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« Bienvenue à la maison », fit Alexander en aidant Chiaki à se débarrasser de son manteau trempé.

« Quel temps de chien ! Heureusement que Travis a dégagé les feuilles mortes de l'allée, sinon ce serait une vraie patinoire avec cette pluie. Je me demande bien pourquoi tu as quitté l'Angleterre : il pleut presque encore plus ici » grommela le jeune homme.

« Tu veux dire que tu serais prêt à me suivre en perfide Albion si la fantaisie me prenait d'y retourner ? »

« N'abuse pas de ma bonté, très cher : j'ai signé pour l'impossible, pas pour l'impensable », répondit Chiaki en serrant tendrement son compagnon dans ses bras.

Ses cheveux sentaient bon le feu de cheminée et le jeune homme l'envia un instant d'avoir passé la journée au chaud à la maison. Il était toujours passionné par son métier, mais les horaires irréguliers commençaient à lui peser sérieusement, surtout durant les week-ends qu'il aurait aimé consacrer pleinement à sa nouvelle famille. Alexander l'attendait toujours pour aller se coucher, mais il ne voyait pas son « fils adoptif » aussi souvent qu'il l'aurait voulu le petit garçon était souvent déjà au lit quand il rentrait.

« Zack est déjà couché, j'imagine ? »

« Oui, mais va le voir quand même, il est peut-être réveillé. Il a toujours autant de peine à dormir quand tu n'es pas rentré. »

« J'espère que je ne le perturbe pas trop, ce petit ; je m'en voudrais d'être la cause de ses insomnies », soupira Chiaki.

Alexander l'embrassa avec tendresse.

« Ne dit pas de bêtises : il n'a jamais été aussi heureux et épanoui que depuis que tu vis ici. Je crois qu'il a juste encore peur qu'un jour tu ne reviennes pas, comme sa mère. Elle a beau ne s'être jamais beaucoup occupé de lui, elle faisait tout de même partie de son quotidien : il a besoin de temps pour s'habituer et comprendre que toi, tu ne lui feras pas défaut. »

« Je ne ferais jamais une chose pareille même si tu me répudiais demain, je verrais toujours Zack comme ce qui se rapproche le plus d'un fils et je serais toujours là pour lui. Je te l'ai juré et je tiendrai ma parole jusqu'au bout, quoi qu'il puisse advenir de nous »

« Je le sais », sourit Alexander. Il prit la main de son compagnon et ils montèrent à l'étage ensemble.

La veilleuse était allumée dans la petite chambre et Zack regardait les motifs de lunes et d'étoiles découpés dans l'abat-jour se refléter au plafond. Il sourit à l'entrée des deux hommes.

« Eh bien, poussin, tu ne dors pas ? Il est tard, tu vas être fatigué demain »

Chiaki commençait à vraiment bien se débrouiller en langue des signes Alex avait été impressionné par sa détermination à apprendre rapidement à communiquer avec Zack sans intermédiaire un point de plus à mettre à son crédit. Alexander avait pris un gros risque en mettant son amant face à l'étendue des responsabilités qui l'attendaient s'ils continuaient leur relation : plus d'un - ou une - aurait pris la fuite à sa place. Mais il avait senti que Chiaki était d'une autre trempe et il avait joué le tout pour le tout. Le jeune homme ne s'était jamais caché d'aimer les enfants, et l'existence de Zack avait curieusement été ce qui avait fait pencher la balance du bon côté : c'était la seule raison qu'il jugeait suffisamment bonne pour pardonner les cachotteries d'Alex. Chiaki avait mis peu du temps à se décider il avait réfléchit et pesé le pour et le contre pour la forme, mais il avait su à l'instant où il avait rencontré Zack qu'il ne pourrait pas se séparer de son père. Il avait prévu de faire mariner son compagnon plus longtemps avant de lui rendre réponse, histoire de lui faire les pieds, mais il n'avait pas eu le cœur de faire languir le petit qui semblait s'être très vite attaché à lui. Il avait donc renoncé à donner une leçon à Alex et avait admis de bonne grâce qu'il ne souhaitait rien d'autre que de partager leur vie.

Comme Alexander l'avait prédit, ça n'avait pas été une promenade de santé, et il lui avait fallu tout le soutien de sa nouvelle famille quand une partie de son entourage s'était détournée de lui à l'annonce de son « changement de cap ». Zack n'avait évidement pas compris la raison de la tristesse de son nouvel ami, mais il s'était appliqué à l'entourer de toute son affection, et Chiaki avait vite compris qu'il ne perdait pas au change : il avait désormais un compagnon qui lui prouvait son amour au quotidien, un petit garçon merveilleux et une nouvelle amie fidèle en la personne de Martha, qui s'avérait être effectivement une perle. Que pourrait-il bien désirer de plus ? Il avait donné sa démission de l'hôpital et postulé dans plusieurs autres établissements, en précisant bien dans son CV qu'il vivait avec son compagnon pour éliminer d'entrée les drh homophobes. Il assumait ses derniers jours de garde alors qu'il n'avait pas encore trouvé de nouveau poste, mais il ne s'en inquiétait pas particulièrement : il savait qu'Alexander le prendrait en charge aussi longtemps qu'il le faudrait. Et la perspective de passer quelques temps à la maison avec Zack n'était pas pour lui déplaire cela permettrait en outre de libérer un peu Martha qui avait mis sa vie privée entre parenthèses depuis des années pour prendre soin de la famille de son ami de toujours.

Chiaki s'était posé des questions sur une telle dévotion et Alexander lui avait expliqué que lui et Martha étaient amis d'enfance. Elle était la fille de la cuisinière de ses parents et avait bénéficié d'une bien meilleure qualité de vie que les enfants de sa condition grâce aux largesses de son père. Dans une famille comme celle d'Alexander, les enfants de la famille ne frayaient normalement pas avec ceux des domestiques, mais Alex était fils unique et sa mère, elle-même roturière, ne voyait aucun inconvénient à ce que deux enfants du même âge passe leur temps ensemble. Martha avait donc été en grande partie incluse dans la vie de la famille et Alexander l'avait toujours considérée comme une sœur. Elle était entrée à son service comme dame de compagnie quand il s'était avéré que Cecilia ne devait pas rester seule, et elle l'avait suivi quand il avait quitté l'Angleterre avec femme et enfant. Chiaki ne s'étonnait plus de la capacité de son compagnon à se créer des amitiés indéfectibles : il avait un tel charisme et pouvait faire preuve de tant de gentillesse que nombre de ses collaborateurs se seraient fait hacher menu pour lui, même s'il était d'une rigueur et d'une exigence professionnelle rare.

« Il s'endort allons nous coucher aussi, » murmura Alexander en se levant pour quitter la pièce.

« Je vais prendre une douche, je te rejoins dans cinq minutes », fit Chiaki en se dirigeant vers la salle de bain attenante à leur chambre. « Ne t'endors pas avant mon retour : j'ai eu une rude journée et j'ai besoin d'un gros câlin pour m'en remettre. »

« Gros à quel point, le câlin ? » demanda Alexander avec un sourire enjôleur en commençant à déboutonner lentement sa chemise.

« Va déjà te coucher… tu verras bien le moment venu », répondit Chiaki avec un clin d'œil avant de refermer la porte sur lui.

Non, décidemment, il n'avait pas perdu au change dans l'aventure et s'il se doutait que le chemin ne serait pas toujours facile, il était prêt à affronter tout ce que l'avenir lui réserverait, aussi longtemps qu'il avait Alexander à ses côtés.

FIN