Auteur : Nessi N'spi (appellez moi Nessi ^^)

Droits : Ces personnages comme l'histoire sont issus de mon imagination et de celle de ma complice Drusilla. Ils nous appartiennent. Merci de respecter les droits d'auteur et de ne pas réutiliser ce qui nous appartient sans notre accord.

Genre : Yaoi/Fantastique/Romance/Angst. A savoir : Il y a énormément de vulgarité dans cette histoire (particulièrement dans les propos d'un des personnages), pas mal de violence (dont certaines scènes pourraient choquer les plus sensibles), du fantastique (je préviens, parce que ça pourrait déplaire à certains...), le tout sur un fond d'amour entre deux hommes qui va naître dans la violence et dans la haine. Vous êtes prévenus.

Résumé : Deux meutes de loups-garous ennemies se partagent le même territoire. Lorsque des cadavres humains apparaissent, la tension augmente, les accusations pleuvent et la guerre menace. C'est dans ces temps troublés que deux loups ennemis vont devoir faire la différence entre le vrai du faux, la culpabilité et l'innocence et l'amour et la haine. Mais de lourds secrets les séparent.

Avant-Propos :

Voici le début d'une nouvelle histoire, une nouvelle aventure, de nouveaux personnages et un nouvel amour, aussi passionné que sanglant.

On m'a déjà demandé comment je fais pour trouver mes idées. Pour cette fiction, tout à commencé par une simple proposition que j'ai fait à ma meilleure amie, surnommée Drusilla : « Et si je te faisais une petite fiction comme cadeaux de Noël ? » Elle a évidemment accepté. J'envisageais un petit OS, tout court, et sans prise de tête, un truc facile à écrire qui irait vite et que j'aurai pu lui écrire en deux mois, pour le lui offrir à Noël. Sauf qu'à la question : « Qu'est-ce que tu as envie de lire comme histoire ? », la réponse a été quelque chose du genre : « une relation qui passe de la haine à l'amour. ».

Impossible dès lors de faire quelque chose de court et succin. Pour que des sentiments passent de la haine à l'amour, il faut du temps, beaucoup de lignes et surtout plusieurs chapitres ! La fiction n'aurait donc jamais pu être prête en deux mois. Et après de nombreuses heures à définir le fil conducteur, le contexte, les personnages et ce qu'elle voulait ou ne voulait pas voir dans cette fiction, j'en ai conclu qu'il me faudrait pas mal de temps pour arriver ne serait-ce qu'à lui écrire le chapitre 1 !

Et puis, pendant les mois qui ont suivit et durant lesquels j'ai réfléchi encore et encore à l'histoire afin d'avoir quelque chose de cohérent et d'intéressant autant pour elle que pour moi (il faut que j'aime ce que j'écris après tout !), j'ai eu un flot d'idées, une envie folle et je lui ai téléphoné pour lui demander : « Ca te dérangerait si, au lieu de deux gangs ennemis, je créais deux meutes de loup-garous ennemies...? » Aussi fan que moi de fantastique, elle n'a pas été rebuté. Elle m'a donné carte blanche tant que je respectais le reste de ses envies. Et je me suis emballée. Beaucoup. Trop ? J'ai créé cette histoire avec tout en mains, des personnages au contexte, de l'intrigue amoureuse aux nombreux secrets qui seront peu à peu dévoilés.

J'y ai mis beaucoup de ce que j'aime, beaucoup de ce qui m'enthousiasme dans mes lectures, beaucoup de personnages auxquels je me suis attachée alors que je n'ai écrit que quelques chapitres. En bref, j'y ai mis beaucoup de moi-même.

Cette fiction t'es dédiée, Drusilla, et j'espère, qu'au fil des chapitres, tu seras ravie par l'univers que j'ai créé pour toi et que l'hystérie te gagnera à chaque fois que tu dénoueras les fils de l'intrigue avec ou sans mon aide. Après tout ce que tu m'as apporté, tout le soutient que tu m'offres depuis tant d'années et cette amitié que tu me donnes et qui n'a jamais vacillée, t'écrire une histoire avec mon cœur et mes tripes n'était vraiment pas trop demander. Tu as été la première fan de mes écrits, la première à m'encourager à continuer, la première à relire mes brouillons avec une patience admirable, la première à me faire connaître le Yaoi ! … Et je n'ai pas besoin de te rappeler, ce que tu as fait pour moi, par le passé. Pour tout ça et pour bien plus encore, parce que je t'adore et que tu seras toujours pour moi quelqu'un d'exceptionnel, je t'offre cette fiction. Bon anniversaire ! :)

Remarque :

Avant d'en arriver à débuter l'histoire, j'ai quelques petites précisions à faire à mes lecteurs.

L'histoire, comme vous allez vite le savoir, se passe au japon. Les japonais ont des codes de politesse, des façons de faire ou de parler très caractéristique. Si vous vous êtes intéressés un minimum aux mangas, ce sont des choses que vous connaissez déjà. Je n'avais pas envie d'écrire un manga ou de trop japoniser ma fiction. Vous aurez donc beaucoup de codes qui n'apparaîtront pas.

Vous noterez par exemple que j'utilise les prénoms pour nommer mes personnages, dans l'ensemble, simplement parce que ça deviendrait pour moi un véritable casse-tête de leur trouver à tous un prénom + un nom de famille et de les nommer, selon les relations qu'ils entretiennent avec l'un ou l'autre (les japonais se nomment par les noms de famille quand ils ne sont pas intimes). Il y a déjà de nombreux personnages et on finirait par s'y perdre totalement !

Vous verrez aussi apparaître des « -san » à la fin de certains prénoms. Il s'agit ici d'une marque de respect et une façon, aussi, de montrer la supériorité de celui nommé ainsi. Alors ne soyez pas surpris si du point de vue d'un des personnages le « -san » apparaît régulièrement mais qu'il disparaît du point de vue de l'autre personnage ! « -chan » est une marque d'affection donnée à une fille plus jeune.

