Vol – Chapitre 6
ILes larmes ne coulaient plus. Ereinté, il était avachi sur de larges coussins en plume d'oie. Désormais, son corps se sculptait dans l'épaisseur du tissus, ses cheveux emmêlés étaient vulgairement noués sur sa nuque. Les cernes creusaient ses traits alors que la vision de son amie le rendait irrémédiablement amorphe. Il ne pensait plus qu'à elle, encore et encore. Inlassablement.
Puis, Charly frappa trois coups à la porte.
II— Ouvre-moi, Edward ! s'exclama-t-il à la travers la haute et épaisse porte qui les séparait.
Aucune réponse.
— Edward !
Il était persuadé de le trouver ici, n'espérait le laisser seul plus longtemps. Cependant, sa voix à l'intonation coléreuse avait dissuader Edward d'ouvrir la porte. Car à cet instant précis, il en avait bien trop peur.
Ce n'était en aucun cas le genre de frayeur qui l'empêcherait tout à l'heure de s'endormir mais plutôt la vocifération d'un ordre sourd qui résonnait en lui.
Je ne dois pas l'oublier maintenant. Il ne faut pas que je me tourne vers Charly. Je ne peux…
Mais il comprit qu'il était désormais trop tard lorsqu'il sentit que son corps se dérobait et qu'on l'allongeait ensuite sur le lit. Effrayé par l'ordre incessant qui défilait en son esprit et l'envie d'enlacer Charly de son corps, ce dilemme l'inquiéta bien plus encore que la position dont il se trouvait. N'ouvrit les yeux que lorsque Charly se figea au dessus de lui.
— Tu trembles de peur… susurra-t-il, électrifié par cette révélation. Tu… De qui as-tu le plus peur, Edward ?
Tout à coup, ses larmes reprirent. Désarmantes, assourdissantes. Le cadet ne s'en renfrogna pas pour autant.
— Oui, Edward. De qui ? De moi qui reste à tes côtés ou d'elle qui disparaît ?
Il ne répondit pas, essaya plutôt de sécher ces vulgaires gouttelettes incessantes alors que, de son côté, Charly dénouait le nœud de son col puis les boutons de sa chemise d'un geste fluide.
Edward voulut se rassurer, en vain
Ne pas l'oublier. Ne pas l'oublier. En vain. Edward voulut se rassurer bien que ce fut Charly qui le déshabillait.
— Edward… susurra-t-il langoureusement dans ce cou qu'il s'imaginait embrasser depuis bien quatre années. Edward, je suis là…
Charly semblait comprendre et partager les sentiments de son amant. Malgré cela, il savait très bien que s'il ne le forçait pas, jamais Edward n'avancerait.
Il le savait, en profitait.
— Charly, j'ai peur… Arrête-toi…
Il le déboutonna entièrement, retira tous ces bijoux. C'était leur première étreinte, il voulut tout. Jusqu'au bout.
— Charly… Je t'en supplie…
Edward s'agrippait à lui de tel manière qu'il lui griffa la dos puis seulement les omoplates lorsque Charly descendit.
Isabelle. Isabelle. Isabelle… Désormais, il ne voyait plus ses traits. Ce qu'il avait redouté arriva. Il enlaçait enfin Charly, mais cette étreinte avait un prix : l'oubli.
Implorant, les véritables sentiments d'Edward coulèrent bientôt en Charly. A chaque caresses, jamais son corps ne mentit. Savourant fiévreusement ce qui lui appartenait.
— D'elle… annonça Edward, haletant. J'ai peur d'elle… S'il te plait, arrête…
Enlacés, nus l'un contre l'autre.
Charly ne souhaitait rien entendre, le fit taire par un baiser.
— Je t'en supplie, Charly…
Un gémissement soudain ponctua cette imploration. Enfin, leur étreinte devint charnelle. Charly prit tout. Ce qu'il avait toujours souhaité.
A quoi ressemble-t-elle ? Isabelle… Cheveux roux… Petites épaules… Impossible de s'en souvenir. Seul Charly comptait désormais.
Ses pleurs redoublèrent. Définitivement, ses sentiments se troublaient. Dérouté d'être devenu impur aux yeux de sa femme, il se laissa faire.
Ce n'était point le fait de ne pas le vouloir.
Ce n'était juste pas le moment, pas l'endroit.
— Edward… reprit Charly en essayant de le calmer.
Il lui caressa tendrement les cheveux puis de le visage, avant de dégager de son front les perles de sueurs qui y étaient apparus.
— Edward, je suis là… Présent à tes côtés.
Absorbés par la douleur qui bientôt enivra tout son corps, il l'étreignit plus fort encore. Son corps ayant été affaibli par sa frayeur, il se laissa enfin bercer par les doux mouvements de son amant.
— Edward, regarde-moi…
Sa demande n'était qu'un souffle, un chuchotis égoïste emplit pourtant de sens.
— Edward, je t'en supplie…
Un souffrance partagée, une demande infernale. Des sentiments incompris par les autres, leur passion bien trop violente pour qu'ils s'en posèrent encore la question.
Alors que l'aîné posa enfin son regard larmoyant sur celui de Charly, ce dernier lui souffla une énième phrase. Intense et si narcissique.
— Ne regarde plus que moi, Edward…
Comme une alliance en signe de joug impitoyable. Cruelle et immuable désormais.
