NOTE : Le Clair-Obscur est un lieu fictif. Par contre, le Nirvanna, l'Eden et l'ancien Marignan (lieu du Clair-Obscur) existent bel et bien.
DISCLAIMER : Tous les personnages et idées sont de mon cru. Tous ces personnages et idées m'appartiennent par le droit de la propriété intellectuelle me désignant comme auteur de cette oeuvre (si, si, c'est la formulation exacte xD). Certains lieux sont existants, d'autre non : cela sera précisé en début de chaque chapitre.
Sex on Fire fait référence à une chanson des Kings of Leon.
ENJOY ! :-)
1.
Sex on Fire
Adam
La fille qui m'avait abordé un peu plus tôt avait utilisé le safeword à peine cinq minutes après que je l'eusse un peu titillé avec ma cravache. J'avais déjà senti sa réticence lorsque je l'avais attachée au lit avec mes menottes préférées – celles couvertes de fourrure noire, confortables mais pas ridicules comme celles dont la fourrure était rose bonbon. Mais elle avait tenu bon.
Du moins jusqu'à ce que je lui bande les yeux avec une bande de cuir et la bâillonne. A ce moment-là, le fait d'être dominée ne lui plaisait plus tant que ça à entendre sa respiration saccadée et ses gémissements de panique intense.
Pourtant, elle avait fait preuve d'un enthousiasme semblant sans pareille lorsque nous avions décidé des termes du contrat : si elle voulait que tout s'arrête, il suffisait de hocher négativement la tête trois fois de suite. Ou, si elle n'était pas bâillonnée, de prononcer le mot « utopie ».
Cela peut sembler étrange mais, contrairement à ce que les médias veuillent faire véhiculer, la pratique du BDSM est bien plus réglementée qu'elle n'y paraît.
Du moins, dans les clubs officiels.
Un vrai sadomasochiste respecte scrupuleusement les règles établies dans le contrat avant le début du rapport. Il ne faut pas croire qu'il s'agit d'un monde barbare ou le seul but est de faire le plus mal possible à sa ou son partenaire. On tire du plaisir dans la douleur, ça, à ne pas en douter mais le SM, c'est aussi un rapport de confiance entre le dominant et le dominé.
D'où l'utilisation du safeword par le dominé lorsqu'il trouve que le dominant va trop loin. C'est aussi ça qui y est excitant dans cette pratique : le fait de dépasser ses limites et de perdre ses inhibitions.
Sauf que là, la fille avait pris peur un peu trop vite à mon goût.
Je lui avais simplement tapoté la cuisse avec une cravache, sa chair n'était même pas rouge. Elle s'était débattue comme une furie en hochant frénétiquement la tête de gauche à droite. Dès que je lui demandai si elle voulait qu'on arrête tout, elle avait fait un oui très énergique. Je l'avais donc détachée et elle s'était empressée de dégager fissa de la chambre que j'avais louée au Clair-Obscur, le lieu SM le plus réputé de tout Charleroi. Il avait ouvert il y a un peu plus d'an de cela sur le Boulevard Tirou, à la place de l'ancien Marignan.
Dieu que cela avait fait un tollé général. Il faut dire que ce n'était pas endroit indiqué pour placer un endroit de cette nature. On se trouvait presque en plein centre-ville et juste à côté de cafés et restos assez fréquentés.
Mais étrangement, c'était le fait d'avoir supprimé un lieu où se produisaient des spectacles qui avait dérangé. J'avoue, je ne comprenais pas vraiment l'argument avancé par les personnes à l'origine de la pétition contre la création du Clair-Obscur. Il y avait encore l'Eden un peu plus haut sur le boulevard de l'Yser et encore plus haut, le palais des Beaux-arts. Il aurait été plus malsain de placer cet endroit là où se trouvait l'Eden : il y avait une école juste en face.
Certes, ce n'est pas ouvert durant la journée et l'accès y est interdit aux moins de vingt-un ans mais essayez d'expliquer à des gosses du primaire quel est ce lieu à la façade noire et dont les lettres lumineuses étaient encadrées par des chaînes et autres accessoires divers. Sans oublier les élèves du secondaire un brin curieux qui auraient tenté de jeter un coup d'œil par les portes vitrées.
De mon temps, on n'avait pas accès au porno comme maintenant. Il fallait se débrouiller pour avoir un magazine ou, au mieux, une cassette de mauvaise qualité. Aujourd'hui, il leur suffit de taper « vidéos pornos » sur leur IPhone et hop ! Ils avaient accès à du porno de tout type et pour tous les goûts. Pourquoi je raconte ça ? Parce que cette hyper sexualisation conduit à avoir une image tronquée et négative du SM.
