Bonjour à tous,

Ravie de vous trouver, vous mes lecteurs, fidèles et assidus, ou tout simplement échoués ici par hasard… Un grand merci déjà de me lire.

Parce ce que nombreuses m'y ont poussée, ce livre est aujourd'hui en vente en ligne chez The Book Edition.

Pour des raisons de droit d'auteur, j'ai été obligée avec grand regret de ne laisser ici quel les premiers chapitres…

Merci de vos nombreux messages, merci d'être là, sans vous rien de tout cela n'existerait… j'existe grâce à vous et ne l'oublierai jamais o)

Des bisous !

Chapitre 1 : J'EN VEUX...

Roumanie, Bucarest, de nos jours

Le recul du fusil. Le bruit du silencieux. La silhouette en bas qui vacille, puis s'écroule. Il n'a aucun doute, aucune inquiétude. Il a doublé comme demandé. D'un geste rapide et précis, il remballe déjà. Déboitant d'abord la lunette de visée. Toujours la lunette en premier. C'est le plus fragile. Puis, la crosse. Emballe le tout dans le tissu. Pour replacer les pièces dans le sac de toile. Le temps de passer la bandoulière sous le long manteau. De descendre les escaliers d'un pas rapide. Et il est déjà dehors. L'humidité ne le gêne pas. Il se glisse comme un chat silencieux le long des murs. La tête baissée. La lumière décline déjà. Il parcoure un bon kilomètre à pied avant d'entrer dans un café. Pour boire son jus d'orange. Tout va bien. Il consulte sa montre. Il est dans les temps. La serveuse est bavarde et il lui répond distraitement. Machinalement. Il est déjà ailleurs. Le jus d'orange est frais. Comme il aime. Il en a bu des meilleurs. Mais du moment qu'il en a. Dehors, la pluie s'est mise à tomber. Les gens courent pour rentrer chez eux. Bucarest est grise par cette journée d'octobre. Demain, il reprendra l'avion. Mais pour l'instant, il doit rentrer. Bientôt, ce sera l'heure de son bain. Il espère que l'eau sera suffisamment chaude, cette fois. Il n'aime pas ces pays à restrictions. Il jette quelques pièces de monnaie sur le comptoir. Avant de sortir. Il remonte son col et remet ses gants. Un homme le bouscule et il marmonne un juron. Le bus est déjà là. Comme prévu. Il s'y glisse discrètement. A déjà acheté son ticket. Il va s'asseoir au fond. Les dos contre la vitre sale. Une jolie fille monte et se dirige vers lui. Elle prend place deux rangées devant et il admire ses cheveux. Il a toujours aimé les mèches blondes. Lumière dans la grisaille sans soleil. Et le bus démarre, le secouant un peu. Il sent les pièces du fusil contre ses côtes. Un léger sourire adoucit son visage marqué. Ses yeux scrutent au dehors. Des voitures. Des bicyclettes. Des piétons. Une vieille charrette tirée par un cheval amaigri. Il n'aime pas Bucarest. Ça faisait longtemps qu'il n'y était pas revenu. Mais rien ne semble avoir changé. Après 40 minutes de trajet, il est arrivé. Descend d'un pas agile du bus. Saute sur le trottoir. Ce soir, ce sera pizza. Le vendeur n'est pas loin. Et si ses souvenirs sont bons, il en fait avec des anchois. Son palais se délecte à l'avance du goût salé. Il ne s'est pas trompé. Le garçon est toujours là. Pourtant, ça doit bien faire presque trois ans déjà. Lui, ne le reconnait pas. Personne ne le reconnait jamais, c'est comme ça. Et ça lui va bien. Pour ce qu'il a à faire, c'est mieux ainsi…

