Bonjour à tous et enchantée à celles et ceux qui ne m'ont encore jamais lus !
Une partie de l'intrigue m'est venue en rêve durant les vacances d'été, j'ai consolidé le tout il y a peu en espérant que mon histoire vous plaira autant que la satisfaction que j'éprouve à faire évoluer mes personnages.
Note (importante) : Je ne sais pas encore précisément le nombre de chapitres qu'aura cette histoire, mais elle ne dépassera certainement pas la vingtaine, voire même la dixaine. L'histoire sera parfois discontinue, ne pas lire le chapitre suivant pendant deux ou trois semaines ne chamboullera probablement pas votre lecture.
Note 2 (très importante) : le bar Yggdrasil se trouvera être l'endroit clef de plusieurs histoires différentes. Je préciserais en début de chaque chapitre le couple qui sera représenté, de cette manière : "machin X truc". Mais ne vous inquiétez pas il n'y aura au grand maximum que cinq couples, revenant au fur et à mesure des chapitres, même brièvement sités.
/!\ le premier nom écrit dans la tournure "machin X truc" est celui qui aura le droit à sa focalisation interne dans le chapitre !
Note 3 (pas importante xD) : "l'Yggdrasil" se trouve être, dans la mythologie nordique/scandinave, l'Arbre-Monde fondateur de l'univers. N'hésitez pas à vous renseigner un peu plus à ce sujet mais sans passer par wiki qui ne semble pas assez complet et compréhensible à mon goût ^^
YGGDRASIL - Chapitre 1
Paul X Rubens
L'Yggdrasil se trouvait être le bar le plus proche de mon lieu de travail comme le plus éloigné de cet appartement que je partageais avec elle depuis bientôt deux années. M'y arrêter me permettait chaque soir de m'évader, de repousser l'instant où je devrais rentrer chez nous, l'instant où je devrais arborer à nouveau le masque de l'amour, de la tendresse, de la passion finalement éteinte.
Les lampions de couleurs vives qui contrastaient avec le noir des murs faisaient irrémédiablement obliquer le regard jusqu'au gigantesque Arbre-Monde qui avait été peint à l'huile quelques mois auparavant par le barman – et propriétaire – lui-même, sur l'une des sombres façades. Dès la première fois où j'y avais mis les pieds, j'avais senti que cet univers décalé allait être parfait pour y passer mes soirées, qu'ici je pourrais me perdre en un autre monde, qu'ici personne ne me connaîtrait, ni ne la connaîtrait elle.
Cependant, mes fréquentes allées et venues ne passèrent pas inaperçues bien longtemps aux yeux des autres habitués, et je me mis bientôt à discuter avec quelques philosophes de la nuit au regard vaporeux. Le barman lui-même en vint à m'offrir quelques liqueurs pour la régularité de mes consommations.
L'âge de celui-ci ne devait certainement pas dépasser la trentaine, à moins que ce ne fut ses longs cheveux châtains clairs – ayant quelques soirs des reflets blonds – qui le rajeunissaient. L'ovale de son visage me semblait exquis, tout droit sorti de ces magasines de modes qui glorifiaient la Beauté avant toute autre promesse. Son nez aquilin, ses lèvres pulpeuses l'aurait rendu presque efféminé si je ne m'étais pas attardé sur sa carrure comme sur ces muscles proéminents qui marquaient les manches de sa chemise vert pomme, et le fait qu'il devait bien faire une voire deux têtes de plus que mon mètre soixante-dix. Ce qui me fascinait sans que je n'osais en parler était cette boucle d'oreille qui semblait lui chatouiller la clavicule lorsqu'il se mouvait. D'un vert identique à sa chemise, elle se fondait dans ses cheveux, disparaissait parfois, telle une Fée Verte qui planait autour du comptoir, qui hantait constamment les lieux.
Je ne lui avais jamais demandé son nom malgré le fait qu'il m'interpellait chaque soir par le mien. Il me demandait comment s'était passé ma journée et d'autres banalités d'usage qu'il réservait à chacun de ses clients de comptoirs. Néanmoins, je m'étais aperçu qu'il n'attendait que l'instant où l'alcool commençait à m'enivrer pour ne discuter plus qu'avec moi, seulement avec moi. Mes sens plus ouverts, plus faussés également me faisaient redécouvrir le sourire qu'il n'offrait qu'à moi. La lueur qui dansait constamment dans ses yeux annihilait mes restes de lucidité, je me libérais enfin et lui avouait tout ce qui faisait de moi cet être que je haïssais.