Edward jouit silencieusement. Perturbé, il en resta pétrifié. Le noiraud ne se retira pas aussitôt. Il voulait une réponse, un oui qui ne viendrait certainement jamais.
Il le savait, espérait tant.
Charly lui avait avoué son amour si maladroitement qu'Edward ne savait plus qu'en penser. Bien que son corps dénudé était enlacé contre le sien, il sut enfin ce que tout cela signifiait. A l'instant même où Charly l'avait pénétré, il lui avait été interdit de poser ses yeux sur elle.
Charly satisfait.
Edward rongé.
IIIDernier rayon de soleil. Tout était noir à présent. Sombre et silencieux. Imprévisible. Au yeux des autres comme des leurs, ils s'aveuglaient. Irrémédiablement. Ils ne savaient quoi faire, quoi penser.
Edward était allongé nu sur le côté, scrutait inlassablement la face creusée de l'astre lunaire. Derrière lui, Charly n'osait plus même respirer.
Ils hésitaient.
Les jumeaux s'étaient enfin liés l'un à l'autre, ne faisaient plus qu'un. Et pour quoi ? Il semblait n'y avoir rien de changé même si pourtant, tout était dorénavant différent.
— Je ne t'en veux point, lâcha tout à coup Edward, ne s'étant aucunement retourné.
Charly sursauta.
Péniblement, il s'aperçut aussitôt de son geste, qu'il venait de ternir la personne qui comptait le plus pour lui. Pétrifié, il voulut tout de même se raisonner. Non, ce n'était ni un viol ni une envie partagée. C'était tout au plus un échange voulu, quelque chose qu'ils auraient dû accomplir depuis des années. Enfin unis, il ne vivaient toujours pas. Ils ne faisaient que survivre au souvenir d'une Isabelle bien trop présente.
Epuisé et ne sachant plus de quelle manière réagir, Charly se releva, trouva préférable de quitter les lieux. Pas tel un voleur. Juste le moyen de se prouver à lui-même comme à Edward que cet échange était la fin d'une période, d'une partie de leur vie.
Lentement, il reprit chacun de ses vêtements, se rhabilla à la même allure. Chaque bouton, un par un. Ajustant sa tenue jusqu'au moindre détails. Il ne souhaitait en aucun cas le quitter.
Edward ne bougeait plus, respirait doucement afin de percevoir les sons que Charly produisait inconsciemment.
Comme il venait de le lui avouer, Edward ne lui en voulait réellement pas. C'était juste trop vif, trop pressant. Mais ce n'étaient pourtant que futilités auprès du geste d'Isabelle.
Quatre années à se mentir. Inlassablement. Que tout ce à quoi il avait basé sa vie était faux. Un énorme mensonge, celui qu'elle qui lui avait si sourdement reproché.
Aimait-il Charly ?
Isabelle avait raison car, ce soir-là, il y répondit enfin :
Oui, il l'aimait. De tout son être, de toute son âme.
Les pas de Charly le menèrent jusqu'à la porte qu'il entrouvrit ensuite. Le pressentant, Edward reprit une dernière fois la parole :
— Mais sache que ce soir, déclara-t-il avant que ce dernier ne parte, tu m'as volé quelque chose.
Il referma la porte.
Oui, Charly lui avait volé la vérité.
Enterrement – Chapitre 7
ILe jour suivant, Edward eut si mal lorsqu'il se leva du lit, qu'il crut ne plus réussir à se déplacer. Pourtant, il le fallait.
Dès l'aube, les hautes figurines de leurs dieux païens avaient été érigées en leur lieu de culte. Au centre d'elle se trouvait un cercueil recouvert de papier d'or, d'où ne s'élevait plus que la forte odeur des jasmins qui l'entourait.
Le culte de leur dieu funéraire voulait qu'à travers les siècles, le défunt arbore la même beauté que durant sa jeunesse. Ce fut pour cela que chacun des organes furent embaumés puis enveloppés dans de longs tissus.
Edward s'était toujours interrogé sur l'apparence véritable du défunt après des années d'enterrement, si la véritable beauté n'était pas uniquement celle de l'âme. Car, il était certain désormais qu' Isabelle n'avait pas emportée son joliesse dans la tombe. Elle n'était en aucun cas morte belle. Ses traits tirés, ses cheveux emmêlés, ses doigtssquelettiques. Elle avait été laide et savait également que, dans ce cercueil, elle l'était.
Bien que tous les nobles et bourgeois, tels qu'ils soient, se bousculaient pour une place dans le petit édifice, Edward resta silencieusement assis à l'écart. D'un œil absent, il auscultait l'un de ses dieux.
Celui de la fidélité.
Coloré de vert émeraude et de rouge vermeil, de gros colliers qui lui arrivait au nombril, de multiples bracelets aux poignets ainsi que divers piercings aux oreilles. Une divinité portant de l'or.
Quand Charly arriva à son tour dans la petite chapelle, il remarqua aussitôt ce qu'Edward dévisageait, là, seul dans la partie la plus reculée de l'édifice, contre le mur d'enceinte.
La fidélité.
Il vint s'asseoir à ses côtés, entourant ses fins doigts à ceux de son amant. Edward répondit à cette infime étreinte, tourna la tête vers lui.
— Que veux-tu ? chuchota-t-il, embarrassé par le fait que Charly se trouva près de lui bien que, plus loin, reposait le corps de sa femme.
