9h. 6000 km d'altitude.

Nazaël était en retard. Il devait se dépêcher, son travail ne pouvait pas attendre une minute de plus. Il avait dix minutes pour arriver à destination et remplir sa mission.

Il fit une descente à pique vers le terre ferme, en espérant pouvoir ralentir le moment venu. Vingt mètres avant le sol il ralentit un maximum et arrêta sa course. Son cœur battait vite et des gouttes de sueur perlaient sur son front.

Il respira un grand coup, ralentissant par la même occasion les battements de son cœur. Il regarda sa montre à gousset. C'est bon ! Il n'était pas si en retard que cela.

Il déposa ses pieds au sol puis marcha lentement.

Quand il arriva à destination, un grand bruit de tôle froissée se fit entendre. Puis tout se mit au ralenti. Les gens autour de lui étaient comme robotisés. Il était le seul à marcher normalement. Il s'avança vers le lieu de l'accident qui venait d'avoir lieu.

Cinq personnes étaient mortes.

La cause de l'accident ?

Un chauffard ivre, il avait percuté deux passants ainsi qu'une voiture qui venait en sens inverse. Cette voiture était conduite par une femme d'une trentaine d'année et à ses côtés se trouvait son fils de dix ans. Tous les deux morts sur le coup, malgré la présence de l'airbag et de la ceinture de sécurité.

Nazaël soupira, encore des humains innocents tués par la folie de leurs congénères.

Heureusement pour lui, il ne devait guider que trois personnes sur cinq aujourd'hui. Quelqu'un d'autre s'occuperait des deux autres. Il n'en prendrait pas la responsabilité.

Il approcha des corps sans vie. Il posa sa main froide sur leurs joues ensanglantées. Dans un halo de lumière, les âmes s'échappèrent de ces corps. Sa mission était claire, leur montrer le chemin vers la lumière, les guider tout le long, jusqu'à arriver aux portes du paradis pour que leurs actes soient jugés.

Mais après les avoir déposées, Nazaël s'en allait. Il n'était pas intéressé par la suite. Son travail était fait dans les temps et sans encombre, c'est tout ce qui l'importait.

Il repassait donc par le tunnel lumineux qu'il avait emprunté quelques minutes plutôt. Il se retrouva vite dans la rue. Les pas personnes intéressées par l'accident se faisaient pressants.

Accourant de part et d'autre pour voir les dégâts. Des cris de terreur se firent entendre, les corps avaient été découverts. Il se retourna un instant pour croiser les yeux vitreux de l'enfant.

Si ce n'était pas malheureux. Mourir si jeune à cause de la stupidité humaine. Il secoua la tête puis la détourna.

Ce n'était pas le moment de tergiverser sur la qualité de la nature humaine, d'autres âmes l'attendaient et les retards n'étaient pas envisageables dans son métier.

Comme tous les jours des dizaines de personnes lui avaient été confiées.

Ce n'était pas ce que l'on peut appeler un métier ennuyeux, mais par moment il pouvait être vraiment déprimant. Cependant depuis quelques temps, il avait trouvé de quoi rendre ses journées moins noires.

Il était sur le toit d'un immeuble, respirant l'air frais du soir. Ça l'apaisait quelque peu après avoir vu tant de mort. Malgré quelques idées noires, il ne détestait pas son travail, c'était sa mission, sa raison d'exister. Il avait été choisi, c'était son destin ? Il respira un grand coup puis sauta dans le vide tête la première. Il aimait cette sensation de liberté. Pouvoir décider de mourir ou de rester en vie, bien que vu sa condition, il ne ferait que se faire un mal de crane atroce.

Et comme il le pensait, il atterrit mal. Il en avait l'habitude. L'atterrissage ce n'était vraiment pas son fort mais ça lui faisait toujours mal.

Il entra dans le bâtiment. Personne ne faisait attention à lui, à vrai dire, il doutait même qu'on puisse le voir. Seules quelques personnes en ont la capacité.

Il poussa une porte puis s'approcha d'un lit. Un corps y était allongé. Il avait l'air endormi. Il s'approcha de son visage et effleura sa peau telle une plume.

