Chapitre 4

Faire les gamins ne veut pas dire l'être. Malgré le fait que nous étions en froid depuis plusieurs jours, et que nous nous adressions plus la parole, ce n'était pas une raison pour changer de place dans les différentes salles de classes.

Avant de venir s'asseoir à ma droite, et contrairement à ces derniers jours, il me fit un signe de tête. Son sourire était assez bref, plus poli qu'autre chose. Je m'y accoutumai cependant. Après tout, même s'il avait subitement décidé de changer le sexe de ses conquêtes, c'était moi qui avait pété un câble. C'était à moi de m'excuser. Je ne savais juste pas par où commencer.

« Dans cinq semaines, tu m'appartiendras à nouveau. »

Cette phrase me trotta de nouveau en tête, tandis que je vidais sur la table feuilles et trousse. Il avait juste fallut que je change les aboutissants de mes souhaits pour qu'elle se réalise. C'est tout. Ouais, aimer quelqu'un peut vraiment rendre con.

Alors que le cours de littérature commençait, il se tourna vers moi sans mot dire. Je lui souris et, lorsqu'il fit de même ma poitrine se gonfla tout à coup. Durant ce bref instant, cette douleur que je traînais à la poitrine s'amenuit légèrement. Cependant, tout n'était pas gagné.

Je me perdis entre les lignes de Gargantua, regrettant que nous ayons déjà fini Rimbaud. Tandis que le père machin parlait à je-ne-sais-trop-qui, et que le professeur nous énumérait tout ce que cela impliquait comme critique de sur-le-coup-on-s'en-fout, une feuille de papier atterrit dans mon champ de vision.

« Du coup, je suis libre après les cours »

Je me tournais prestement, croisant son regard.

- Le parc ça te va ? chuchotai-je le plus prudemment possible.

- Ouais, mais je pourrais pas rester longtemps. Ma mère veut que j'aille faire les courses. »

Finissant sa phrase, il se concentra de nouveau sur le cours, notant brièvement quelque chose à la suite de son cours, que je copiais pompeusement. On ne sait jamais.

J'avais certes fait le premier pas, il avait fait tout les seconds. Ce que je peux être con.

Mon portable vibra dans ma poche. Ethan sortait le sien au même moment. Assis au centre de la salle, il était facile de garder son portable sur les genoux sans se faire repérer par le professeur.

« Mes parents me laissent la maison ce week-end. Message reçu ? Bonne petite murge en conséquence ! »

- De bonnes nouvelles dès le lundi ! rigolai-je.

Ethan acquiesça avant de ranger son portable :

- Grave ! Mais bon Antoine vit loin, ça va être la merde avec le bus.

- Ouais, il passe toutes les deux heures je crois. Faudra tous se donner rendez-vous à l'arrêt.

Le prof nous fusilla du regard avant de reprendre son explication. Premier avertissement. Mais nous en avions l'habitude.

Chuchotant plus bas, Ethan répondit :

- Grave ! Je mate les horaires et je te redis.

- Ouaip.

Un nouveau soulagement. Le sourire que j'arborais ne quitta pas mes lèvres durant les cinq dernières minutes du cours.

Allions-nous faire comme si de rien était ? Dans tous les cas, la crise se désamorçait. Il ne me semblait pas m'être déjà senti aussi mal vis-à-vis de lui, malgré toutes les conquêtes qu'il me collait toujours sous le nez.

- o O o -

A midi, Alex voulut tout savoir. Cependant, rien ne sortait.

Il était rare que nous ne nous retrouvions que tous les deux. Ordinairement, nous mangions par groupe de 3 ou 5, tandis que les autres vaquaient à leurs occupations. Ou pas. Nan, en fait, je faisais jamais vraiment attention à ce que les autres pouvaient faire tandis que j'étais en train d'avaler mon repas – pardon, que j'ingurgitais bruyamment le vaste contenu de mon assiette. Le self était atroce, jamais je n'acceptais d'aller y empoisonner mon estomac. Que d'autres s'en chargent ! Connaître le nom de ses malotrus serait un affront.

