LE GOUT DU PECHE
Partie 1 -Bourgeon d'Adolescence
« Ils s'aimaient, enlacés par le mensonge de leur naissance. »
Rencontre - Chapitre 1
I
C'était un jour comme les autres. Le soleil brillait décemment dans le ciel, il y avait peu de vent et pratiquement aucuns nuages. Au château et à ses alentours régnait en maître un remarquable temps qui satisfaisait par sa délicieuse chaleur printanière.
Et malgré cela, lui n'en avait que faire.
Lui ne vivait pas, il mourrait d'ennui.
Lors de ces journées ensoleillées, il se préférait à penser aux pluies torrentielles et orageuses, aimait regarder les éclairs s'abattrent fièrement dans le ciel. Pas le soleil mais la pluie.
Lui n'appréciait plus.
Peut-être aimait-il la pluie parce qu'elle lui rappelait ses propres larmes ? Peut-être détestait-il ce soleil bien trop lumineux ? Peut-être… Les réponses se trouvaient inutiles. Car, pas même lui, un pauvre adolescent, ne savait ce qu'elles désignaient. Il était un enfant puéril, futile, qui ne faisait que se morfondre c'était néanmoins ce qu'il estimait. Parce qu'il ne signifiait plus rien.
C'était ce qu'il était. Rien que cela. Un homme vide de sentiments sous un soleil bien trop présent.
Pourtant, il pouvait tout avoir et même en obtenir davantage. Mais, une coquille vide ne se remplit pas, jamais. Et donc, pas une fois il ne vivrait.
Enfin, c'est ce que tout le monde pensaient. Ils croyaient tous qu'Edward ne serait jamais que l'ombre de lui-même.
Or, à l'aube d'une matinée ensoleillée, un père voulut vainement se mêler à la destinée de son fils :
« Que par le plus grand secret, une annonce soit faite à propos de l'héritier. »
II
— Monsieur, je viens, en ce jour, vous dévoiler la violence des sentiments qui m'animent depuis notre première entrevue…
Eberlué, l'intéressé fit volte face. Plongé depuis quelques temps déjà dans ses pensées, Edward n'avait pas entendu le grincement de la porte ni les légers frottements sur le sol qu'avaient produit les pas lourds et fatigués de celui qui avait fait son entrée dans ses appartements, déjouant ainsi toutes les convenances, et il ne s'était bien moins attendu à ces propos quelque peu déstabilisants.
Plongé dans ses pensées, Edward n'avait sentit la présence de personne,
— Wil-, non… Duc d'Allia, veuillez m'excuser, j'ai dû mal interpréter vos propos, répliqua ce dernier en reprenant distraitement la contemplation des jardins qui s'étendaient à perte de vue depuis les fenêtres de ses appartements.
— Je vous déclare mon amour. Edward, je vous aime.
Cachant son exaspération tel qu'il le pouvait, Edward se détourna des fenêtres afin de répondre à son interlocuteur.
Il émit un temps de pause avant de répondre :
— M'aimez-vous, moi, ou mon statue d'héritier ? s'enquit-il, bientôt agacé.
— Vous, sans aucun doute !
— Mais… reprit Edward, désormais troublé par cette révélation.
— ''Mais'' ? Il n'y a jamais eu de ''mais'' dans mes sentiments.
— Bien sur que si ! Vous ne pouvez arriver ainsi dans mes appartements et me déclarer cela aussi facilement !
— Cela n'a pas été facile !
— Mais vous êtes d'âge mur ! répliqua Edward, se déliant de toute galanterie envers son convive.
— Bien trop vieux pour vous ? s'enquit aussitôt l'homme qui semblait désormais nettement inquiété par cet aveu.
— Je le crains, oui.
— Mais l'âge ne compte pas lorsque nous aimons !
— Nous avons plus de quarante ans de différence, monsieur !
— Ah… Ne m'appelez point ainsi !
— Pourtant, c'est comme cela que je le devrais.
Le dénommé William se renfrogna avant de s'asseoir sur l'un des somptueux fauteuils en soie qui meublait la pièce sans n'attendre aucune invitation de la part du propriétaire des lieux.
— … Ceci est un refus ?
— J'en ai bien peur, essaya de l'épargner Edward.