D'habitude personne ne l'aurait senti mais lui c'était différent.

Il ouvrit les yeux sous son contact et parla d'une petite voix lointaine.

_ Nazaël ?

_ Oui c'est moi. Rendors-toi Chris.

_ Non ça va. Je t'ai attendu hier soir ...

Chris avait dit cela sur un ton de reproche et Nazaël serra légèrement les lèvres, avant de lui répondre d'une voix douce.

_ Pardonne-moi, j'ai eu beaucoup de travail. Je n'ai pas pu me libérer.

_ mmm ... Ce n'est pas grave.

Nazaël lui sourit puis se remit à caresser le visage de Chris. Ce dernier ferma les yeux, profitant un maximum de ce contact, de la froideur de ses mains. Son esprit était partagé entre l'envie de le regarder encore et le sommeil qui l'emmenait peu à peu.

_ Nazaël ?

_ Hmm ?

_ Tu me diras quel travail tu fais un jour ?

_ Un jour peut être. Dors maintenant. Tu dois te reposer.

_ Tu reste là ?

_ Je ne pars pas. Tu peux dormir tranquille.

Nazaël attendit que son souffle devienne calme et régulier avant de s'asseoir sur la chaise à côté du lit de Chris. Il le regarda dormir toute la nuit et partit juste avant l'aube. Il devait remonter voir ses supérieurs pour avoir les missions du jour. Malgré son envie de rester au près de lui, il se leva et sortit de la chambre, après avoir déposé un bisou sur son front.

A chaque fois qu'il le regardait, il se sentait étrange. Cette sensation de brûlure dans la poitrine, il ne la reconnaissait pas et Dieu seul sait qu'il avait déjà assez vécu pour connaître toutes les émotions humaines. Mais celle là lui était inconnue. Douce et violente à la fois, suave mais brulante. Il n'arrivait pas à comprendre ce qui lui arrivait. Cela faisait dix siècles qu'il avait été choisit pour accomplir cette mission et jamais pareille chose ne lui était arrivé.

Il se rappelait à cet instant de la première fois qu'il avait posé les yeux sur Chris.

Un soir de Janvier, Nazaël s'était réfugié sur le toit d'un hôpital, afin de réfléchir mais surtout pour admirer la ville de nuit. C'était un spectacle magnifique. Des lumières éblouissantes, s'harmonisant parfaitement avec l'architecture. Il eu un léger sourire en pensant que les Hommes n'étaient pas tous aussi mauvais qu'ils en avaient l'air.

Au bord du toit, en pleine contemplation il n'entendit pas la porte du toit s'ouvrir.

Une petite voix le fit sortir de son moment de rêverie.

_ Que faites-vous ?

Nazaël fut surpris, non pas par la question mais par le fait que cette personne puisse le voir.

Il répondit froidement essayant de ne pas montrer son trouble.

_ J'observe.

Il y eu un silence avant que la personne ne reprit.

_ Verdict ?

_ Mitigé !

Le jeune homme derrière Nazaël sourit. Il le trouvait bien étrange cet homme. Étrange mais amusant.

_ Puis-je me joindre à vous ?

_ Comme bon vous semblera.

_ Je m'appelle Chris.

Nazaêl laissa un moment passé avant de se retourner. Il était prêt à répondre sur un ton acerbe quand son cœur rata un battement.

Des cheveux blonds, une peau blancheur neige, des yeux d'un bleu irréel. Il n'en revenait pas d'avoir trouvé un être si beau sur Terre. Il répondit d'une voix peu assurée, il était réellement troublé.

_ Na ... Nazaël.

_ Enchanté ! Dites ... Vous n'allez pas vous suicider, hein ?

Nazaêl fit des yeux ronds comme des billes avant d'éclater de rire. Depuis combien d'années, de siècles, n'avait-il pas rit ainsi ?

Jamais personne ne s'était imaginé cela en le voyant. La plupart avait trop peur pour lui adresser ne serait ce qu'un seul mot. Ils le voyaient plus comme une vulgaire hallucination. Une simple forme vaporeuse dans leur esprit malade, tordus d'humains.

