Titre : Poina ka no'ono'o (Amnésie en Hawaiien)

Rating : T

NDA : Tout l'univers de cette nouvelle m'appartient et est placé sous copyright. Une seconde partie sera publié. Bonne lecture ;)


Queen's Medical Center – Honolulu – été 2009

Plongé dans les ténèbres, Leilani2 se sentait mal. Il pouvait sentir une forte odeur de médicament. Ouvrant les yeux avec difficulté, il put voir la lumière, celle-ci lui brûla la rétine et ferma immédiatement les paupières. Il prit de plus en plus conscience de son corps, bougeant faiblement les doigts raides, ses jambes tout aussi tendues. Il rouvrit les yeux lentement, se forçant à les garder ouverts le temps de s'habituer à la lumière. Il distingua des murs blancs. Tournant légèrement la tête il vit une grande fenêtre, le temps dehors était maussade. Il comprit alors qu'il était dans un hôpital en voyant sa tenue. Comment était-il arrivé là ?

Leilani prit l'alarme près de lui et pressa sur le bouton. À peine une minute plus tard, la porte de la chambre s'ouvrit sur un homme en blouse blanche qui s'approcha de lui.

- Monsieur Kolua, vous êtes enfin réveillé. Comment allez-vous ?

- Qui êtes-vous ?

- Je suis l'infirmier de garde, Monsieur Kolua, de quoi vous rappelez-vous ?

- De rien pour l'instant, comment je me suis retrouvé à l'hôpital ?

- Vous avez fait une grosse chute et vous êtes resté près de deux mois dans le coma, vous venez de vous réveiller.

- Co…coma ?

- Oui.

L'infirmier lui raconta ce qu'il s'était passé, et quelques passages de son accident lui revinrent en mémoire avec brutalité. Il faisait du jet-ski et un autre homme l'avait percuté de plein fouet, le poussant dans les rochers à proximité. Leilani se rappela le grand rocher, puis plus rien.

Le médecin chargé de lui passa dans l'après-midi, et l'emmena faire divers examens. Apparemment, il avait eu la jambe cassée et des égratignures. Il allait plonger dans le sommeil lorsque la porte s'ouvrit lentement. Un homme d'environ son âge entra, accompagné d'une jeune femme. Il reconnut alors sa sœur, Kaenna3, par contre, l'homme ne lui disait rien, mais remarqua son petit sourire.

- Leilani, comme je suis contente que tu sois réveillé !

La jeune femme allait lui sauter au cou, mais s'arrêta en le voyant grimacer. Elle s'installa sur le fauteuil près du lit et lui prit la main.

- Tu m'as fait la peur de ma vie, tu ne peux pas imaginer comme j'ai angoissé depuis que tu es arrivé ici.

- Je suis… désolé… Le médecin m'a dit ce qu'il m'était arrivé…

- C'est Napua4 qui a appelé les secours.

- Napua ?

- M… Moi…

Leilani tourna son visage vers l'homme qui se tenait de l'autre côté du lit, mais qui n'avait encore prononcé aucune autre parole. Leilani ne se souvenait pas de lui, mais apparemment ils étaient ensemble lors de l'accident. L'homme était plutôt grand et musclé, mais sans que cela soit disproportionné, il avait d'étranges yeux argentés, mais ressortait avec ses cheveux noir coupé court. Il se demanda qui pouvait-il être pour lui, quel lien avaient-ils ? De l'amitié, un lien familial ?

- Qui… Qui êtes-vous ?

Napua ouvrit de grands yeux étonnés, avant de les fermer et de crisper ses doigts. Kaenna vit cela et décida alors d'être franche.

- C'est ton petit ami Leilani. Tu ne te souviens pas ?