Donc, je ne condamne pas le porno – à quarante-deux ans, on n'est pas encore un vieux moralisateur – mais plutôt le fait qu'il soit devenu trop accessible et trop surfait. Jamais les types dans les vidéos n'auront le moindre poil sur le corps – exceptés les bears mais il faut aimer regarder du porno gay. Dans la réalité, oubliez ça. Il y a des poils, des odeurs et tout un tas d'autres trucs qu'on ne nous montre pas.
Alors, oui, j'avais nombre d'aventures d'un soir et je n'étais certainement pas un enfant de cœur mais pour moi, le sexe est plus qu'un contact entre deux corps – ou plus, chacun ses goûts. Il s'agit d'un lien de confiance qui s'établit entre des partenaires, un échange, une mise à nu.
Et le SM permettait justement cela, plus que de simples rapports sexuels. Le fait de s'abandonner à l'autre et de tester ses limites, ça, c'est quelque chose de véritable et non surfait.
Dominer son partenaire, ou se faire dominer, se faire parfois très mal, permettait de découvrir des sensations jusque là insoupçonnée.
Il n'y avait rien de plus jouissif que de posséder sa – ou son, voire ses dans certains cas - partenaire.
Je préférais largement être le dominant, non le dominé. C'était comme ça, c'est tout. Il n'y avait que dans de rares cas que j'acceptais d'inverser les rôles, comme lorsque j'étais trop en manque de sexe et que les seules personnes disponibles étaient des dominantes.
Mais bon, on croise rarement de femmes dominantes et bien souvent, elles restent plus soft que els hommes, sauf dans le cas de véritables perverses ou obsédées sexuelles.
Bref, je me sentais simplement horriblement frustré. Mon plan cul de la soirée venait d'être annulé et tous les autres membres du club avaient trouvé chaussures à leur pied. Il ne me restait plus qu'à aller au Nirvana, un bar à cocktail branché. Avec un peu de chance, je pouvais me trouver une fille sympa pour un peu de sexe vanille.
Enfin, vanille… façon de parler, je restais toujours un peu brusque dans mes rapports.
Je pénétrai dans le vestibule chicos du bar et me dirigeai directement vers la gauche. Il y avait très peu de chances que je trouve de la place à l'étage à cette heure tardive.
Malheureusement, le bas était également bondé. J'interpelai un des serveurs.
—Excusez-moi, il y a encore moyen d'avoir de la place ?
Le type me jeta un regard noir et me jaugea de haut en bas.
Je me doutais bien que mon costume de chez Zegna indiquait clairement que j'avais un compte en banque bien fourni. Et ce n'était avec son salaire qu'il pouvait se payer mes superbes vêtements. Ce n'était que de la jalousie de sa part, rien de plus.
—Pas vraiment, dit-il d'un ton revêche. A moins de vous installer en face de la table où il y a Monsieur là-bas.
Il me désigna une table reculée où un jeune homme était en pleine lecture d'un corpus de feuilles. Il avait sa tête appuyée dans sa main droite et ses doigts étaient plongés dans une tignasse de cheveux d'un blond décoloré loin d'être naturel. Des lunettes rectangulaires étaient placées sur le bout de son nez et il les déposa sur le côté à un moment pour se frotter les yeux avant de les remettre.
—Je vais lui demander. Merci de m'avoir répondu, dis-je au serveur en glissant dans la poche de sa veste un billet de dix euros.
Il abandonna immédiatement son air antipathique et m'adressa alors un sourire éclatant. L'argent possède un pouvoir véritablement fascinant sur les rapports humains.
Je me dirigeai ensuite d'un pas décidé vers celui avec qui j'allais devoir partager une table.
Nick
Je relisais pour la énième fois le curriculum que j'allais présenter le lendemain à neuf heures à l'entreprise Firecross, la nouvelle firme à la mode à Bruxelles.
Je regardais si je l'avais bien rédigé, si il ne manquait rien, si j'allais pouvoir me défendre efficacement en cas de questions pointilleuses. Je possédais un master en économie, pas en communication ou en sciences politiques. J'étais apte à calculer des actions et ce genre de trucs, mais pas à argumenter ou me défendre.
Mon secteur d'activité était assez instable en ces temps de crises. J'étais pourtant persuadé à la fin de ma dernière année de master que je trouverais un boulot assez facilement. Mais cela faisait déjà six bons mois que je voyageais d'entreprises en entreprises. Comme je voyageais de petits copains en petits copains et de relation d'un soir en relation d'un soir.
Ma vie sentimentale, familiale, personnelle et professionnelle suivaient un même plan : le chaos. Dire que je plaçais tous mes espoirs dans mon entretien d'embauche était un euphémisme. J'en avais juste marre de devoir encore vivre en collocation avec ma meilleure amie, Christelle.
On se connaissait depuis le secondaire et je l'adorais, mais je ne me sentais pas vraiment libre. Je voulais mon propre appartement, un dans lequel je ne serais obligé de devoir faire un tour dehors lorsque Christelle ramenait Tristan dans sa chambre.