Vous verrez rapidement que chaque chapitre est consacré à l'un puis à l'autre personnage. POV = point de vue. C'est une des contraintes données par ma Mécène ! Pensez bien à lire de quel point de vue on se place avant de commencer un chapitre pour ne pas être trop embrouillé. Sachez aussi que si, au début, les chapitres impairs seront ceux de Kamane et ceux pairs ceux de Shinichi, cela pourrait changer. Il pourrait y avoir deux chapitres sur l'un ou l'autre.

Pour les prénoms japonais de mes personnages, Kaname se prononce : Kanamé et Shinichi se prononce : Chinitchi.

La fiction fera environ 20 chapitres. Peut-être un poil plus ou moins. Je suis sûre pour 13 chapitres pour l'instant.

Enfin, sachez que si cette fiction est dédiée à ma meilleure amie et qu'elle n'aurait pas vu le jour sans elle, elle n'aurait pas non plus pu exister sans vous, mes lecteurs. Et j'espère que vous l'aimerez tout autant et que vous continuerez à m'encourager comme vous le faîtes si bien.

Bonne lecture ! :)

FILS DE LA LUNE

Chapitre 1

La lutte des crocs

[POV Kaname]

La brume est venue du port et a envahi la ville d'Osaka. L'atmosphère est saturée d'humidité et exacerbe les relents fétides des égouts. L'air lourd et immobile donne un sentiment d'étouffement et la chaleur humide colle mes vêtements à mon corps de manière fort désagréable.

Levant la tête vers le ciel où aucune étoile n'est visible, je ferme les paupières et inspire profondément. Je n'ai pas besoin de mes yeux pour savoir où elle est. Juste là, presque au-dessus de ma tête, invisible mais éternelle. Je la sens dans mes veines, dans chaque battement de mon cœur, dans chaque souffle dans mes poumons. J'en ai conscience à tout instant, même le jour, même quand elle est noire. La lune est ma mère et ma mort, mon guide et ma perte, mon liberté et mon goêlier, mon amie et mon ennemie, mon amour et ma haine...

Elle est presque pleine. Encore trois jours où son influence ne va pas cesser d'augmenter jusqu'à ce que je lui obéisse comme un junkie en manque. Jusqu'à ce que je devienne son esclave, son amant et sa bête. Jusqu'à ce qu'elle me force à redevenir un monstre...

Je rouvre les yeux en fronçant le nez alors que l'odeur putride d'un cadavre de rat atteint mes narines. Je me détourne et fait quelques pas, regagnant le dessous du pont, mains en poches. Mon calme me quitte aussi vite qu'il est venu. Je suis rarement calme cela dit, ça ne pouvait donc pas durer.

Mes pensées se réveillent, se mettent à tourner dans ma tête et je fais les cents pas, sentant la nervosité habituelle monter en moi. Qu'est-ce que je fous ici ? Y a pas pire endroit pour passer son mardi soir. Les murs couverts de graffitis, l'humidité qui colle à la peau, les déchets abandonnés sur le sol par les drogués et les SDF, les odeurs de pisse, de merde et de viandes en décomposition... L'endroit parfait pour une putain de réunion de loup-garous.

Mais cette foutue réunion sert à que dalle.

Je vois vraiment pas ce qu'on vient tous foutre ici à cette heure de la nuit. Discuter des conditions de la prochaine pleine lune ? Mon cul. Que de la foutaise. Depuis quand on est de gentils petits agneaux qui viennent faire des accords de paix la queue entre les jambes ?!

On est des loups, bordel. Et les loups, ça mange les agneaux d'un seul coup de crocs.

On a rien à foutre sous le pont de cette voie ferrée, à la limite des deux territoires, par cette nuit brumeuse et humide. En plus, ces connards s'amusent à nous faire attendre. Minuit, c'est minuit, pas minuit dix. Mais ils pètent toujours plus haut que leur cul, ces connards. Pas moyen qu'ils nous prennent véritablement au sérieux. Sous prétexte qu'ils sont plus vieux, plus riches, plus influents, plus cultivés... ils se prennent pour les rois de la ville ! Mais on était là avant eux. C'est notre territoire !

J'ai encore franchement du mal à digérer la décision de notre boss de laisser ces enfoirés s'installer au sud. Enfin, décision est un bien grand mot. Disons plutôt qu'il a effectué un replis stratégique alors qu'on se faisait latter la gueule toutes les nuits par ces enfoirés. Shoda-san, notre chef, a réussi a négocié pour qu'on garde le nord de la ville, là où on se trouve la majorité de nos lieux de travail, et de nos logements, dans le quartier ancien, les docks et la zone industrielle.

Mais ce partage était une pure connerie ! Shoda-san a été le premier à s'en rendre compte mais il n'a pas eu le choix. Soit il cédait le sud de la ville, soit il lui fallait abandonner tout le territoire. C'est qu'ils ont les moyens de nous expulser ces salops ! Quoique maintenant, les choses commencent à changer. Mais ces conneries de négociation ont mis à mal l'autorité de notre chef et ont déstabilisé la meute. On n'a jamais été autant sur les nerfs que ces deux dernières années ! L'arrivée d'autres prédateurs sur notre territoire, les conflits perpétuels, leur arrogance...

Putain, je ne les supporte pas ! Et je ne suis pas le seul.

D'un regard, j'englobe les membres du gang qui sont venus ce soir. Trois jeunes loups, six autres plus anciens. Plus de la moitié de ces derniers sont aussi tendus que moi, et les jeunes suivront forcément le déroulement des évènements. Ils sont particulièrement influençables. Suffit qu'un loup pète les plombs pour qu'ils fassent de même... du moins jusqu'à l'intervention de Shoda-san, notre Alpha.

