mur leur ressemblaient étrangement. A chaque fois que Tyler entrait dans cette pièce il l'a regardait et souriait, puis il se mit au travail afin de terminer le plus vite possible.
Dans le hall Nicolaï scrutait la pièce, et comme dans son rêve, sur la petite noire de l'entrée, le portable de Tyler était posé. Il avança une main tremblante vers l'objet puis le saisit. Il consulta rapidement la liste des messages reçus, espérant secrètement ne pas l'y trouver. Mais il avait tord. Il était là. L'élément déclencheur de leur dispute. Il serra le portable à s'en faire blanchir les phalanges. Il devait voir l'évidence, ce n'était pas un rêve ou peut être un rêve prémonitoire plus vrai que nature ... Non le rêve prémonitoire n'était même pas une option, c'était à éliminer d'office. Il se rappelait des lambeaux de vêtements quand il s'était réveillé et aussi du sang séché sur sa peau ... Non il n'y avait en fait qu'une seule explication «logique». Il revivait cette journée. Dans à peine une heure, il devait mourir. Il ne comprenait pas bien pourquoi. Pourquoi lui avait-on permis de revenir ? Mais à vrai dire il s'en fichait. Il prit la décision de ne pas refaire la même erreur que «la veille». Il ne voulait pas mourir, il ne voulait pas quitter Tyler sur une stupide dispute, il ne voulait pas le perdre tout simplement.
La voix de Tyler le fit sortir de sa réflexion. Il le regardait avec inquiétude, son teint était devenu pâle et une pellicule de sueur avait apparu sur son front. Tyler toucha son visage, lui demandant s'il allait bien. Il lui tendit l'objet et lui sourit. Il lui répondit calmement qu'il allait bien, qu'il n'avait jamais été aussi heureux.
Ils sortirent tranquillement de l'atelier et allèrent manger.
Pendant le déjeuner, il le questionna sur le sms, Tyler ne lui demanda même pas comment il était au courant, il savait que son petit ami était curieux de nature, de plus il le faisait souvent. Il n'avait jamais pris ça pour un manque de confiance, juste un signe de possessivité. Il lui expliqua les tenants et aboutissants de cette histoire. Après avoir entendu l'explication de son amoureux, il se dit qu'il était vraiment mort pour rien la dernière fois. Il se mit à rire tout seul, sous le regard de Tyler se demandant s'il n'était pas devenu fou. Nicolaï lui sourit avec amour puis l'attira à lui pour un baiser baveux. Tyler resta un moment saisit. C'était plus qu'exceptionnel que son amant lui fasse des démonstrations d'affection en public. En fait non ,c'était du jamais vu, mais il ne s'en plaignait pas. Il trouva juste ce changement de comportement un peu ... bizarre ... voir totalement inattendu. En temps normal, Nicolaï n'acceptait même pas de lui tenir la main pendant une séance de cinéma, donc un baiser langoureux dans un restaurant bondé, il y avait de quoi être surpris. Mais il ne dit rien, profitant au maximum de ce moment.
Ils se levèrent au bout d'une heure trente de repas, repus et heureux.
Rigolant et s'amusant comme des enfants, ils jouaient à « attrapes-moi si tu peux » dans les rues de STEYLARD. Tyler réussit finalement à le rattraper. L'attirant à lui pour un long baiser amoureux. Puis Nicolaï mit fin à ce moment de tendresse, ne tenant pas compte des grognements de mécontentement de son amant. Il se mit à marcher à reculons. Une lueur aguicheuse dans le regard.
Tyler le regardait, amusé. Aujourd'hui était vraiment un jour très particulier. Il se mordit la lèvre inférieure en le voyant fermer les yeux et se caresser les abdominaux, descendre vers sa ceinture, passer la main dans son jean. Il lança à l'homme qui était clairement entrain de l'allumer un sourire pervers.
Mais il perdit vite son sourire quand un élément derrière Nicolaï attira son attention. Il plissa les yeux pour mieux voir.
Il passa de l'amusement à la peur. Il se mit à courir, criant de toute sa voix pour le prévenir.
A l'entente de son prénom, Nicolaï s'arrêta et ouvrit les yeux. Il vit Tyler courir vers lui puis se retourna.
Figé sur place, il n'arrivait plus à faire un seul mouvement. Cette fois si, il l'avait vu. Mais ses muscles étaient incapables de se mouvoir. Ses jambes refusaient de bouger. Il ferma finalement les yeux en signe de résignation. Apparemment il devait belle et bien y passer aujourd'hui. Il entendit le moteur grondé. Se rapprocher de plus en plus. Le visage de son ange prit place dans esprit et il eut un sourire triste. Il avait au moins pu le revoir une dernière fois avant que son heure ne sonne. Le sol commençait à trembler sous ses pieds signe que le camion n'était pas loin. Son corps se tendit d'anticipation, mais au lieu de sentir l'impact, il se sentit projeter sur le côté. Son corps heurta le sol avec perte et fracas mais comparé à la dernière fois ce n'était qu'une légère gifle.
Mais plus important, il était encore en vie.
Des cris lui vinrent aux oreilles, il ouvrit difficilement les yeux, prenant conscience du monde qui l'entourait.
Mais il aurait préféré être devenu aveugle.
A quelques mètres de lui, Tyler était allongé sur le bitume, dans une marre de sang. Son corps n'était qu'une blessure géante. Il ne bougeait plus. Son regard était vitreux, signe que la vie l'avait quitté.
Nicolaï se leva d'un bon et prit le corps maintenant sans vie de son amant dans ses bras. Il pleurait toutes les larmes de son corps, son âme hurlait encore le prénom de sa moitié.
La mort lui avait offert une deuxième chance mais à quel prix ?
Et vous ? Si vous aviez la possibilité de changer un événement, un souvenir ... Le feriez-vous ? Sachant que cela pourrait bien être pire ...
FIN