— Je n'ai jamais cru aux dieux de notre royaume, commença Charly, posant à son tour les yeux sur la grosse statut qui les dominait tous de plusieurs tailles. Le fait est que nous ne vénérons que des dieux à l'allure sympathique, aux sentiments aimables. Qu'en est-il de leur face opposée ? Tel que l'amour, pourquoi pas également la haine ? De cette manière, nous idolâtrons une facette seulement de notre propre personnalité. Nous ne souhaitons voir que le bien alors que le mal est omniprésent. Enfin bref !
Il n'était ni ici par disserter sur leurs dieux ni même pour Isabelle. Il n'était là que pour Edward. Ce fut en ce disant cela qu'il posa toutefois son regard sur le cercueil au centre de la pièce.
— La fidélité… reprit-il en chuchotant, savais-tu qu'elle ne se résumait pas seulement à l'amour de deux êtres ?
Edward pencha la tête sur le côté, considéra les ridicules et imposantes narines de la tête reptilienne qu'arborait son dieu.
— Isabelle te restait fidèle en amour mais pareillement, elle demeurait fidèle à ses propres idéaux. Fidèle à toi-même, tu as cru réussir à la sauver, en vain. Moi, j'ai continué à t'être fidèle d'une certaine manière. La fidélité ne se résume pas seulement à l'acte sexuel.
Charly reprit une goulée d'air, soudainement troublé par cette dernière phrase qui lui rappelait tant le soir dernier. Il ne pouvait dévoiler pleinement sa pensée mais espérait toutefois en faire comprendre à Edward la plus grande part.
Qu'il n'était en aucun cas fautif.
Que cela n'avait rien à voir avec lui. En aucun cas.
— Même après cette nuit, tu restes fidèles à l'amour qu'elle te porte tel que moi, durant ces quatre années, je te suis également resté fidèle. Tu n'as ni souillé ses sentiments, ni volé sa vie. Me comprends-tu ?
— Tout compte fait, je ne pensais point cette figurine aussi laide, lâcha néanmoins Edward.
Ironiquement laide de mensonge.
Puis la cérémonie débuta.
IIPour la mise sous terre, la famille proche avait été conviée. Horrifié à l'idée d'apercevoir la tristesse des autres qu'il détestait tant, Edward n'ouvrit en aucun cas les yeux.
Afin de le soutenir, Charly avait délicatement enlacée sa main. Et, loin près de l'autre, il se vida peu à peu l'esprit. De tout ce qui l'effrayait. De tout ce qui s'était passé.
L'enterrement d'Isabelle ne représenta pas uniquement l'aboutissement de la vie de cette femme, mais la fin de quelque chose d'autre également. Quelque chose du bien plus enfoui, un malaise qui les annihilés depuis des années.
Lorsqu'il sentit que les monceaux de terres s'abattaient sans ménagement sur le cercueil, instantanément, son cœur se serra. Edward ressentit cet ensevelissement comme s'il avait été le sien. Effrayé, il serra plus fort les doigts qui n'avaient cessés de l'enlacer.
Elle et lui, ils suffoquaient.
Recouverte par la terre.
Cette peau si douce qu'il avait tant aimé parcourir, ces cheveux hypnotisant qu'il ne se refusait jamais de frôler. Son corps, son sourire permanent. Le son de sa voix. Tout disparaissait si facilement. Encore et encore. La couleur laiteuse de sa peau, son parfum fruité qu'il goûtait à chaque baisers. Ses grands yeux vertes. Tous les romans qu'elle citait bien qu'il faisait semblant de s'en intéresser. Son habitude de battre deux fois son coussin avant d'y poser la tête.
Tout. Tout allait disparaître.
Lorsqu'elle le prenait dans ses bras le soir alors qu'il se sentait seul. Leurs appartements qu'elle adorait recouvrir de tissus brodés. Elle y marquait toujours leurs deux initiales. Cela lui réchauffait tant le cœur lorsqu'elle lui susurrait à l'oreille qu'elle l'aimait. Qu'elle l'aimait… Que jamais plus elle ne sera là pour lui dire qu'elle l'aime.
Plus jamais. Jamais. Jamais. Jamais.
Alors que l'on ne voyait déjà plus le couvercle de la boîte, Edward éclata en sanglot. Charly le blottit contre lui, ne le lâcha plus.
A tout jamais.
— Isabelle…
Il s'en libéra.
III— Charly… chuchota-t-il désespérément alors qu'il sentit leurs corps se relâcher.
Il s'aperçut bientôt que ce dernier avait tournait la tête vers lui, qu'il était dorénavant tout ouïe à ce qu'Edward s'apprêtait à révéler.
— Tu m'as demandé de ne regarder plus que toi, susurra-t-il, sa voix tressaillait par l'embarras. Aujourd'hui, je me suis présentée à elle en temps qu'aveugle…
Il n'attendit aucune réaction de son amant afin de relâcher définitivement leur étreinte. Puis il se courba, prit une poignée de la terre qui venait de recouvrir son amie, l'embrassa délicatement. La main de Charly frôla la sienne en signe de présence. Comprenant, Edward versa doucement la terre dans cette main qu'il lui tendait. Attentif à ses propres gestes, Charly la déposa dans la poche de sa veste.