Il était une coquille vide qui faisait son possible pour apaiser les autres. Et même si les douleurs venaient de lui, il s'exécutait en ce sens. Edward haïssait les gens tristes comme il ne s'aimait pas. Car, jamais, il n'avait encore osé considérer ses propres larmes.
— Je vous prie de bien vouloir vous retirer.
— Bien, monsieur.
— Je suis navré, souffla Edward qui ne l'était guère.
— Pas autant que moi.
Le Duc d'Allia n'avait pas été le premier puisque cette situation perdurait depuis l'automne. Ennuyé par tout ceci, Edward s'était aussitôt douté qu'il était anormal d'avoir autant d'admirateurs défilant autour de lui en un si court laps de temps. Certains jours, il se permettait même la prétention de n'avoir aucuns charmes. Et malgré cela, il continuait d'imposer son refus à chaque déclaration que l'on lui faisait. Ses journées ne se résumaient plus qu'à cela.
Certaines fois où les courtisans, si bien femmes que hommes, se faisaient trop présents, Edward quittait discrètement ses appartements afin de se réfugier dans l'un des coins les plus reculés du royaume, à l'abris des jardins ou plus souvent des bois environnants.
Fortement indisposé à cette vie qu'il menait inlassablement depuis sa naissance, il haïssait d'autant plus ces personnes à l'affût du moindre geste de l'héritier à leur encontre. Tout simplement, il ne comprenait ni ne discernait l'utilité de tourner autour d'une personne comme le faisait les autres face à lui. Ils n'étaient que des vautours attendant de déguster leur immonde part de chair fraîche sous le regard vaincu des autres.
Les premiers arbres s'offrirent bientôt à lui et il s'enfonça comme à son habitude dans le dense bois qui encerclait de moitié la propriété. Il aimait ne faire plus qu'un avec ce qui l'entourait tandis qu'être à proximité d'êtres humains l'exaspérait.
Pourtant, ce jour là, il sentit quelque chose d'inhabituel. Le sol, d'ordinaire foulé que par ces seuls empreintes humaines en cette partie des bois, laissait dorénavant place à diverses traces de pas.
La curiosité s'entremêla à son envie.
Edward ne put s'empêcher de continuer à avancer. Intrigué, il voulut savoir quelle était la personne qui se permettait d'empiéter sur son domaine propre car, depuis toujours, il savait que tous ce qu'il ordonnait était écouté au pied de la lettre et il n'avait donc peur de rien.
III
Il se retourna brusquement lorsqu'une ombre furtive frôla son avant-bras. Son habituel sang froid se perdit quand il aperçut quelqu'un prendre la fuite. Seuls de longs cheveux ébènes en mouvement permirent à Edward de suivre cet inconnu.
Aucune fois, l'intrus ne trébucha ni ne se fit arrêter par un arbre. Sa ligne de course zigzagante ne l'empêcha néanmoins pas de prendre de la distance.
En plein milieu des bois, les arbres débouchaient sur un point d'eau qu'Edward connaissait bien pour souvent y venir se relaxer dans les eaux du lac.
L'individu se stoppa enfin, ses pieds à quelques millimètres du liquide devenu glacé en ce début d'automne. Il n'y avait plus aucun autre chemin. L'autre rive arborait le pied d'une montagne rocheuse, le bois se terminait à cet endroit. Le seul moyen de partir était de rebrousser chemin.
— Pourquoi me poursuivez-vous ? commença manifestement un homme.
Perplexe, Edward dévisagea ce qu'il pouvait uniquement apercevoir de l'homme : son épaisse chevelure d'ébène.
— Pourquoi courez-vous ? demanda alors Edward, incapable de répondre à la question posée.
Car, il le savait très bien, il aurait seulement pu passer outre de tout ceci. Au lieu de cela, il avait suivit un inconnu. Cet inconnu.
— Je cours parce que vous me poursuivez.
— Et moi je vous poursuis parce que vous courez.
Un léger et discret rire se fit entendre à travers l'agréable silence des lieux.
— Qui êtes-vous ? essaya de poursuivre Edward, ravi d'avoir enfin trouvé quelqu'un qui puisse tenir une conversation sans soudoyer son titre.