- Mon… Non je… je …

Voyant le désespoir se peindre sur le visage de l'autre homme, Leilani comprit qu'il était blessé, et fouilla dans ses souvenirs, mais rien ne se passa, c'était le trou noir dans sa tête. Ne pouvant pas supporter de voir son petit ami ne pas se souvenir de lui, Napua s'excusa et quitta la chambre malgré les appels de sa belle sœur. Il avait mal, terriblement mal. Comment son compagnon avait pu l'oublier ? C'était impossible… Et pourtant…

Dans la chambre, Leilani avait bien vu la blessure sur le visage de son supposé petit ami. D'ailleurs, il n'avait pas imaginé qu'il puisse être gay… Mais il ne se rappelait vraiment pas. Comment ne pouvait-il pas se rappeler de la personne dont il était amoureux ?

- Leilani…

- Je ne me souviens pas, Kaenna, qui… parle-moi de lui…

- Et bien… vous êtes ensemble depuis dix ans environ, vous vivez dans la même maison depuis sept ans, et vous êtes heureux. Il t'aime et te l'a prouvé en t'offrant cette bague, l'année dernière.

C'est seulement lorsqu'elle en parla que Leilani s'aperçut de l'anneau à son annulaire. En argent, de fines lignes la traversaient, formant une jolie décoration. Prudemment, il passa son doigt dessus, comme si elle pouvait lui ramener les morceaux de mémoire qui lui manquait. Leilani n'arrivait pas à se souvenir, et cela l'énerva. Il avait fait du mal à l'homme qu'il aime, et même s'il ne se souvenait pas de lui, il s'en voulait.

Voyant la colère teindre les yeux bleus de son frère, Kaenna posa tendrement une main sur la sienne et la serra affectueusement.

- Ça reviendra, ne te force pas. Je vais te laisser et aller le voir, il doit certainement m'attendre dehors.

- Je… D'accord… Kaenna…

- Oui ?

- Dis-lui que… que je m'excuse, et que je vais tout faire pour retrouver la mémoire.

- D'accord.

La jeune femme quitta la chambre et sortit du bâtiment. Elle vit Napua près d'un arbre. Elle s'approcha de lui et posa doucement une main sur son épaule. Surpris, celui-ci sursauta en levant son visage. Kaenna put voir alors une larme couler sur la joue de l'homme qu'elle considérait comme son beau-frère et l'essuya avec douceur.

- Il m'a demandé de l'excuser, et m'a dit qu'il ferait tout pour retrouver la mémoire. Tu sais comment il est…

- Oui, il est coriace. Kaenna…

Le ton de sa voix fit comprendre à la jeune femme à quel point Napua était triste. Elle se leva et le força à en faire autant avant de se mettre en marche vers la maison du jeune homme. Le retour se fit dans le silence, chacun plongé dans ses pensées. Napua en voulait à son amant de ne pas se souvenir de lui, mais il était aussi soulagé de le savoir réveillé et guéri. Cela faisait plus de deux mois qu'il attendait cela, allant le voir tous les jours, lui parlant de leurs souvenirs communs. Revoir ses yeux bleus, et son visage animé. Un petit sourire passa sur ses lèvres en se rappelant la façon dont Leilani s'y était pris pour lui dire qu'il l'aimait.

Flashback

Leilani et Napua étaient inséparables au lycée, passant le plus clair de leur temps ensemble. Ils se connaissaient depuis le collège et avaient noué une amitié très forte. Leilani avait vite compris que son amitié avait changé en amour quelques années après, rêvant de son ami, pensant à lui à chaque instant. Alors qu'ils s'apprêtaient à rentrer chez ses parents, Napua fut emmené par Leilani dans un coin tranquille. Celui-ci entortillait ses doigts ensemble et n'osait pas le regarder.

- Leilani ?

- Je… Je dois te dire quelque chose. Cela fait quelque temps que… que j'essaye, mais je n'y arrive pas.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Je…Inspirant profondément et levant son regard pour plonger dans l'anthracite de son ami, Leilani continua sans s'arrêter. Je ressens quelque chose pour toi, ce n'est plus de l'amitié, mais c'est plus fort, et je ne sais pas comment te le dire ou te le faire comprendre. Tu vas peut-être me haïr, mais je ne peux plus te le cacher, car ça me fait mal.

