Bon, ça y est, je me suis décidée à écrire un truc sur l'univers vétérinaire x) ça fait déjà un an (au moment de commencer l'écriture, maintenant ça fait deux) que je bosse dans le secteur, il était temps ! Et je l'ai quasiment écrite que à la clinique pendant les pauses en plus ! Par contre elle n'est pas finie. Et je commence la publication. M'exposant ainsi à la terrible malédiction des fictions inachevées qui traînent dans mes deux comptes è_é mais je résiste pas et puis je suis trop bien lancée pour m'arrêter !
J'ai pas l'habitude de ce ton, ni de la première personne, ni du présent, on va voir ce que ça donne XD en tout ca je m'amuse beaucoup ^^

Attention aux scènes de sexe plus graphiques que dans le reste de mes fics (je crois)... j'ai voulu faire réaliste, ça s'est étendu jusque là. Et aussi, il y aura des chirurgies, on parle de vétérinaires. Prenez en compte le rating donc, pour une fois il est justifié voire insuffisant, d'après ce que je lis du rating M (sexe non explicite, lol, et au-dessus je mets quoi ?)

Le thème de cette fic est « Nara » de E.S. Posthumus.
Heu, parce que c'est le seul MP3 qu'il y avait sur le petit PC portable quand j'en ai hérité et que du coup je l'écoutais en boucle au boulot en écrivant (je vous promets). Autour de ce thème, j'ai créé une playlist "Contes d'une clinique" sur ma chaîne YouTube (GalopaWXY), histoire que vous puissiez voir sur quel genre de musique j'écris cette histoire, si vous voulez.

Don se prononce « donne ».

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Elle s'assied à son bureau, me tend ma tasse de thé, boit un peu à la sienne. Elle est souriante, avenante : exactement le type de bonne femme qu'il faut pour mettre à l'aise un client inquiet. Au reste, elle n'est pas désagréable à regarder... La quarantaine tout juste, pas beaucoup de poitrine, mais un corps fin et svelte, on sent qu'elle est en bonne santé, et un visage fin, ouvert, franc. Une femme saine, bien dans sa tête. Exactement ce qu'il me faut. Et exactement mon type, ce qu'en revanche il ne vaudrait mieux pas.

- Alors, ce parcours ?

Je prends mes aises dans la grande chaise en osier qui fait face à son bureau et trempe mes lèvres dans le thé brûlant. Trop chaud pour moi, mais ça sera une bonne excuse pour faire durer l'entretien.

- J'ai travaillé trois ans à la clinique de l'Arche, dans le 14ème, à mi-temps, d'abord parce que la remplaçante était enceinte, ensuite parce qu'elle a démissionné... puis elle est revenue, et je suis parti chez Vébiotel, pour faire l'assistance téléphonique aux cliniques. J'y suis depuis deux ans, mais la pratique me manque, d'où ma présence ici.

Je lui décoche un sourire séducteur. J'ai tendance à avoir du succès, à cause des yeux verts, mais la moue charmante qu'elle me retourne annonce clairement la couleur. Dommage, parce qu'elle est vraiment à mon goût.

- Bon, ici ce sera du mi-temps aussi, vous connaissez le principe. Je travaille trois jours par semaine et vous héritez des trois restants. On ferme le samedi à 17h et le dimanche toute la journée... il y a un assistant qui sera là pour vous aider, surtout les premiers temps, il est d'accord pour faire des heures supp' le temps que vous preniez vos repères...

- « Un » assistant ?

- Hé oui ! Ça existe.

- C'est gentil de sa part en tout cas.

Et zut, c'est bien ma veine, une jolie fille en moins dans mon futur établissement. Tant pis, il pourra toujours me donner des tuyaux sur celle-ci. Après les discussions d'usage – les horaires, les honoraires, le salaire, la mentalité et l'image de la clinique, je me décide à boire mon thé et je prends congé avec une promesse d'embauche en bonne et due forme dans la main.