Ce fut en enlaçant de nouveau les doigts de son amant qu'Edward rouvrit les yeux sur le nouveau monde que Charly venait solennellement de lui offrir. Définitivement libéré de ses peurs, il fit un premier pas à l'intérieur de cette bulle qu'il n'avait qu'effleurer jusque là.
C'était un monde différent.
Un monde auquel il acceptait enfin d'appartenir.
Et tandis qu'ils avançaient dans la foule, que les nobles se courbaient à leur passage, pas une fois Charly ne lui relâcha la main.
Emprise – Chapitre 8
IPosant négligemment une missive sur la commode de l'entrée, Charly enfila sa veste, dévala quatre à quatre les marches du grand escalier.
« Rejoins-moi au lac,
Edward. »
Il courut à en perdre haleine.
Le lac…
Edward avait décidé de n'envoyer cette missive que deux heures après son arrivée au lac. Il désirait être seul quelques temps, voulait affronter le souvenir d'Isabelle à sa manière. Car, après son enterrement, trois semaines de cauchemars perpétuels l'avaient assailli.
C'était seul qu'il devait y retourner.
Alors il ferma les yeux, bannit encore et encore le visage de son amie de ses pensées.
Jusqu'à ce qu'il disparut complètement.
Lorsqu'il posa un pied en dehors des fourrés verdoyantes, Charly perçut aussitôt la tignasse châtain de son amant. Ayant pensé au pire, il lâcha un soupir de soulagement.
Edward ria à l'entente de ce gémissement, intima à Charly de ne pas avancer davantage.
— J'aimerais que d'où tu es, tu considères le paysage qui nous entoure.
Edward se releva lentement, il était toujours de dos à Charly. Nostalgique, il éleva son regard au sommet montagneux puis le redescendit sur le lac avant de fermer les yeux aux galets.
— Le lac… répliqua-t-il, sans cette étendue d'eau, jamais je ne t'aurais approché. Te rappelles-tu notre rencontre ?
Comment aurait-il pu oublier ? Il se rappelait, de tout.
— ''Pourquoi me poursuivez-vous ?'' t'avais-je intimé.
Si l'étendue d'eau gelée par les mois de l'automne ne l'avait pas arrêté, jamais il n'aurait sut ce qu'était réellement que de vivre.
— ''Pourquoi courez-vous ?'' avais-je continué ne trouvant aucune réponse à ta question. J'avais agis sous un coup de tête.
Jamais ils ne seraient devenus ce qu'ils étaient à cet instant.
— ''Je cours parce que vous me poursuivez.'' Ce qui était vrai, d'ailleurs. Quelqu'un me courait après et comme il n'y avait aucune raison plausible à cet acte, j'ai essayé de m'enfuir.
— ''Et moi, je vous poursuis parce que…''. Je sens que je vais vous aimer.
Charly avança d'un pas. Seulement. Désormais paisible, il attendait la fin de leur tirade pour réagir.
— Mon inconnu, le lac est notre première rencontre, notre premier baiser et même notre première ''dispute''. Ce n'e serra pas aujourd'hui que j'aurais peur d'y retourner. Ce lieu nous appartient, à tous les deux. Jamais je ne le céderai. Comprends-tu ?
Un nouveau pas.
Enfin, Edward se retourna. Une once sournoise emplit son regard.
— Sous mes yeux, j'aimerais que tu te noies ici pour que plus jamais tu ne me quittes.
Serais-ce possible qu'à jamais ils ne s'éloigneront l'un de l'autre ? L'était est-ce réellement ? Mais tout ceci était si sincère, si vrai…
— Retrouve donc mon corps et enterre-le à l'endroit où toi-même tu mourras.
A jamais près de l'autre.
Rien n'est impossible.
Tout est réalisable.
— Charly, c'est ici que ce déroulera nos derniers instants. Promets-le moi ?
Toujours des promesses. Seulement. Le seul véritable lien qui les unissait, la serment de s'aimer.
— Oui. A jamais cet endroit nous appartiendras.
Quelques longues enjambées.
Une dernière promesse d'éternité.
IILeur avenir semblait se détraquer.
Inexorablement.
Parcourant main dans la main le chemin du retour, il attendaient que les présent vinrent les reprendre. Car, lorsqu'ils se trouvaient ensemble, le temps s'en trouvait toujours figé.
Jamais ils ne souhaitèrent marcher de l'avant, pas une fois. Néanmoins cernés par le temps, jamais le futur ne voulut les importuner.
Ils semblaient avoir trouvés un monde où le temps ne fonctionnait pas, où le passé et le présent n'eurent bientôt plus aucunes frontières.
L'avenir bannit, ils auscultaient leurs passé, le ramenait jusqu'à leur présent. Et, se rappelant ces si bons moments, ils espéraient que jamais personne ne viendrait réparer la pendule de leurs sentiments.
IIIEt une nouvelle fois, tel un signe d'adieu, enfermé à double tour dans ses appartements, Edward relut la lettre qu'elle lui avait laissée.
« Edward,
n'est-ce pas ici que tu retrouvais ton véritable amour ? Tellement de fois à t'écouter, tellement de fois à te réconforter, à te faire l'amour… Croyais-tu que jamais je ne le remarquerai ? Que jamais plus je ne ferais attention à toi ? Je t'aime tant. Pourquoi ? Pourquoi m'as-tu quittée ? Qu'as ton frère de plus que moi je n'aurai jamais ? Tu étais à moi, pourquoi t'enfuir ? Je pensais t'appartenir. As-tu toujours été faux avec moi ? A chaque fois ? Toutes ces paroles, toutes ces caresses ? N'y avait-il dès le départ que lui ? Ne pensais-tu qu'à lui lorsque tu étais avec moi ? Uniquement à Charly ?
