EDIT :

La publication de Chassé-Croisé est arrêtée. Je ne laisse que le premier chapitre afin de vous donner un avant-goût du roman.

Ce n'était à l'origine pas mon intention, mais après avoir été piratée (c'est une chance d'avoir récupéré mon compte intacte) et découvert que quelqu'un avait publié certaines de mes histoires en se faisant passer pour moi, j'ai décidé de ne plus publier mes histoires en ligne. Je devais à l'origine publier chaque semaine un chapitre corrigé, mais puisque les choses sont ainsi, je ne veux plus prendre le risque de me voir voler mes histoires ou bien de redécouvrir un matin que je ne peux plus accéder à mon compte fictionpress.

Je suis désolée que cela se passe ainsi, et j'espère que vous ne m'en tiendrez pas rigueur.

Chapitre 1

Je ne saurais dire à quel moment j'ai commencé à l'aimer. Lui, Jamie.

Jusque-là, ma préférence était toujours allée aux femmes. J'étais attiré par les deux sexes, mais je ne me suis jamais vraiment intéressé aux hommes. Pourquoi ? La raison est simple. Les femmes m'aiment. Jeunes, mariées, âgées, toutes sont attirées par moi. Pour les hommes, c'est plus délicat. Ma personnalité en rebute pas mal. Ma beauté aussi ils se sentent en concurrence, et si mon charisme ne les intimide pas, ils ont souvent dans l'idée de me soumettre. Sauf que mon cul est hors d'accès. Je ne supporte pas l'idée d'être soumis à qui que ce soit. Plus maintenant. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais dépassé le stade du flirte avec eux. Dès que l'on dépassait le stade des caresses, ils se mettaient dans l'idée de me faire goûter aux joies de la sodomie. Non merci.

D'accord, je comprends que mon teint parfait, mes yeux lagon, mon magnifique visage et mes cheveux dorés en fassent rêver plus d'un, mais ce n'est pas parce que j'ai un visage fin que j'aime me faire prendre. Bonjour les stéréotypes.

Bon, je mens. Je ne suis pas entièrement contre cette idée. Mais il n'y a qu'une personne que je pense digne de moi, et donc qui pourrait me posséder corps et âme. Et cette personne, c'est Jamie. Ce n'est pas tellement que je consentirais à le faire, car pour être honnête, l'idée me tient éveillé presque toutes les nuits. Mais ce n'est pas pareil. Il est différent, notre relation est différente, alors il est normal que je veuille faire avec lui ce que je ne ferais pas avec d'autres.

Il est tellement sage, réfléchi, et presque froid que l'idée de voir son visage rougir de plaisir alors qu'il essayerait de me faire prendre mon pied m'excite au plus haut point. De toute façon, ce qui s'applique aux autres ne s'applique pas à lui.

Je me souviens de la première fois où je l'ai vu. C'était il y a environ cinq ans. J'ai tout de suite vu qu'il était différent. Je n'ai jamais aimé les gosses, et pourtant lui a tout de suite attiré mon attention. Il était adorable, presque plus mature que moi, et si cela me rendait perplexe, cela m'amusait avant tout. Nous avons gardé la même proximité qu'alors. Contrairement à son frère, qui ne m'adresse presque plus la parole, dorénavant. Difficile à imaginer que nous avons un jour été meilleurs amis.

Et cette animosité est bien entendue due – bien que pas entièrement – à mes sentiments pour son frère, qu'il n'a pas eu de mal à deviner. Cela fait un peu moins d'un an que mes sentiments pour Jamie se sont transformés. J'ai d'abord eu du mal à me l'avouer. Il était bien trop jeune. Il l'est toujours, d'ailleurs. Il a tout juste dix-sept ans. Et pour ne rien arranger, c'est le frère de mon ancien meilleur ami, j'ai nommé Zac. Probablement l'homme le plus droit et coincé que ce monde ait créé. Et il est bien entendu légèrement homophobe sur les bords, ce ne serait pas drôle autrement. Il prend son rôle de grand frère protecteur ainsi que de rabat-joie très à cœur, je dois dire. Il s'acharne à nous séparer sans jamais se lasser.

