Le Croque-Mitaine

Genre: drame - romance - yaoi

Résumé: Brendan Olyphant passe un entretien d'embauche pour un poste d'infirmier, dans un Institut spécialisé. Il sait que le job est pour lui. Mais il ignore tout de l'homme dont il va personnellement s'occuper...

Notes: Le syndrome de Salomon est une invention de ma part. J'ai imaginé cette pathologie, avec ses symptômes et tout ce qui s'y rapporte, avec pour seule base les souvenirs de mes études de fac et un peu d'imagination. Cela dit, j'ai essayé de rendre l'histoire la plus crédible possible :)

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Chapitre 1

« Monsieur Olyphant ? Le Docteur Mercury va vous recevoir. »

À ces mots terrifiants, prononcés par une voix pourtant si douce, Brendan Olyphant frémit. Il ne s'agissait pas là de son premier entretien d'embauche, mais cette fois, il savait que le poste était pour lui.

Il n'en avait pas encore la confirmation, seulement l'intime conviction.

Le bureau dans lequel il pénétra était bardé de diplômes. Enfin le médecin qui l'accueillit l'était, lui. Son bureau n'était qu'une salle d'exposition, dans laquelle il travaillait. Quelques dossiers dans un classeur, ici et là, trahissaient la présence de patients, dans cet Institut. Une grande bibliothèque en définissait les pathologies. Traités de neuropsychopathologie, ouvrages sur les troubles de la mémoire, les aphasies, les thérapies cognitives, etc.

C'était un de ces Instituts en pleine campagne, surnommé ''maison de repos'' ou ''centre d'aide et de soins'', histoire de ne pas effrayer les habitants du coin. Même s'ils l'avaient surnommé ''maison de fous'' avant même que la première pierre nécessaire à sa construction ne soit posée.

Après les présentations et banalités d'usage, le Docteur Mercury en vint finalement au fait de cet entretien, qui confirma à Brendan sa quasi-certitude.

« Vous devrez vous occuper de Jason Westen Bale. Ce nom vous dit quelque chose ?

- Non, avoua Brendan, légèrement inquiet. Il devrait ?

- Pas nécessairement. Monsieur Bale est romancier. Un auteur à succès des années 90. Si je vous le dis, ce n'est pas pour que vous vous rendiez compte de la chance que vous avez d'avoir été choisi pour ce poste, parmi douze autres candidats. Travailler dans cet Institut est un privilège, cher monsieur. Jason Westen Bale est tout le contraire. Une véritable plaie. Il est la pire chose qui pouvait vous arriver ici. Mais n'ayez pas peur. »

Brendan en resta complètement pétrifié. Il n'avait pas rencontré que des gens sains d'esprit, depuis son entrée à la fac de médecine quelques années plus tôt. Plus encore depuis qu'il avait effectué quelques stages en établissements psychiatriques. Il était habitué. Mais là… quelque chose lui disait qu'il n'était pas sorti d'affaire, quand bien même la section psychiatrique se trouvait dans l'aile opposés du bâtiment.

N'aie pas peur du croque-mitaine, petit. Il ne fait que dévorer les enfants…

« Monsieur Bale souffre d'une maladie orpheline. Je nous vous apprends pas tout ce que cela implique. Nous n'avons aucun traitement. Seulement des soins à lui prodiguer. Avez-vous déjà entendu parler du syndrome de Salomon ?

– Le corps de plomb ? s'en étonna Brendan. Bien sûr, j'en ai étudié toute la symptomatologie à l'occasion de… mes recherches pour mon mémoire de troisième année… Je ne l'ai pas terminé, comment… »
Il se tut. Au sourire que lui adressait le Docteur Mercury, il comprit qu'il ne lui apprendrait rien non plus. À cet instant il comprit autre chose. S'il avait été choisi parmi douze autres candidats, c'était non pas grâce à son CV ni son diplôme d'infirmier, mais pour ses connaissances sur le sujet. Mercury devait avoir quelques contacts à la faculté de médecine.
« Quel âge à monsieur Bale ? demanda-t-il.
– 38. Parmi les 67 cas recensés dans toute l'Europe, il est le deuxième plus âgé. Et depuis que le Docteur Salomon a mis en évidence cette pathologie en 1979, seuls trois malades ont soufflé leurs quarante bougies. »
Brendan acquiesça. Un peu de révisions sur le sujet ne lui faisait pas de mal. La maladie du corps de plomb était aussi rare qu'intéressante. Du moins pour quelqu'un comme lui, attiré par le vaste sujet des paralysies de type neurocérébrales. Il voulait en faire sa spécialité... un jour.

Autant dire que c'était le job de sa vie L'occasion unique de se remettre en selle et de devenir un jour le Docteur Olyphant qu'il rêvait d'être.