Moi qui t'aime, qui t'aimais. Crois-tu qu'il t'aime plus que moi ? Qu'à jamais il sera à tes côtés ? Laisse-moi rire ! Tu m'avais promis de ne jamais me quitter, de ne toucher que moi, de n'avoir que moi. Alors à quoi bon te tourner vers lui ? Crois-tu que je ne voyais rien ? Que j'étais si naïve, si démente ? Crois-tu que je ne pensais qu'à moi ? Je faisais tout pour toi ! Tout !
Tellement tout qu'aujourd'hui, dernier jour de printemps, je décide de m'effacer. Moi ou lui, cela revient au même, n'est-ce pas ? Jamais aucune descendance. En fait, tu avais si peu besoin de moi…. Dorénavant, tu n'auras même plus à t'inquiéter de ma présence ! Jamais plus je ne freinerais l'amour que tu as pour Charly…
Possessive, je sais très bien que sans moi, il n'y aurait toujours eu que lui. Toujours.
Et même si secrètement j'espérais que tu n'aimes plus que moi, je savais pertinemment que ce ne serait jamais le cas.
Je te prie de m'excuse, mais y avait-il un autre moyen ? Les sacrifices ne suffisent-ils pas ? Comment voulais-tu vivre auprès de lui si à tout jamais tu restais près de moi ? C'était impossible, voilà tout. Encore une fois je m'excuse de te faire endurer ceci. Malgré cela, je ne regrette rien. Je suis si inféconde que la honte m'aurait emportée tôt ou tard. On ne peut échapper à son destin, vois-tu ?
Je n'aurais été qu'une passade enfin de compte, un amour éphémère qui aussitôt aurait disparu. Celle qui t'aurait ouvert les yeux sur ton véritable amour ? Cela fait si mal de se l'avouer… Edward, tu ne le sais pas toi-même. C'est si désolant pour ce pauvre Charly. Pour nous tous… Vous vous aimez tellement pourtant… Je t'aime tellement. Que nous est-il arrivé pour que cela se passe ainsi ? La faute au mariage arrangé ? Au mensonge ?
J'en ai bien peur…
Edward… je suis si triste à l'idée de te quitter. Sans un revoir, aucun signe d'adieu. Mais cela n'est-il pas mieux ? Je pars comme je suis arrivé, telle une poussière dans l'œil. J'espère de tout cœur que mon amour ne t'auras pas été inutile, que tu sauras dignement t'en relever.
Charly t'attend…
Allez, ne te laisse pas prier encore plus longtemps.
Je sais que cela sera dur. N'ais-je pas été ta femme ? J'aurais tant aimé l'être réellement…
Qu'importe ! Il est bien trop tard maintenant.
Mon Edward, je te laisse sur ces vaines paroles. Je t'abandonne sous le signe de ton amour renaissant. N'est-ce pas si beau que de se sacrifier pour la personne que l'on aime ?
Je serais morte pour votre amour…
Ton amie, Isabelle. »Pêcher – Chapitre 9
ITel le jour de leur première rencontre, le soleil brillait fièrement dans le ciel. Manifestement, les dernières pluies avaient retardées la floraison de l'arbre qui, en cette fin de printemps, ne donnait encore que de petits bourgeons.
Lorsque ce jour-là, Charly découvrit les multiples fleurs qui avaient germées au cour de la nuit, il ne se détacha plus de ce paysage. Au loin, l'éclat des bois semblait bien fade auprès de ce déchaînement floral. Si belles et si pures. Emerveillé, une seule idée lui vint en tête : faire profiter de ce spectacle.
Généralement caché aux yeux de tous, Charly, ainsi que le jardinier, était le seul à s'approcher de l'arbre. Alors qu'il appartenait tronc et fleurs à Edward.
La fleur de pêcher puisait sa couleur rosée du sacrifice de Charly, se nourrissait en son sang, en sa chair. L'arbre n'était autre qu'une partie de lui-même, celle qu'il avait scellé lors de son mariage, de leur séparation.
Et désormais, il souhaitait la faire partager. Quatre ans à le regarder pousser. Quatre longues années qu'il ne pouvait oublier.
Donc, ce jour-là, il se présenta devant les appartements d'Edward.
Ce dernier crut tout d'abord qu'il l'emmenait au lac, ne réfuta donc pas sa visite. Mais lorsque Edward remarqua qu'ils continuaient de longer le château, il devint suspicieux, l'interrogea sur leur destination.
— Suis-moi, fut-elle la seule réponse.
Intrigué, il en fut encore plus stupéfait lorsqu'il remarqua cette parcelle de terre qu'il n'avait encore jamais vu.
Quelques mètres plus loin, de magnifiques pétales voltigeaient dans l'air avant de se poser délicatement sur le sol. Emerveillé, il s'avança de quelques pas, attrapa à la volée l'une des pétales.
Charly s'esclaffa, le suivit jusqu'au tronc.
II— Charly, quel est donc cet arbre ?