Mains en poche, j'envoie un coup de pieds dans une canette vide abandonnée sur le sol, histoire de me calmer un peu les nerfs. La canette a beau frapper le mur et filer dans la direction inverse avant de rebondir plusieurs fois sur le sol avec un son qui s'éloigne, ça ne me calme en rien. Pour me calmer, il faudrait une bonne dose de tranquillisant pour cheval, voire pour éléphant... ou un Alpha attentif.

- Kaname, je ne veux pas d'histoire ce soir.

Je lance un regard à Shoda-san, qui se tient debout, bras croisés, l'air parfaitement sûr de lui à quelque pas de moi, et je sens une vague de quiétude déferler sur mes nerfs. Je sursaute.

- Putain.

Mon juron est un réflexe. Je déteste vraiment qu'on tente de me contrôler et Shoda-san le sait très bien. Si il le fait quand même, c'est sans doute parce qu'il peut parfaitement ressentir mon envie de me battre, d'exploser quelques gueules et de me repaître du sang de mes ennemis.

Son autorité même vacillante fait loi. Par notre lien de meute, il peut nous contrôler avec plus ou moins de force. Un Alpha qui impose ses ordres sans arrêt et qui traite ses loups comme des esclaves ne fait pas long feu. Pour être un chef digne de ce nom, il faut savoir se faire respecter. Et je le respecte sinon ça fait longtemps que je me serais barré !

Shoda-san est un Alpha juste et tolérant. Il m'a accueilli alors que j'étais à la limite de péter les plombs, une véritable bombe à retardement prête à détruire tout sur son passage jusqu'à sa propre extermination. Il m'a donné le choix entre les chaînes de la meute ou la mort. Même enchaîné, la meute reste tout de même un endroit plus confortable que l'enfer. J'ai accepté les règles, ou la plupart des règles qu'il nous a imposé. Je ne suis pourtant pas ce qu'on peut appeler un loup obéissant. Si je n'avais pas eu besoin de l'influence d'une meute, et que je ne pétais pas un câble tout seul, je serais sans doute devenu un loup solitaire.

Mais parce qu'il m'a donné le choix, qu'il me protège de moi-même et qu'il protège les autres de moi, je le respecte. Surtout qu'il me traite plutôt bien comparé à d'autres Alpha qui m'auraient tués il y a longtemps. Il ne m'impose rien tant qu'il ne s'en sent pas l'obligation... mais en contre-partie, je ne fais pas parti de ses hommes de confiance.

Dans une meute de loup-garou, la hiérarchie se définie par la dominance du loup et la maîtrise qu'il a de lui-même. Je suis très dominant, moins que Shoda-san qui, en tant qu'Alpha est le plus dominant d'entre nous, mais plus que tous les autres de la meute, ce qui devrait me placer premier lieutenant, son bras droit en somme. Mais ma maîtrise de mes instincts, de mes émotions et de mon loup est merdique et je me retrouve relégué bien bas dans la hiérarchie, juste au-dessus des jeunes loups.

Nous n'avons pas de loup soumis dans notre meute. Les soumis ne représentent pas une menace dans la hiérarchie tendue de la meute et peuvent ainsi survivre très longtemps au sein d'une meute, à l'inverse des dominants qui sont sans cesse entrain de se battre pour redéfinir leur place dans la hiérarchie. Notre meute est encore jeune. Elle n'a qu'une trentaine d'année. Shoda-san a décidé de devenir Alpha et au lieu de renverser un autre alpha pour prendre la direction de sa meute, il a réuni les loups solitaires en quête d'une meute ou les jeunes loups qui viennent d'entrer dans le monde sauvage de la lycanthropie pour créer la sienne.

Du fait de la jeunesse de notre meute et de ses membres, on a forcément des difficultés. Les loups-garous sont territoriaux, vindicatifs, brutaux et peuvent s'emporter à la moindre broutille. Ça arrive moins avec des vieux loups-garous qui se maîtrisent en général très bien. Plus on se maîtrise, plus on survit longtemps. Dans le cas inverse, on se bat trop souvent pour ne pas mourir rapidement.

Shoda-san a pourtant fait des miracles avec cette meute trop jeune. Il parvient à nous maîtriser et à nous permettre de vivre ensemble dans un équilibre à peu près stable. Mais il suffit que d'autres prédateurs nous vole la moitié de notre territoire, pour que l'équilibre devienne précaire.

Heureusement, nos deux lieutenants lui prêtent main forte. Le premier lieutenant de la meute, Daisuke, a dépassé les quatre-vingts ans de vie lycanthrope et son ancienneté est à la hauteur du contrôle qu'il exerce sur sa part animale. Le second lieutenant, Gorô n'a qu'une dizaine d'années en tant que loup-garou, et une trentaine en tant qu'être humain. Il est fort jeune en tant que lycanthrope pour être si haut dans la hiérarchie mais il fallait bien que quelqu'un occupe la place et sa loyauté et sa sagesse associés à sa domination ont suffit à lui conférer ce rôle.

Tous deux se tiennent légèrement en arrière de Shoda-san, sérieux mais tendus, attentifs. Sans doute doivent-ils user de leur influence pour garder les jeunes au calme car vu ma fureur un peu plus tôt, ils auraient pu déjà perdre leur maîtrise.

Je constate que je suis moi-même plus calme. La dose de tranquillisants « version Alpha » a fait son effet. Je ne suis plus à deux doigts d'enfoncer mon poing dans un mur mais je reste tout de même nerveux et prêt à en découdre.

- Ils arrivent, nous prévient soudain Shoda-san.