— Pourquoi ne te débarrasses-tu simplement pas d'elle ? m'intima-t-il, son regard plongé gravement dans le mien. Elle te trompe bien, non ?
Ma gorge asséchée par la liqueur verte qu'il venait de m'offrir, je lui annonçais, entre deux soupirs de frustration, de quelle façon osait-elle continuellement me rappeler qu'elle seule avait la preuve de ma propre tromperie.
Je n'avais encore jamais été témoin de ses frasques lorsque je me trouvais en déplacement voire au bar. Je sentais quelques fois des eaux de toilettes masculines logées à des endroits inappropriés de son corps comme des parfums de gel douche que nous n'avions encore jamais achetés. Je ne l'avais aussi jamais vu porter les dessous à dentelles comme de soie qu'elle achetait avec mon argent depuis quelques temps déjà, ils étaient néanmoins déjà passés à la machine à laver, plusieurs fois. Mes doutes n'étaient plus à refaire et l'idée de payer un détective privé me répugnait. Ce n'était pas par amour que je tentais d'oublier notre couple mutilé. Continuellement, je me persuadais du fait que si ses embuscades arriveraient aux oreilles de notre entourage comme de nos deux familles, elle n'hésiterait pas une seconde à leur dévoiler les miennes, celles où je ne donnais rendez-vous qu'à des hommes.
— Tout ce que tu aimerais, c'est la quitter, n'est-ce pas ?
— Bien entendu, soufflai-je, mon regard divaguant près du dessin de l'arbre de vie.
Je ne compris pas tout de suite le sens de ce sourire carnassier que son visage venait d'arborer en une fraction de seconde. La lueur dans son regard me semblait plus vive, plus sensuelle encore qu'à l'accoutumée, je regrettai de ne pas être psychologiquement apte à faire des avances à cet homme.
— Paul, tu verras. Bientôt… l'entendis-je me murmurer à l'oreille lorsque son corps se plaqua contre le mien et qu'il m'aida à rejoindre l'un des fauteuils au fond du bar qui se trouvait être beaucoup plus confortable que cette chaise de métal que j'utilisai chaque soir.
~ … ~
Cela allait bien faire une semaine que j'étais parti en voyage d'affaire, laissant derrière moi cette femme exécrable comme mon refuge aux yeux envoûtants qui avait comblé toutes ces nuits où je n'avais pu me rendre à l'Yggdrasil de fantasmes, de rêves psychologiquement éreintants. N'avoir pu en aucun cas me plonger en ce regard appelant à la damnation, je m'étais honteusement retrouvé à me masturber dans ma chambre d'hôtel. L'amer sentiment de honte que j'avais éprouvé après chaque jouissance, chaque instant où l'imagination me portait jusqu'à ses bras, avait semblé hanter le moindre de mes mouvements. Je le sentais tournoyer autour de moi, dériver quelques fois auprès de collègues avec lesquels j'avais fait connaissance afin de leur montrer à quel point j'étais sale. A quel point j'étais perverti…
Ce soir enfin, je le reverrai.
Même si l'idée de le séduire ne m'enchantait pas plus que cela, de peur qu'elle ne détruise une relation dans laquelle je pourrais investir de sincères sentiments, je réfrénai l'élan de passion qui m'emportait généralement lorsque je m'asseyais sur cette chaise de bar, lorsque j'avais enfin une vue complète de cet Adonis meurtrissant jour après jour mon désir.
A l'aube du huitième jour passé à des centaines de kilomètres de cette ville qui l'accueillait lui comme son Yggdrasil, je garais finalement mon véhicule sur le trottoir adjacent au vieil immeuble dans lequel je vivais, avec elle.
Bien entendu, lorsque j'arriverai sur les lieux, je sentirai cette odeur inconnue, cette présence qui aurait dormie dans notre lit avant qu'elle ne change les draps. Car oui, après chaque tromperie, elle avait au moins la jugeote de refaire notre lit comme d'aérer la pièce servant à son mensonge permanent, cette salope.
Passant la clef dans la serrure de la porte d'entrée, j'inspirais, profondément anxieux. Je savais que je n'étais plus à ma place de l'autre côté de cette porte, que ce n'était plus ce qu'il me fallait, que ce quotidien que j'avais un jour aimé était parti en fumé. J'entendis le loquet de la porte s'abaisser puis bientôt le son de l'eau qui coule, tandis que je pénétrai dans l'appartement.