Je riais doucement. Lorsque Alex me demanda ce qu'il se passait, je ne pus que m'esclaffer en lui contant le fil de mes pensées. Elle se joint à moi et nous nous retrouvâmes à débattre sur : « J'ai tout le temps faim, mais faim de bonnes choses, ce qui en soi est un véritable problème. »

Assis face à face à la pizzeria d'à côté, Alex ne lâcha pourtant pas l'affaire. Ethan revient très rapidement sur le tapis.

- J'ai lâché l'affaire, répondis-je à une énième de ses questions, et non, même s'il sort avec un garçon, ça ne veut pas dire que j'ai mes chances.

- On est combien à savoir que tu l'aimes ? Et combien à savoir que ça dure depuis tant de temps que tu n'avais pas encore compris qu'elle était la meilleure prise en main pour une bonne masturbation ?

Lui jetant un regard noir, je regarda vite fait aux alentours. Il est toujours assez gênant d'entendre ce genre de discours dans la bouche du fille, et encore plus dans un lieu public. Les filles n'ont pas le droit de savoir que l'on se frotte contre des trucs avant notre première véritable érection et l'apprentissage de ce si sympa mouvement de mains..., me mortifiai-je intérieurement avant de reprendre un par un les mots que j'avais pensé et me sentir affreusement sale.

- Changeons de sujet.

Elle ne sembla pas surprise pour un sou.

- D'accord.

Elle mit un certain temps avant de reprendre :

- Léo va bien ?

Sa demande avait un petit côté maladroit qui me surprit tant que je me demandais tout à coup si elle n'avait pas connu les sentiments de notre ami. Elle sembla avoir entendu mes pensées. Son sourire attristé en était une parfaite preuve.

- Il est solide, il laisse aller les choses, tout naturellement.

Elle ne parut pas convaincue.

- Tu sais, je ne savais pas, avant de me mettre avec Antoine, je ne savais pas, c'est qu'après que-

- C'est pas grave.

Malgré notre profonde amitié, je me trouvais retranché entre Léo et elle, et ayant vu la portée de sa souffrance, je ne pouvais laisser les lèvres d'Alex glisser dans la conversation ne serait-ce qu'un « désolée ». Cependant, je ne pu m'empêcher de poser la question :

- Tu regrettes de ne pas avoir connu ses sentiments avant ?

Elle sembla réfléchir un instant. Finissant son dernier morceau de pizza, elle bu un verre d'eau et se racla la gorge :

- Même si Léo aurait certainement été bien pour moi, j'ai Antoine maintenant. Ce que je vis avec lui est beaucoup trop précieux pour que je tente ma chance sur un coup de tête avec quelqu'un d'autre. Ce n'est pas le tant le fait d'être aimée mais celui d'aimer. Je ne crois pas avoir jamais vraiment aimé avant lui, et ne crois pas non plus que j'aurais découvert cela avant Antoine. Tu vois ce que je veux dire ?

- Ouais, très bien.

La connaissant, elle dû se morigéner intérieurement d'avoir dit une telle connerie. Pourtant, elle se trompait. Je souris malgré moi. Mes amis me surprenaient. Leurs visions de l'amour avaient-elles toutes mûries en oubliant de me prévenir qu'il fallait que je fasse de même ?

- Ouais, je crois que j'ai pas bien compris ce qu'était qu'aimer quelqu'un.

L'incompréhension se lut sur son visage.

- Et putain, ouais, ça fait flipper, concluais-je entre mes dents.

Elle sourit.

- C'est pour ça que tu n'as jamais tenté avec Ethan ?

- C'est pour ça qu'Ethan ne connaîtra pas mes sentiments.