Peine perdue, je suis aussi têtu que lui et en plus de cela, amoureux. Je le laisse faire un jour viendra où il ne pourra plus rien faire pour nous séparer. Dans un an, Jamie aura dix-huit ans… Il ne me reste plus qu'un an à patienter. Un an ou plutôt trois cent soixante-cinq jours… Ça me déprime rien qu'à y penser. Je ne tiendrais jamais un an de plus.

Je soupire longuement. Les tics tacs du métronome m'agacent. Je l'éteins un peu trop brusquement. Je passe mes doigts sur les touches immaculées du piano à queue et me relève du tabouret en cuir. Je ne suis pas assez concentré, je joue n'importe comment, ce qui ne fait qu'empirer mon humeur. Je suis à bout. Je suis frustré sentimentalement, et sexuellement. J'ai déjà passé un an sans sexe. Un an à soupirer devant Jamie sans que celui-ci ne semble remarquer quoi que ce soit. Et Zac s'assure que je ne sois pas trop explicite dans mes gestes ou dans mes paroles.

Des fois, je me demande pourquoi je persiste dans cette voie, à aimer un garçon qui ne voudra jamais de moi. Alors je me dis que je suis trop bien pour lui, que je ne l'aime pas vraiment, que je me fais des films. Mais je sais que c'est faux, que ce ne sont que des paroles censées me réconforter. La vérité, c'est que Jamie est fait pour moi. D'aucuns diraient que nous sommes opposés je préfère me dire que nous sommes complémentaires.

Jamie n'est ni bavard, ni très chaleureux. En fait, c'est un garçon calme, raisonnable et solitaire. Ses cheveux de jais et son regard profond lapis-lazuli lui donnent des airs impénétrables. Le beau brun ténébreux dans toute sa splendeur. Mais ses vêtements troués, son éternel pull à capuche et ses cinq piercings en acier à chaque oreille lui donnent un air rebelle alors qu'il ne l'est pas. Sauf que ce savant mélange est la recette parfaite pour capter l'attention des filles… À mon grand damne. Il est invité presque tous les week-ends à des fêtes, mais il ne s'y rend jamais. C'est ma seule consolation. Car Jamie est hétéro. Il n'est jamais sorti avec un homme, et ne leur porte en réalité aucun intérêt. Il ne parle pas plus de filles, mais l'an dernier, je l'ai vu sortir avec trois filles. Des petites connes superficielles, qui ne lui arrivaient pas à la cheville.

J'avais du mal à agir normalement en sa présence, j'étais rongé par la jalousie. Il suffisait de sentir l'odeur du parfum de sa copine sur lui pour que j'entre dans une colère noire, sans qu'il n'y comprenne rien. Et le bouquet final fut sa dernière copine : une gourde qui n'avait rien dans le cerveau, mais tout dans le décolleté. Et comment rivaliser contre ça ? Des seins, je n'en aurai jamais. Je n'ai rien dit, je l'ai simplement regardée, puis je suis sorti. Je n'avais même pas la tête à faire la fête je me suis contenté de me soûler pitoyablement. Et j'étais tellement éméché que je me suis ensuite rendu chez lui – heureusement d'ailleurs que Zac était parti en classe de neige. J'ai hurlé à sa fenêtre deux bonnes minutes avant qu'il ne se décide à m'ouvrir. Après ça, c'est le trou noir. Tout ce que je sais, c'est que le lendemain matin, il était à nouveau célibataire.

Je n'ai même pas eu honte de mon comportement. J'étais bien trop heureux de savoir que plus jamais cette grognasse ne toucherait à mon Jamie. En fait, je trouvais cela presque normal, qu'il ait fait cela pour moi – c'est mon psy qui prétendait que je ne suis pas le centre du monde et qui m'a fait m'interroger sur les raisons qui l'ont amené à la quitter. Il disait aussi que je devrais passer à autre chose et que je lui pourrissais la vie. J'ai donc tout naturellement changé de psy.