Quel parfum sentirais-je aujourd'hui ? Quelle excuse me donnerait-elle pour m'empêcher de la quitter ? Depuis la dernière fois où elle m'avait fait suivre, je n'avais rencontré plus un seul homme. Allait-elle dorénavant compromettre mes heures de répit à l'Yggdrasil ?
Je délaissai mes affaires de voyages dans le salon, ricanant intérieurement de la scène qu'elle me ferait tout à l'heure pour ne pas avoir convenablement rangé cette pièce qu'elle chérissait tant astiquer. Vu qu'elle n'était pas même capable de garder un boulot – ne serait-ce que de serveuse – plus d'un mois, fallait bien qu'elle serve un minimum à quelque chose…
Bientôt, je jetai veste, cravate et chemise sur le canapé, bien trop épuisé par cette semaine passée loin de mon train-train quotidien. D'ailleurs, la vue du canapé me donnait effroyablement envie de m'y blottir. Cependant, un simple tissus molletonnée ne pourrait venir à bout des courbatures dues à cinq heures d'autoroute, il ne me restait plus qu'à faire le trajet jusqu'à cette chambre qui ne me semblait plus être mienne depuis bien longtemps.
En passant le pas de la porte, désormais en sous-vêtements, je reniflai distraitement dans l'espoir de trouver le nom de l'eau de toilette qui planait. C'était devenu un cruel petit jeu, une petit routine que je ne pouvais avouer à personne de peur de me faire traîter d'idiot. Ma fiancée me trompait, je ne me résignais qu'à réfléchir au nom du parfum de l'homme qui était passé juste avant moi… Pathétique.
Bizarrement, je ne reconnus là ni un Jean-Paul Gautier ni un Diesel, pas même un Hugo Boss. Fantasmais-je tant sur l'odeur qu'arborait ordinairement mon refuge pour ne penser irrémédiablement qu'à lui en cet instant ? De fureur comme de frustration, je soupirais longuement tout en faisant distraitement le tour du lit avant de venir m'y pelotonner.
Alors que le sommeil s'apprêtait à m'emporter, je sentis une main légère glisser de mon torse à mon ventre dénudé, qui s'attarda ensuite quelques instants aux alentours de mon aine sensible. Je ne m'en formalisai tout bonnement pas, pensant qu'elle avait dû sortir de la douche et que, comme à chaque fois qu'elle me trompait, elle essayait à nouveau d'obtenir ces faveurs que je lui refusais depuis maintenant une année.
Cependant, cette main qui me parue tout à coup plus rêche, plus large se fit insistante au niveau de mes cuisses et, alors que j'allais très gentiment l'avertir d'arrêter au plus vite ce qu'elle osait me faire, j'écarquillai les yeux de stupeur : la douche coulait toujours !
Je fus brusquement plaqué contre le lit – mon propre lit ! – alors que mon cri venait d'être étouffé par une seconde main.
— Bonjour, Paul… chuchota-t-il, son sombre et envoûtant regard plongé dans le mien.
Empli d'effroi, je ne compris pas tout de suite que la réalité avait rattrapée ces fantasmes que j'entretenais depuis une semaine, qu'il se trouvait là, dans mon lit, collé tout contre moi.
— Chuuut… Ne te débats pas… m'intima-t-il, avant de s'assurer que je n'élèverai plus la voix. Ta copine croit que j'ai baisé avec elle comme elle croit que tu ne rentres que demain. Profite s'en…
Cramoisi, je sentis plus que je ne vis sa nudité qui venait de frôler ma cuisse. Son souffle chaud contre mon cou me fit frémir alors que de fugaces images de mes nuits solitaires me revenaient en tête par flash, annihilant mes derniers espoirs, ceux de ne rien tenter avec cette bête de charme.
Sa main rejoignit bientôt ma joue avant que ses doigts ne viennent retracer, délicatement, le contour de mes lèvres qu'il s'était évertué, il y a encore peu, à faire taire.
— Paul… souffla-t-il sur elles.