— Je ne suis personne, monsieur.
L'homme marqua un temps de pause. Son regard élevé au loin, il suivait un vol de corbeau à travers le ciel.
— Et vous, apostropha-t-il enfin, qui êtes-vous ?
— Moi, demandez vous ? Je veux justement n'être personne.
— N'est-ce pas le roi seul qui se permet de dire « je veux » ?
L'inconnu souligna son questionnement de ce même rire cristallin. Ce relâchement certain ne laissait pourtant pas l'opportunité à Edward de voir son visage. Alors que pour la première fois de sa vie, une personne l'intriguait au point qu'il voulut la connaître, de son côté, l'inconnu n'osait se retourner pour fixer cet homme dont il venait à peine de faire la connaissance.
— Le roi, dîtes-vous ? Ce genre de tournures, il ne se permet même plus de les utiliser. Il ne donne plus que des ordres, matins et soirs !
— Êtes-vous proche du roi ? interrogea l'inconnu, étonné par cette réplique.
— Pas vous ? Pourtant, vous semblez résider au royaume.
— Oh. Et bien, on va dire que ma position est assez compliquée.
— Je vois.
— Non, je crois que vous en êtes bien éloigné, fit-il en lui offrant son premier sourire, et la vue de son visage.
IV
Durant l'après midi, Edward resta auprès de l'homme, à discuter de divers sujets des plus futiles aux plus complexes. Ils se trouvaient avoir de nombreux points communs qui ne les rapprochaient que plus encore.
L'inconnu semblait ne pas reconnaître en lui l'héritier du trône d'Alfara ce qui, égoïstement, lui faisait aspirer à la liberté d'être enfin lui-même en présence d'une autre personne.
— Le ciel s'assombrit, commenta l'homme. Je devrais m'en aller.
Manifestement extraverti, l'inconnu se trouvait entreprenant envers Edward, il lui quémanda une seconde entrevue.
— Je ne sais quels jours je serai libre, répondit l'intéressé, déçu à la perspective de se retrouver de nouveau seul dans ses appartements.
— Et si, au lieu de cela, je vous rendais plutôt visite ?
— Et bien…
Il ne fallait pas que l'homme sache.
Edward souhaitait aucunement que cet inconnu en apprenne davantage à son sujet. Il préféra taire ses envies, s'empressa de mentir sur ses motivations.
— Je vois… souffla péniblement l'homme ayant remarqué le malaise de ce dernier.
— Ce n'est nullement contre vous ! se pressa d'ajouter Edward. Je ne me sens point à l'aise chez moi et préfère les espaces ouverts.
A cet instant, Edward parut si sérieux que l'homme s'en convainquit. Toute idée déplaisant s'envola entre les deux hommes, ils se sourirent à nouveau.
— Oh ! Alors… Demain matin ? Pouvez-vous venir me retrouvez ici même ?
— Je pense pouvoir me libérer.
— Vous êtes un homme bien pris ! ricana l'inconnu en se levant.
Il réajusta ses vêtements froissés avant de se tourner face à Edward.
—Au fait, quel est votre nom ? interrogea-t-il gaiement, une once de malice dans la voix.
— Et vous ?
Un nouveau rire perça au travers des bois.
— Alors à demain, bel inconnu.
Il s'esclaffa une dernière fois, s'échappa à la vue d'Edward.
Révélation - Chapitre 2
I
— Bonjour, bel inconnu.
Tous les jours depuis bientôt une semaine, lorsque Edward pouvait se libérer de toutes ces interminables charges qui lui étaient ordonnées alors qu'il n'avait que dix-sept ans, ce dernier et l'homme, qui lui était toujours inconnu, se réunissaient au bord du mystérieux lac.
Ils discutaient longuement. Tous les sujets pouvaient être abordés, du beau temps à la politique en pensant par de bonnes blagues d'enfants. Ils ne faisaient que cela.
En fin de journée, une sourde envie d'avancer le temps les prenait, les encerclait dans cette hermétique bulles qui, lentement, se construisait. Ils attendaient le lendemain avec impatience, espéraient définitivement se retrouver.
Il est dit qu'entre deux êtres, soit se produit une alchimie parfaite soit, au contraire, le néant. Eux, il se trouvaient être bien plus que cela.