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Les premiers jours, je viens seulement pour regarder comment ça se passe et apprendre les façons de la maison. Vébiotel me fait des ennuis. J'ai donné ma dème suite à mon entretien, préavis de quinze jours, ça le fait pas trop, mais j'ai tiré deux trois ficelles qui devraient me permettre de quitter le poste tout de même assez rapidement. J'aurais bien aimé rester à mi-temps, mais le responsable m'a déjà trouvé un remplaçant. Bon, je me retrouverais bien un petit quelque chose à côté. Je vois défiler pas mal de chiens, encore plus de chats, et un bon quart de clientèle de NAC, Nouveaux Animaux de Compagnie, lapins, rats, cochons d'Inde, caméléons... je suis à l'aise et au terme des deux semaines, lors de mon dernier jour chez Vébiotel, je suis fin prêt à tenir la boutique trois jours par semaine.

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Mon premier jour. C'est avec un grand sourire que je rentre dans la clinique par la cour de l'immeuble. Je tourne la clé trois fois dans la serrure et désactive l'alarme – méfiante, la véto en chef – avant de rentrer pour couper le répondeur. Un coup d'œil à l'agenda pendant que je me déshabille : cinq rendez-vous et même pas une petite chirurgie pour dix heures de boulot, c'est pas génial. Au moins, il y a un chat hospitalisé au sous-sol pour s'occuper. Les gens ne me connaissent pas encore. Je compte bien remplir mes jours d'ici une douzaine et rendre la miss jalouse. Peut-être qu'on aura de nouveau un entretien privé. Je suis le premier sur les lieux. J'ai le temps de faire le tour de la clinique pour mettre la clique en route et de me faire chauffer un thé avant que Don, l'assistant, n'ouvre à son tour la porte. C'est un jeune homme, il a quoi, sept-huit ans de moins que moi ? Très respectueux et professionnel : j'ai remarqué qu'en présence de la patronne, il est docile et efficace. Je n'ai pas eu l'occasion de lui parler seul à seul. Voyons s'il sera aussi docile avec moi, le nouveau. J'espère qu'il ne va pas me servir du « docteur Muller » même quand il n'y a pas de clients. Il me voit, me sourit derrière ses mèches blondes, ouvre la bouche.

- Bonjour, docteur...

- ... Jérémy. Jérem', même, si tu veux bien.

- Peut-être pas dans l'immédiat, mais va pour Jérémy.

Ok, mieux. J'aime ce ton. On va s'entendre. Je m'installe derrière le bureau – mon bureau, le bureau du véto ! - en salle de consultation et sirote mon thé pendant qu'il part enfiler sa blouse. Premier rendez-vous dans une demie-heure. Tranquille. Don revient, commence à ouvrir les tiroirs et sort des boites de seringues pour restocker.

- Alors, comment se sent-on pour son premier jour ?

- Si tu hésites, tutoie-moi, hein, lui fais-je derrière ma tasse. Eh bien... pas trop mal. Heureux d'être à nouveau un vrai vétérinaire qui bosse et tout.

- Tu étais chez Vébiotel avant, c'est ça ? On travaille pas mal avec eux ici.

- Je te laisserais passer les coups de fil. Ils sont en rogne.

- Tu es parti un peu vite ? ... ah, ça fait bizarre. J'ai l'habitude de vouvoyer Ghetta.

- Ouais, je suppose... je ne pensais pas trouver de nouveau job si rapidement.

Coup, rebond, renvoi, super, il n'est pas timide et moi non plus. Je ne supporte pas les assistantes qui ne l'ouvrent jamais et qui se changent en huitre dès qu'on essaye d'engager la conversation. Sûrement mon physique ravageur qui opère. Vivent les hommes qui n'y sont pas soumis.

- Don... c'est un prénom ça ?

Il referme le tiroir et range ses boites sous l'évier en souriant.

- Non, mais c'est très bien. Tout le monde m'appelle Don.

- Et pour la version natale ?

- Tu l'auras peut-être quand je t'appellerais Jérem'.

- Je m'insurge, c'est toi qui en décideras !