Il se plaça sur moi. Sa peau contre la mienne me rendit fébrile, ce frôlement m'engourdissait, mon désir subissait plus qu'il ne ressentait sa présence. Sa longue chevelure ondulée alla entourer son visage d'un voile blanc alors qu'il se penchait sur moi, ses parties intimes plaquées contre mon ventre. Gêné comme anxieux comme ayant oublié cette présence dans la salle de bain, j'amorçai le geste de le recoiffer à l'instant où la porte s'ouvrit. Instantanément, je le repoussai d'une violence qui me parut plus tard inouïe juste à temps pour que cette salope ne remarque rien.
— PAUL ? s'exclama brusquement celle qui, quelques secondes plus tôt, n'avait eu aucun remord à s'apprêter à sortir de sa salle de bain pour venir rejoindre son amant de la veille.
Je la voyais, les jambes flageolantes, le visage blême m'observait du coin de l'œil. Je n'en avais pourtant rien à faire, qui elle pouvait baiser, qui elle pouvait aimer, cela ne me regardait plus désormais. Cependant, je voyais là une occasion de me débarrasser définitivement de ces menaces qu'elle proférait à longueur de journée, de sa présence qui m'exaspérait. Alors, suivant les conseils de mon barman – dont je regrettais le fait de ne pas avoir eu le temps de frôler ses lèvres – je me relevais précipitamment du lit, la bousculait au passage alors que je me rapprochais à grand pas de notre armoire commune.
J'arrachai plus que je ne pris le sac de voyage qui y était soigneusement rangé depuis nos dernières vacances en couple, m'évertuait bientôt à y rouler en boule toute sorte de vêtements aux coupes trop particulières à mon goût. Lorsque j'arrivai à la limite du sac, sous les yeux ébahis de leur propriétaire, j'élevai frénétiquement la voix :
— Putain, pas croyable ! Bonne qu'à baiser et acheter des fringues ! Être remplie ça tu peux, mais remplir un sac de tes affaires, faut compter sur personne ! Prends tes fringues et barre-toi !
A cet instant, il ne savait plus vraiment s'il mimait la colère où si, véritablement, ces profondes émotions qu'il avait enfoui depuis une année venaient subitement de refaire surface. Il se vidait, se libérait.
— Nan… attends, Paul… me suppliait-elle inutilement, accrochée à celle de mes mains qui tenait son sac. Je t'en supplie, calme-toi… Je.. je voulais pas… Il m'a fait boire un truc bizarre ! Je n'étais pas consentante !
Le coup vola avant que je ne comprenne ce qu'il m'était venu à l'esprit. Néanmoins, cette salope osait clamer le viol pour une simple histoire de coucherie, je ne pouvais me permettre de la laisser divaguer, de rentrer dans son jeu. Mon barman ne pouvait tout bonnement pas profiter d'une telle femme. Malgré sa beauté, je savais au plus profond de moi que l'Yggdrasil m'attendait, qu'il n'attendait rien que moi pour égayer ses soirées.
— Salaud ! Je vais porter plainte contre toi !
— Ne te gêne pas ! Explique-leur bien pourquoi, surtout ! A moins de te rire au nez, ils pourront toujours te baiser !
Le sang afflua brusquement dans la pâleur d'il y a peu de son visage décomposé par la colère comme par la frustration de s'être faite avoir.
— Saloperie de pédale ! T'es qu'une merde imbaisable ! renchérit-elle néanmoins, bien trop fière pour ne serait-ce que céder malgré la situation dans laquelle elle se trouvait. Repose ce sac tout de suite, c'est toi qui te barre !
Incrédule, j'osai un regard vers mon barman qui, tout innocemment, le sourire au coin des lèvres, savourait notre conflit.
— Eh, pétasse, renchérit-il tout à coup d'un timbre étonnamment glacial pour l'expression qu'arborait son visage. Tu vois ton mec, je l'ai baisé avant toi. Ca fait quoi de se faire mettre par deux pédales ?
Elle perdit à nouveau de ses couleurs car, en plus de cela, j'avais trouvé un moyen bien plus radical de lui faire comprendre que sa présence en ces lieux n'étaient plus désirée désormais, ne trouvant pas l'utilité de l'entacher de quelques nouvelles et inutiles insultes qu'elle chercherait idiotement à me renvoyer.
Quelques paires de soutiens-gorges volèrent dans la pièce tandis que je me rapprochais à nouveau de la fenêtre.
— Arrête ! NAN ! s'écria-t-elle en se jetant sur moi afin de stopper mon second jet de vêtements comme de quelques autres babioles.