Reprenant sa respiration, Leilani avait rougi et se sentait profondément gêné. Comme jamais auparavant. Face au silence de son ami, il crut alors que leur amitié était brisée, et qu'il venait de perdre son meilleur ami à cause de sa bêtise. Mais il sursauta en sentant des doigts glisser sur sa joue et descendre vers sa mâchoire. Il ferma les yeux, croyant rêver. Une légère pression sur sa tempe lui fit relever le visage. Les yeux de Napua exprimaient beaucoup de sentiment, mais brillaient d'une lueur nouvelle.

- Je…

- Chhhhhuttt, viens là.

Napua l'approcha de lui et posa délicatement ses lèvres sur celle de son ami. C'était délicieux, tendre, et timide, mais tellement bon. Pour chacun d'eux. Leilani n'arrivait pas à croire ce qui était en train de se passer. C'était lui qui se déclarait, mais c'était Napua qui l'embrassait. Pourquoi ? Il ne put continuer plus loin, sentant les mains de son meilleur ami se poser sur ses épaules, l'approchant encore plus. Leilani se laissa faire et répondit au baiser, passant sa langue contre les lèvres devant lui, voulant approfondir l'échange. Celle-ci alla chercher la seconde, l'emmenant dans un doux ballet sensuel.

Ils se séparèrent lorsque le besoin d'air se fit sentir et plongèrent leurs regards dans celui de l'autre. Tout était confus, mais ce qu'ils savaient à présent, c'est qu'ils s'aimaient bien plus que comme des amis, et que cela était réciproque. Leilani avait quitté son compagnon quelques minutes plus tard, après un chaste baiser qui promettait bien dès choses pour le lendemain.

Fin Flashback

Kaenna vit le sourire sur les lèvres de l'homme à ses côtés et comprit qu'il pensait à son amant. Lorsqu'ils arrivèrent dans la maison, Napua offrit un café à la jeune femme.

- Il t'aime, tu sais.

Surpris, Napua se tourna vers elle. Il ressentait comme un besoin et s'assit près d'elle.

- Je sais, mais… c'est comme si j'avais perdu une part de mon cœur. Je l'aime, je l'aime sincèrement et… lui, il m'a oublié, oublier notre amour, notre relation. Comment…

- Calme-toi, maintenant ça ira mieux, il est réveillé et se porte bien. Il n'a plus qu'à retrouver la mémoire. Il ne doit pas y avoir que votre relation qu'il a oubliée. Il faut lui laisser le temps de ce souvenir.

- Tu as raison…

Les épaules de Napua s'affaissèrent et Kaenna le prit dans ses bras pour le réconforter. Elle non plus n'aimait pas l'amnésie de son frère, mais étant en contact avec des personnes aux troubles divers, elle le comprenait et savait que la mémoire de son frère reviendrait toute seule. Elle considérait Napua comme un second frère et l'aimait tout autant.

- Tu devrais te reposer un peu, tu en as besoin. Je vais rentrer chez moi, et demain, tu iras à l'hôpital.

- Je ne sais pas si c'est une bonne idée.

- C'en est une, c'est en te voyant souvent qu'il fera le lien entre ses souvenirs et toi.

- Et je dirai quoi ?

- Vos souvenirs en commun, parle-lui de toi, de lui, de vous.

- C'est si dur…

- Je sais Napua, soit fort, pour tous les deux.

Le petit sourire que lui adressa Kaenna lui fit un peu de bien, et après l'avoir raccompagné à la porte il lui souffla un « merci » sincère. Seul dans leur maison, le jeune homme s'installa près de la porte-fenêtre et contempla l'Océan Pacifique qui entourait l'île. Ils avaient grandi à Hawaii, et connaissaient l'île d'Oahu, comme leur poche. Il se rappela alors des heures qu'il passait avec Leilani à se promener sur les chemins de forêt, et leurs baignades pendant les heures de libre au lycée.