Deux âmes sœurs.
Malgré leurs différences parfois bien distinctes, ils écoutaient le point de vue de l'autre avec beaucoup d'intérêt, ne le reprenait jamais.
Deux âmes sœurs se trouvant enfin.
Volontairement, l'homme à la longue crinière omettait de révéler son nom, n'en disait jamais plus qu'il n'y fallait. De son côté, Edward, inlassable, souhaitait que l'inconnu ne sachant pas à quoi ressemble l'héritier, ne l'apprenne pas avant bien longtemps.
Deux âmes sœurs menteuses qui jamais ne s'épuisent.
II
— Dis-moi, commença Edward par curiosité, tu m'as dit ne rien connaître d'ici que le bois. Alors que fais-tu dans la région ?
L'inconnu sembla réfléchir quelques instants à la manière de répondre à cette question avant de poser son regard sur le pic rocheux face à lui.
— Et bien…
Voulant le tirer d'embarras, Edward reprit aussitôt la parole :
— Oh, excuse-moi. Je ne sais trop si les questions que je pose sont raisonnables ou non.
— Ne me dis pas que tu ignores les limites de la politesse en ayant une expression si innocente sur ton visage, ricana-t-il.
Soudain, le regard de l'inconnu tomba, il vagabonda lentement jusqu'à l'extinction. Il se prit à rêvasser, le visage blême. Edward se stupéfia d'un tel spectacle.
Il voulut tout d'abord capter le regard de son interlocuteur, en vain. Après une énième tentative prouvant que son ami l'avait quitté pour un sombre monde de pensé, d'un de ses doigts, il lui effleura délicatement la joue. Passant des pommettes jusqu'aux mentons, tout en retraçant le contour de ses lèvres, il sentit les frissons de son ami au contact de leurs deux peaux, adora cette douce sensation.
Après quelques minutes, comme pour remercier Edward, l'inconnu reprit la parole, cette fois-ci, gravement.
— Je… je suis né au château, il y a de cela dix-sept ans. Il parait que ce fut le seul jour d'été où il eut une averse du coucher de soleil jusqu'au coucher de soleil suivant. Pour moi, je suis orphelin… Pour ma mère, elle a deux fils. Pour mon père, il ne me connaît pas. Et pour mon frère… il ne sait même pas que j'existe. Alors que moi, je sais qui ils sont. Tous les trois.
Il reprit lentement son souffle comme pour essayer lui-même d'admettre ce qu'il était en train d'avouer.
— Lorsque je croise ma mère, elle m'offre toujours l'un de ses plus beaux sourires teintés de souffrances, bien que mon père, je n'ai dû le voir qu'une à deux fois dans ma vie…
— Et… ton frère ?
— Je ne sais pratiquement rien de lui. Par quelques domestiques, j'ai appris qu'il est vraiment très beau et charismatique, qu'il est assez hypocrite mais renfermé sur lui-même.
— Son prénom, tu le connais ?
— Non. Je n'ose pas demander davantage. Si je dis : « comment s'appelle le fils de… » cela paraîtrait suspect, et je ne voudrais pas me faire congédier.
— Te faire congédier ?
— Le roi est sa femme ont tous les pouvoirs. Si des gens sont trop curieux, ils n'hésitent pas à les chasser de leur propriété.
— Mais…
— Et je ne préfère point prendre ce risque.
— Et si c'était moi ? quémanda précipitamment Edward.
— Pardon ?
— Je suis également né ici, j'y ai toujours vécu. Je connais donc le nom de toutes les personnes susceptibles d'avoir un titre.
Ce n'était pas un mensonge. Il omettait seulement quelques détails.
— Ton titre de noblesse est-il si élevé que cela ?
Edward baissa la tête à cette appellation. Il ne pouvait qu'avoir honte d'être né noble sans n'avoir jamais rien fait.
— Oh. Excuse-moi, Edward, fit l'inconnu, ne réussissant pas à déchiffrer ce geste.
Il n'en chercha pourtant aucune explication. Qu'importait si cette personne ne souhaitait en révéler davantage sur son identité. S'il était là, cela suffisait.
— Ce n'est rien, ajouta l'héritier. Souhaites-tu mon aide ?