La vieille à l'accueil a l'air tout aussi endormie que le matin. Elle lui tend ses clés sans même un regard. Parfait. Personne ne l'aura vu. Comme souvent. Il grimpe rapidement les marches. Jamais d'ascenseur. Ça porte malheur. Il tourne la clé. Pousse la porte. Il est dedans. Instinctivement, ses muscles se détendent. Il va dans la salle de bain et tourne le robinet d'eau chaude. Incline la tête et enlève lentement ses gants. Il tire sur chaque doigt de cuir avec lenteur. Ecoute le bruit de l'eau qui coule. Il adore ce bruit. Une main dénudée, il passe ses doigts sous le jet. Oui, elle est chaude. Il ferme les yeux de délice. Ce sera parfait. Il retourne dans la chambre. Enlève son autre gant, puis son manteau. Dépose le sac de toile dans la penderie. Sous le lit, une valise. Qu'il tire et décadenasse. Il prend la carte Sim, l'introduit dans le téléphone et compose de texto. Julie partie. Reste sac à main. Beau soleil. Ressort la carte pour la briser en deux. Il jette les morceaux dans le sac de toile et replace le téléphone dans la valise. Cadenassée. Sous le lit. Il relève la tête pour écouter l'eau couler. La baignoire n'est pas encore assez pleine. Il se lève pour se diriger vers le frigo. Sourit franchement en voyant la bouteille. Tant qu'il aura du jus d'orange. Il sort la bouteille pour la porter à ses lèvres et laisse couler quelques gorgées. Il ferme ses yeux et déguste la pulpe, le sucre, le fruit.

Cette fois, il est temps. Le jus d'orange à la main, il retourne à la salle de bain. Ferme le robinet. Ses vêtements glissent au sol. Dans un tas désordonné. Il se glisse dans l'eau transparente. Et comme chaque jour, appuie sa tête sur le rebord. Juste le creux de la nuque sur l'émail froid. Et ferme ses paupières. Le temps semble alors s'arrêter. Son corps se vide. Se détend totalement. Muscles au repos. Un bras dans l'eau. Un autre pendant à l'extérieur. Le bout des doigts sur la bouteille. Se promenant lentement. Les bruits de la rue montent étouffés. Traversant les joints usés de la fenêtre. Demain, il reprendra l'avion. L'eau est juste à la bonne température. Bien chaude. Il laisse glisser la tête sous l'eau. Pour la ressortir doucement. Replacer la nuque sur le rebord. Reposer ses doigts sur la bouteille. Les paupières baissées. Il est bien, en paix. Ce soir, il regardera « Le clan des siciliens ». Ou peut-être « Le gitan ». Ses mèches brunes trempées dégoulinent sur le sol carrelé. Quelques gouttes ruissellent entre les rides naissantes de ses joues. S'accrochent à la barbe naissante. Une porte claque soudain. Et les yeux s'ouvrent brusquement. Tous ses sens en alerte. Il reste immobile. Quelques secondes. Les prunelles vertes se sont durcies. Prêtes à cracher les étincelles. Mais non, tout va bien. Il attrape la bouteille, relève un peu la tête. Secoue sa tignasse comme le ferait un chien. Porte le jus d'orange à ses lèvres. Tant qu'il y en aura…

Paris, janvier 2002.

Il fait nuit. Nuit noire. Ils sont quatre. L'un d'eux en tire un cinquième. La chaussée est humide. Mais il ne pleut plus. Blousons de cuir noir. Polos à capuche sur jeans déchirés. Rangers ou baskets. La démarche lourde, balancée. Le pas rapide, les chaussures traînant sur le bitume. Des fusils à la main. Des visages excités, des rires méchants. Personne dans la rue. Mais personne ne voudrait les croiser. Ils savent où ils vont. S'arrêtent devant la vitrine. La croix verte ne clignote pas. Lamentablement éteinte. Le rideau de fer est tiré, mais un d'eux a la clé. Se penche pour ouvrir. Et dans un bruit qui transperce la nuit, soulève la grille d'abord, le rideau ensuite. Les lampes torches éclairent les rayonnages. Ils fouillent les tiroirs. Cherchent quelque chose de précis. Font tomber les boites à terre. Harry casse une vitrine à la crosse.

