Chapitre 3
Riley se retourna lentement afin de découvrir son mystérieux interlocuteur. Il dû lever la tête pour croiser son regard myosotis. Il recula de quelques pas. Il failli avoir une attaque mais reprit contenance assez rapidement – il avait l'habitude de se constituer une attitude impassible pour son travail – refermant sa bouche qui s'était ouverte automatiquement sous la surprise. Ses cheveux blonds étaient coiffés n'importe comment autour de son visage fin, une lueur ironique dansait joyeusement dans ses prunelles qui semblaient vous scruter et une écharpe bleue ciel entourait son cou gracieux, soutenant la teinte claire de ses pupilles.
C'était troublant. Et… Effrayant.
- Tu ne penses pas ? Lui demanda-t-il de sa douce voix.
Penser quoi ? Il était un peu perdu, il ne savait plus trop de quoi ils discutaient à l'instant. Il fit un effort de mémoire mais, sous son regard scrutateur, il lui était difficile de se concentrer.
- Eh bien… je n'avais pas vu ça sous cet angle. Bafouilla Riley.
Il se sentait idiot. Les yeux de son vis-à-vis semblaient presque se moquer de lui. Mais, il avait surement raison. Pour avoir touché le fond lui-même, il devait en connaître un rayon mais, il n'avait jamais réellement cherché à remonter et sortir de son trou. Il se contentait depuis trois ans de tourner en rond au fond du puits. Il serait peut-être temps de relever la tête et de penser à être un peu heureux, non ?
Il le regarda encore une fois et eut presque l'impression que ses paroles lui étaient destinées personnellement, comme s'il savait déjà. Peut-être qu'il savait déjà en fait. Il lui ressemblait tellement…
Pourtant, en général, c'est une sorte de prise de conscience qui pousse à essayer de sortir de sa dépression, ça paye souvent pour peu qu'on le veuille.
Il avait totalement raison. Riley n'avait pas eu conscience qu'il était tombé si bas. Il leva lentement la tête vers lui, la bouche légèrement ouverte dans l'intention de répondre quelque chose mais, il croisa de nouveau son regard. Il sentit sa tête tourner comme s'il se trouvait dans un manège. Il fallait qu'il s'éloigne de cet homme au plus vite ou il risquait d'être sujet très rapidement au mal des transports.
- Désolé mais…
- Riley ! Hurla une voix féminine.
Le jeune homme se tourna vers elle, prêt à échapper au regard pénétrant de son interlocuteur. Joy s'approcha joyeusement d'eux en sautillant comme à son habitude. Riley se demandait bien comment elle pouvait être toujours si enjouée. Il aurait aimé qu'elle lui donne un peu de son allégresse quotidienne.
- Je vois que tu as rencontré Kellian.
Kellian ? Kellian Spencer ? Cet homme était son photographe ? Enfin… pas son photographe mais celui qu'il admirait ?
Devant son air hébété, l'homme lui tendit la main.
- Je ne me suis pas présenté. Kellian Spencer.
- Euh… Riley Anders. Lui répondit-il en serrant sa main.
Scott arriva près d'eux dans l'idée de rentrer. Ça faisait déjà presque trois heures qu'ils étaient là. Mais quand il fut à leur hauteur, il eut un léger mouvement de recul.
Alors c'était lui le photographe que Riley aimait tant ? Ça n'avait peut-être pas été une si bonne idée que ça finalement de l'amener ici…
- Vous faites partie des Black Skulls non ?
- En effet.
- Vous êtes fan ? Demanda Scott.
- Pas besoin. Leurs affiches sont placardées sur tous les murs de la ville.
Rien de plus vrai. C'était d'ailleurs un miracle si Riley arrivait à se déplacer en ville sans créer d'émeute. Néanmoins, les gens étaient tellement engoncés dans leur bulle que personne ne faisait attention à ce qui se passait autour. Lui le premier. Ce n'était pas si étonnant finalement.
Scott se tourna vers le musicien.
- Je te ramène ?