Un ange de la mort qui se suicide. Ça aurait pu faire les gros titres. Quelle bonne blague.

_ Non, Non. Pas du tout. J'admire simplement la vue.

_ J'en suis rassuré.

L'ange lui fit un petit sourire. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas passé un si bon moment avec un être vivant. Il avait toujours été un peu renfermé même de son vivant. Seul son travail lui importait vraiment. Les relations amicales, il ne les connaissait que de nom.

Il tendit une main vers Chris pour l'inviter à le rejoindre près du bord. Chris la saisit sans hésitation. Il ne savait pourquoi mais il savait qu'il pouvait lui faire confiance.

Nazaêl le prit dans ses bras et le serra fort contre lui. Il n'avait même pas prit la peine de réfléchir à son acte, il avait suivit une pulsion. C'était la première fois qu'il était si proche d'un humain, aussi bien physiquement que mentalement. Il se sentait comme connecter. C'était impossible à expliquer avec des mots mais c'était des plus agréables. Il ignorait d'ailleurs si cela était autorisé. Mais pour le moment il ne préférais pas y penser.

Tout ce qui importait sur le moment c'était ce qu'il se sentait vraiment bien.

Ils fermèrent tous les deux les yeux. Profitant le plus possible de ce moment de sérénité.

Ils restèrent ainsi un bon moment, sans parler, sans bouger. Chris était comme dans un cocon sécurisant. Incapable d'en sortir, d'ailleurs pourquoi aurait-il essayé.

Ce moment fut interrompu quand Nazaël sentit le corps de Chris défaillir. Il s'en inquiéta immédiatement.

_ Chris ?

_ Je ferais mieux de retourner dans ma chambre.

_ Je vais te reconduire.

_ Ne vous dérangez ...

_ J'insiste

Nazaël le coupa. Son ton n'appelait aucune doléance. Il le souleva de façon à pouvoir le porter.

Arrivés dans sa chambre, il le posa délicatement, comme un objet en porcelaine sur le lit.

_ Merci

_ Qu'as-tu ?

_ Une leucémie.

_ Grave ?

_ Oui, incurable.

_ Quel âge as-tu ?

_ J'ai eu 18 ans, il ya deux mois.

Ils se regardèrent un moment avant que le sommeil n'emporte le petit blond. L'ange de la mort resta dans sa chambre une bonne partie de la nuit avant de rentrer chez lui. Cette rencontre l'avait troublé et déstabilisé, mais il se sentait heureux. Il se sentait vivant.

Après cela il prit pour habitude de rendre visite à Chris chaque semaine, puis très vite chaque jour. Toujours très tard. C'était son moment de bonheur. La récompense pour avoir bien travaillé.

Ils n'avaient pas besoin de parler. Pouvoir le regarder, rester à ses côtés lui suffisait. Nazaël se contentait d'observer son visage endormit.

Cependant depuis quelques temps, il avait eu envie de plus. De le toucher, de le caresser, de l'embrasser et même de le posséder. Il avait de plus en plus de mal à résister. Mais il le savait, il ne pouvait pas. Ça lui était formellement interdit. Mais les interdits n'étaient-ils pas fait pour être franchit ?

Déployant ses grandes ailes noires, Nazaël s'envolait. Il arriva à grande vitesse sur un nuage où trônait un bureau.

Il s'avança et tendit la main. Sans un « bonjour » ou « merci », il prit la feuille dans la main de la jeune fille assise derrière le bureau. Ses yeux parcoururent la liste des noms du jour avant de s'écarquiller sous la surprise.

Ses prunelles noires se mirent à briller d'une curieuse lueur. Puis il parla d'une voix forte.

_ Je veux une audience.

_ Il n'est pas libre pour ...

_ TOUT DE SUITE !!!!

Un frisson d'effroi parcouru la colonne vertébrale de la jeune bureaucrate en face de lui.

C'était la première fois qu'elle le voyait comme cela. Il avait toujours été froid presque hautain parfois mais jamais colérique.