Je n'avais pas besoin qu'il le dise car mes sens sont affûtés, comme tous les loups qui ont dépassé les quelques années. D'ailleurs, juste avant qu'il parle, nous nous sommes tous figés et avons tournés la tête vers l'autre côté du pont sous lequel on se trouve. Seuls les jeunes n'ont pas réagit, et le commentaire de Shoda-san leur était sans doute destiné.

Dans un silence tendu, on laisse nos ennemis approcher. Ils ont pris le nom de Ryuudan – le Clan du Dragon –, bien avant de venir s'installer sur notre territoire. Une meute doit se déplacer après quelques décennies par prudence. Nous ne devons pas laisser les humains remarquer que nous ne vieillissons pas. Tout ce dont je sais sur leur passé, c'est qu'ils viennent de Tokyo où plusieurs meutes se partagent le territoire assez vaste. Nous ne savons pas pourquoi ils ont choisi Osaka. Ils savaient que nous nous y trouvions. Les Kuroi Tenshi – littéralement « les anges noirs » – , notre meute, dirige ce territoire depuis neuf ans.

Je repère l'odeur de sept loups en approche dans la brume, avant même d'entendre le frôlement léger de leurs chaussures sur le sol. Les loup-garous se déplacent en général silencieusement, c'est instinctif, surtout quand ils se rendent sur les lieux d'une rencontre avec des ennemis potentiellement dangereux.

Ils sont moins nombreux que nous mais je ne m'en réjouis pas. Je connais leurs odeurs, je sais exactement à qui elles correspondent. L'Alpha des Ryuudan – vieux de près de deux cents ans - est venu avec ses deux lieutenants, des anciens, eux aussi. Il a emmené en prime quatre de ses loups de confiance, parmi lesquels celui dont je rêve d'arracher le cœur.

Shinichi Eiri. Un jeune loup mais qui se maîtrise pratiquement depuis sa première transformation et qui s'est adapté à sa nouvelle vie avec une facilité déconcertante. Certains pensent que c'est l'influence de leur chef qui en est la cause. Moi j'estime qu'il est juste une erreur de la nature que je me ferais le plaisir de détruire.

Les silhouettes apparaissent dans la brume et la traverse en quelques instants pour s'arrêter à quelques mètres de nous dans une parfaite hiérarchie. Le chef, Kei, en avant, ses deux lieutenant en retrait, et les autres loups un peu plus en arrière. Ils forment un V face à nous qui sommes quelque peu dispersés.

Je ne sais si c'est dû à leur discipline, mais nous nous déplaçons pour former la même position, instinctivement. Les échanges de regards sont lourds de menace, les épaules tendues, et les gorges retiennent difficilement des grognements.

Nos chefs respectifs semblent pourtant maîtriser nos instincts car sans eux, nous nous serions déjà sauter à la gorge. Le silence qui perdure quelques instants est sans doute là, pour leur permettre de s'assurer qu'ils nous tiennent mentalement en laisse avant de parler. C'est Kei, le chef de nos ennemis qui prend la parole le premier.

- Shoda.

- Kei.

Ils ont chacun un léger hochement de tête pour se saluer. Cette politesse m'horripile et je sens la colère monter en moi alors que mon regard cherche et trouve aussitôt celui que je veux tuer.

Il se tient presque en face de moi, si jeune et si stoïque. Il a l'apparence de ses dix-neuf ans et ne la perdra jamais jusqu'à sa mort. Son visage de jeune homme a encore une légère rondeur de l'enfance, mais ses yeux reflètent la sagesse d'un homme adulte. Jambes légèrement écartées pour une maîtrise parfaite de son équilibre, il tient ses mains dans son dos, le buste droit et le menton légèrement baissé en signe de mise en garde, arrogant et insupportable. Comme toujours, il est trop bien fringué. Son jean sombre est incontestablement d'une marque de luxe et sa chemise bleue est impeccablement repassée et met clairement en valeur sa musculature.

Aucun loup-garou n'est obèse, flasque ou frêle. Notre ADN est lui-même modifié par la lycanthropie et amène des modifications dans notre apparence et dans notre métabolisme. Un loup-garou brûle énormément de protéine, surtout si il se transforme régulièrement ou si son corps doit réparer des blessures. Nous mangeons beaucoup de viande pour compenser et pour éviter de dévorer tout ce qui bouge. Mais nous ne prenons pas un gramme de graisse, notre corps n'est que du muscle.

Ce connard n'est pas aussi imposant que moi. Je suis plus grand, j'ai des épaules plus larges et j'étais déjà musclé lorsque j'étais humain. Mon corps est à l'image des plus beaux mannequins qui pose dans ces magazines après des heures épuisantes à soulever des poids. Je n'ai eu aucun effort à faire pour obtenir un corps de rêve, même si j'entretiens mes réflexes et me forme à toutes sortes de combats à mains nues.

Quoiqu'il en soit, même plus petit et avec un visage qui reflète encore l'innocence de son jeune âge, il sait mettre en valeur ses atouts. Son fric, sa musculature, son arrogance. Et ça me donne envie de lui défoncer le crâne contre le sol ! Particulièrement quand je remarque qu'il garde les yeux posés sur le trio de tête de mon clan, exprimant ainsi qu'il les considère comme étant les plus dangereux d'entre nous.

Ça ne fait qu'augmenter ma colère. Je sais qu'il est parfaitement conscient que je suis l'un des loups les plus dominants des Kuroi Tenshi. Son attention devrait aller de Shoda-san à moi, puis à Daisuke et enfin à Gorô. Qu'il ne le fasse pas peut s'expliquer pour deux raisons. La première est qu'il soit incapable de définir la dominance chez un autre loup d'un simple regard, la seconde est qu'il m'ignore sciemment.

Je le connais depuis le temps qu'il est un loup. Je sais qu'il n'est pas idiot, loin de là. Rien que le fait qu'il maîtrise parfaitement sa part animale m'assure qu'il sait très bien définir la dominance des autres. Il fait exprès de m'ignorer, m'envoyant le message suivant : « tu es insignifiant ».