Des fois, je me dis que Jamie partage mes sentiments. Mais je ne suis pas assez fou pour prendre le risque de briser notre relation en lui faisant du rentre-dedans. Après tout, qui quitterait sa copine pour faire plaisir à un autre homme ? Le lendemain matin, au réveil, j'étais accroché comme un panda à son haut de pyjama, et il me fixait, songeur. Mon cœur manqua un battement, et je me collai un peu plus à lui. Il n'a d'abord rien dit et il est resté à me regarder, tandis que je tentais de me rappeler ce que je lui avais dit, en vain.

Depuis cet incident, je ne l'ai plus jamais revu en compagnie d'une fille. On n'en a jamais reparlé, comme si le sujet était tabou. Est-ce par égard pour moi qu'il ne m'en parle pas ? Veut-il préserver mon égo ? Ou bien n'y a-t-il rien à raconter ? Peut-être qu'il m'a simplement dévoilé qu'il voulait rompre avec elle car elle était pitoyable au lit, et que je me prends la tête pour rien. Peut-être n'étais-je qu'une raison de plus pour qu'il le fasse. Mais je ne peux m'empêcher de me faire des films. Je n'y peux rien je suis amoureux. Celui qui a dit que l'amour rendait con était un génie.

Je mène une double vie. Le jour, je traîne dans les pattes de Jamie comme un minable petit chien en manque de caresse. Le soir, je bois et je fais la fête jusqu'à en oublier mon nom. En fait, ce n'est pas tout à fait exact : le jour, je paresse jusqu'à ce que Jamie finisse ses cours et que l'on puisse se voir. Je n'ai rien à faire de ma vie, et maintenant, même m'amuser m'ennuie.

Le week-end, on regarde des films, on mange, on rigole. Ce sont des plaisirs simples qui me sont devenus plus précieux que tout ce que je possède. Peut-être parce que j'aime Jamie, ou peut-être parce qu'avec lui, je me sens vivant, tout simplement.

Et des fois, on va chez moi. On est voisins depuis presque une éternité. Enfin, voisins… Ma demeure se situe à quelques centaines de mètres de chez eux, même si pour y accéder en voiture, il faut parcourir une plus longue distance. Jamie et Zac coupent par derrière, par le jardin, laissé à l'état sauvage à cet endroit. Le chemin de terre qui mène chez moi se situe de l'autre côté. En fait, si on résume bien, ma maison est perdue dans la végétation.

J'ai hérité de cette maison lorsque mes parents sont partis s'installer en Amérique, il y a quelques années. C'est là où j'ai vécu étant enfant. Au début, ils voulaient m'acheter un petit appartement en ville, mais je n'ai jamais été un homme qui aime voir ses habitudes changer. Ce n'est pas comme si j'étais attaché au lieu – j'y ai vécu très peu de bons moments –, mais je venais d'entrer à l'université et c'est là où j'ai connu Zac, mon premier véritable ami. Je n'avais jamais fait attention à lui jusque-là, et apprendre que nous étions presque voisins m'avait convaincu de ne pas déménager. Ainsi, nous pourrions nous voir quand cela nous chantait. Je me rends maintenant compte combien cette idée était idiote et immature on ne construit pas sa vie selon ses amis. Et même si je ne le regrette pas, cela me fait doucement rire de me dire qu'une décision aussi importante a été prise en fonction d'une personne qui fait de ma vie un enfer. Notre amitié fut très courte, et même si j'appréciais sa compagnie, ses remontrances incessantes quant à ma manière de parler, de vivre, de penser, me pesait.

A quoi bon me reprocher mon train de vie ? J'ai de l'argent, n'est-il pas normal d'en profiter ? Comme pour les études à quoi bon étudier, m'ennuyer à apprendre des choses sans intérêt ? Ce n'est pas comme si j'étais à la recherche d'un emploi bien rémunéré. J'ai déjà mon avenir d'assuré. Je mène ma vie comme je l'entends, sans me préoccuper de quoi que ce soit. Mais je travaille quand même certains soirs dans un piano-bar, pour me changer les idées. Lorsque même faire la fête commence à m'ennuyer, c'est mon bol d'air frais. Quand je joue de la musique, alors plus rien d'autre ne compte. Je n'ai plus ces pensées négatives qui envahissent mon esprit jusqu'à me rendre fou. Il n'y a plus que la musique et moi. Elle me permet de survivre.