« Ne fais de bruit, merde ! » jure Sylvain, l'air furieux. « T'es sûr qu'il y en a, au moins » braille Pierrot, méprisant. Johnny s'arrête devant le présentoir à lunettes. En essaie une paire et s'éclaire à la lampe torche devant le miroir. Non, pas celle-là. Il la jette, pour en prendre une autre. Harry renverse un tiroir, éventre des sachets. Et tout à coup, la lumière s'allume. Johnny essaie une nouvelle paire, visiblement ravi d'avoir de la lumière. Se regarde encore dans la glace. « Celle-là ? » demande-t-il à la cantonade. Les mains sur les hanches. Un sinistre ricanement remplit la pièce. La porte du fond s'ouvre en grand. Apparaît un homme en robe de chambre, un fusil à la main. Tout juste réveillé. Les fusils sont braqués. « Sylvain ? » questionne l'homme, ahuri. Pierrot rit grassement. « C'est lui, ton paternel… c'est vrai qu'il y a un air de famille… » Il empoigne le vieux, le renversant sur le comptoir. Le canon de son fusil enfoncé sur sa joue. « Dis à ton fiston où c'est, papa… » Pierrot s'excite et brise les vitrines violemment. « Celle-là ? » redemande Johnny, visiblement totalement défoncé. Une nouvelle paire de lunettes sur les yeux. Rouge, en forme de cœur. « Sylvain… qu'est-ce que tu fiches ici… » balbutie le père, toujours allongé sur le comptoir. Son fils s'approche, méprisant. « Je t'avais prévenu… fallait m'en donner… et puis je t'ai déjà dit que se servir d'un fusil à ton âge, c'est dangereux… » Harry lui enlève son arme qu'il tient encore à bout de bras. « Allez, papa… dis-nous, avant qu'on casse toute ta pharmacie… » Johnny soulève son canon scié, et pulvérise les vitrines les unes après les autres. Tire indifféremment sur les étagères de verre, les placards en bois verni. Tout vole en éclats. Dans un vacarme assourdissant. « Trop tard ! » s'exclame Pierrot, qui jubile en sautant sur place. Un portant de flacons chute au sol dans un grand bruit. Une rafale éclate la caisse, révélant des billets. L'alarme se déclenche soudain. Bruit strident, aigue, qui vrille leurs tympans. Mais tous sont tellement stones qu'aucun ne semble paniquer. Ni même réagir. Johnny tire toujours. Et rit de plus belle. Harry moleste le vieux, le fait chuter au sol. Seul, Sylvain semble tétanisé devant ce spectacle incongru. La pharmacie n'est plus que cris sataniques, détonations bruyantes, explosion de bois, verre, plastique. Les objets volent de partout. Boîtes, seringues, cachets. La sirène hurle…

Et tout à coup, les voitures arrivent. Les pneus crissent sur le bitume. Le reflet bleu des gyrophares inondent l'espace. « Police ! on ne tire plus ! » Un coup de feu répond immédiatement à la sommation. Suivi d'autres détonations. La pharmacie n'est plus que débris. Rien ne résiste à la casse. Harry, surexcité, tire dans tous les sens. Les policiers ont pris position. Les adversaires sont de taille. Visiblement violents. Armés jusqu'aux dents. Les hommes en uniforme se protègent. Se mettent à l'abri. Tirent avec précision. Johnny rit bruyamment et braque son canon vers l'extérieur. Un grand sourire aux lèvres, un rire s'échappe de sa gorge. Il a toujours ses lunettes, rouge en forme de cœur sur le nez. Il tire une fois. Deux fois. Et son corps est projeté dans un vol plané. Soufflé par la rafale venue du dehors. Pour retomber inerte au milieu des débris et des lunettes. Les coups de feu se multiplient. Harry s'expose tel un pantin désarticulé, tire de ses deux mains, hurle la bouche ouverte. Dehors, un policier tombe blessé au sol. Des rafales partent dans toutes les directions. Harry et Pierrot s'écroulent. Morts. Sylvain lève les mains, tremblant. Son père sort de derrière le comptoir, ses cheveux en bataille, sa robe de chambre déchirée. Le combat est fini. La lutte macabre a cessé. Inutile, futile, pathétique. Jeunes, morts, pour quelques boites…