Il éclate de rire, ce qui n'est jamais une bonne idée quand on est en train de se laver les mains - il arrose le plan de travail de gouttelettes cristallines - mais qui achève de me rassurer sur mes relations professionnelles. Ça part bien, très bien. C'est important pour un véto de bien s'entendre avec son assistant. Le temps que le rendez-vous de neuf heures quarante-cinq arrive, il me parle un peu de lui : trois ans d'expérience dont deux de formation au GIPSA, il a toujours bossé ici. Typique. Il aime bien mais il aimerait aussi voir comment ça se passe dans les autres cliniques, alors je le régale d'anecdotes sur mon temps de boulot dans le 14ème et le temps passe si vite que nous sautons tous les deux en l'air lorsque la porte sonne.

- Déjà ? murmure Don en se levant sur plan de travail où il s'était assis pour aller accueillir.

Je fais preuve d'un peu plus de stoïcisme mais j'aurais bien passé un peu plus de temps à discuter aussi. Il est rafraichissant, ce petit, et bon auditoire. Ma première consultation est un gentil chienchien qui appartient à une gentille mémé, un yorkshire, adorable, un vaccin. Fastoche. Avant d'avoir le temps de dire quoi que ce soit, tout mon matériel tout prêt m'atterrit entre les mains au fur et à mesure que j'en ai besoin : Don prépare même le produit dans la seringue, change l'aiguille, et je n'ai plus qu'à faire l'injection avec la pissette d'alcool qu'il me tend. Je lui jette un regard entre deux phrases, il me retourne un sourire fiérot, au moins aussi ravageur que le mien. Il doit avoir du succès avec les filles, celui-là. En tout cas, il tient la mamie dans le creux de sa main avec ses airs de garçon de bonne famille, il lui demande des nouvelles, elle aussi, j'ai même droit à un « vous êtes un super véto, bienvenue à la clinique » auquel je réponds modestement. Bientôt, ce sera moi qui accueillerai les gens dans ma clinique, et pas l'inverse.

Il reste une bonne heure avant la prochaine consultation : on descend faire les soins au chat hospitalisé. Ça, ça se passe autrement moins bien. La bestiole est enfermée là depuis deux jours, elle avait un jardin chez elle, elle en a marre, elle doit avoir faim car elle ne mange rien, elle est souillée, bref, elle se met à feuler dès qu'elle me voit. Je m'approche de la cage en roucoulant :

- Je viens d'arriver, patate, je t'ai encore rien fait, sois gentille avec papa Jérem'...

- Je serais toi... commence Don qui réajuste la perfusion de Ringer.

- T'inquiète, j'ai les good vibes avec les chats, tu verras, hein cocotte ?

Tu parles, à peine ouvert la porte, le tigre saute dans sa litière mouillée en en foutant partout et fait mine de me flanquer des coups de patte en découvrant les dents. Elle rigole pas, mais alors pas du tout.

- Je lui ai coupé les griffes à sa dernière anesthésie, m'informe Don - j'applaudis l'initiative.

- Elle a pas l'air au courant.

Rapide comme l'éclair, je vais pour lui chopper la peau du cou : rapide comme la foudre, elle va pour me planter son étincelante dentition dans la main. Je la retire en vitesse. Don est derrière moi avec une serviette épaisse.

- Attends, regarde l'astuce.

Il se penche contre moi – la cage est trop étroite pour deux personnes de front donc je recule – et recouvre la bestiole crachante et grondante en lui lançant la serviette.

- Mais comment vous avez fait pour lui faire les soins ? je demande en l'attrapant par le cou à travers le tissu.

- Anesthésie. Elle est intouchable autrement.

- Fixe ? La chatte se débat mais je la tiens ferme, merci la serviette.

- Non, gazeuse, quand même, la pauvre.

- Ok, super idée. Tu me mets la gazeuse en route ?