Je jette un coup d'œil par la fenêtre, et vois deux personnes quitter l'ancien hangar où j'ai fait installer un jacuzzi. Chaque pas qu'ils font laisse une trace d'eau derrière eux. Ils n'ont pas pris la peine de remettre leurs chaussures et leurs vêtements sont trempés. Peut-être se sont-ils baignés habiller. Je me demande la sensation que cela fait, de se baigner avec les vêtements qui collent à la peau… Il faudrait que j'essaye, un jour.

Pied nu, j'ôte mon jean tout en continuant à marcher, rapidement suivi de ma chemise et de mon débardeur blanc. En caleçon, je sors et me fais surprendre par le temps frais pour un mois de juin. Je fais mécaniquement parcourir mes doigts sur mon pendentif, une croix en or. Non pas que je sois croyant mon grand-père maternel me l'a offert sur son lit de mort. C'était un homme bon, et je crois que c'est la seule chose de valeur qu'il possédait. Ma mère et lui ne s'entendaient pas, et il fallut qu'il soit mourant pour qu'elle m'autorise à le revoir.

Il a vécu toute sa vie dans la précarité, et ses origines de basse extraction faisaient honte à ma mère. Elle ne lui a jamais pardonné ce train de vie qu'elle exécrait. Petite, elle rêvait de se marier à un homme riche. Comme quoi, parfois nos rêves se réalisent… même quand on ne le mérite pas.

J'aime parfois porter cette croix en souvenir de la personne qu'il était et de l'amour qu'il me portait. Mes seuls bons souvenirs d'enfance, je les ai en sa compagnie, dans sa petite maison perdue dans la campagne auvergnate. Quand je l'ai retrouvé, c'était pour le reperdre quelques jours plus tard. C'était il y a six ans. Sans doute le pire jour de ma vie. J'y pense encore chaque soir avant de me coucher.

Je cligne des yeux et secoue la tête. Ce n'est pas le moment de penser à ça. Ce n'est jamais le moment. Je plonge mon bassin dans l'eau chaude. C'est pour ça que je n'aime pas être seul et qu'il y a toujours quelqu'un chez moi. Je m'occupe l'esprit afin d'éviter de trop penser.

Je lance un coup d'œil torve aux deux filles que je ne pense pas connaître. Elles sont trop occupées à se caresser sur le canapé poussiéreux qui fait face au jacuzzi pour faire cas de ma présence. Je sursaute en voyant une masse sous elles bouger. Ah, il semblerait qu'elles ne soient pas que deux, apparemment. Ou alors elles sont trop bourrées pour remarquer cet homme qui se joint à leurs ébats. Qui sait.

Je fronce les sourcils en entendant les gémissements exagérés de l'une des filles quand l'homme la pénètre. Il faudra que je fasse laver ce fauteuil. Ou mieux, que je m'en débarrasse.

Je plonge la tête sous l'eau pour ne plus avoir à les entendre ou à les voir. D'accord, cette vie ne me rend pas heureux. Mais à défaut de mieux, elle ne me rend pas non plus malheureux et au moins, elle me distrait.

J'ai commencé toutes ces fêtes à mon entrée à l'université. Cinq ans plus tard, j'ai arrêté les études et continué les soirées. Mais depuis six mois, j'ai intensifié mon rythme de sorties. Mon psychiatre m'avait dit de trouver des centres d'intérêt autre que Jamie. Il parait que mon obsession est malsaine. Résultat : je suis toujours obsédé par Jamie, et j'ai arrêté de voir mon psy. C'était un con. Il doit toujours l'être, d'ailleurs.