Il a vaguement senti qu'on le traînait. Son dos qui raclait le sol. Son blouson allait être bousillé. Puis, il ne se rappelle plus. Juste qu'on le pose là. Comme un poids. Un poids mort. Il entrouvre les yeux et entend la musique. Casque sur la tête. Son corps est engourdi et il ne voit rien. Tout est flou. Sa tête lui fait mal. Son ventre n'est qu'un énorme trou. Ses lèvres tremblent. Il en veut. Sa tête dodeline lentement. La musique hard lui perce les tympans. L'assomme encore plus. Mais il veut l'abrutissement total. Pour ne plus sentir ce trou-là. Ce trou insupportable. Il voit des jambes devant lui. En attrape une au passage. Apparaît la tête de Pierrot. Visiblement, vu comme il se penche, il comprend qu'il est sous un meuble. Pierrot lui sourit. Mâchant son chewingum. Soulève une oreillette du casque. Le vacarme assourdissant le fait trembler : « Y en a ? j'en veux… » bredouille-t-il. Il tente de fixer son visage, mais Pierrot reste flou. Il a mal à la tête. « T'en auras, Yann… t'en auras… bouge pas… » Et le visage disparait. Le trou dans le ventre s'accentue. Il incline la tête en arrière contre le bois. Relève un genou pour plier une jambe. Crispe une main sur sa poitrine. Martèle l'autre poing fermé sur sa jambe tendue. La lumière, les sirènes, éclairent son visage. Jeune, les traits tirés, les pupilles dilatées. Les yeux verts brillants, les mèches brunes retombant sur son front. Jean lacéré, polo bleu, chaussettes de laine grise. Il n'a plus de chaussures. La bouche ouverte, il gémit à nouveau : « J'en veux… » La musique ne le calme pas. Au contraire, elle l'excite. Il tape de son poing sur le bois. Etranger à tout ce qui se passe autour. Les coups de feu. Les cris. Les rires. Les morts…

Et puis soudain, ce visage… Il est brun. Il s'est agenouillé pour le regarder. Il a une légère barbe et une petite moustache. Ses cheveux noirs sont coupés en brosse. Il porte un uniforme. Un bel uniforme. Yann tente d'ouvrir plus grand ses yeux. Le visage est flou. Comme celui de Pierrot tout à l'heure. Mais où est Pierrot ? Il a mal au ventre. Pose une main sur son estomac qui se tord. L'homme le regarde toujours. Lui sourit. Alors Yann espère et entrouvrant péniblement les lèvres, il bredouille à nouveau : « J'en veux… » L'homme sourit toujours. Mais ne répond pas. Pourquoi ne répond-il pas ? Yann fait glisser son casque et là, il l'entend : « Y en a plus… » La voix résonne dans sa tête… y en a plus… c'est pas possible… Pierrot a dit qu'il en aurait…. « J'en veux » répète-t-il, comme dans un rêve… L'homme se penche vers lui. Et Yann sourit à son tour. Levant lentement son bras. Au bout du bras, sa main. Sa main tenant un revolver. Doucement, il pose le canon sous son menton. Ses yeux verts brillants, ses lèvres entrouvertes. Il le voit presque net cette fois. L'homme a l'air surpris. Ses yeux ont pris une nouvelle couleur. Celle de la peur. Yann sourit toujours. Appuie un peu plus fort. Le canon s'enfonce dans la peau. Il sourit une dernière fois. L'homme a changé de visage. La main tremble sur l'arme. Le temps semble arrêté. Aucun d'eux ne bouge. Les yeux dans les yeux. Ses yeux à lui sont bruns. Yann sourit encore. Les doigts se serrent imperceptiblement sur l'arme. L'index se crispe lentement. Et le coup part. Le bruit est violent. Résonne dans ses oreilles. L'homme chute lentement vers l'arrière. Comme au ralenti. Yann regarde son arme. Regarde le corps au sol. Son visage se crispe dans une grimace. « J'en voulais ! » hurle-t-il, la bouche grande ouverte, la tête rejetée en arrière…