Seul un miracle et peut-être l'influence encore forte de mon Alpha m'empêche de lui bondir dessus en cet instant. Je reste donc à ma place, les poings serrés et les yeux focalisés sur lui, comme pour tenter de le tuer d'un simple regard.

- Tu es en retard, commente Shoda-san à l'intention du chef ennemi, tandis que je me débats avec mes émotions.

- Oui, mais tu m'as prévenu bien tard pour cette réunion.

Un silence suit ce commentaire et nous attendons tous de savoir si Shoda-san va répondre par une nouvelle pique ou agir avec plus de prudence.

- Je t'ai demandé de venir car la pleine lune approche.

Ce sera donc la prudence.

- Je ne l'ignore pas, réplique Kei, avec cette façon de parler qui laisse sous-entendre une insulte.

- Nous voulons aller chasser dans la forêt du sud.

- Hors de question.

La tension augmente d'un seul coup à ce refus catégorique. Shoda-san garde le silence quelques instants avant de reprendre :

- Nous n'avons pas besoin de ton autorisation. Ce territoire était à nous avant que tu t'y installes par la force. Si nous voulons chasser dans la forêt qui se trouve au sud, nous le ferons. J'estimais seulement que tu voulais être mis au courant. Après tout, si tu le sais, nous pourrions faire en sorte que nos meutes ne se croisent pas durant la pleine lune.

Un frisson d'anticipation qui vient totalement de ma part animale parcourt ma colonne vertébrale à ces mots. Les nuits de pleine lune, le loup prend le dessus et nos instincts n'ont plus rien d'humain. Si on croise une autre meute, c'est l'affrontement assuré... et le sang coulera en abondance. Ma part sauvage apprécie totalement l'idée.

- Pourquoi ne te contentes-tu pas de la forêt au nord ?, demande Kei sur un ton condescendant.

- Tu sais parfaitement pourquoi, réplique Shoda sur un ton sec. Il n'y a pratiquement pas de gibier au nord. Nous ne faisons que poursuivre des lapins.

La note de mépris dans son ton est approuvée par toute la meute d'une grimace de dégoût. Les lapins, c'est minable. Un loup ordinaire s'en contenterait surement, mais pas un loup-garou. Nous sommes des prédateurs deux à trois fois plus gros que nos cousins naturel. Nous chassons le cerf. Et parfois des ours.

- Nous irons chasser au sud, que tu le veuilles ou non. A toi de décider si tu veux négocier une distance de sécurité entre nos deux meutes.

Le silence revient encore et nous attendons tous la décision de Kei. De son choix dépendra sans aucun doute l'issue de cette rencontre et de l'avenir de nos deux meutes. En refusant un compromis, il ne ferait qu'intensifier le conflit et la guerre pourrait reprendre.

Il y a deux ans, les Ryuudan avaient la capacité de nous détruire, ou au moins de nous faire déserter Osaka. Ce n'est plus le cas désormais. Nous avons recruté plus de loups. Nous sommes moins disciplinés qu'eux, mais nous sommes désormais plus nombreux. Une nouvelle guerre causerait de gros dommages dans les deux camps et la victoire ne leur serait pas assurée.

Je ne sais toujours pas pourquoi Kei n'a pas décidé de nous expulser du territoire quand il en avait encore les capacités. Sans doute s'est-il habitué, à Tokyo, à partager un territoire et n'a-t-il pas juger du danger réel que nous pouvions représenter. Mais cette habitude de vivre en relativement bonne cohabitation avec d'autres meutes peut être un avantage pour nous. Il préfèrera la négociation plutôt que le conflit.

Son visage tendu par la contrariété nous prouve qu'il a pris sa décision et c'est d'une voix tranchante qu'il répond :

- Vous irez au sud juste avant l'apparition de la pleine lune, dans la clairière où se trouve les trois gros rochers. Nous vous laissons un périmètre de cinq kilomètres autour de ce point. Si vous le franchissez, nous prendrons cela comme une agression.

Je ressens plus que je ne vois, mon regard étant toujours focalisé sur mon ennemi juré, les jeunes loups de mon clan se détendre, visiblement satisfait par l'accord. Shoda-san devrait l'être sans doute aussi, mais l'autorité du ton de Kei, sa façon de donner un ordre à un autre Alpha, empêche notre chef d'accepter l'accord aussi facilement.

- Un périmètre de cinq kilomètres ? Tu penses pouvoir tenir en cage des loups-garous sous l'influence de la pleine lune ?

- Moi non, toi oui. Tu es un Alpha, tu es censé pouvoir contrôler tes loups, particulièrement les nuits de pleine lune.

L'insulte sous entendue dans ses propos me fait grogner de colère, et je suis aussitôt imité par les plus jeunes de ma meute. Deux loups des Ryuudan font de même, répliquant à notre menace pour une autre, mais Kei les rappelle à l'ordre d'un claquement de langue et ils se taisent immédiatement.

- Tu insinues que je ne maîtrise pas mes loups ?, demande Shoda-san d'une voix dangereuse.

- Je n'insinue rien. Il suffit de les regarder pour le savoir.

Un nouveau concert de grognements retenti auquel je participe allègrement. Les loups qui nous font face se tendent un peu plus mais restent silencieux, preuve de leur bien meilleure maîtrise et de l'autorité de leur Alpha.

Kei poursuit son commentaire sans se soucier des grognements que nous poussons et son regard qui se pose sur moi attire aussitôt mon attention. Je tourne les yeux vers lui pour le voir me fixer avec mépris.

- Regarde. Rien que celui-là. Ça fait quoi ? Vingt ans qu'il est un loup ? Il ne se maîtrise pas plus qu'un « louveteau ».