Edward s'assit à même le sol. Se posant contre le tronc, il éleva son regard aux branches qui le cachait du soleil alors qu'au même moment Charly s'allongeait sur l'herbe, les bras derrière la tête. Un pétale venait de tomber entre ses deux yeux, se plaignant, il s'en débarrassa avant de prendre la parole :
— C'est un pêcher.
Il laissa pourtant échapper quelques paroles laissant supposer qu'il hésitait à en dire davantage. Le percevant aussitôt, Edward l'interrogea à nouveau sur la signification de l'arbre. Attendant une quelconque réponse de son amant, devenu joueur, il déposa l'une des pétales sur le front Charly. Lorsqu'il se mit à genoux face à lui, son sourire moqueur s'effaça aussitôt car Charly, en l'attirant d'un bras, le fit basculer sur lui. Désormais l'un sur l'autre, Charly convint de poursuivre :
— En langage floral, lorsque l'on offre des fleurs, cela montre son envie d'être emprisonné par son amant.
Edward se montra toutefois clairvoyant à ce discours, leva tout de même un sourcil.
— Son envie d'emprisonnement ? s'enquit-il grandement suspicieux. Quand t'ais-je attaché à moi ?
Edward n'avait toutefois jamais appréhendé leur lien de cette manière, il en restait tout de même assez stupéfait de voir que Charly n'avait pas tout à fait tort.
— Dès le premier jour, je présume.
Stupéfait par l'attitude pénétrante de son ami, il se ressaisit de l'expression d'embarra qui venait de recouvrir ses traits, s'appuya sur ses deux bras afin d'obliger Edward à s'asseoir sur ses cuisses.
— Donc, envoûté par ton tortionnaire, cet arbre représenterait solennellement notre attachement ?
— Je ne t'aurais jamais cru aussi perspicace, avoua-t-il, embarrassé.
Afin d'en quelque sorte le réconforter, Edward enfouit ses doigts dans les cheveux de Charly, lui relavant la tête par la même occasion. Son autre main défit son col, lui offrit bientôt un cou blanc à attaquer par de multiples baisers, remerciés par d'infimes frissons.
Alors qu'il remontait à ses lèvres, une nouvelle pétale s'abandonna sur le visage de son amant. Charly s'apprêta à la chasser lorsque Edward, le fixant ardemment, la mit dans la bouche. Abasourdi, il voulut lui faire recracher. En vain, Edward avala.
— Mais…
Charly se vit confus par ce geste mais, pour le rassurer, Edward sourit malicieusement avant de déposer délicatement ses lèvres contre les siennes.
— Si réellement ces fleurs sont pour toi le signe de notre amour, je ne laisserai personne d'autre se les approprier, conclut-il ces mains de chaque côté du visage de Charly qu'il caressait passivement.
III« Je ne sais pas même quel sont tes sentiments à mon égard » avait déclaré Charly, dans la matinée, en le dévisageant.
En boucle, Edward se répétait ces mots. Assis dans l'un de ses fauteuils face à la fenêtre, là où il aimait se reposer lorsqu'il réfléchissait, il tenait un verre à la main. Il ne méditait pas tellement, hésitait plutôt. Que dire, que faire lorsqu'une déclaration est quémandé ? Refuser ? Il savait pertinemment qu'un refus pourrait être mal pris, alors il doutait.
Comment dire « je t'aime » ?
L'impossible. Bien que ces paroles ne s'exprimaient pas à la légère, Charly quémandait tout de même l'impensable. Quelle intonation prendre pour un « je t'aime » ? Dans quelle situation l'avouer ? C'était tout de même à Charly qu'il fallait l'avouer.
A Charly…
Il grogna de mécontentement.
Etait-il nécessaire de révéler ses sentiments de cette manière ? se questionna-t-il intérieurement. Il aurait pensé que seuls les gestes auraient suffit afin de le lui faire comprendre. Mais il sembla que Charly doutait. Malheureusement, Edward abhorrait à se déclarer.
Un seconde bougonnement.
Bien sur que non ! « je t'aime » c'est si simple, si inutile même ! Tout le monde est capable de le dire, alors pourquoi faire comme les autres ? Les sentiments d'Edward n'était certainement pas les mêmes que ceux de son voisin, alors pourquoi se risquait à dire une chose que n'importe quel inconnu pourrait exprimer ? Edward n'aimait pas n'importe qui, n'aimait pas comme n'importe qui.
Non ! Il fallait quelque chose d'autre. « Je t'aime » ne suffisait pas pour exprimer ce qui lui ressentait. Il fallait une autre expression à trouvait, quelque choque qui réellement lui ressemblerait.
« Je t'aime » est si vide de sens.
Alors, il réfléchit de nouveau.
— Ce que moi, je ressens…
Il se releva tout à quoi, posa une main contre la vitre.
— Ce que je veux.
Contracta quelques instants ses doigts sur les carreaux.
— Ce qui, à tout deux, nous tient à cœur. Un « je t'aime » ne suffit pas, incontestablement.
Dorénavant impatient, Edward attendit que la nuit tomba afin de retrouver son amant. Mais, juste avant cela, il alla récupérer quelques fleurs de pêcher.
« Son envie d'emprisonnement… »
Déclarations – chapitre 10
ICes yeux s'habituèrent promptement à l'obscurité. Le bout de ses doigts frôlant les murs du couloir qui le mènerait à Charly, il se déplaçait tel un fauve aux aguets. Chaque son, chaque geste, jamais on ne l'apercevrait. Son costume l'embarrassait mais cela l'importait : il devait le rejoindre au plus vite, avant qu'il ne s'endorme pour de bon.