J'évite tout de même de trop faire la fête et donc de boire en journée. Pas le choix si je veux pouvoir voir Jamie en fin de journée Zac ne m'ouvrirait pas la porte si je sentais l'alcool. Il dit que je suis un mauvais exemple pour son frère. Il n'a sûrement pas tort, mais Jamie est trop intelligent pour se laisser influencer par quiconque.

Je finis par sortir la tête de l'eau et sursaute en entendant une voix familière s'adresser à moi.

— Ah, Seth ! On peut venir ?

C'est Xavier, un métisse aux yeux verts. On s'est connu à une fête il y a quelques années. Il vient d'une famille aristocratique et vit de ses rentes, un peu comme moi. Je ne le vois que rarement, car son garde du corps le surveille de très près. Son frère a créé une chaîne d'hôtel de luxe il y a une vingtaine d'années, et ils aimeraient qu'il dirige celui de Shanghai. Autant dire que l'idée ne lui plait pas plus que ça. Pour l'instant, il préfère enchaîner les conquêtes.

Et en cet instant, il se tient face à moi, torse nu, entouré de deux minettes aux seins suspicieusement fermes et qui sont visiblement contre l'utilisation du soutien-gorge. Elles se trémoussent dans leur string, frottant leurs seins au torse musclé de mon ami. Je vois du coin de l'œil le couple disparaître, probablement dérangé par l'afflux de monde. J'espère qu'ils ne vont pas aller baiser sur mon lit.

Je fais signe à Xavier et aux deux filles de s'installer à l'autre bout du jacuzzi – heureusement que je n'ai pas pris le petit format, je mourrais plutôt que de les voir se peloter de trop près.

— C'est bon, allez-y. Mais hors de question de baiser dedans.

— Oh, ne fais pas le rabat-joie. Envoie-toi en l'air, ça te détendra. Je peux t'en prêter une, si tu veux.

Je fusille la brune qui a relevé la tête à ces mots, et qui détourne aussitôt le regard.

— Va te faire foutre, Xavier. Si tu veux baiser, tu sors. Point.

— Ouais, c'est bon…

Ils se relèvent de l'eau et sortent aussi rapidement qu'ils sont entrés. Je vois le regard de la brune s'attarder sur moi avec regret. Elles me donnent la nausée. Xavier n'est pas laid, mais il est plutôt ordinaire. C'est pour ça qu'il ne passe jamais plus qu'une soirée avec elles. Dès qu'elles pensent avoir mis le grappin sur lui, elles commencent à se montrer capricieuses et lui demandent de lui acheter des objets de luxe. Xavier sait qu'elles l'abordent pour son argent, mais il a pris le parti d'en profiter. Tant qu'il prend son pied, alors ça lui va.

Je mets les bulles au maximum et je peux enfin me détendre. J'aime être entouré de gens, pas qu'ils me fassent chier. Je laisse mes pensées vagabonder jusqu'à Jamie et la façon dont je me reflète dans son regard bleuté. Quand il me fixe sans ciller, sans me juger, je me sens envahi d'un sentiment de plénitude.

La seule chose qui m'agace chez lui, c'est que je n'arrive jamais à savoir à quoi il pense. Il ne se plaint jamais, ne parle jamais pour ne rien dire, est très studieux dans ses études et ne sort presque jamais… Il est en quelque sorte mon opposé.

Zac, lui, est entre les deux. Un homme comme tant d'autres. Châtain aux yeux marrons, la peau pâle et le visage couvert de taches de rousseurs, il ne se départit jamais de son habituelle chemise et de son pantalon en lin. Il est élégant, sans trop l'être. C'est un adulte responsable et un travailleur honnête.

Après la mort de leur grand-mère, Zac a demandé sa garde. Leurs parents sont morts dans un accident de voiture alors que Jamie n'était encore qu'un nourrisson, et personne n'aurait voulu s'occuper d'un jeune adolescent dont les parents venaient de mourir. Zac s'occupe de lui comme son fils et je crois que lui-même oublie parfois qu'il ne l'est pas.

Ils ne sont pas très expansifs, et quand je ne suis pas là pour l'animer, il y règne un silence de mort. J'ai déjà essayé de ne pas parler pendant dix minutes. Je ne me suis jamais autant fait chier.