En dix minutes, cette sale bête pique du nez dans la cage en plexiglas spécialement conçue pour endormir les teigneux, et on peut enfin la manipuler. Prise de sang, injections, changement de tubulure de perfusion, et puis un peu de limage de griffes supplémentaire, ça ne pourra pas lui faire de mal... j'ai résolu de ne plus la toucher de la journée, donc celle-ci passe tranquillement. Don achève de me faire faire le tour des lieux. La clinique n'est pas gigantesque - pensez-vous, en plein 8e arrondissement - mais il y a des rangements partout et j'essaye de mémoriser l'emplacement des choses en sachant pertinemment qu'il me faudra au moins une semaine pour m'y retrouver. A la fin de ce premier jour, le numéro de portable de Don rejoint celui de la patronne dans mon téléphone. Je ne doute pas de m'en servir régulièrement quand il ne sera pas à la clinique et que j'aurais paumé le flacon d'éther ou les pochettes de sérum phy.

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Le lendemain, jour de repos, déjà ! Retour au boulot de vétérinaire réussi, et en douceur, s'il vous plaît. Je mange une pomme devant un dessin animé des années 80 pris au pif dans mon disque dur, prends une douche, et en avant la manœuvre. Vu comment est payé un véto salarié à mi-temps, j'ai intérêt à trouver autre chose, et rapidement... je prends une dizaine de CVs, les fourre dans une pochette cartonnée. Le quartier où j'habite comporte trois cliniques et un cabinet. Ce dernier est tenu par un couple de vétérinaires, qui n'ont même pas d'assistants (et ne veulent pas me laisser le devenir non plus) ; les cliniques sont complètes... je ne vais pas me décourager pour si peu. Ce jour, je fais douze vétérinaires dont aucun n'a besoin de moi même comme auxiliaire. Ce n'est pas qu'ils ne veulent pas de mi-temps, ou que je suis exigent sur le salaire : ils n'ont tout simplement pas besoin de personnel supplémentaire. Le plus souvent, je tombe sur des assistantes sur lesquelles j'essaye de faire marcher mon charme... ça fonctionne régulièrement, mais c'est ensuite le patron qui m'envoie bouler une fois que je suis en face de lui. Je rentre chez moi le soir, un peu découragé. Même pas une piste... Il me faut un second boulot, et ce mois-ci. J'ai de l'argent pour assurer la transition, mais il me faut un revenu régulier si je veux conserver mon deux pièces à proximité des transports et à même pas dix minutes en vélo de ma nouvelle clinique. La collocation, inutile d'y penser. Je suis infernal à vivre, c'est pour ça que je n'ai pas de copine. On s'y fait.

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Je travaille le mercredi, le jeudi et le samedi. La patronne a une famille à laquelle elle veut se consacrer lorsque ses enfants sont à la maison ; quand c'est elle qui tient la clinique, je cherche du boulot. Je veux trouver un truc soit facile d'accès, soit pas trop loin, soit qui se fait depuis chez moi, mais là, je ne trouve pas... alors je me fais moins exigeant : je regarde les animaleries, les toiletteurs, les labos d'analyses, même en médecine humaine, je m'en fiche. J'ai assez de compétence pour manier des produits vétérinaires ou humains. Mais personne ne cherche d'employés, bon sang, je suis pourtant pas difficile ! En plus, mes amis se fichent de moi.

- Si tu voulais bien te déplacer partout dans Paris, tu trouverais, me dit un soir Laurent avec qui je suis sorti boire un verre. Il peut parler celui-là, il habite au-dessus de son atelier.

- Je ne supporte pas le métro et j'ai pas les moyens de m'acheter une voiture...

Je fais tourner mon whisky atour de son glaçon. Il n'y en a presque plus. Laurent fait signe au barman qui dépose deux nouveaux verres devant nous. Voilà qui est mieux.

- C'est pas comme ça que tu vas te dénicher un mi-temps... tout le monde cherche un mi-temps...

- Normal, quand on veut un temps plein, on trouve que des mi-temps.

Sur cette assertion fatidique, je finis mon verre et le pousse vers l'intérieur du bar. J'ai envie de fumer. Qui est l'imbécile qui a interdit de fumer dans les commerces de restauration, déjà ? Maintenant, au lieu d'être masquées par la fumée, les odeurs rances de transpiration et d'alcool ont envahi les bars. Laurent m'envoie une bourrade, cet idiot, heureusement que je n'avais pas le deuxième verre en main.