Riley cessa brusquement de fixer intensément le photographe. Il ne s'était pas aperçu qu'il le faisait et c'était embarrassant. Néanmoins, la ressemblance était si flagrante qu'il ne pouvait s'en empêcher. Il hocha la tête pour répondre à Scott puis tendit une main à Kellian Spencer.
- Ravi de vous avoir rencontré. Dit-il d'un ton professionnel.
- De même. Lui répondit le photographe dans un sourire charmeur. Au plaisir de vous revoir.
Le jeune homme ne tiqua pas et s'éloigna rapidement sans même attendre son manager. Il attendit d'être dehors, hors de vue, pour s'arrêter. Il s'appuya contre le mur le plus proche et cessa de bloquer sa respiration. Il avait encore le coeur qui battait à un rythme effréné.
Le bassiste resta comme ça un moment, tentant de se calmer. Tout cela était… impossible. Effrayant. Et irréaliste.
Il se releva lentement et regarda autour de lui. Une jeune fille en minijupe noire et tee-shirt rouge vif l'observait. Postée à dix mètres de lui, elle avait l'air de ne pas savoir si elle devait s'approcher ou non. Elle dû prendre une décision car il la vit finalement s'avancer prudemment.
- Bonjour, excusez-moi, je ne veux pas vous importuner mais… est-ce que… est-ce que vous êtes bien Riley Anders ? Des Black Skulls ?
Il hocha la tête sans réfléchir. Oui, oui, OUI. Il était bien Riley Anders. Et alors ? Qu'est-ce que ça pouvait bien changer à sa vie merdique ? Est-ce qu'être une rock star pouvait chasser les fantômes de votre vie ? NON. Est-ce qu'être une rock star pouvait vous faire oublier votre douloureux passé ? NON. C'était pire, il le faisait ressurgir de toutes part !
Qui était ce Kellian Spencer au juste ? De sa famille ? Certainement pas, il n'avait jamais mentionné de frère. Pourquoi avait-il fallu que le photographe qu'il admirait tant ait des traits identiques aux siens ? Pourquoi avait-il fallu qu'il le rencontre dans ce cas ? Parce que si le but de cette sortie était de lui remonter le moral, c'était plutôt raté. Il se sentait encore plus mal désormais.
- Est-ce que je peux prendre une photo avec vous ? S'il vous plaît ?
Il l'avait presque oublié celle-là.
Riley faillit bien l'envoyer sur les roses avec ses photos à la con, lui répondre qu'avec la vie merdique qu'il avait il n'avait pas que ça à foutre de prendre des photos avec des minettes débiles qui mouillaient sur les chansons de son groupe.
Mais, il se reprit rapidement. Elle n'avait rien demandé, elle n'y était pour rien. Elle voulait juste une photo, alors il pouvait bien faire semblant de sourire une demi-seconde. C'était ce qu'il savait faire de mieux d'ailleurs.
Scott apparut dans l'encadrement de la porte au moment où la jeune fille déclencha l'obturateur, il soupira. Quand le Riley Anders ultra professionnel entrait en scène ce n'était jamais bon signe. Cela signifiait toujours qu'il était totalement dévasté à l'intérieur, vide. Il se mettait alors en pilote automatique.
oOo
A peine eut-il passé le seuil de son appartement que le bazar qui y régnait l'agressa. Et dire qu'il avait passé près d'une semaine dans cet enfer, il fallait arranger ça tout de suite.
- Désolé pour Kellian, je ne savais pas qu'il…
Riley leva la main pour l'interrompre.
- C'est pas grave Scott, tu ne pouvais pas savoir.
- Est-ce que… ça va aller ? Lui demanda-t-il en s'approchant.
- Oui, c'est bon. Tu peux y aller. J'ai juste besoin d'être un peu seul.
Scott acquiesça silencieusement et se dirigea vers la porte. Il posa la main sur le chambranle et se retourna pour observer son ami. Il se tenait immobile au milieu de son salon, dos à lui. Il ne pouvait pas se targuer de comprendre ce qu'il ressentait, lui-même n'avait jamais vécu une telle perte, néanmoins, il ne pouvait s'empêcher de ressentir sa douleur et de compatir. Il ne savait pas réellement comment gérer cette situation mais, il espérait faire de son mieux pour soutenir Riley.