Heureusement, j'y suis souvent. L'après-midi après les cours, ainsi qu'après presque chaque soirée. Dans ces cas-là, je dors presque tout le temps avec Jamie.

Ça a commencé alors qu'il avait quinze ans. Je revenais bourré chez eux, et comme Zac ne voulait pas que je rentre chez lui dans cet état, Jamie laissait la fenêtre de sa chambre – heureusement située au rez-de-chaussée – ouverte.

Zac l'ignore, et c'est très bien ainsi. Il peut se montrer très effrayant quand il s'énerve. Il est très têtu, et quand il décide de quelque chose, rien ne peut lui faire changer d'avis.

C'est pourquoi il évite de trop boire il a l'alcool mauvais, et Nadège, sa fiancée, a eu des problèmes d'addiction après la perte de son travail. En fait, on s'est rencontrés dans la salle d'attente de mon ancien psy. C'est moi qui l'ai présentée à Zac.

Je ne le lui rappelle jamais, je garde cet argument pour les cas d'urgence. Non pas que ça le retiendrait de me tuer si je sautais sur son frère, mais ça peut toujours me faire gagner du temps pour m'échapper.

Je sors finalement du jacuzzi après un petit moment de détente. J'attrape une serviette propre qui traîne dans l'armoire en merisier et m'essuie rapidement. Il faut que je voie Jamie. Je ne l'ai pas vu hier car il devait réviser, et il me manque déjà.

Je retourne dans ma chambre et enfile un jean et une chemise blanche qui fait ressortir mon teint naturellement hâlé. Je chausse mes Derbys et je suis prêt à sortir. Je m'assure de mettre tout le monde dehors, car je ne sais jamais quand je rentrerai.

Je fais craquer les os de mes mains et sors mon téléphone. Je remarque que j'ai reçu un message d'une fille dont le nom m'est inconnu. Je supprime le message sans en lire le contenu. Je sais déjà ce qu'elle veut, et je ne peux le lui donner.

J'arrive rapidement devant chez Zac et Jamie et flâne devant le jardin parfaitement taillé, l'esprit ailleurs.

— Tu es déjà là ?

La voix de Zac me sort de mes pensées, et je me retourne vers lui, surpris. Je lance un regard à ma montre qui indique cinq heures et quart. Effectivement… Son regard se fait désapprobateur lorsqu'il aperçoit mon sourire désinvolte. Oui, bon, quoi ? Que devrais-je faire ? M'excuser ? C'est bon, je suis juste arrivé plus tôt que prévu, ce n'est pas non plus comme si j'avais tué quelqu'un.

Zac m'ouvre à contrecœur la porte de sa maisonnette, et je me dirige directement vers le placard du salon. J'ai faim. Je prends un paquet de cookies et le rejoins à la table. Il s'y assoit et sort ses copies de son sac. C'est un accro au travail.

Enseignant en primaire, il parait que les enfants l'adorent. J'ai du mal à le concevoir. Il me paraît bien trop strict pour cela. Après tout, il passe son temps à me faire la morale, et j'ai vingt-trois ans. Alors un enfant de six ans ? Je préfère ne pas y penser.

— Tu travailles à peine revenu chez toi ?

Je m'assieds à califourchon sur la chaise, la joue posée contre le montant de la chaise. Le tranchant du dossier me rentre dans la joue, mais peu importe.

— Ça ne se fera pas tout seul, et…

La porte claque. Zac ne prend même pas la peine de continuer sa phrase et reprend son travail. Jamie va ranger son sac à dos dans sa chambre avant de revenir et de prendre un gâteau de mon paquet. Il s'assoit à ma gauche et pose ses cahiers de cours sur la table.

— Tu pues la clope, me dit-il sans un regard. Tu t'es mis à fumer ?

Je lève les mains et prends mon air le plus innocent.

— Ce n'est pas moi, c'est quelqu'un qui a fumé à côté de moi.

Ou pas.

— Mais oui, et tu as refusé quand elle t'a proposé une cigarette, bien entendu.