- Si tu ne veux pas te déplacer, autant élargir un peu tes recherches.

- Mais je l'ai fait !

- Tu restes dans les animaux ou la médecine... ce sont des secteurs difficiles, la médecine parce que c'est de toute façon la galère pour bosser, les animaux parce qu'on est à Paris et que les locaux coûtent cher.

- Je ne vais quand même pas devenir plongeur ?

- Plongeur, quand même pas, par contre, Julien a un café en bas de chez lui qui cherche un responsable de salle... il connaît bien le patron...

Je prends une gorgée de whisky. J'aimerais mieux éviter d'en arriver là... mais ça fait déjà deux semaines que je dépose des CVs partout dans le quartier, que j'insiste, que je relance, sans résultat... d'ici une dizaine de jours, il faudra payer mon loyer, et je serais serré, très serré pour le mois prochain.

- Écoute, je vais réfléchir, ok ? Sobre.

- Tu es sobre.

- Ouais mais il est tard, Laurent.

- D'accord, prends ton temps, ce n'est pas comme si la place allait s'envoler.

Il a un point, le bougre. Mais moi, serveur ? Franchement ? Qu'est-ce que je préfère, me taper des heures de transport dans les métros bondés et surchargés de saloperies humaines style sueur, relents de beuveries, odeur corporelle... ? Les transports parisiens. Le pire réservoir à merde qu'on ait inventé pour remplir les cabinets des généralistes.

- J'y réfléchirais.

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- Immobilisation complète et contention sans problèmes ! Technique ancestrale du sac !

Devant moi, Don a pris un lapin comme un petit baluchon, en calant ses pattes avant entre ses pouces et sa main, et les pattes arrières tenues fermement avec le reste des doigts. Une petite louloute mignonne comme tout, tricolore, bélier, mais elle s'excitait tellement pour une simple coupe de griffes qu'il a fallu faire sortir la propriétaire terrorisée de voir son lapinou se débattre dans les mains du vétérinaire et la mère soupirante. Et moi, j'ai fait mes études en canine, pas en NAC, alors les assistants qui savent manager les rongeurs, je suis pour.

- Ok, ça bouge plus maintenant, hein, parce que si je la fais saigner, on les reverra plus jamais...

J'approche la pince des pattes de la lapine qui recommence à gigoter, mais Don la tient ferme et suffisamment pour que je puisse faire mon boulot. J'ai surtout des rendez-vous faciles, ce genre, des coupes de griffes, des vaccins, des chiots ou chatons qui viennent d'être adoptés et qui viennent pour leur première consultation... des stérilisations, une exérèse une fois, mais rien de trop invraisemblable. C'est très bien, ça me permet de me remettre dans le bain en douceur. Don lâche la lapine aux griffes maintenant inoffensives et la repose en douceur sur la table. Elle ne bronche pas. J'aime pas les lapins, ça ne dit jamais rien, c'est tout le temps immobile, c'est pas très expressif. Je préfère les rats, tant qu'à avoir des rongeurs. Ça vit certes moins longtemps, mais c'est autrement plus sympa. On en a eu un il y a une semaine. J'ai eu droit à plein de bisous et il ne voulait plus redescendre de mon épaule !

Don fait re-rentrer les filles et remet la lapine à la petite qui l'étreint avec joie. Elle se laisse faire, ce qui est surprenant de la part d'un animal si excité, qui en plus déteste qu'on lui fasse quitter le sol... Je fais régler, je donne quelques conseils, et leur tiens la porte pendant qu'elles sortent. Côté rendez-vous, j'ai deux ou trois patients qui ont un traitement sur plusieurs semaines et qui demandent maintenant à me voir moi « parce que c'est lui qui fait le suivi de mon chat », ce que j'aime toujours bien entendre. Don l'a repéré et il ne manque jamais de me le signaler au passage quand quelqu'un dit ça, brave garçon. Ghetta s'est pointée une ou deux fois à l'improviste pour récupérer des papiers ou passer des coups de fil et elle a l'air d'approuver ma façon de bosser. De toute façon, j'utilisais les mêmes protocoles qu'elle dans l'ensemble donc je n'ai pas eu trop d'efforts d'adaptabilité à fournir.