Comme Alex et Antoine, Alex et Léo, il n'avait pas besoin de savoir. Il est était couple, même après toutes les fois où il l'a été et toutes les fois qu'il le sera peut-être encore, je n'ai aucun droit de m'interposer. Il n'avait pas besoin de savoir ça. Pas besoin d'avoir à gérer ça. Il n'y était pour rien.

Je l'aime. Alors je ne ferais rien.

Ouais, maintenant, je suis sûr qu'aimer, c'est ça aussi. Ne pas s'interposer.

- o O o -

Ne pas lui dire que je l'aime, ok.

Tout embellir, ok.

Mentir comme un arracheur de dents, plus que ok.

- Même si tu es mon ami le plus proche, je n'ai jamais réussi à t'avouer que... que j'aime les hommes. C'est pour ça que j'ai réagi comme ça pour Paul et que je t'ai mis toutes mes conquêtes sous le nez. D'une certaine façon, je me suis aussi senti trahi que... que tu peux l'être en apprenant mon homo... homosexualité.

Nous nous trouvions dans ce parc où, un jour, j'avais enfin mis un mot sur mes sentiments. Aujourd'hui, j'étais là pour mettre ces mêmes sentiments encore plus sous silence qu'habituellement.

Nous avions fini les cours à 18h30. Cela faisait bientôt une semaine qu'il sortait avec Paul ainsi qu'une semaine que nous étions en froid.

J'avais fait le tri dans mes pensées, comme dans mes sentiments. Désormais, je voyais clair. Je comprenais toutes mes erreurs et le fait qu'Ethan n'y était pour rien. Comment pourrait-il comprendre que je l'aimais tellement, que j'avais été si jaloux, que j'avais perdu la tête, etc. etc. s'il n'avait aucunes clefs pour visualiser l'entièreté de la situation ?

Cependant, je ne lui en donnerais quand même aucune, et inventai un joli petit bobard pour que presque tout revienne en ordre.

J'embrassai de nouveau sa salive sur le morceau de carton qui servait de filtre, comme un adieu à tout ce que j'avais imaginé, à toute cette relation sur laquelle j'avais fantasmé pendant de si nombreuses années. Je vivais tout ceci comme une franche rupture, et peut-être même comme un deuil. Oui, faire silencieusement le deuil de tous ces sentiments qui m'avaient bouffés. Et pour cela, il avait juste fallut qu'il sorte avec un sombre connard !

Bon ok, j'étais pas encore complètement guéri, mais ça faisait son chemin.

Dorénavant, j'acceptais.

- Oh putain, mon pote, ouais, je comprends. Et je dois bien t'avouer que je me doutais un peu du fait que tu sois gay, mais comme tu me disais rien...

- Ouais, j'y arrivais pas.

Son sourire s'animait dans ses yeux, ses magnifiques yeux bleus.

- Fait chier ! On va se mettre à chialer comme des tafioles si on continue.

- Euh... Je crois que c'est déjà le cas, répondis-je du tac au tac.

Il explosa franchement de rire. Se calmant peu à peu, il écrasa le joint sur le banc de notre banc habituel, avant de reprendre plus sérieusement :

- Alors... euh... tout est ok ?

En réponse, je lui offrit un large sourire. Il est parfois trop facile de faire en sorte que le reste de son visage cache ce qui se trouve au plus profond de nos yeux.

- Oui, tout est ok.

Tandis qu'il me tendait l'une des cigarettes de son paquet de blondes et en prenait une pour lui, je le vis hésiter un peu. Sun léger coup de vent fit virevolter sa tignasse blonde. Mon cœur se serra. Ça allait être vraiment dur de ne plus être attiré par lui.

J'entendis à peine ce qu'il me dit, le fit répéter.

- Euh, tu sais, j'aimerais bien te faire rencontrer Paul dans de meilleures circonstances, et aussi... putain... tu as l'air assez proche de Léo alors euh...

- Ouais, on a pleins de choses à reprendre, plaisantai-je.