Il espéra de tout son cœur que son amant se souviendrait de lui rapidement, ne sachant pas comment il réussirait à tenir si c'était le cas inverse. Il entra dans leur chambre et contempla quelques instants le cadre qui trônait sur la commode. Décidant de ne plus se torturer la tête ainsi, Napua alla s'allonger dans son lit, prenant contre lui l'oreiller de son amant pour sentir sa douce odeur.

Leilani était réveillé depuis quelques heures quand l'homme qui était son amant arriva dans la chambre. Restant silencieux, chacun des deux hommes se regardait dans les yeux, l'un pour essayer de se souvenir de la moindre petite chose, et le second priant pour que la mémoire revienne à son amour. Napua s'assit sur le fauteuil près du lit, et déclara faiblement

- Nous nous connaissons depuis le collège, nous étions dans la même classe et on passait le plus clair de notre temps ensemble. On nous surnommait les inséparables, car l'un n'était jamais sans l'autre. On parcourait l'île en long, en large et en travers, marchant dans la forêt.

- Je ne me souviens pas…

Ne voulant pas plonger dans la tristesse, Napua décida de continuer à parler de ses souvenirs. Il regarda son amant et continua.

- On a découvert une petite crique, calme et tranquille, et on passait des heures assit dans le sable à regarder l'océan, en silence. J'ai toujours aimé passer du temps avec toi. Je me sentais bien, et je n'avais besoin de rien d'autre. Lorsque tu m'as avoué tes sentiments, tu ne peux pas imaginer le bonheur qui m'avait envahi. Jamais je n'aurais cru que cela arriverait, jamais je n'avais trouvé le courage de me déclarer moi-même.

Leilani était totalement perdu, il cherchait en vain à se souvenir, à se rappeler même une simple petite chose, mais rien ne venait. Il s'énervait, et voyait la peine que cela causait à l'homme près de lui. Il se rappela alors ce que le médecin lui avait dit le matin même.

- Le médecin m'a dit que… que je pourrais sortir en fin de semaine. Mais…

- C'est une merveilleuse nouvelle mon… Napua s'arrêta brusquement, perdant son sourire, il continua. Leilani…

- Ce dernier avait bien compris que Napua allait l'appeler autrement, mais c'était rétracté avant de prononcer son prénom.

- Mais… où …

- Reviens à la maison… Je t'aiderais à te souvenir, on ira dans des endroits où nous avions l'habitude d'aller.

Voyant l'enthousiasme de son compagnon, Leilani sourit faiblement et acquiesça.

- D'accord, je reviens… chez nous…

Cette simple parole fit énormément de bien à Napua qui sourit franchement. Dans son soulagement, il prit la main de Leilani qui était posée sur le bord du lit et l'embrassa doucement. Cela lui faisait tellement de bien de pouvoir étreindre la main de son amant. Celle-ci se serra légèrement dans la sienne. Leilani avait eu une sensation étrange lorsqu'il avait prononcé ses mots. « Chez nous » cela aurait été une femme, il ne l'aurait peut-être pas pris si étrangement. Mais voyant le regard brillant de l'homme, il comprit que leur relation était bien sérieuse.

- Je suis désolé, je… je n'ai pas…

- Chut… je comprends. Napua reposa la main sur le lit et se redressa. C'est à moi de… faire en sorte de ne pas te troubler.

Napua resta encore avec Leilani, il ne parlait pas beaucoup, mais voyait qu'à chaque souvenir qu'il formulait, Leilani l'écoutait attentivement. Mais lorsqu'il le vit s'endormir, Napua s'arrêta et passa ses doigts sur le front de son compagnon doucement, puis l'embrassa subtilement sur la joue et quitta la chambre. Il se promit de revenir et de le ramener chez eux.

Leilani se réveilla quatre heures plus tard, fatigué, mais étrange. Il se rappela de la sensation qu'il avait sentie sur lui lorsqu'il s'était endormi. Un doux parfum de chlorophylle avait envahi ses narines. Il l'avait déjà senti lorsque Napua était présent. Était-ce son odeur ? Napua lui avait parlé d'eux, de certain souvenir, mais lui ne se rappelait de rien, rien du tout. Énervé, il frappa le lit. Il voulait se souvenir !