Prochain rendez-vous dans vingt minutes. J'ai le temps de boire un café et de rentrer ma compta du jour. Derrière la vitrine opaque, le soleil se couche doucement et Paris est plongée dans une lumière rose-dorée. Les voitures commencent à se faire remarquer par le chahut des moteurs au-dehors, assourdi par le verre dépoli. La course pour rentrer chez soi le plus vite possible a commencé. Don et moi arriverons après l'heure de pointe, tranquillement. Avant même d'avoir eu le temps de me lever, il passe la tête par la porte avec une bouilloire à la main :

- Café ?

Il est quand même dingue, ce petit. La plupart du temps, oh, pas toujours quand même, mais très souvent, il arrive à devancer mes moindres désirs, quasiment tous les professionnels, et une bonne partie des personnels, comme là. L'assistant parfait. Je lui fais un grand sourire.

- Don, Don, tu es comme une mère pour moi !

Son visage s'éclaire et il entre avec deux tasses fumantes. En prime, il savait que j'allais accepter. Suis-je si facile à cerner dans mes habitudes ou est-ce que c'est lui qui a un don hors du commun pour lire la physionomie des gens ? Je ne suis quand même pas dans la clinique depuis assez longtemps pour qu'il connaisse déjà par cœur mes habitudes ? Tandis qu'il s'assied sur le plan de travail après m'avoir donné mon café, je le scrute avec curiosité. Et moi, que sais-je de ses habitudes ? Je connais son rituel du matin : il arrive presque toujours après moi, il met un téléphone de la clinique dans sa poche et son portable dans une autre poche, allume les machines si j'ai oublié de le faire, sort une boite de quelque chose à grignoter – biscuits, pain au chocolat, fruits, ça change tout le temps – pose ça quelque part, et mord dedans par intermittence tandis qu'il vérifie si les tiroirs ont besoin d'être regarnis et fait le tour des pièces pour vérifier que tout est en ordre. Ensuite il m'assiste ou bavarde en attendant les rendez-vous, puis la commande arrive, qu'il range aussitôt, quelle que soit son ampleur. Je sais aussi que les clients l'adorent, qu'il est à l'aise avec tout le monde, patient, gentil, et surtout, serviable ! je n'ai jamais vu à ce point auparavant. J'aime beaucoup cet assistant et c'est le meilleur que j'ai eu jusqu'à aujourd'hui, malgré le fait que ce ne soit pas une jolie fille.

Il pianote sur son portable en buvant son chocolat chaud. Ses mèches blondes masquent son front et une partie de ses yeux à ma vue, la tête baissée comme ça. Il est de taille moyenne, les mains fines et les doigts longs, habiles. Ses traits sont doux plutôt que fins, exactement comme les filles adorent. Il doit avoir une de ces cotes... ! Je finis d'écrire ma comptabilité et me cale dans mon dossier, les mains autour de mon café chaud.

- Alors, tu as une copine ?

- Ça risque pas, je suis gay.

Du tac au tac ! Il a relevé le nez de son portable et me regarde aussi naturellement que jamais, avec un petit sourire en coin. Il savoure son effet, le drôle. Sur le coup, je reste comme un idiot sans savoir quoi dire, alors je demande :

- Ghetta est au courant ?

Et voilà, c'est tout moi, ça, ouvrir la bouche avant d'avoir une bonne idée de ce qu'on va on sortir. Question franchement évitable, voire discriminatoire.

- Bien sûr, répond-t-il cependant sans se démonter. On dirait presque qu'il s'amuse.

- Hum, ok, je préfère m'assurer de ne pas faire de gaffe.

Dire quelque chose d'intelligent, vite. Sinon il va croire que tu es homophobe. Non, attends, réfléchis d'abord !

- Bon, et je suis à ton goût ?

- Ouais.