Il lui connaissait le sommeil lourd, espérait de tout cœur qu'il ne s'y soit pas pris trop tard. Charly voulait une déclaration. Si en cet instant il ne lui ouvrait pas la porte, jamais plus Edward ne se déciderait.
Il y était presque.
Quelques mètres et il serait devant ses appartements. Tout à coup, son corps se crispa, son cœur s'accéléra. Dans quelques mètres il devrait dire quelque chose.
Soufflant longuement, il parvint néanmoins à se débarrasser d'une part de son angoisse.
Presque devant la porte.
Bien qu'il savait bien que jamais des mots ne viendraient à bout de sa véritable pensée, il allait cependant réciter de longues et impertinentes phrases. Même si aucuns mots n'étaient assez fort pour désigner leur relation. Il en était certain, c'était impossible.
Bientôt, ses doigts frôlèrent l'un des renfoncements de la porte. S'aidant des images qu'il avait retenu en journée et dorénavant dans l'obscurité, ses yeux sculptèrent vaguement les montants de la porte d'entrée. Malheureusement, ses contours devinrent suffisamment visibles pour qu'il reperdit le courage qu'il venait d'acquérir.
Il toussota légèrement, se passa la main sur le front. Agité, il frotta les contours de son nez puis le plis de son menton. Ses yeux subirent le même traitement. Il était si nerveux qu'il commença à se mordre l'intérieur des joues. Lorsqu'il sentit le goût du sang, il s'attaqua aux lèvres. Frénétiquement, les battements de son cœur tressautaient, une irrésistible envie de vomir le retenait de réitérer les coups qu'il venait de frapper à la porte.
Car bientôt, Charly la lui ouvrit.
IIEnroulé dans les draps, Charly ne réussissait à fermer l'œil. Un cauchemar venait de l'assaillir, il ne savait s'il était éveillé ou encore endormi. L'ombre des chandelles lui rappelaient les monstres qu'il venait côtoyé, était horrifié à l'idée même de se relever.
Car, même s'il ne voyait rien, il pressentait que le fantasme de son rêve s'approchait du lit. Charly s'emmitoufla un peu plus dans les coussins, se recroquevilla. Il sentit aussitôt une main lui emprisonner la cheville, voulut crier. L'infime son s'évanouit dans sa gorge, ne formant plus qu'un gémissement étouffé.
Alors il ouvrit les yeux, se concentra sur ces ombres qui dansaient follement. Il s'assit, ne sut plus quoi faire. La tête dans les bras, chaque bruit venait se susurrer à son oreille, lui chatouiller l'échine.
Un tapement vint percer au travers de sa peur. Il se focalisa sur ce son qui se trouvait ressembler à son sauveur, celui qui viendrait très bientôt détruire ses monstres. Il écouta, voulut se l'approprier. Comme s'il ne devait plus être effrayé auprès de ce tapement familier.
Il étouffa un soupir de soulagement lorsque ses monstres battirent en retraite afin de retrouver l'ombre des chandelles et qu'il découvrit que ce qui lui emprisonnait la cheville n'était autre qu'une simple couverture.
Ces changements se firent si promptement qu'il n'eut plus le temps d'ausculter le tapement. Car bientôt, ce son qui venait de le libérer de ses peurs, changea. D'un tapement, il passa à une voix. A quelqu'un qui l'appelait à travers sa porte d'entrée.
Dorénavant stupéfait, il alla ouvrir.
Edward se tenait devant lui.
III— J'ai eu si peur de tout oublier lorsque j'arriverai devant ta porte, que je me suis permis de le rédiger sur papier puis d'ensuite te le faire lire.
« Charly,
Tu m'as dit que tu ne savais pas ce que je ressentais à ton égard. Sache que ce n'était pas intentionnel car j'aurais plutôt cru être assez clair sur mes gestes à ton encontre… »
— Malgré les apparences, je doute toujours et de quoi que ce soit. Si je te contrarie, j'ai tout de suite l'inquiétude que tu ne m'adresses plus la parole. Je suis tellement effrayé de tes réactions qu'en fin de compte, j'espère que tu me m'avoueras clairement ce que tu penses de moi…
Honteux, Charly baissa la tête tout en rougissant.
Le fait qu'il ait peur de nos disputes serais-ce uniquement de ma faute ? Il est vrai que la dernière fois, Edward ne lui avait plus adressé la parole durant plus de six mois mais, prit par son rôle d'héritier et la charge de son père mourrant, il n'avait plus eu l'opportunité de se consacrer aux autres, tels qu'ils soient.
« …Bien sûr, je ne me mets pas réellement en cause et comprends qu'aujourd'hui, tu t'es toi-même révélé en m'apportant ta signification de la fleur de pêcher.
Malheureusement, et comme tu pourrais t'en douter, j'ai eu de nombreuses inquiétudes quand aux termes à exprimer, j'opte donc pour une lettre que je t'offrirais en main propre. Sache également que, si tu l'as reçois en retard, c'est que j'étais très en colère que tu dormes ce soir-là… »
— Bon, je suis réveillé après tout.
— D'ailleurs Charly, aurais-tu fait un cauchemar ?
— Comment as-tu… ?