Je gronde cette fois, laissant les sons passer la barrière de ma bouche et montre les dents dans une attitude instinctive et menaçante.

- Il se maîtrise, rétorque Shoda-san d'une voix glaciale. Il ne mange personne.

- Seulement parce que tu tiens sa laisse courte. Mais à la moindre de tes faiblesses, il détruira la moitié de la ville et tu le sais ! Si il était l'un de mes loups, il apprendrait à se maîtriser ou je le tuerais de mes mains.

La menace de mort rend notre meute plus à cran encore. J'ai beau ne pas être très apprécié dans ma meute, je n'en reste pas moins un membre de celle-ci. On ne touche pas à quelqu'un de notre meute sans représailles, même si c'est celui qui pose le plus de problème. Ainsi, nous sommes plusieurs à se pencher en avant, grondant et montrant les crocs, mais je suis par contre le seul à avoir le corps parcouru de démangeaisons alors que la métamorphose affleure sous ma peau.

Malgré son état de colère, Shoda-san prend parfaitement conscience que j'approche de mes limites et que je risque de commencer ma transformation sous le coup de la colère.

- Kaname !

Son ordre implicite claque comme un fouet quand il prend son ton d'Alpha. Je ne sursaute pas, mais son autorité est impossible à contrer et je recule d'un pas, refoulant la métamorphose au fond de moi. Je montre toujours les dents, mais je me fais plus silencieux, me contrôlant un peu plus.

L'Alpha a certains pouvoirs que de simples loups n'ont pas, quelque soit leur place dans la hiérarchie de la meute. Pour pouvoir imposer son autorité à une bande de monstres vicieux, violents et parfois imprévisibles, il faut avoir des atouts. La « voix de l'Alpha », telle que je l'appelle, est un véritable atout. C'est un ordre qu'il donne d'une voix plus profonde, plus animale, plus sauvage, qui est capable de nous rappeler qu'il est le chef, mais aussi de nous forcer à obéir.

Mon regard quitte Kei pour se poser à nouveau sur Shinichi et je constate avec une satisfaction profonde qu'il me fixe désormais. Son visage est de marbre et n'exprime rien. Son corps par contre est si tendu que je sais qu'il est lui aussi touché par l'ambiance et prêt à la bagarre. Le fait qu'il me regarde m'assure qu'il ne peut désormais plus ignorer la menace que je représente.

- Kaname est dans ma meute depuis dix-huit ans, reprend Shoda-san en détournant les yeux de moi. Il n'a peut-être pas une maîtrise parfaite, mais il n'a jamais attaqué aucun humain.

- N'attends pas qu'il le fasse pour réagir, il sera trop tard.

- Je n'ai pas besoin de tes conseils.

- Tu devrais pourtant les prendre. Tu recrutes beaucoup trop de jeunes loups. Il faut une bonne année pour aider un jeune à se maîtriser. Mais parce que tu en prends trop, ce temps double ou triple, les rendant dangereux bien plus longtemps.

- Nous nous occupons très bien de nos jeunes et nous n'avons aucun cadavre à déplorer. Aucun cadavre humain en tout cas.

- En es-tu sûr ?

Je ne peux retenir un nouveau grondement et les jeunes, qui sont particulièrement visés par la remarque, grognent plus fort encore.

- Silence !, ordonne Shoda-san avec sa voix d'Alpha, nous réduisant tous au silence dans la seconde.

Mon grognement se bloque dans ma gorge et je suis forcé de respirer profondément pour ne pas m'étouffer. C'est que la « voix de l'Alpha » est vraiment toute puissante !

- Qu'insinues-tu ?, demande alors Shoda-san à Kei.

Celui-ci sort un papier de la poche de sa veste, en fait une boule et la lance dans sa direction. Shoda-san s'en empare au vol et le déplie. D'un coup d'œil, je comprend qu'il s'agit d'une coupure de journal et je sais parfaitement de quoi il s'agit.

Là où je travaille, j'ai accès aux journaux et je n'ai pas pu passer à côté de l'information. J'ai d'ailleurs confié l'un des journaux à Gorô en lui disant de le faire lire à notre chef, ce qu'il a sans doute fait. Shoda-san ne semble pas surpris par l'information qu'il découvre dans la coupure du journal et relève la tête vers Kei.

- Ce n'est pas l'un des miens.

- Les as-tu interrogé pour en être certain ?

- J'ai confiance en mes loups !, s'exclame mon chef, visiblement en colère.

- Il ne s'agissait pas d'une meute de chien et tu le sais parfaitement. La mort de cet homme est le fait d'un loup-garou incontrôlable. Et figure-toi que tu en as plusieurs des loups qui peuvent perdre toute maîtrise en un instant.

Nos grognements semblent confirmer ce qu'il dit mais j'en ai rien à battre. Je veux me battre, je veux enfoncer mon poing dans la gueule de cet enfoiré de Shinichi. Je veux faire couler son sang et punir ainsi les Ryuudan de leur arrogance et de leurs insinuations.

- Tu m'insultes !, s'exclame Shoda-san d'une voix glaciale.

- Je ne fais que dire la vérité.

- La jeunesse de mes loups n'en fait pas forcément des criminels ! Regarde plutôt les tiens. Tous si stoïques... Qui te dit qu'il n'y a pas un psychopathe parmi eux qui parvient même à se cacher de toi !

- Je connais mes loups.

- Les as-tu interrogé pour détecter leurs mensonges ?, poursuit Shoda-san sans relever sa réponse.

- Je n'en n'ai pas eu l'utilité. Aucun de mes loups n'attaquerait un humain et le dévorerait à moitié après avoir joué avec lui ! Un tel comportement ne peut venir que d'une bande de sales cabots incontrôlables !

