Voilà la troisième partie de ce qui ne devait être qu'un petit texte doux-amer.
Je l'ai écrit il y a quelques semaines et posté sur mon blog en zappant de le mettre ici, mais comme on dit, mieux vaut tard que jamais.
Enjoy.

3 - LA DOUCEUR DES BLESSURES

J'ai du mal à y voir, le sol du couloir tangue et j'ai un goût de sang sur le bout de la langue. Le combat de ce soir m'a laissé abîmé et le pire est que personne n'était préoccupé. La plupart des boxeurs ont des femmes, des amis, une famille qui s'inquiète de les voir démolis. Mais moi je n'ai personne pour me faire de reproche, pour s'inquiéter de voir mes yeux bleuis de poches.

Alors, oui, j'ai gagné mais au fond peu m'importe, j'échangerais mes victoires pour l'amitié des autres. Je m'appuie au mur et je frappe à ta porte. Je ne sais même pas pourquoi je te dérange ce soir, c'est peut-être ton visage que j'ai besoin de voir. Avoir l'impression que tu es là pour moi. Que je ne suis pas seul, qu'on est deux dans mon cas.

Quand tu ouvres, je sais que tu m'as reconnu. Tes yeux gris s'écarquillent et ta bouche charnue s'entrouvre pour demander je ne sais pas vraiment quoi, parce que pour un instant tu ne parles pas. Tu ne fais que me regarder comme frappé par la foudre et pour un instant la douleur est plus sourde. Je cherche une façon de briser le silence.

- Je…

Je ne sais pas comment justifier ma présence. Et puis finalement, je décide de mentir. Tout vaut mieux qu'avouer mes stupides désirs.

- J'aurais besoin d'aide pour ouvrir la porte.

Ce n'est pas très poli, j'aurais dû dire bonjour, m'excuser de déranger ou faire demi-tour. Mais je ne suis pas doué pour parler aux gens. Je ne sais pas comment faire pour paraitre charmant. Je te tends juste mes clés de mes manières rudes et après une seconde tu te mets en mouvement. Tu ne sembles pas dérangé par mon attitude.

- Bien sûr, pas de problème, réponds-tu rapidement.

- Merci, te dis-je alors.

Mais c'est un grognement. Ma voix aussi brisée que mon corps défaillant. Tu avances vers ma porte et je te suis lentement.

- Ça ne s'est pas bien passé ? demandes-tu finalement.

La clé dans la serrure, tu tournes jusqu'au déclic, puis tu ouvres ma porte et soudain, je panique. Je ne veux pas que tu t'en ailles. Ni toi, ni tes grands yeux qui semblent s'inquiéter de mon état piteux.

Quand je ne réponds pas, tu souris timidement.

- Je vous ai vu combattre il y a deux semaines de ça. Vous êtes impressionnant...

- Je préfère qu'on se tutoie.

Je t'ai coupé en pleine phrase, et je suis un rustre, mais ton léger sourire est tout ce que j'enregistre.

- Ok, ça me convient, réponds-tu souriant.

Tu souris. Tu souris et je ne sais pas comment, mais c'est moi qui ai provoqué ce changement. Je ne me souviens pas du nombre de fois où je t'ai vu misérable, mais je peux compter sur mes doigts tes sourires adorables.

Je souris moi aussi, mais tu grimaces alors.

- Ça a l'air douloureux.

- Et c'est bien pire encore.

Tu fronces les sourcils et puis ta main se lève. Elle se pose sur ma joue, plus douce que dans un rêve. Mais trop vite, tu te figes ; une prise de conscience brusque. Comme si tu t'attendais à ce que je m'en offusque. Mais tu peux me toucher, je ne suis pas le costume noir, je ne vais pas te repousser. J'appuie contre ta paume en inclinant la tête, j'entends parfaitement ton souffle qui s'arrête. J'ai un comportement presque animal, je sais. Mais je vis à l'instinct, j'ai toujours trouvé les normes compliquées. Je fais ce qui me vient et je suis désolé.

Peut-être que si j'avais les manières du con avec qui tu sors, alors tu m'aimerais, moi. Moi qui me soucie de ton sort. Et je te rendrais heureux… si je savais comment. Oui, mais je ne sais pas. Comment font tous ces gens ? Ceux qui connaissent le bonheur et semble savoir où ils vont. Je n'ai pas de prise sur ma vie, je ne me fais pas d'illusion.