Sous la force du choc de ne deux corps l'un contre l'autre, je relâchai la pression de mes doigts sur ses romans préférés et entendis bientôt un bruit sourd puis quelques bruissements d'herbe. Satisfait par cette cruauté nouvelle que j'arrivais aisément à manier, je lui décochai un de ces angéliques sourires qu'elle n'avait jamais pu supporter. Je lui ris au nez lorsqu'elle me gifla, les lèvres pincées ainsi que les joues recouvertes de sordides larmes de… de… – je ne pouvais aisément pas comprendre ce que cette salope pouvait bien éprouver à cet instant !
Mon barman nous observait très attentivement. Je sentais ce regard permanent sur mon corps, je ressentais son désir comme le voluptueux contact de nos deux corps il y a peu.
Dorénavant piquée à vif, son poing alla s'écraser contre ma joue, l'éraflant au passage. La colère faisait rougir comme se déformer son visage à vue d'œil. Souhaitant abréger, dans un dernier acte de bonté, son tourment face à la position délicate dans laquelle elle se trouvait désormais, tout aimablement, je déclarai :
— Bon, tu te casses maintenant ?
Ce regard, incessant…
J'empoignai, par la même occasion, son frêle poignet et entamai une marche rapide jusqu'à la sortie. Passés dans le séjour, elle comprit enfin où je l'emmenai, se reprit et se dégagea.
— Je ne partirai pas ! Pédale, tout le monde, tout le monde le saura si ce n'est pas toi qui vire ! ! !
Abasourdi par cette vaine tentative de menace, je la dévisageai. Longuement, je détaillai ces fins traits que j'avais pu aimer, ces lèvres en cœur que j'avais adoré embrasser, ces yeux bridés d'où j'avais un jour pu me noyer.
— L'appart' est à mon nom, renchéri-je. Chaque objet de ce lieu m'appartient. Même tes strings, idiote ! Dégage, fini-je, froidement, le regard au loin.
Enfin le cauchemar d'une vie à deux se terminait. Enfin.
Mon barman n'était pas reparu de la chambre.
— Quoi ? ! Tout est à toi ? ! Mais je m'en branle de ta merde ! T'as même pas été capable de me donner ta bite !
Elle reprit son souffle tout en s'approchant de notre plan de travail où était occasionnellement installé une corneille de fruits, une immonde plante verte que mes parents nous avait offert et notre vaisselle propre. Son bras se leva, je ne vis que son sourire, un sourire empreint de triste que je ne lui avais encore jamais vu.
Un éclat, un second. Un son. Une baffe. Des éclats de verre, des éclats de voix. De la faïence à mes pieds. Précipitamment, j'empoignai à nouveau ce corps qui ne m'exprimai plus que dégoût et, encore en serviette de bain, je la jetai à la porte.
Excédé, je soufflai longuement, les yeux fermés sur ce qu'il resterait finalement de nous, que je m'étais évertué à vivre avec elle alors que dans dix ans, plus aucune trace de nos anciens amours ne subsistera. Après avoir finalement découvert le désastre absolu de cette salope sur la faïence que nous utilisions généralement et que je compris qu'il faudrait que j'en rachète au plus tôt, je décidai d'éviter le ménage comme de sortir de l'appartement (Je la connaissais. Si je quittais cet appartement maintenant, je ne pourrais plus jamais y mettre les pieds…) et d'aller m'enfermer aux toilettes, seul lieu sain et non tâché par sa présence, de l'habitation.
J'entendis bientôt mon barman quitter les lieux, ne sortit de la pièce que pour verrouiller la porte dix minutes après son passage.
~ … ~
« Ce soir, Yggdrasil. 23h30.
Un verre attend ta venue. »
Une carte de visite trônait non loin d'une montagne de verres à moitié nettoyée. Je m'étais finalement forcé à passer le balai en fin d'après-midi, à jeter un des nombreux souvenirs qui subsistaient encore dans l'appartement et avais découvert cette carte sur fond noir au motif de l'Arbre-Monde qui avait été signée de quelques arabesques que je lus, pensif, à intelligible voix :
— Rubens…
Ainsi je découvrais le prénom de mon barman.
Quant à l'invitation, j'y réfléchis longuement.