L'insulte est celle de trop. Alors qu'un train arrive à tout allure sur la voie ferrée au-dessus de nos tête et sature nos ouïes si sensibles, je m'élance en avant et me jette sur l'adversaire que je me suis choisi. Il ne faut qu'une seconde pour que les trois jeunes loups de mon clan fasse de même. Les anciens ne peuvent faire autrement que de les protéger, eux qui sont si jeunes et si inexpérimentés, et ainsi toute notre meute entame le combat pratiquement au même moment.

Pour ma part, je mets toute ma force et ma vitesse pour plaquer violemment le corps de Shinichi au sol. Le béton se craquelle sous nos poids combinés et ma victime affiche enfin une expression de douleur parfaitement jouissive. Le coup de poing que je reçois à la mâchoire en retour est si rapide que je ne le vois pas venir. Ma tête part en arrière, puis mon corps suit le mouvement. Je roule sur moi-même et me relève aussitôt, à peine sonné.

La guérison d'un loup-garou est rapide. Pas instantanée mais cela suffit à faire passer un étourdissement en quelques secondes. La douleur est plus facile aussi à contrôler que sous forme humaine. Notre instinct animal nous poussera toujours à nous battre jusqu'à la mort, plutôt qu'à demander grâce.

A peine debout, je balance mon bras tout en me retournant, mais Shinichi se baisse et mon coup ne porte pas. Il envoie un nouveau coup en direction de mon ventre et j'immobilise son poing avant qu'il ne me touche pour lui en balancer un autre en plein visage. J'explose ainsi sa lèvre inférieure et la vue du sang me fait sourire de cruauté.

- Toujours aussi sadique, à ce que je vois !, me lance Shinichi en essuyant sa bouche d'un revers de main.

- Tu n'as pas idée à quel point j'ai envie de te faire mal, enfoiré.

- Alors vas-y, ne te prive pas ! Je suis tout à toi !

L'invitation est condescendante et laisse entendre que je suis incapable de faire ce que je lui promets. Il n'a pas totalement tord, même si je ne l'avouerai jamais. Le fait est que je suis bien plus dominant que lui et donc que je devrais être capable de prendre l'ascendant sur lui. L'instinct d'un loup-garou est très fort. Un dominant obéira presque toujours à quelqu'un qui l'est plus que lui. On peut même arriver à faire baisser la tête à un autre d'un simple regard.

Mais mon problème de contrôle sur mon loup me désavantage énormément. Je n'arrive pas assez à me maîtriser pour pouvoir gérer tout ce dont un loup-garou est capable de faire, tout ce qu'il peut imposer instinctivement à un autre. Et il est rare que je parvienne à déstabiliser un adversaire moins dominant que moi d'un simple regard.

Shinichi en tout cas est totalement insensible à ma dominance. Et même si il est jeune et a moins d'expérience, il est sacrément rapide. Il comprend le langage corporel mieux que quiconque. Il sait anticiper le moindre mouvement en voyant la tension des épaules, le gonflement d'un muscle, la direction d'un regard. Mon seul atout face à lui est ma sauvagerie et ma brutalité. Shinichi est bien trop distingué pour se montrer aussi bestial que moi. Ce qui ne l'empêche pourtant pas de se montrer vicieux quand il le veut.

Parce qu'il est capable d'anticiper tous mes coups, je dois le prendre par surprise et c'est ce que je fais en m'accroupissant soudain, pour bondir l'instant d'après, balançant mon pied dans sa direction. Il a beau être rapide, il ne peut pas éviter ce coup-là et se le prend en pleine poitrine. Malheureusement, il ne chute pas et s'élance vers moi avant que j'ai réussis à me remettre debout.

Me plaquant au sol, il m'envoie un coup de poing au visage que je lui rend dans la seconde en visant ses côtes. Une plainte lui échappe et je réalise que j'ai du lui en fêler une quand je l'ai jeté à terre avec tant de force au tout début du combat. Je prends l'avantage tandis qu'il lutte contre la douleur, soulevant les hanches pour échanger nos positions et le clouer au sol. Mes deux mains se referment sur sa gorge et j'envisage de lui briser la nuque proprement. Je voudrais le faire souffrir longuement, lui faire regretter d'être en vie, mais ma vengeance sera assouvie plus rapidement ainsi.

Il sait pertinemment qu'un loup-garou peut briser une nuque aussi facilement qu'un fétu de paille et on lui a visiblement appris à ne jamais laisser sa gorge offerte à un ennemi car il me prend de vitesse en m'envoyant un uppercut en plein milieu du visage. Mon nez se brise aussitôt et un flot de sang accompagne ma plainte de douleur.

Profitant de son avantage, il me repousse sur le côté, mais j'ignore ma souffrance pour l'attraper avant qu'il se relève et passer mon bras en travers de sa gorge, mon autre main refermée sur ses cheveux. Ainsi, je l'étouffe avec toute ma rage et il m'envoie de violents coups de coude dans les côtes pour me faire lâcher prise. Encore quelques instants et ce petit enfoiré ne sera plus qu'un corps sans vie... qu'il me faudra décapiter pour éviter qu'il ressuscite.

- Ça suffit !, hurle Shoda-san.

Je l'ignore, ne lançant même pas un coup d'œil vers le reste de ma meute afin de voir si ils obéissent. Sans doute pas car l'ordre suivant est donné avec sa voix profonde, dominatrice, intense et pénétrante d'Alpha. Pire que ça, il use de son arme la plus forte et envoie une vague de puissance vers nous qui balaie toute notre résistance.

- Ça suffit !, répète-t-il.

Je veux continuer de serrer cette gorge dans l'étreinte de mon bras. Je veux sentir Shinichi se débattre jusqu'à ce qu'il en crève... mais mon corps ne me répond plus et le relâche alors que je m'affaisse, écrasé par la vague d'énergie que Shoda-san nous impose.