Parce que oui, il est assez traumatisant d'entendre les bruits étouffés d'un type que l'on côtoie depuis quatre ans et les hurlements de plaisir de sa meilleure amie.
Christelle a toujours été très peu discrète dans ses actes et son comportement. Lorsqu'elle faisait l'amour, elle ne dérogeait pas à la règle.
—Puis-je m'asseoir avec vous ? Il n'y a plus de place autre part.
Je relevais la tête de mon CV et examinai mon interlocuteur. Il était plutôt grand, avait des cheveux noirs gominés et était vêtu d'un costume pour lequel j'aurais vendu mon âme en diable.
Merde quoi, ce type était habillé en Zegna. C'était comme une claque pour me rappeler que je ne pourrais jamais me payer un costume composé d'une chemise à deux-cents euros et d'une veste à mille.
C'en était presque indécent qu'un type aussi friqué s'asseye face à moi. En plus, il n'était pas très beau avec son menton légèrement en galoche. Seuls ses yeux d'un bleu glacier étaient attirants, ainsi que les muscles qui se devinaient sous les vêtements cintrés.
Toutefois, mes bonnes manières revinrent en avant-plan.
—Bien sûr. Asseyez-vous.
Je rassemblai face à moi les feuilles qui trainaient en face et les remit dans une farde. Le type s'installa dans sa chaise avec une certaine élégance et entreprit d'examiner attentivement la carte des cocktails. Il claqua ensuite des doigts en direction du serveur, comme si celui-ci était un chien et commanda un whisky de vingt-cinq ans d'âge. Evidemment, c'était le truc le plus cher sur la carte.
Il se tourna ensuite vers moi.
—Vous prenez quelque chose ? C'est moi qui offre.
Je ne pus m'empêcher d'écarquiller les sourcils.
—C'est fort gentil à vous mais…
—Ne vous en faites pas si c'est une question d'argent, ce n'est pas comme si je n'en avais pas.
Je dus retenir une réflexion sarcastique au fond de ma gorge. Je ne voulais pas vexer un homme que je ne connaissais même pas. Et je décidai de réviser ma décision en commandant exactement la même chose que lui.
—C'est fort vous savez, me dit-il.
—Je n'ai plus quinze ans.
—Non, vous avez l'air d'en avoir dix-huit.
—Pas de chance, j'en aurai vingt-quatre dans deux semaines.
—Ca doit-être votre couleur de cheveux qui vous rajeunit.
Je lâchai un petit rire. Ce type avait pas mal de répondant, c'était assez drôle. Je l'imaginais bien plus coincé que ça à première vue.
—Que faites-vous avec vos feuilles ? me demanda l'homme en mes les désignant d'un signe de tête.
—Je relis mon CV pour mon entretien de demain.
Il se pencha plus en avant, signe que ce que je venais de dire éveillait chez sa personne un certain intérêt.
—Dans quoi et où comptez-vous postuler ?
—Ca vous regarde ? répliquai d'un ton cinglant.
Je n'aimais guère les personnes qui se mêlaient de ce qui ne les regardaient pas.
—Peut-être pas, dit le type. Mais ça m'intéresse. Je peux vous aider à réviser votre entretien.
Le serveur arriva avec nos cognacs et nous reculâmes pour le laisser déposer le plateau devant nous. Je ne m'étais même pas rendu compte que nous nous étions rapprochés. Le type paya le serveur et lui murmura de garder la monnaie. J'avais aperçu le vert d'un billet de cent euros mais je n'en étais pas sûr. Je trouvais presque pitoyable que ce type éprouve le besoin de montrer son argent à tout le monde. Evidemment, je le jalousais. Cela semblait tellement simple pour lui de pouvoir tout acheter sans y réfléchir à trois fois.
Il prit une gorgée de cognac et reposa le verre sur la table. Il me regarda ensuite avec une pointe de défi. Je jetai un coup d'œil à mon verre m'en emparai et le vidai d'un trait, poussé par sa provocation.
Ce fut une des pires idées de ma vie entière.
Je sentis l'alcool me brûler la gorge et descendre le long de mon œsophage. Les larmes me montèrent aux yeux et je fus pris d'une violente quinte de toux. C'était tout simplement affreux, j'avais l'impression que j'allais crever sur place.
Lorsque je parvins à me reprendre, je fusillai le type du regard. Son visage arborait un petit sourire satisfait et méprisant que je rêvais de lui faire ravaler.
—J'ai toujours aimé l'impétuosité de la jeunesse actuelle, dit le type en reprenant une gorgée de cognac.
—Comme si vous aviez cinquante ans, dis-je de mon ton le plus venimeux.