— Bien entendu.

Il lève les yeux au ciel, sachant pertinemment qu'il m'arrive de fumer, à l'occasion. Il doit avoir peur que je me prenne au jeu et ne sache plus m'arrêter.

Je pose tout de même ma tête sur son épaule. Si l'odeur l'incommode, il n'en dit rien. Pour ma part, j'aime son odeur corporelle. Elle m'apaise.

Zac se racle la gorge. J'en devine la raison il ne supporte pas que je le touche. Il n'insiste pas, mais je sais qu'il se retient de nous séparer. Mais si je rapproche trop mon visage de son cou, il nous séparera. Je commence à connaître ses limites.

— Tu as beaucoup de devoirs ? chuchoté-je à Jamie.

Je rouvre les yeux que je ne me rappelle pas avoir fermés, et examine son visage impassible. Son regard à toujours le même effet hypnotisant sur moi.

— Juste un, répond-il à voix égale. Je te conseille d'aller regarder la télévision. Zac te fixe depuis plus de cinq minutes.

Je me tourne vers le frère aîné et constate qu'il dit vrai. Il n'a pas l'air franchement ravi. Tant pis, je commence à m'y faire.

— Je…

— Vas-y.

Il décale sa tête afin que je ne puisse plus trouver appuie sur lui. Zac fait chier. Même ça, c'est trop pour lui ?

Je me lève brusquement, furieux d'être ainsi chassé. Je me dirige vers la salle de jeu et m'affale sur le BZ. J'allume la télévision, à contrecœur. Je n'ai aucune envie de la regarder, mais si je me plains, Zac me dira de rentrer chez moi. Je m'allonge de tout mon long et mets le son fort à fond afin de les emmerder. Ça leur apprendra.

Une demie heure plus tard, Jamie me rejoint enfin. Il referme la porte derrière lui, me relève la tête et après s'être installé, la repose sur ses genoux. La télévision perd tout l'attrait qu'elle pouvait avoir – et elle n'en avait pas beaucoup.

Il passe sa main entre mes cheveux, mais pris d'une impulsion, je la lui attrape et l'embrasse.

Okay, je ne devrais pas le faire, mais…

Il se laisse faire et reprends sa caresse de l'autre main, par perturbé le moins du monde. Je me force à ne pas regarder son visage. Je meurs d'envie de l'embrasser. Le besoin de sentir ses lèvres contre les miennes se fait de plus en plus pressant. J'arrive encore à me contrôler… Mais pour encore combien de temps ? Pas un an. C'est beaucoup trop long. Pourtant, son âge pose problème. Qui sait ce dont Zac serait capable ? Je préférerais éviter tout problème avec la police.

La porte s'entrouvre dans un crissement à peine remarquable. Encore Zac qui vient nous surveiller. À se demander pour qui il me prend. Il pense peut-être que je vais violer son frère avec lui à côté ? Qu'il m'accorde un minimum de bon sens !

— Jamie, arrête de le couver ainsi, ce n'est pas ton rôle !

— Ça ne me dérange pas, je le fais parce que j'en ai envie.

Voilà qui est bien lancé.

— Mais…

Jamie se retourne vers lui. Il a arrêté de passer ses mains dans mes cheveux. Il est agacé, je le sens.

— Tu es ridicule à nous surveiller comme ça. On regarde tranquillement la télévision, tu peux me dire où est le problème ?

Silence. Je me sens mal à l'aise. Je n'aimerais pas que Zac lui réponde ce que nous pensons tous : qu'il n'y a rien de normal à ce que deux hommes de nos âges soient aussi proche.

— Laisse tomber, finit par grommeler Zac.

Il sort et je me recale sur les genoux de Jamie. Pour la peine, l'envie de l'embrasser m'est passée. Peut-être que c'est le but de Zac : refroidir mes ardeurs. Si c'est le cas, il a réussi.

J'ai sûrement un ou deux défauts – et encore –, mais l'exhibitionnisme n'en fait pas partie. Des effluves de café me parviennent. Zac n'a pas fermé la porte. J'aurais dû m'en douter.