- N'oublie juste pas la séance d'enregistrement d'après demain. Souffla-t-il avant de tourner les talons et de fermer la porte derrière lui, lui octroyant la solitude dont il avait besoin.
Une fois seul dans son appartement, le jeune homme visualisa les dégâts, se saisit d'un immense sac poubelle et commença son grand ménage. C'était bien mignon de se laisser aller mais, l'hygiène était tout de même plus agréable que cette porcherie dans laquelle il s'était laissé vivre durant trop longtemps. Il y passa du temps. Beaucoup de temps. Il jeta tout ce qui trainait, il nettoya son habitation de fond en comble, passa l'aspirateur, lessiva la moquette.
Riley fit quelques rapides pauses mais n'eut fini que vers trois heures du matin. Il jeta un oeil autour de lui, satisfait puis se laissa tomber sur son lit, exténué. Au moins, cette séance ménage lui avait vidé l'esprit et il pu rejoindre Morphée rapidement.
oOo
La télécommande en main, il ne faisait que zapper sur toutes les chaines possibles mais, il ne trouvait rien qui pu l'intéresser plus de quelques secondes. Il attrapa sa tasse de café qui reposait sur l'accoudoir de son fauteuil et en bu une gorgée. Gorgée qu'il failli recracher aussitôt. C'était froid. Et il n'y avait rien de pire que du café froid. Riley râla et se leva de mauvaise grâce. Il se dirigea vers la cuisine pour s'en refaire une tasse, bien chaude cette fois.
Son breuvage en main, il ouvrit la baie vitrée de son salon et s'accouda à la balustrade. L'air était glacé mais c'était surement ce dont il avait besoin. Il n'arrivait à se concentrer sur rien depuis la veille et le ménage étant fait, il n'avait pas grand chose pour s'occuper réellement l'esprit. Revoir un fantôme n'était pas de tout repos. Enfin… un fantôme… façon de parler. Pourtant, pendant quelques secondes, il avait vraiment cru revoir Alan. Et ça lui avait fait mal de revenir à la réalité. Aussi mal que lorsqu'il avait compris qu'il ne le reverrais jamais.
Croire à sa présence avait été comme une sorte d'hallucination positive. Il avait été bouche-bée, ne sachant quoi lui dire mais, heureux. Il avait cru que son coeur allait éclater. C'était merveilleux.
Jusqu'à ce que son coeur s'écrase par terre en comprenant que ce n'était pas lui. Comment ça aurait pu de toute façon ? Et la réalité le fit retomber au trente-sixième dessous…
Riley avala d'une traite son café brûlant et serra son écharpe très fort entre ses doigts, y enfouissant son visage. Il resta longuement debout contre la balustrade, crispé sur cette écharpe et ne pouvant retenir quelques larmes.
Il commençait à perde pied. Il le revoyait assis sur le canapé, un roman de fantasy énorme entre les mains, lever la tête en le voyant arriver et sourire. De ce sourire qui vous prouve que vous être le centre de son univers. Ce sourire qui vous fait décoller instantanément du plancher des vaches et qui vous donne chaud et fait voleter des papillons dans votre estomac. Ce sourire magique qui se reflète dans ses yeux. Ce sourire qui vous rend heureux tout simplement parce que c'est dans ce sourire que vous voyez l'étendu de l'amour qu'il éprouve pour vous.
Il le revoyait au lever, pieds nus sur le carrelage, torse nu, juste avec un jean, ses cheveux noirs ébouriffés et les yeux encore à moitié fermés. Il se battait toujours faiblement avec la machine à café qu'il peinait à faire marcher quand il n'était pas bien réveillé. Il revoyait encore son regard s'illuminer quand il l'entendait entrer dans la cuisine. Ce qu'il était craquant comme ça. Il était craquant tout le temps. Mais, au réveil il paraissait encore plus adorable avec son air perdu et la trace de l'oreiller comme imprimée sur la joue.