Shinichi la ressent aussi, forcément et sans doute ses mouvements sont-ils plus difficiles qu'en temps normal, comme si l'air était devenu palpable. Mais ce n'est pas son Alpha qui lui impose son autorité et il n'est pas terrassé comme moi.

Il se dégage de mes bras, se retourne et me pousse sur le dos. Mon visage est déformé par la rage, la frustration et la douleur. Je ne peux pas esquisser un seul geste, seuls mes yeux le suivent alors qu'il vient s'asseoir à califourchon sur mes hanches et m'adresse un sourire glacial. Je vois sa main se lever, ses doigts se refermer en poing et s'abattre violemment vers mon visage.

La douleur éclate dans ma pommette et se répand dans mon nez déjà cassé. Un gémissement étouffé m'échappe, alors que je suis toujours immobilisé et sans défense.

- Kei, rappelle tes loups !, gronde Shoda-san qui n'a pas pu ignorer l'attaque vengeresse de mon adversaire.

J'entends Kei rire d'un ton bas, comme si ça l'amusait et déclarer d'un ton tranquille, sans aucune autorité :

- Ça suffit. Le combat est terminé.

Shinichi, toujours assis sur moi, me lance un sourire arrogant et moqueur avant de se lever, d'un air tout aussi tranquille, comme si il ne venait pas de frôler la mort. Il s'éloigne et rejoint son chef comme les autres membres de sa meute.

Ce n'est que de longues secondes plus tard que la puissance de mon Alpha reflue enfin. Le poids qui m'écrasait disparaît aussitôt et j'inspire profondément par la bouche, alors que la douleur de mes blessures explose soudain. Comparée à l'écrasement de l'énergie de Shoda-san, elles étaient insignifiantes. Elles ne le sont plus. Mon visage est en feu et mon nez me fait si mal que j'ai comme des lames de rasoir qui s'enfoncent jusque dans ma cervelle.

Roulant sur le côté, je mène mes deux mains à l'appendice et referme mes doigts dessus, ignorant les larmes de douleur qui me montent aussitôt aux yeux. D'un geste sec, je replace mon nez dans son axe, afin que la cicatrisation se fasse correctement. Un loup-garou guérit en quelques heures d'un os cassé. Un cartilage se répare plus vite. Il faut donc faire en sorte que tout soit en place ou on peut se retrouver handicapé ou défiguré.

Mon nez de nouveau droit, je me relève en tentant de cacher ma souffrance alors que d'autres douleurs se réveillent. Ça ne me déplait pas dans un sens. Ça alimente ma colère et donc mon besoin de vivre pour exercer ma vengeance.

Mon regard se porte sur Shinichi qui n'a pas l'air de souffrir. Il se tient droit, calme et froid, stoïque comme à son habitude. Mon seul réconfort est dans le fait que sa lèvre saigne toujours. Cela ne peut signifier qu'une chose : que son corps à de nombreuses choses à réparer et ne peut pas tout faire en même temps. Dans le cas contraire sa lèvre serait déjà en voie de cicatrisation.

La pensée de lui avoir fait très mal me fait du bien et me permet d'oublier son coup de poing donné en traitre alors que j'étais sans défense. D'un pas aussi tranquille que possible, je rejoins Shoda-san qui nous examine chacun notre tour, tout en gardant un œil sur les Ryuudan.

Lorsque son regard se pose sur moi, je frissonne et lève le menton instinctivement, offrant ma gorge. Chez les humains, lever le menton serait un geste d'arrogance. Chez les loups, c'est de la soumission. Nous nous montrons ainsi vulnérable à une attaque mortelle en dévoilant cette partie vulnérable de notre anatomie. Ne pas le faire serait un défi et je ne défierai jamais mon Alpha quand son loup a le contrôle. Il me tuerait en quelques instants...

Et puis, ça reste instinctif. Le loup qui est en moi sait qui est le chef de la meute et sait parfaitement reconnaître quand il doit se soumettre ou non. Je ne lutte pas contre mon instinct, pas quand les yeux de Shoda-san ont cette couleur cuivrée, et qu'ils brillent dans la pénombre. Son loup n'est pas loin de la surface, mieux vaut ne pas le provoquer.

Ma soumission semble le satisfaire car son regard se pose sur un autre membre du clan, jusqu'à ce que chacun ait approuvé son autorité. Ses yeux perdent légèrement de leur éclat, mais restent le reflet de son loup. Il n'a visiblement pas apprécié qu'on attaque ainsi, bafouant son autorité. Mais il est bien trop fier pour nous engueuler devant nos ennemis et ainsi montrer une faille.

Il finit donc par parler directement à Kei, nous réservant sans doute un sermon et d'éventuelles punitions pour plus tard. Particulièrement pour moi qui est été l'instigateur de ce combat.

- N'accuse plus ma meute d'un crime qu'elle n'a pas commis ou je te promets de fortes représailles.

Kei se contente d'esquisser un petit sourire en coins sans répondre, laissant sous-entendre qu'il n'en fera qu'à sa tête. Shoda-san ne relève pas et déclare froidement :

- Nous acceptons l'accord.

Sur ces mots, il se détourne et s'éloigne d'un pas assuré. Son second lieutenant le suit aussitôt, les autres anciens aussi, suivis par les jeunes, me laissant seul avec le premier lieutenant face à la meute ennemie.

Je leur lance un long regard de haine, m'attardant sur Shinichi en retenant difficilement ma rage.

Daisuke vient poser sa main sur mon épaule et y fait pression pour me forcer à me détourner. J'obéis seulement parce que je n'ai aucune chance, seul contre sept alors que je suis déjà blessé. Nous nous éloignons sans regarder derrière nous, faisant preuve de fierté et d'arrogance à notre tour, pour faire comprendre qu'on ne les craint pas.

Ils nous laissent partir sans un mot.