— Non, ce n'en est point la peine.
Edward ne comprenait pas. Son ami avait l'air si désespéré de ne pas savoir qui est son frère mais, malgré cela, il refusait son aide.
III
— Comment se prénomme l'héritier du trône ? interrogea l'inconnu.
— Tu ne le sais pas ? s'enquit Edward, particulièrement étonné.
— Je ne me mêle jamais aux autres et n'écoute que ce qui m'intéresse malgré mon côté extravertie.
— Et bien…
— Hum ?
— En fait, c'est assez perturbant d'entendre cela… sourit Edward, gêné.
Alors qu'il détournait le regard, ses joues s'empourprèrent aussitôt. Etant le seul héritier du trône, l'idée qu'il put être méconnu au royaume d'Alfara ne l'avait jamais effleuré.
Malgré cela, il préféra se préserver :
— Il se nomme comme moi, Edward.
— Edward… Merci.
Un sourire fit son infime apparition au coin des lèvres de l'inconnu. Il reprit sa contemplation du sommet montagneux ou du moins, de ce qu'il pouvait en voir.
— Comment t'appelles-tu ? interrogea Edward, craignant tout de même d'en apprendre davantage sur le passé tortueux de son ami.
— Tu me le demandes enfin… ria l'inconnu, sans détourner le regard.
Edward se tut un instant, grimaça instinctivement.
— Charly… chuchota l'homme.
Charly… Ce nom résonna en lui.
Charly, Charly…
Charly & Edward.
Parenté - Chapitre 3
I
— J'ai fais de nombreuses recherches, hier ! s'exclama Charly tout en s'asseyant auprès d'Edward.
— Pardon ? Des recherches ?
— J'ai remarqué que depuis bien trop longtemps je ne m'étais point intéressé à mon entourage et encore moins à ce qui me tenait à cœur auparavant.
— Et c'est… ? s'enquit Edward, devenu craintif.
— Espionner !
— Es…
— … pionner !
— C'est…
— Surprenant ? Bizarre ?
— Non, non, le rassura Edward en lui souriant gentiment. Quel était ton rayon d'investigation ?
— J'ai tapé au plus fort !
— Ah ?
— Les appartements du roi !
Edward crut s'étouffer en entendant cela.
— Charly ! Si tu te fais prendre…
— Je me fais exécuté, je sais. Mais si tu savais ce que j'ai appris…
— Je ne veux pas savoir !
Tel un enfant innocent, Edward se boucha les oreilles en comprimant ses deux paumes autour de son visage, il ferma ensuite les yeux.
Un souffle chaud se fit sentir dans son cou. Le bout des longs cheveux de Charly, joints en tresse, effleurèrent furtivement la main d'Edward. Il les sentit de nouveau picoter son avant-bras, son menton. Les mèches lui chatouillaient le bout du nez, le faisant soupirer de plaisir. Il se retenait d'esquiver, même si les mèches le chatouillait affreusement.
Charly rit de la mimique de son ami avant de lui déposer un baiser au coin des lèvres. Il relâcha sa mèche de cheveux, reprit la parole :
— Tu ne veux pas savoir ce que j'ai appris ? fit-il d'une voix suave presque mielleuse.
— Si tu veux… céda Edward tout de même effrayé à l'idée de ce qu'il s'apprêtait à découvrir. Il abaissa ses mains, se tourna près de son ami.
— Tiens-toi près ! Es-tu bien assis ?
— Oui.
— Par terre ?
— À côté de toi…
— Bien. C'est bon ?
— Charly… susurra Edward, dorénavant lassé.
— Je me suis infiltré jusqu'à la porte principale des bureaux du roi, commença-t-il d'une voix où se mêlait mystère et énigme. Nous étions en plein après-midi, l'unique garde venait de s'assoupir… Tu m'écoutes ?
— Oui, oui, je t'écoute, pesta Edward en lui lançant un regard noir.
Charly sourit.
— … Dans ce couloir, près d'un vase, il y a un trou dans le mur permettant d'épier le roi sans qu'il ne s'en aperçoive. Je l'ai découverts par hasard et lui-même ne doit pas le savoir. Tu ne le répètes pas cela, n'est-ce pas ?