— Ceci explique donc pourquoi j'avais aussi peur en venant te voir…
— Pardon ?
— Lis et tu verras !
« …Charly, nous sommes avant tout frères jumeaux… »
— Et bien voilà, reprit Edward en riant, tu as ta réponse.
Charly sourit nerveusement. Le fait de parler de leur parenté dans une lettre d'amour était assez effrayant quant à la suite.
« … Je crois que cela, je ne pourrais jamais l'oublier. Nous sommes irrémédiablement liés et ne devons que l'accepter. Mais je pense également que notre relation n'est pas malsaine et cela, je peux enfin me l'assurer.
Les jumeaux sont comme une seule et même personne qui malencontreusement, s'est dédoublé lors de la maternité. Et je pense que même si, dès le départ, nous ne formions qu'un, il nous est maintenant impossible de vivre l'un sans l'autre. Et le fait que nous ayons fait l'amour nous rapproche bien de cette idée de rechercher la complétion.
Mais d'un autre côté, le fait même d'avoir fait l'amour avec sa « moitié » montre de nous un côté assez narcissique. Nous avons les mêmes traits, c'est comme si nous tombions amoureux de nous-même. Ne crois-tu pas ? Et c'est précisément pour cette deuxième constatation que j'étais si effrayé à l'idée d'être avec toi… »
Charly lui lança aussitôt un regard suspicieux :
— Es-tu sûr de ce ''étais'' ? Ne l'es-tu pas davantage maintenant que nous ne sommes plus que tout les deux ?
— Je crois justement qu'être ensemble me permet de mieux appréhender notre relation.
« …Le temps passe si vite que je n'ose mettre un pied de l'avant. Je ne pense qu'à mon passé, qu'à ce qui m'a été exclu durant ces vingt années. Car pendant tout ce temps, jamais je n'ai réellement été à tes côtés et je le regrette tant… »
— En parlant d'être à mes côtés, ne souhaites-tu pas rentrer ? Si l'on te voit au pas de ma porte à cette heure-ci…
— Lis, objecta aussitôt Edward.
Charly haussa les épaules, reprit sa lecture.
« …Cette déclaration que tu m'as demandé n'a rien à voir avec ces mots que tous les couples s'échangent : notre relation est bien plus forte qu'un petit ''je t'aime''. Uniquement te l'aviser serait comme d'omettre involontairement nos véritables sentiments. Car Charly, sache que si demain tu venais à disparaître, je te suivrai aveuglement. Par n'importe quel moyen, que je sois seul ou entouré, que ce trône me rattache à la vie ou pas. Sans toi, la vie ne vaux plus la peine d'être vécue. Et ce n'est pas en te disant ces simples mots que je t'avouerais tout cela.
Si tu fermes les yeux, aussitôt je ferais de même. C'est de là que repose notre véritable lien. Nous sommes comme des amants déchaînés qui au moindre écart, s'aventurent sur la piste des souffrances afin de ne pas rester seuls. Nous sommes égoïstes à toujours nous promettre de jolies morts, vaniteux d'espérer que l'autre se plieras à nos envies. C'est cela notre véritable problème. Nous n'aimons pas tel que nous le devrions. Cela dépasse l'entendement. Nous nous imprégnions l'un à l'autre chaque souffle… »
— Tu parles d'imprégnation là où moi je parle d'emprisonnement. D'un l'un ou de l'autre, ne crois-tu pas qu'ils veulent dire la même chose ?
— Ne vivons-nous pas la même chose ? s'enquit Edward malicieux.
— Il est vrai ! s'esclaffa Charly en reprenant sa lecture.
Ils se trouvaient tout deux gênés par la situation. Le fait même d'exposer ses sentiments de manière aussi frivole rendait Edward si nerveux qu'il se retenait de s'évanouir sous le poids de la nervosité. Et Charly qui feignait de prendre tout cela à la légère alors que chaque mots tressautait en son esprit, que ses doigts agrippaient la feuille.
Pour que tout ceci ne soit pas un rêve.
Pour que cela ne se reproduise pas.
« … Si nous parlons de '' sacrifice'', qu'importe pour moi également si je souffre tant que tu est heureux à mes côtés. Et que, même lorsque tu souhaiteras me quitter, je ferais irrémédiablement en sorte de te reconquérir… »
— Je crois qu'il me sera véritablement impossible de te quitter. Lorsque tu parles de notre lien, il va de soit quant au fait que, moi-même, je ne pourrais me passer de ta présence. En tant qu'amant comme en tant que frère.
« …Car pour moi, rien n'a d'égal dans ce monde que d'être estimé par toi… »
Une main dans la poche, Edward sortit quelques pétales, attendit que Charly poursuive sa lecture.
« …Dès ce soir, par cette fleur de pêcher qui, pour toi, nous unis, je viens t'annoncer que je ne dormirais plus qu'ici… »
Là, il déposa les deux fleurs de pêchers sur les lettres, laissa Charly coi de ce geste. Puis, il reprit la parole, exprimant mot pour mot la suite de la lettre.
— Qu'importe ce que l'onen pensera, ce qu'il en adviendra. Je resterais à tes côtés, ne te quittera que lorsque la mort viendra me prendre, tel un prisonnier pour son tortionnaire. Alors, Charly d'Alfara, enchaîne-moi.
— Viens-là.
Une seule réponse. Un seul geste. Une porte qui se referme.