Ses parents étaient venus le voir, rassurés de savoir qu'il était bien réveillé. Sa mère avait pleuré en arrivant dans la chambre. Leilani avait dû la consoler. Lorsqu'il leur apprit qu'il ne se souvenait plus de Napua, elle n'arrivait pas à y croire. Et pourtant…

Leilani était arrivé devant chez lui. Une petite maison en bord de plage. Il s'en rappelait, il savait comment elle était, quelle pièce était où. Alors qu'il entrait dans le hall, il marcha directement vers la porte-fenêtre en face de lui et l'ouvrit afin d'atteindre la plage. Napua le suivit silencieusement, ne voulant pas le troubler plus qu'il ne l'était. Il était heureux que son compagnon se souvienne de leur maison. Il s'arrêta près de lui et le regarda contempler l'océan qui s'étendait à leurs pieds.

- Je me souviens de tout ici, de toute la maison, mais rien sur toi… je… je…

- Tu t'en souviendras. Ça reviendra.

La voix apaisante et calme de Napua fit du bien au jeune homme qui se tourna vers lui.

- Tu ne m'en veux pas, je ne me souviens de rien, mais tu ne m'en veux pas, pourquoi ?

- Parce que je sais que ça reviendra, je veux que tu te souviennes de moi, évidemment, mais je ne veux pas te faire de mal. D'ailleurs, le médecin t'a dit de te reposer, alors, pourquoi n'irais-tu pas dans la chambre pour dormir un peu ?

- Tu…

- J'ai préparé la chambre d'ami. J'irais dormir là-bas le temps que…

- Mais c'est aussi ta chambre !

- Peut être, mais… je ne peux pas… dormir avec toi… je… ne pourrais pas dormir avec toi en sachant que… tu ne te souviens plus de moi.

Leilani comprit qu'il ne servait à rien d'insister et parti vers la chambre. C'était étrange de revenir chez lui après tout ce temps à l'hôpital et pourtant, il était ravi. Même s'il ne se rappelait pas pour l'instant, il savait que ça reviendrait un jour où l'autre. Il observa la chambre comme s'il la découvrait pour la première fois. Les murs beiges attiraient la lumière, les peintures abstraites d'un peintre français mettaient de la couleur et la rendait chaleureuse. Le lit deux places étaient cachées sous une couette bleue qui l'appelait silencieusement. Il chercha alors un cadre, mais ne le trouva pas. Il retourna auprès de Napua qui s'était installé sur le canapé.

- Je cherchais le cadre, mais il n'est plus dans la chambre.

- Oh, je l'ai rangé, je pensais que ça te ferait peut-être du mal de le voir.

- Non, je voudrais le voir.

- Il est dans le premier tiroir de la commode.

- Merci Napua…

Leilani retourna dans la chambre et prit le cadre qui était posé sagement dans le tiroir. S'asseyant sur le lit, le jeune homme regarda la photo. Elle les représentait tous les deux, l'un contre l'autre dans la crique qu'ils avaient découvert. Tous deux aimaient cette photo et ils avaient décidé de la faire encadrer et de la mettre dans leur chambre. Leilani fit glisser un de ses doigts sur la photo. Sans s'en apercevoir, les larmes coulèrent sur ses joues, tombant sur le verre du cadre. Il sentit alors une main se poser sur son épaule.

- Calme-toi, Leilani.

- Mais, je ne me souviens de rien, et j'en ai marre de ne pas me souvenir !

Voyant la détresse de son amant, Napua le prit contre lui, posant doucement le cadre sur la table de chevet. Leilani se lâcha, laissant ses larmes couler. Napua enroula ses bras autour de son cou et le berça contre lui. Aucune parole ne fut prononcée. Lorsque Napua le sentit se calmer et s'endormir, il l'allongea doucement sur le lit et le recouvrit de la couverture.