Le jour de ses sept ans, Edward, persuadé que son père avait oublié son cadeau d'anniversaire, avait violemment jeté un caillou contre le mur. Ce dernier avait transpercé la fine paroi et par la suite, avait détruit le cadeau qui lui était destiné.
— Promis.
— M'écoutes-tu ?
— Oui.
— Ne répèteras-tu rien ?
— Je n'ai personne à qui le dire.
— Bien. Enfin non, ce n'est pas bien qu'il n'y ait personne, mais…
— J'ai compris Charly, sourit tendrement Edward.
— Oui donc… M'écoutes-tu ?
— Charly…
— Le roi cherche par tous les moyens à faire marier son fils. Il sent qu'il n'en a plus pour longtemps et essaie de le préparer à monter sur le trône. Même un homme il accepterait, tant que son fils ne reste pas seul. Il doit beaucoup l'aimer pour penser et dire cela.
On aurait dit qu'une pointe de colère avait jaillis de la voix de Charly.
Edward n'avait rien rétorqué.
— Edward ?
Il se leva brusquement.
— Edward ?
Et partit.
II
Une femme vue son fils sortir en courant du bois environnant. Elle se promenait dans les jardins supérieurs, accompagnée de diverses courtisanes prêtent à tout pour se faire reconnaître par la reine.
Son instinct maternelle voulut courir auprès de lui et le réconforter de tout son être, mais lorsqu'elle aperçut quelqu'un d'autre sortir du même bois et le poursuivre, elle se stoppa. La reine reconnut cette longue chevelure qu'elle-même veillait à faire teindre en noir, ainsi que les vêtements qu'elle lui avait offert pour son dernier anniversaire.
Stupéfaite sur le moment, elle crut basculer en arrière et qu'une personne venait la rattraper.
Puis la colère monta lorsqu'elle reprit ses esprits. Cette lourde haine animée par tristesse et mensonge. Que faisaient-ils ensemble ? Que s'étaient-ils dit ? Mais il était déjà bien trop tard pour les suivre, ils avaient disparus tel des étalons poussés par le vent.
III
Il reprit enfin son souffle près des écuries. Charly, qui était toujours à ses trousses, dû pour se stopper se retenir au mur. Edward érafla son vêtement contre l'un des clous qui dépassait en essayant d'éviter à nouveau son ami. Mais ce dernier le retint, Edward se laissa glisser au sol.
— Cette fois-ci, commença Charly complètement essoufflé, c'est moi qui te poursuit…
Edward ne répondit rien, il n'était plus d'humeur à discuter avec quiconque.
— Je ne poserai aucune question, finit Charly.
Précautionneusement, ce dernier s'assit auprès de son ami. Il posa sa main contre la sienne et émit quelques mouvements de rotations.
Crispé et près à pleurer, Edward se relâcha. Tellement qu'il en était presque dans les bras de l'homme aux cheveux noirs, à vider toute sa colère, toute sa haine envers son père. Toute sa tristesse. Ce sentiment d'avoir été mis dans l'ombre, trahis. Il s'en voulait de n'avoir rien pressenti, il en voulait à son père de lui avoir fait subir cela depuis un mois. Tous ceux qui défilaient n'étaient pas là pour lui, mais pour le trône du royaume d'Alfara.
Puis la paranoïa s'infiltra en son esprit - Et si Charly était comme eux ? Avait-il provoqué une rencontre pour approcher l'héritier ? Lui aussi voulait gouverner ?
Alors qu'Edward semblait avoir besoin des bras de son ami, il les repoussa de toutes ses forces et disparu dans les écuries. Charly n'avait plus la force de le poursuivre, trop choqué par ce soudain changement de personnalité.
Secret – Chapitre 4
I
Et le temps passa…
Il passa amèrement.
L'automne et l'hiver avaient tout obscurci. Le printemps redonna à Alfara un nouvel espoir.
Comme il l'avait lui-même pressenti, le Roi mourut. Il laissa néanmoins derrière lui une lettre ouverte qui les frappa tous par la révélation qu'il leur fit ainsi que par la sincérité comme l'affliction qui en émanait. La semaine précédent tout ceci, la Reine, honteuse comme effrayée, avait enfin osé, au prix de quelques coups, tout lui dévoiler. Car, ayant auparavant longuement réfléchi aux conséquences, et donc à la réunion comme au bonheur prochain qu'elle supposait pour ses enfants, son mari fut l'unique alternative qu'elle trouva pour changer les choses.