Elle prit sa plume d'or et écrivit sur le parchemin devant elle. Ces écrits se regroupèrent puis se transformèrent en oiseau. Une colombe dorée qui disparue dans les nuages.

Quelques minutes plus tard une grande porte apparue et s'ouvrit derrière elle.

_ Tu peux y aller. Il t'attend.

L'ange ne prit pas la peine de répondre, il ne la regarda même pas. Il marcha d'un pas décidé vers la porte. Une fois qu'il fut à l'intérieur, la porte se referma puis disparue. Nazaël se retrouva dans une pièce immense et lumineuse. Une voix puissante s'éleva au dessus de lui.

_ Nazaël ? Pourquoi avoir demandé une audience ?

_ Pour que vous m'accordiez une faveur.

_ Je t'écoute !

_ Je voudrais qu'un nom soit supprimé de la liste.

_ C'est impossible.

_ J'abandonne mon immortalité.

_ Je refuse.

_ Mais ...

_ Nazaël ! Suffit !

_ ...

_ Tu connais les règles mieux que qui conque. L'ordre ne doit jamais être brisé. Chaque vie doit trouver un terme à un moment précis. Tu ne peux le changer. Personne ne le peut. Même si tu abandonnes pour ça le don que je t'ai fais.

_ Mais je ne peux pas le faire. Je ne veux pas.

_ Cette mission te semble-t-elle insurmontable ?

_ Oui.

_ Dois-je la confier à un autre ?

Nazaël prit le temps de réfléchir. Il ne voulait pas sa mort. Mais que pouvait-il faire ? Malgré la douleur qui frappait son cœur, il le ferait. Il ne voulait pas qu'un autre le touche.

_ Non ... Je le ferais.

_ Tu en es sur ?

_ AI-je le choix !!!!

Sur ces mots, il sauta dans les nuages pour se retrouver dans le vide. La nuit tombait à peine quand il se posa dans la cours de l'hôpital. Il monta immédiatement dans la chambre de Chris.

Ouvrant la porte sans frapper. Son ange blond était sur son lit regardant à la fenêtre. Il tourna la tête en entendant la porte s'ouvrir et sourit en voyant son brun préféré.

_ Tu arrives tôt aujourd'hui !

Nazaël ne répondit pas mais s'approcha de lui, déposant ses lèvres sur les siennes. A son étonnement, Chris approfondit le baiser.

Ils s'embrassèrent à en perdre haleine un moment avant de se séparer à regret.

_ Tu en as mis du temps pour m'embrasser.

Nazaêl sourit et ferma les yeux.

_ Je t'aime

_ Moi aussi. Je t'aime Nazaêl.

_ Appartiens-moi !

Chris ne comprit pas tout de suite mais son regard croisa la lueur de désir dans les yeux de son visiteur. Il acquiesça d'un mouvement de la tête, puis s'abandonna dans les mains de son ange.

Nazaêl prit possession de son corps plusieurs fois au cours de cette nuit. Ils se démontraient à quel point leur amour était fort.

Nazaêl regardait à présent la pendule en face de lui. Les larmes glissaient le long de ses joues. Il ne cherchait même pas à les arrêter.

Chris couché dans ses bras sentit des gouttes sur son corps nu. Il tourna la tête vers son amant, essuyant par la même occasion les larmes avec ses pouces.

_ Pourquoi pleures-tu ?

_ Pour rien mon amour. Pour rien. Rendors-toi.

Chris lui sourit et la pendule sonna minuit. Les larmes de Nazaël se transformèrent en sanglots. Puis Chris reprit la parole.

_ Des ailes noires ... un ange !

Pour se taire à jamais. Le douzième coup venait de retentir. Nazaël le serra un peu plus fort dans ses bras. Les larmes coulaient toujours et ne semblaient pas vouloir s'arrêter.

_ Je t'aime, je t'aime tellement.

Tu seras le seul. Mon cœur t'appartient. Mon corps n'aura jamais touché que le tien.

Nous nous appartenons l'un l'autre.

Je t'aime et je t'aimerais jusqu'à mon dernier souffle.

FIN