Les deux hommes avaient pris l'habitude d'aller marcher sur la plage chaque jour, parlant de tout et de rien. Napua était frustré, même s'il ne le montrait pas. Cela faisait une semaine qu'il vivait avec l'homme qu'il aimait, mais celui-ci ne se souvenait toujours pas de lui. Alors qu'il était plongé dans ses pensées, le jeune homme sentit une main enlacer la sienne tendrement. Surpris, il se tourna vers son amant.

- Tu peux te cacher, mais je sais ce que tu penses.

Leilani ne le regardait pas, se contentant de fixer l'horizon. Il ne se sentait pas bien, et était inquiet de ne se souvenir de rien. C'était le néant dans sa mémoire, comme s'il y avait eu un reset pour tout ce qui concernait Napua. Pourtant, depuis la veille, une sensation étrange l'avait envahi. À chaque regard que lui adressait Napua, le jeune homme sentait son cœur battre un peu plus vite. Il savait que cette sensation était liée à ses sentiments oubliés.

Ils repartirent vers la maison, et lorsqu'ils arrivèrent dans le salon, Leilani se dirigea vers la bibliothèque et glissa son index sur l'un des ouvrages, ou plutôt l'un des albums. Il le prit entre ses mains et s'installa sur le canapé. Ouvrant l'album il put les voir tous les deux, adolescent, riant aux éclats près de l'océan. Sur la page suivante, il se voyait habillé d'une jupe hawaïenne et d'un collier d'hibiscus. Il se rappela brutalement de cela. C'était pour un anniversaire, celui de Napua. Il fut pris d'un long frisson et dut fermer les yeux brusquement.

Napua qui était à la cuisine entra dans le salon en courant en entendant le faible cri de son compagnon. Il le vit à genou par terre, se tenant la tête de ses mains. Il s'approcha et se mit à genou devant lui. Il voulut le toucher, mais Leilani se recula subitement.

- Non !

- Leilani ?

- Je… je me souviens, ce jour-là… on… on… était déjà ensemble.

Ne comprenant pas de quoi parlait son compagnon, Napua vit l'album au sol et observa la photo. C'est là qu'il comprit de quoi lui parlait Leilani.

- C'était ton anniversaire, et on s'était amusé avec tout le monde. Et lorsque tu as coupé ton gâteau… tu… tu es venu près de moi et… tu m'as embrassé. Devant tout le monde. Je me rappelle qu'ils… qu'ils nous ont tous regardé étrangement.

Un sanglot retentit dans la pièce, mais Napua savait qu'il fallait le laisser faire, comme le lui avait dit Kaenna. Il se contenta alors de rester près de lui et de l'écouter. Leilani revoyait toute la scène de la photo, la gêne, la surprise, mais aussi la joie lorsque leurs amis et familles avaient crié de joie et les avaient félicités.

- Ils nous ont acceptés ce jour-là.

- Oui, et tu étais heureux, car tu avais peur que cela se sache et que ta famille te rejette.

- Mais ils m'ont accepté et ils le savaient avant même que cela se passe.

Napua était heureux, son sourire le montrait. Leilani commençait à ce souvenir et c'était un grand pas pour tout les deux. Leilani se reprit peu à peu et sécha ses larmes avant de lever son visage.

- C'est la seule chose dont je me souviens… pour l'instant.

- Mais c'est déjà beaucoup, tu ne peux pas imaginer comme je suis heureux.

Pourtant, le sourire que Leilani voyait sur le visage de son compagnon le lui montrait et le rassurait également. Il avait tellement peur que son amnésie fasse fuir Napua. Il ne s'était rien passé entre eux, Napua gardant une certaine distance avec lui. Il savait que c'était pour ne pas le brusquer, mais lui en ressentait le besoin, maintenant.