Dans l'histoire, personne ne dit, qu'éprise par un soudain élan de passion maternelle, une femme avait empoisonnée son mari. Personne ne le sut jamais et malgré cela, cette lettre fit le tour du château et de ses environs :
« Cher peuple d'Alfara,
Quand vous lirez ceci, j'aurais probablement déjà atteint le royaume des morts, cependant insatisfait d'aussi soudainement tous vous laisser ainsi. Lorsque cette maladie me fut annoncée, je n'ai voulu avec quiconque en discuter. C'est pourquoi, et malgré ma soudaine disparition, j'aspire toujours à un royaume prospère et tranquille, laissant sans aucune appréhension le trône à l'héritier, mon fils Edward.
Pourtant, lorsque sérieusement j'y repense, je me dis qu'il se pourrait plutôt que ce ne soit pas lui, mais son frère… ?
Lors de sa naissance dix-sept ans plus tôt, un second enfant est né. Nous le croyions mort à sa naissance, six ans plus tard, il reparut. Etant bien trop tard pour en parler, la Reine a sut garder ce lourd secret. Je l'ai moi-même appris il y a peu. Non, ne la blâmait pas pour ce geste, comment annoncer à la Cour la venue d'un second prince dont personne n'avait jamais ouïe l'existence ? Apprenez à connaître ce jeune homme que moi-même je ne verrais jamais.
Le destin en a voulu ainsi et donc, j'espère que mes deux fils pourront s'entendre. Qu'ils pourront choisir en leurs âmes et consciences celui qui gouvernera. Assistez-les en ce choix, faîtes de ces deux jeunes hommes des princes de haute estime qui pourront maintenir au mieux notre Royaume et assurer sa survie.
Nous assurerons ainsi la pérennité de tous. »
Il y avait une lettre pour chacun de ses enfants, chacune emplies de regrets et d'excuses. Mais le plus important était qu'il leur quémandait à tout deux une entrevue officielle.
II
La salle de bal avait été aménagée de rouge et d'or. Le trône qui, auparavant, avait appartenu au roi se trouvait désormais lustré, les joailleries et inscriptions rétablis à l'identique. A ses côtés, un trône d'allure identique était installé pour le second héritier. Pour l'occasion, celui de la reine fut également rétabli. Durant le bal, elle devrait s'asseoir derrière ses enfants, un peu plus en hauteur afin de mettre en évidence son rang supérieur.
De somptueuses couleurs de miels et de vermillons ornaient les étoffes disposaient sur les trônes. Ces couleurs étaient les mêmes que pour les deux tapis prenant les trois quarts de la salle, où des chaises avaient été symétriquement disposées pour tous les invités. Les places au devant étaient bien entendu réservées aux personnes les plus fortunées.
Ce soir-là, les toilettes les plus onéreuses et étincelantes furent portées. Il ne fallait pas oublier qu'Edward était célibataire, et que de surcroît, le deuxième prince l'était aussi.
III
La cour extérieur était emplie de paysans, de l'enfant aux pieds noirs au vieil homme sénile. Les gardes, à coup d'injures et de coups pour les plus insistants, créaient une ouverture jusqu'à la porte pour les nobles de contrées voisines qui venaient assister à la cérémonie. Le regard mesquin et l'allure hautaine, leurs souliers traînaient dans la boue, leur fierté ne faisait que grandir face à de simples paysans salis par le travail. On crachait de muettes injures dans la foule, ils espéraient que tous s'étouffent de bien trop manger, de bien trop danser. Qu'ils agonisent de bien trop vivre. Car la rivalité était intense. Les deux partis se détestaient.
Ce fut ainsi que le bal commença.
Les nobles, bientôt tous arrivés à l'intérieur, tentaient dorénavant de faire bonnes figures. Se fondant dans leur propre masque de tromperie, courtisant de toute leur hypocrisie leurs ennemis, ils étaient installés sur des chaises par titre de noblesse et ordre de richesse.