Le moment s'allonge et tes yeux m'étudient. Tu hoches la tête pour toi-même et m'entraine dans mon propre appartement. Tu fermes la porte et m'accompagne jusqu'au divan.

Tu me laisses hébété, incapable de quoi que ce soit sinon vriller de mon regard ton dos qui s'éloigne vers la salle de bain. Rapidement, tu reviens avec du coton et de l'alcool en grognant contre les plaies rouvertes et les pseudos-médecin. Tu prends place sur la table-basse et me fais signe d'avancer.

- Approche-toi Rider.

Une vague de contentement me submerge en entendant ta voix rouler sur mon nom. Je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle je pensais que tu l'aurais oublié.

- Je suis Liam, souffles-tu.

- Désolé de t'avoir dérangé ce soir, Liam.

Ce n'est qu'une excuse pour pouvoir utiliser ton prénom. Tu ne sembles pas remarquer mon intonation. Mais tu souris à nouveau et je ne sais pas ce que j'ai fait pour ça. Est-ce que c'est si simple que de grogner des choses auxquelles tu ne t'attends pas ? J'essaie une nouvelle fois.

- Tu devrais voir dans quel état est l'autre gars.

Tu ris doucement. Ce n'est pas un fou-rire, ni un éclat de joie, mais tu as l'air à la fois amusé et surpris. Et je sens le coton que tu tamponnes doucement sur ma pommette mais la brûlure de l'alcool me parait atténuée. C'est ma plus belle victoire de savoir qu'aujourd'hui tu ne pleureras pas tout seul dans le couloir. Parce que je suis là.

- Mon frère ne va pas en revenir, dis-tu après un moment.

Je t'interroge des yeux et tu ris simplement.

- Il m'a trainé à ton match parce que c'est un grand fan et ne m'a pas cru quand j'ai dit que tu habitais le même couloir.

Tu m'avais reconnu. Je ne peux faire taire un souffle d'espoir. Moi qui croyais que tu ne me voyais pas.

- Mon frère est hétéro, mais il en pince pour toi.

Je ressens de l'inconfort. Celui que je veux c'est toi. Mais je me force à sourire.

- On pourrait boire une bière, je veux dire avec ton frère si ça lui fait plaisir.

- Tu ferais ça ? Vraiment ?

Tu es hésitant et moi, je me demande pourquoi ça te surprend. Le costume noir n'a-t-il jamais rien fait pour te faire plaisir ? Alors pourquoi l'aimes-tu, pourquoi le laisses-tu encore te faire souffrir. Mais je ne dis rien de cela. Je hoche doucement la tête.

- Ce n'est pas un problème. Dis-moi quand vous êtes libre.

- Il va flipper, rigoles-tu soudain.

Et je souris aussi. Et puis je sens ta main qui glisse sur ma joue.

- Ne bouge pas, dis-tu en finissant de nettoyer mes plaies.

Quand tu as fini tu te lèves en soufflant : « bon ben, j'y vais ». Et je hoche la tête, à défaut de pouvoir t'en empêcher. Je te suis à la porte, un peu mal à l'aise de te voir t'en aller, j'aurais voulu que tu restes, mais je ne peux le demander.

- Je te tiens au courant pour cette bière ?

- Ouais, merci de m'avoir soigné.

Tu mordilles ta lèvre inférieure et tes yeux paraissent timides, mais sincères.

- Merci, pour euh… les mouchoirs… tu sais.

J'ai envie de te dire que l'autre ne mérite pas tes larmes et que tu devrais le jeter. Envie que tu me dises que tu as fini de l'aimer. Envie que tu saches que le mur d'ecchymoses qui me recouvre ne me fait pas aussi mal que de te voir effondré dans ce putain de couloir. Mais je ne peux rien dire de tout ça. Pas plus que je n'ai le droit de te vouloir.

- J'en ai toujours un stock, réponds-je. Au besoin, tu sais où me trouver.

Tu sembles considérer mon offre, te demandant peut-être pourquoi je voudrais te consoler. Mais tu secoues la tête d'une manière qui me fait penser que tu viens de te rendre compte que je ne suis pas normal. Finalement, tu souris.

- A un de ces jours Rider.

- Ouais, réponds-je au lieu de te dire de ne pas me laisser.

Quand tu entres chez toi, je referme la mort dans l'âme et laisse ma tête tomber : « à un de ces jours Liam. »