Alors doucement, il s'approcha de son compagnon qu'il redécouvrait à peine. Son regard bleu plongea dans l'argenté de Napua qui se demandait ce qui allait ce passer. Ce dernier décida de ne faire aucun geste, le laissant faire. Leilani tremblait d'appréhension, de peur, mais un certain trouble s'était emparé de lui. Passant ses bras autour du cou de Napua, Leilani s'approcha encore un peu de lui et posa sa tête sur son épaule en fermant les yeux. Il connaissait cette sensation, il l'avait déjà sentie, mais rien ne lui venait. L'autre homme n'osait pas bouger, mais avoir son amant contre lui et sentir son souffle sur son cou lui faisait énormément de bien. C'est progressivement qu'il passa ses bras autour de sa taille et le colla contre lui. Ils ne parlèrent pas, restant silencieux l'un contre l'autre.

Ils restèrent ainsi pendant plusieurs minutes, s'abreuvant de cet instant. Leilani s'éloigna lentement de lui et s'excusa.

- Tu n'as pas à t'excuser, je suis heureux que tu te rappelles de ce moment. Maintenant je sais que tous tes souvenirs reviendront.

- Je l'espère aussi. Peux-tu, regarder l'album avec moi et me dire ce que chaque photo représente ?

- Oui, viens.

Ils s'installèrent sur le canapé et Napua prit l'album et le plaça sur leurs jambes. Ils restèrent plus de deux heures l'un à côté de l'autre. Napua expliquait chaque photo, et Leilani essayait de se rappeler. Certaines lui disaient vaguement quelque chose, mais d'autres ne lui disait strictement rien.

Le soleil déclinait vers l'horizon et Leilani s'était installé sur la plage. Le calme régnant l'aidait beaucoup pour réfléchir, et se souvenir. Certains passages de sa vie de couple revenaient pêle-mêle dans sa mémoire. Des moments intimes, les sourires de Napua, ses caresses, sa voix.

Sentant un effleurement près de lui, il tourna son visage pour rencontrer le regard de son compagnon. Celui-ci lui tendit une glace.

- Ta préférée, fraise-passion.

- Merci.

Leilani dégusta sa glace silencieusement, profitant du coucher de soleil et de la présence de son amant près de lui.

- Je me rappelle de certaines choses. Ton sourire, ton parfum, certains mots que tu prononces souvent, des moments entre nous, ici ou dans d'autres endroits.

- Je suis heureux, c'est… incroyable.

- Ca reviens mélangé, alors il y a des choses dont je ne me souviens pas, ou peu, et certaine qui sont très net. C'est une sensation bizarre.

- Tout se mettra en place tout seul, mais je suis ravi.

Napua prit contre lui son amant et l'embrassa sur sa tempe. Mais il avait besoin de plus, il était plein de doute, concernant leur avenir commun, alors doucement, il fit tourner le visage de Leilani et s'approcha. Ce dernier savait ce qui allait se passer, mais n'avait pas peur, au contraire, il ressentait le besoin de le faire.

Leurs lèvres se frôlèrent timidement, comme la première fois. Leilani sentait son cœur battre follement dans sa poitrine, comme s'il allait sortir, mais essaya de se calmer et approfondit le baiser de lui-même. Napua était heureux de sentir son amant contre lui, qu'il ne s'échappe pas. Lorsqu'ils se séparèrent, chacun souriait, heureux d'avoir passer ce cap difficile. Inconsciemment, ils avaient peur, mais maintenant ce n'était plus le cas et Leilani fondit de nouveau sur les lèvres de son compagnon, comme si sa vie en dépendait.

La nuit était tombée et les deux hommes étaient dans les bras l'un de l'autre, toujours sur la plage. Quelque chose d'important s'était passé, et tous deux le savaient. Sentant son compagnon s'endormir, Napua le secoua doucement.

- Tu devrais aller te reposer, tout cela t'a épuisé.

- Tu as raison, rentrons.

Alors qu'ils arrivèrent devant la chambre de Leilani, Napua allait partir, mais fut retenu par une main sur son bras. Se tournant vers son amant, Napua put voir son regard.

- Je voudrais que… tu dormes avec moi.

- Tu...

- Oui, je voudrais que nous redormions ensemble, comme avant.