Ils attendaient la famille royale en auscultant machiavéliquement leurs voisins. Les jugements fusaient, les moqueries se taisaient dans de petits chuchotis.
Les nobles, des personnes à piétiner.
Le peuple, à l'extérieur, bousculait et piétinait afin de ne rien manquer de l'arrivée des princes et de la Reine. Là, ceux qui étaient au premier rang n'étaient en aucun cas les plus riches de tous les pauvres, ils se trouvaient seulement être les plus futées, capable de se débrouiller sans monnaie.
Les paysans, des personnes à respecter.
IV
Tous se courbèrent à l'arrivée de la Reine et ne se relevèrent que lorsqu'elle entra dans son propre château, sa longue robe couleur du deuil traînant derrière elle. A l'intérieur, les nobles firent de même que les paysans jusqu'à ce qu'elle s'assit sur le trône, en attente de ses enfants.
Quelques instant plus tard, le regard d'Edward se posa sur l'extérieur, un vent frais fit virevolter ses vêtements, il en frissonna. Cela faisait bien des mois qu'il n'avait quitté ses appartements de peur d'y rencontrer cette personne qui lui était chère. Des jours entiers à espérer ne plus jamais le croiser alors que, désespérément, il brûlait de le retrouver.
Car, contrairement à son esprit, son corps n'avait put supporter la séparation. Durant six mois, il n'avait fait qu'espionner son ami à travers ses fenêtres alors que lui-même se mourrait à l'intérieur.
Mais, lorsque son père mourut, il ne pensa plus qu'à son nouveau frère. Charly oublié machinalement, il avait attendue, soucieux, que ce jour vienne. Qu'il découvre enfin qui était cette personne qui pourrait lui voler son statut d'héritier, son unique raison d'exister.
Il s'assit auprès de sa mère, le visage déformé par l'anxiété. Il n'était prévu que le prince n'arrive qu'une heure après le commencement du bal. Edward souffla, se prépara à attendre.
La musique allait être interrompue une dernière fois ce soir.
V
Il voulait le trône, souhaitait gouverner. Le deuxième prince était resté bien trop longtemps dans l'ombre pour ne pas apprécier voler la vedette à son frère. Même s'il voulait depuis toujours le rencontrer, cela ne l'empêcherait pas de vouloir le dépasser.
Question d'obscure jalousie.
De fierté mal placée.
Afin de se rassurer, l'héritier frôla le morceaux de tissu qu'il utilisait depuis quelques mois pour maintenir ses cheveux attachés. Ce n'était autre qu'un fragment de la veste de son plus précieux amis, un souvenir de lui.
La calèche se stoppa.
Il se trouva indécis, se ressaisit.
Après tout, n'était-il pas prince d'Alfara ?
Quand la porte s'ouvrit, les personnes de l'extérieur ne virent au départ qu'un soulier vert émeraude, puis ce fut au tour d'une fine jambe et d'une main qui s'agrippait au portier pour ne pas tomber. Leur première impression fut que le juste au corps était bien trop vert, que sa veste était trop bien verte et que même sa bague portait sur cette couleur. Mais tous avaient attendus l'héritier, et qu'importait ses goûts vestimentaires, ils étaient près à le connaître, à honorer la lettre de leur défunt roi.
Chacun de ses gestes était méticuleux et, lorsque son visage parut enfin, tous ceux qui l'auscultait se fascinaient déjà par sa grande beauté.
Le prince les salua brièvement et prit place sur le tapis que l'on déroulait au même instant sous ses pas. La seule chose qui le stupéfia fut que toutes les personnes présentes le saluèrent obligatoirement, leur front au sol.
La peur monta.
Il n'était dorénavant plus près à ce qui l'attendait.
Devenir prince l'effrayait bien plus qu'il ne l'avait imaginé.
La porte principale, d'où sortait une forte musique, s'ouvrit. Il devait attendre que les nobles se regroupent et laissent les deux serviteurs continuer à étendre le tapis jusqu'au pied du trône.
Et lorsque la musique se tut instantanément et que le regard des nobles se fixa sur lui, son sang se glaça irrévocablement.
C'est seul et en silence qu'il avancerait jusqu'au pied du trône qui l'attendait.