Il le revoyait rentrer épuisé du travail et faire un effort pour lui être agréable même s'il avait passé une mauvaise journée. Il mangeait toujours les plats que Riley lui avait préparé avec le sourire et d'après lui, c'était toujours délicieux même quand le bassiste les jugeait dégueulasses.
Il le revoyait sortir de la salle de bain nu, quelques gouttes d'eau encore accrochées à ses cheveux, dégoulinant légèrement sur sa peau. Il s'approchait de lui avec une démarche féline, l'air innocent et se défendait toujours quand Riley le traitait de chaudasse, il ne voyait jamais de quoi il voulait parler. Ce souvenir lui arracha un sourire. Il passait son temps à lui sauter dessus l'air de rien.
Il rit le visage toujours enfoui dans l'écharpe d'Alan, les joues encore humides mais ne put retenir un sanglot quand il repensa au jour du drame.
Cette fois c'était son visage éteint et blanc qu'il revoyait. Ses lèvres pâles et ses paupières closes à jamais, reflétant la lumière blanchâtre de la morgue. Ils n'avaient retrouvé aucune trace de sa famille, ce qui était normal puisqu'il était orphelin depuis très longtemps déjà, et donc il avait été appelé pour reconnaître le corps.
Riley tomba à genoux sur le sol glacé de son balcon serrant plus fortement le tissus soyeux contre son visage. Rien ne pouvait effacer de sa mémoire l'énorme hématome qui ornait sa pommette d'un bleu violacé saillant, ni ces cernes noires sous ses yeux qu'il ne verrait plus jamais luire de tendresse, ni ce visage qu'il aimait tant fixé ainsi pour l'éternité.
Il sanglota presque une demi-heure dans l'atmosphère glaciale de la soirée, ressassant amoureusement ses souvenirs et en sachant très bien qu'il ne reviendrait plus.
Il finit par se relever, les jambes tremblantes, il était gelé. Riley entra dans son salon, referma la fenêtre derrière lui et s'affala dans son fauteuil devant la télé encore allumée. Il observa l'écran d'un oeil absent avant de se relever précipitamment et de décider que de toute façon, il ne pouvait pas rester là, dans son salon à ruminer ses idées noires. Autant aller se changer un peu les idées.
Le jeune homme attrapa sa veste à la volée, sortit de son appartement et descendit quatre à quatre les escaliers de l'immeuble. Il se balada un moment dans les rues froides de New York puis, entra dans un bar à deux blocs de chez lui.
Il s'installa au comptoir et commanda un whisky sec que le barman lui servit de suite. Sans réfléchir, il le vida d'un trait et en commanda un autre. Il sirota son second verre en faisait tourner distraitement le liquide ambré entre ses doigts. La salle était presque vide et la musique était assez faible pour que l'on puisse discuter mais assez forte pour que l'on puisse quand même l'entendre. Perdu dans ses pensées, il entendit à peine ce que lui dit le barman. Il releva la tête, hébété et lui demanda de répéter.
- T'as pas l'air bien mon gars, est-ce que ça va ?
Mon gars ? Un certain manque de respect dont il préféra ne pas se formaliser.
- Vous en faites pas, je ne vais pas me jeter d'un pont en sortant d'ici.
- Ce n'était pas exactement ce que je voulais dire mais je suis content de le savoir. Sourit-il.
Riley vida son verre cul sec.
- Un autre.
L'homme le regarda, perplexe.
- T'es sûr ? Tu vas vite arriver à un gramme d'alcool dans le sang là. Et vu ton état, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution… Hésita-t-il.
- Un autre.
- Bien.
Le client était roi de toute façon…
Riley vida donc son troisième verre en l'espace de seulement quelques minutes, il le reposa fermement sur le bar en décidant qu'il devait reprendre sa vie en main et ne plus vivre pour un mort. Il se chargerait des détails le lendemain matin, vu comme sa tête tournait, il n'était pas en état de le faire cette nuit.
Il déposa un billet de vingt dollars sur le comptoir, ce qui contribuait largement à couvrir ses frais et se leva en chancelant de son tabouret.
- Merci. Dit-il avant de se diriger vers la porte.
Il sortit dans la nuit noire et sourit. Il allait enfin reprendre le contrôle de son existence.