Seul un sourire sincère lui répondit, et ils entrèrent dans la chambre, comme avant. S'allongeant dans le lit, Napua remonta les couvertures sur leurs corps alors que Leilani se collait contre lui. Il n'avait besoin de rien d'autre, et une joie immense s'infiltra en lui alors qu'il entourait son amant de son bras. Ils s'endormirent rapidement, heureux de voir leur couple aussi solide, même si beaucoup de souvenirs devaient encore revenir.

Lorsque Leilani se réveilla le lendemain, il fut surpris de sentir un corps contre le sien. Il se retourna doucement et sourit en voyant Napua dormir du sommeil du juste. Il resta plusieurs minutes à le contempler, puis glissa son index sur sa mâchoire, caressant sa joue et descendant vers le menton.

Oui, même s'il ne se souvenait pas de tout, il s'était rapidement souvenu de son amour pour ce bel homme endormi devant lui. Ou plutôt, il avait l'impression d'être tombé amoureux pour la première fois. Son cœur battant terriblement vite, ses mains moites, ses coups de chaleur, il savait ce que cela représentait. Mais la peur avait occulté tout cela. Il aimait Napua, énormément, et cela, il en était sûr.

Un sourire fleuri sur le visage endormit, où du moins il le croyait, mais lorsque les paupières se levèrent, Leilani continua ses caresses sans rien dire, regardant simplement son amant se réveiller doucement.

- Bonjour Ipo5…, souffla Leilani en chuchotant.

Croyant avoir rêvé, Napua ouvrit de grands yeux étonnés. Il ferma les yeux et les rouvrit immédiatement après pour rencontrer le sourire encore plus grand de son compagnon.

- Tu…

- Pendant la nuit, tout est revenu, et je me souviens de tout.

Napua était certainement le plus heureux des hommes à ce moment-là. Il ne pouvait rien dire, sa gorge étant serrée par l'émotion. Leilani s'en aperçut et posa son front contre le sien, ne cessant jamais de le regarder. C'était tellement fort, puissant. Lorsqu'il avait recouvert toute la mémoire, cela l'avait réveillé en sursaut. Mais maintenant il se rappelait de chaque instant qu'il avait passé auprès de cet homme qui l'aimait profondément depuis plus de dix ans.

Il s'en voulait d'avoir perdu la mémoire. Il s'en voulait d'avoir fait du mal à son compagnon, car même s'il le lui cachait, Leilani avait bien vu la blessure qu'avait provoquée cette amnésie sur Napua. Il savait qu'il l'aimait, la bague qu'il portait le lui prouvait, mais jamais il n'aurait cru que ses sentiments étaient aussi sincères et purs. Perdu dans son amour, il murmura doucement.

- Aloha wau ia 'oe6, ʻĀnela7

Napua ne réagit pas sur le moment, seule une larme coula sur sa joue, suivit d'une autre et encore une autre. Un flot de larmes coula de ses yeux. Il était heureux, vraiment heureux. Son compagnon se souvenait enfin de lui, et il l'aimait profondément. Plus rien n'avait d'importance à ses yeux que l'amour qu'il sentait autour de lui.

Heureux et amoureux, les deux hommes s'embrassèrent passionnément et chaleureusement. Napua attira son amant à lui et l'entoura de ses bras, de peur qu'il ne s'enfuie. Celui-ci sourit et rendit l'étreinte qu'il sentit autour de lui.


1 : Poina ka noʻonoʻo : Amnésie (prononcer Po-ina ka no-ono-o)

2 : Leilani : Firmament (prononcer lé-i-la-ni )

3 : Napua : Fleur (prononcer na-pou-a)

4 : Kaenna : Gracieuse (Ka-é-nna)

5 : Ipo : Chéri

6 : Aloha wau ia 'oe : Je t'aime (prononcer a-lo-ha va-ou i-a o-é en mettant une pause entre ia et oe)

7 : ʻĀnela : Ange (an-é-la) en allongeant le a du début


J'espère que cette première partie vous à plu ? N'hésitez pas à laisser un commentaire :)