~ … ~
Je me garai dans l'unique aire de stationnement à la périphérie de la ville qui se trouvait être gratuit et entamait une marche lente et pensive jusqu'à ce lieu que je considérais comme mon refuge. Mon corps courbaturé me lançait atrocement depuis que je m'étais évertué, après que Rubens m'est quitté, à recréer mon appartement pour qu'il puisse enfin redevenir mien, à le rendre moins féminin, à jeter toutes les parures de lits que nous avions utilisés ensemble pour ne garder qu'une vieille couverture que ma mère m'avait offerte avait que je ne quitte l'univers familial pour m'installer avec cette salope. J'avais rempli et jeté dans la benne à ordures une bonne vingtaine de sacs et n'avais pas même cherché à trier ce qui lui appartenait et ce que j'avais toujours haï dans ce lieu. Bien entendu, ma courbature comme le numéro d'un serrurier que j'avais écris sur le frigo me prouvaient que j'avais déjà atteint plus de la moitié du travail restant et que bientôt, tout ceci ne serait plus que le passé.
Un léger courant d'air frais vint ébouriffer ma petite touffe de cheveux alors que je remontais la rue qui abritait le bar. Je croisai souvent quelques adolescents aux visages et démarches déformés par l'alcool qui me faisaient me souvenir ma propre excessive jeunesse entre alcool et défonce alors que je n'avais que vingt-six ans… Chacun, certainement inconscient de leur propre état physique, me dévisageaient à tour de rôle d'un regard vitreux qui m'agaça au bout du quatrième groupe.
La question de la jeunesse de Rubens me sauta tout à coup à la gorge alors que je réprimai un gloussement solitaire à avoir laissé mon imagination prendre le dessus. Je n'étais certes pas amoureux de cet homme au point d'espérer en apprendre plus sur son passé cependant, la passion qui gagnait mon corps à chaque fois que j'avais le sien sous les yeux ne pouvait me laisser plus longtemps indifférent. Je le désirais et même s'il m'avait brièvement affirmé qu'il n'avait pas couché avec cette salope, je ne pouvais me défaire de l'idée que me mettre en couple était impensable comme coucher avec lui une unique fois détruirait cette illusion de refuge que m'offrait quotidiennement l'Yggdrasil.
Je me replongeai dans l'énumération des pour et des contre de ce dilemme qui m'assaillait depuis tantôt jusqu'à ce que j'atteigne du regard le « Yggdrasil » peint en utilisant de nombreux verts différents sur une planche de bois recouverte de noir qui soulignait l'entrée vitrée. La lumière fugace des lieux était étouffée par les épais rideaux noirs qui recouvraient les fenêtres, je ne vis que quelques ombres autour d'une table.
Réprimant un soupir, je poussai la porte avant d'aussitôt croiser ce regard. Mon souffle se fit plus rapide tandis que le rouge me montait aux joues. Je baissai les yeux, exaspéré par la façon dont mon entrejambe s'enflammait peu à peu au souvenir de cette peau qui s'était collée à la mienne à l'aube et je dus aller saluer l'un des habitués avant de ne parvenir ne serait-ce que m'asseoir au comptoir.
Shah, le philosophe de la nuit, ne délaissait jamais son ordinateur lorsqu'il fréquentait l'Yggdrasil, peut-être même lorsqu'il fréquentait n'importe quel autre établissement du même genre, même si je redoutais qu'il ne connaisse aucun autre bar vu sa perpétuelle présence. J'avais un soir appris qu'il avait publié quelques livres. Je n'étais cependant pas allé me renseigner davantage sur ces écrits dont il m'avait interdit la lecture pour leur soit-disant médiocrité poétique.
Il était ce soir-là accompagné d'un jeune homme – sûrement un adolescent – qui s'était parfois assis mes côtés au bar sans qu'il ne tente une seule fois de m'adresser la parole. Je ne me formalisai pas de ce dernier, me contentant de faire le tour de leur table pour serrer la frêle main de ma connaissance dont l'alcool obstruait déjà le regard. Il m'offrit un léger sourire puis quelques paroles de salutations avant que je ne me décide à venir affronter mon barman.
— Bonsoir, Paul… susurra-t-il en posant une liqueur verte sur le plan de travail qui me sembla quelques instants se refléter dans son sombre regard.
— Rubens… soufflai-je plus que je ne dis son prénom, honteux de la façon dont nous nous étions quitté en début de journée.
Il n'entama pas tout de suite le sujet qui semblait lui brûler les lèvres, un de ses clients venait de le héler. Lorsqu'il revint déposer une bouteille de scotch dans la vitrine qui se trouvait généralement derrière lui et d'où se reflétait, à travers le miroir, mon visage fatigué, je me décidai à accaparer la parole, bien trop embêté de lui laisser champ libre.