Il eut une pensée pour monsieur Bale. La chance de sa vie était condamnée à court terme. C'était un coup a choper des scrupules.

Une plaie, peut-être. Mais 38 ans, c'était un peu jeune pour mourir. Qui sait de quelle façon chacun réagirait face à sa propre mort ? Face à une telle injustice ? Et face à ceux qui avaient la chance d'être en bonne santé, sans réaliser à quel point la vie était fragile ?

Le Docteur Mercury se pencha en avant, croisa ses mains sur son bureau. Dans son regard, Brendan put lire en toutes lettres que ce qui allait suivre était important. Capital, même.

« Vous n'aurez pas des horaires de fonctionnaires, monsieur Olyphant. Ni même d'infirmier ou de chirurgien. Vous aurez les horaires que monsieur Bale exigera de vous. S'il vous accepte, évidemment. »

Et si moi j'accepte, songea Brendan, attentif.

« Vous serez en quelque sorte son homme à tout faire, à toute heure du jour et de la nuit. Un peu plus qu'un infirmier personnel. Je vous rassure, certaines périodes sont plus reposantes que d'autres.

- Phases de rémissions partielles ?

- Exactement, sourit Mercury. Voilà pourquoi je vous ai choisi. Vous apprendrez beaucoup l'un de l'autre. »

Brendan demeura silencieux, se demandant ce que monsieur Bale aurait à apprendre d'un simple infirmier tel que lui. Parce qu'il n'était rien de plus, malgré ses connaissances sur le sujet. Il ne pourrait même pas lui apporter cela, d'ailleurs : ses connaissances sur le sujet.

« Pour vous aider à assumer le lot de contraintes qui vous attend… » Reprit le Docteur Mercury en sortant une calculatrice d'un tiroir de son bureau.

Il ne termina pas sa phrase. À la place, il tapota quelques chiffres et fit glisser l'objet fasse à Brendan.

Celui-ci la souleva pour en discerner l'affichage et haussa les sourcils :

« C'est une… Fit-t-il, incertain.

- Votre salaire. Mensuel.

- …

- Monsieur Bale était un romancier productif, et très apprécié des deux côtés de l'Atlantique. Il gagnait extrêmement bien sa vie. Et ses proches veulent ce qu'il y a de mieux pour lui. Ils savent que ce travail est difficile, ils tiennent à le récompenser à sa juste valeur.

Brendan acquiesça, songeur. Il était difficile de refuser une telle offre. Voire impossible pour quelqu'un dans sa situation. Il avait besoin d'argent, d'un boulot stable. Cet Institut lui ouvrait grand ses portes, alors qu'il s'était presque résigné à laisser tomber ses ambitions pour devenir médecin scolaire, ou généraliste, dans un coin perdu du pays de Galles.

C'était une sacrée prime.

S'il fallait pour cela s'occuper jour et nuit d'un homme odieux et exigeant, de toute façon condamné, alors pourquoi pas ?

Après tout il ne vivrait pas là enchaîné.

« C'est d'accord.

- Bien ! Charlene, appela le Docteur aussitôt en appuyant sur le bouton de son interphone. Dites à Mademoiselle Duncan de venir à mon bureau. Son remplaçant est arrivé.

- Oui, Docteur.

- Et apportez-moi la copie du dossier de monsieur Bale. Merci, Charlene. »

Il relâcha le bouton et croisa à nouveau ses mains sur son bureau :

« J'ai conscience de vous préparer au pire, voire même de vous acheter pour cela. Mais au-delà des apparences, il y a un homme affaibli, qui a tout perdu, et qui a besoin qu'on l'aide.

- Je comprends.

- Il tentera de vous déstabiliser, de vous rabaisser. Et il y parviendra sans doute. Mais c'est seulement une façon pour lui de ne pas vous être inférieur. Beaucoup avant vous n'ont pas résisté. Mademoiselle Duncan est une des rares infirmières de l'Institut à l'approcher sans craindre la morsure. Et encore… certains jours sont plus difficiles que d'autres. Quoi qu'il en soit, elle est la mieux placé pour vous expliquer ce que nous attendons de vous, et ce que monsieur Bale attend de vous en particulier. Vous reviendrez me voir à la fin de votre journée et nous en reparlerons. D'accord ?

- D'accord. »

Le Docteur Mercury lui sourit en lui tendant la main. Brendan la lui serra et ils se levèrent.

Il restait encore des points à éclaircir. Il restait à rencontrer Mademoiselle Duncan, puis monsieur Bale, avant d'accepter ce travail. Et tout ce qu'il impliquerait, en bien ou en mal.

Autrement dit, et malgré son intime conviction, sa décision était loin d'être prise.

...