Jamie suit mon regard et me repousse. Il ne va pas oser… Si, il referme la porte et un « Jamie ! » mécontent nous parvient de l'autre côté. Le soupir que pousse Jamie me fait sourire. Je suis content de constater que je ne suis pas le seul à être agacé par le comportement abusif de Zac.

Il baisse le regard vers moi et dégage une mèche qui s'était logée entre mes lèvres. Heureusement que je ne suis pas le genre de personne à rougir pour si peu.

— Tu as fait la fête toute la journée.

Pas de doute, cette phrase sonne comme un reproche. Et pas la peine de mentir avec lui, il s'en rendrait aussitôt compte.

— Peut-être…

— Il n'y a pas de peut-être. Tu ne pourrais pas plutôt chercher un boulot, pour changer ? Donner des cours de piano, par exemple.

— Donner des cours à un mioche qui n'écoute rien, passe son temps à me contredire et braille toute la journée ? Non merci, je n'en vois pas l'utilité.

— Tu n'en vois pas l'utilité ? Et te sentir utile, alors ? Faire quelque chose de tes journées, ça ne te dit rien ?

J'éclate de rire et lui baise la joue. C'est un marrant, lui.

Il fronce les sourcils, l'air contrarié. Hum, quel rabat-joie.

— M'amuser est tout ce qui m'importe.

— Tu parles. Tu t'emmerdes toute la journée.

— C'est faux, je ne m'emmerde pas, j'attends la fin de la journée.

— Ah oui, c'est très différent, ironise-t-il.

— Oui.

— Si tu le dis.

Il détourne la tête vers la télévision avec un soupir que je devine agacé. Il le fait exprès. Il sait que je ne supporte pas qu'il me boude.

Je mets ma tête en travers de son champ de vision. Comme ça, il ne peut plus m'éviter.

— T'es chiant, Seth.

— Toi aussi. Alors ne fais pas la tête.

Ses yeux rencontrent les miens quelques secondes avant qu'il ne me repousse le visage de la paume de la main.

— Arrête d'autant faire la fête, et j'y penserai.

— Mais je n'aime pas passer mes soirées seul !

— Au moins, ne va pas en boîte de nuit ce soir et reste ici.

Il est malade ? S'il veut que je le viole, qu'il me le dise tout de suite ! Et puis, j'ai besoin de mon quota de regards admiratifs. J'aime sentir leurs regards admiratifs caresser mon corps avec envie. Parce que côté admiration, on peut repasser, avec Jamie. Des fois, je me demande s'il sait à quoi je ressemble.

— Tu sais que ce n'est pas possible.

— Rien n'est impossible, tout est question de volonté. Tu devrais y aller, maintenant. Va te préparer pour ta fête.

— Mais…

— Je ne suis pas d'humeur à discuter.

Son ton est sans appel.

J'ai un pincement au cœur. Ou plutôt, je sens mon cœur se briser un peu plus. Lors de ces disputes, le fossé qui nous sépare m'apparaît béant. Et cette constatation me fait l'effet d'une gifle. Plus douloureuse à chaque fois. J'aimerais l'oublier, éviter d'y penser. Mais c'est impossible.

Je m'en vais sans un mot pour lui ou pour Zac.

Je n'ai qu'une envie : rentrer chez moi et ne plus en sortir. L'intérieur de ma maison pue la clope froide et la transpiration. J'attrape une bouteille de vodka laissée à moitié vide sur la table basse du salon et vais me réfugier dans le bordel qui me fait office de chambre.

Je m'assieds dans un coin de la pièce, et avale une grande goulée d'alcool. Je bois pour oublier que je n'ai aucune chance avec Jamie. Je bois pour oublier ces parents qui ont abandonné leur bon à rien de fils dans une maison qu'il ne peut considérer comme sienne. Je bois pour oublier cette impression d'avoir raté ma vie et effacer cette idée que si je venais à disparaître, il n'y aurait personne pour me pleurer. Pas étonnant, je ne me pleurerais pas moi-même.