Je suis comme un con sur ma chaise. Ça, je ne m'y attendais pas – je ne m'attendais déjà pas à la question que j'ai posée, alors... enfin, je plais tellement aux filles, pourquoi pas aux hommes aussi ? Le petit sourire s'élargit et Don éclate de rire, incapable de conserver son sérieux plus longtemps. Il est très content de lui, ce petit malin. Je rigole aussi.

- Désolé pour toi, je trempe intégralement du côté des filles !

- Hé hé, je sais. Ça se voit.

- Toi, ça ne se voit pas. Ou alors c'est moi qui ne prête pas attention à ce genre de chose...

- Les garçons que ça intéresse savent le voir, répond-il gentiment, toujours souriant. Le reste ne se pose pas de questions et ne s'en porte pas plus mal.

Effectivement. Sur ces entrefaites, une jeune fille déboule à la volée dans la salle d'attente, paniquée, avec un chat roux non moins paniqué dans les bras, hagard et en sang. Un chat parachutiste ! Ça faisait longtemps ! C'est mon premier depuis la reprise. Quel étage ? Ah oui, le cinquième, quand même. Sacrée chute. Et vivant, s'il vous plaît. C'est parti pour les radios, palpations et compagnie, et tout ce bazar éclipse totalement la question de la sexualité de mon assistant.

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Le soir, je vérifie mes comptes. Le loyer va tomber la semaine prochaine et j'ai tout juste de quoi le payer... et ensuite... le salaire que je reçois en étant véto à mi-temps me permettra d'assurer mon appartement, plus les abonnements Internet, téléphone et compagnie, mais... rien d'autre. Même pas les tickets de bus. Tout passera là-dedans en ne me laissant que quelques euros pour manger... Je me prends la tête dans les mains, maltraitant la peau de mon front. J'ai continué à chercher un boulot en n'étant plus du tout exigeant, et je n'ai obtenu que deux pistes qui se sont finies en queue de poisson... mes finances vont mal, et je n'ai pas d'argent de côté, je ne suis pas un mec prévoyant. Ghetta n'a pas besoin d'un vétérinaire à plein temps et elle a refusé une proposition de gardes ou d'ouverture de la clinique le dimanche... Très pro, gentiment et tout, mais un refus quand même. Après quelques minutes d'apitoiement sur mon sort, je finis, mortifié, par prendre le fixe pour appeler Laurent.

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C'est un café assez petit, une vingtaine de tables plus dix sur le trottoir. Ils viennent de s'agrandir. Jusqu'ici le barman faisait aussi serveur, mais il y a maintenant trop d'habitués, ils ont même des heures de pointe, il faut embaucher. Bon, je suis abonné aux petites structures. Pour me consoler, Julien m'a obtenu de consommer le café maison gratuitement sur mes jours de boulot, deux tasses maxi par jour, ce qui n'est pas mal du tout, en plus il paraît qu'il est bon. C'est aussi du mi-temps. Après force délibérations avec le patron, assis dans la salle à siroter ledit café, nous finissons par tomber d'accord sur les jours. Je vais même avoir un bout du lundi pour aller avec mon dimanche, ce qui me fera un jour et demi de week-end par semaine. Je signe le lendemain, je commence dès la semaine prochaine. Sauvé, par Toutatis ! Je n'ai plus qu'à compter mes sous jusqu'au mois prochain, apprendre à marcher pour aller au boulot le temps d'avoir de quoi renouveler ma carte de transport, et je devrais m'en tirer. En plus, le café est à cinq minutes de chez moi. Julien habite trois étages au-dessus, donc j'en profite pour monter le remercier et prendre un pot. Laurent se trouve déjà chez lui avec sa copine, une belle femme, quoiqu'un peu grande à mon goût. Je préfère quand elles font ma taille. Il y a de la musique. On trinque à mon nouveau poste.

Jusqu'ici, le soulagement était tout ce que je ressentais à l'endroit de cet emploi, mais le mercredi, en allant travailler à la clinique, j'ai tout de même un pincement au cœur au moment de l'avouer à Don. Je me tais. C'est idiot, ça n'a rien de dévalorisant, mais... si j'avais su... huit ans d'études pour finir serveur, quand même.

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