— Elle est définitivement partie. Dois-je te remercier en quoi que ce soit ?
Mon ton subitement cynique sembla le désarçonner. Il n'en perdit cependant pas la face et remit derrière son oreille une mèche de cheveux blonde qui lui avait mangé le visage pendant un instant. Sa boucle d'oreille frémit avant de lentement se balancer et je dus me intérieurement me morigéner pour empêcher mon regard de dévier.
— Le soir de ton départ en voyage d'affaire, elle a débarqué au bar, te réclamant. enchaîna-t-il, en resservant des biscuits d'apéritifs à l'un de mes voisins bien trop ivre pour ne serait-ce qu'écouter mon barman. Afin de m'assurer son identité, je la saoulai. Plus tard dans la soirée, elle m'avoua qu'elle espérait te surprendre très bientôt avec l'une de tes conquêtes car cela – excuse-moi ces termes – l'emmerdait au plus haut point que tu ne te barres pas de l'appart' pour la laisser baiser en paix.
Je me renfrognai, de tels détails ne m'importaient pas…
— Je lui ai annoncé que tu n'étais pas un habitué et que je ne pouvais pas savoir ton identité. Pourtant, elle n'en a pas démordu et est revenue deux soirs avant ton présumé retour, n'ayant pas compris qu'elle se trompait dans les dates.
Avalant une longue gorgée que je ressentis jusque dans mon œsophage, je le poussai à continuer dorénavant plongé dans ce regard de marbre qu'il m'offrait.
— Comment a-t-elle pu se tromper dans la date ? Elle a – elle avait, rectifiai-je – pourtant l'habitude de soigneusement noter mes déplacements avant de prévoir ses escapades nocturnes.
— C'est simple, il m'a suffit de l'en convaincre lors de sa première venue. Comme il m'a suffit de lui faire croire que nous avions couchés ensemble juste en lui payant une gueule de bois monumentale que tu me repayeras, d'ailleurs, pour service rendu.
— Je ne t'ai rien demandé ! m'offusquai-je aussitôt.
Je sentis quelques regards me brûler l'échine.
— Si je ne t'avais pas aidé, qui c'est combien de temps encore elle t'aurait bouffée l'existence, reprit-il d'un ton légèrement déplacé.
Je ne fis pas attention à la colère qui teintait ses paroles, plongé dans la contemplation de ses traits.
— Ce n'est pas faux, avouai-je néanmoins, penaud.
Une nouvelle requête lui fut transmise et, alors qu'il s'éloignait, je finis cul-sec mon verre. Ainsi, je pouvais me permettre de détailler son postérieur sans qu'il ne puisse s'en apercevoir, bien trop occupé à mon goût à discuter avec le jeune homme qui s'était un peu plus tôt trouvé avec Shah et dont, au fur et à mesure, je découvrais sa pâle complexion comme son sombre regard qui ne laisserait personne indifférent, pas même mon barman.
Des rougeurs envahirent mon visage alors que je découvrais la nature du sentiment qui m'animait désormais. Honteux comme gêné par ce soudain débordement pour un homme qui m'était encore inconnu, je décidai néanmoins de me laisser porter en ce sens en lui quémandant aussitôt un second verre. Ainsi, il se verrait obligé de revenir à moi.
Ma demande due se faire pressante car il accourut aussitôt à moi, délaissant tout bonnement le jeune homme à l'expression penaude. Du regard, je détaillai chacun de ses gestes et lorsqu'il déposa un nouveau verre face à moi, je ne pus réprimer ces mots qui me brûlaient les lèvres depuis notre dernière conversation :
— Merci…
Son visage s'illumina aussitôt, je crus voir une once de plaisir passer dans ses yeux avant qu'il n'empoigne mon menton et me tire à lui. Je dus me relever de ma chais de bar avant que deux fines et tendres lèvres viennent se plaquer contre les miennes.
— Ce fut un plaisir… me susurra-t-il à l'oreille avant de revenir servir un autre de ses clients.
J'en restai quelques instants estomaqué – comme, je dus l'avouer, la quasi-totalité de ses clients – avant de pensivement me rasseoir, son fessier dans ma ligne de mire.
Ce simple baiser confirma mon envie de persévérer.