Malheureusement, ma voix à présent enrouée gâchait mon effet. Cela me prouvait une nouvelle fois qu'il valait mieux que je me taise et que je cesse de faire preuve d'autant d'orgueil.
Mais c'était presque viscéral. Je me devais de répondre aux provocations. Même si bien souvent, elles n'existaient même pas.
J'avais une sale tendance au pessimisme et à l'extrapolation et je l'assumais entièrement. Et ce, même si cela m'avait attiré bien des ennuis par le passé.
—Non, je n'ai pas cinquante ans mais quarante-deux.
—Vous ne les faîtes pas.
Je le pensais sincèrement, je lui aurais donné la trentaine. Il possédait ce charme de l'homme mûr mais pas tout à fait. Dans l'entre-deux en quelque sorte. Je pensai à mon superbe professeur de droit romain en deuxième année, un pur canon de trente-trois ans.
—Mais n'espérez pas que je lâche prise, dit-il en se penchant plus en avant.
—Par rapport à quoi ?
—A votre futur emploi.
Je ricanai.
—Je ne l'ai pas encore.
—En effet. Raison de plus pour me montrer votre CV.
Son regard était d'un bleu glacial et je me sentis mal à l'aise. J'avais l'impression d'être observé dans les moindres détails, comme une bête curieuse. Ou alors qu'il lisait dans mes pensées.
Ce que je ne supportais pas le moins du monde, je n'aime pas être mis à nu.
—Ce n'est pas vous qui me jugerez demain.
—Vous pensez que je n'ai pas les attributions nécessaires pour jugez des qualités professionnelles de quelqu'un ?
Il marquait un point, il avait la tête du patron intransigeant. Mais je ne l'aurais jamais admis devant lui.
—Vous travaillez dans quoi pour faire passer des entretiens d'embauches ?
—Echange de bons procédés, dit-il avec un petit sourire rusé. Vous me montrez votre CV, je réponds à vos questions.
—Vous êtes tenace.
Il croisa les bras sur la table et se pencha vers moi, comme pour me dire un secret de la plus haute importance.
—Vous n'imaginez même pas à quel point.
Il y avait une lueur presque perverse dans son regard. Une étincelle de désir, ou plutôt d'excitation. J'avais l'impression d'être la souris et lui le chat, que ça lui plaisait ce petit jeu.
Sauf qu'il n'était pas dans ma nature profonde de me faire manipuler. Je ne voulais pas être la marionnette et lui celui qui tirait les ficelles, il était temps de faire tourner la roue en ma faveur.
Je fis glisser les feuilles vers lui en continuant à maintenir mon regard dans le sien.
—Vous cédez facilement, dit-il en se saisissant des feuilles et en reculant.
—Je ne suis pas aussi docile que j'en ai l'air.
Je me penchai vers l'arrière jusqu'à toucher le mur derrière moi et croisai les bras sur ma poitrine. Je le défiai du regard, au milieu de ce bar tendance et populaire et je me sentis presque fort, tel un gladiateur criant victoire lorsqu'il est le seul survivant de l'arène.
Il se plongea dans la lecture de mon CV, ses yeux parcourant attentivement les caractères qui s'alignaient pour en former le contenu détaillant mon diplôme, ainsi que mes différents stages en entreprise. Je l'avais tellement de fois et passé tant de temps à le rédiger que je pouvais presque le réciter à la virgule près et en revoir la structure dans ma tête.
Je ne sus pas très bien combien de s'écoula mais il me parut bien long. J'en profitai pour laisser mes yeux vagabonder un peu partout, détaillant les clients, la déco et un tas d'autres choses. La musique était tantôt bonne, tantôt franchement mauvaise. On oscillait entre du bon rock électrisant ou de pop dansante à de l'électro bruyant pour baraquis vêtus de l'indétrônable training-baskets-casquettes avec en prime, le training dans les chaussettes.
Je peinais à croire que j'avais passé la maternelle, les primaires et le secondaire dans Charleroi même. Quelle monstrueuse délivrance cela avait été de me retrouver à Bruxelles, là où je pouvais me permettre toutes les excentricités vestimentaires et changements de look que je voulais sans que l'on me critique pour cela.
L'ado gay renfermé, aux longs cheveux bruns filasses qui succombait à la tendance du moment – y compris le jean trop large qui descendait sous le boxer, eh oui – s'était métamorphosé en minet blond aux vêtements qui lui plaisaient vraiment. Certains des quelques amis du secondaire ne m'avaient pas reconnu, d'autres avaient critiqué mon changement radical, avançant le fait que je n'étais plus moi-même. Sauf que, moi-même, je l'étais. J'avais juste laissé éclaté au grand jour le garçon que j'étais au fond de moi, celui que je rêvais d'incarner.
Ma lente transformation s'étais déjà amorcée pendant les vacances avant mon entrée à la fac de Bruxelles. J'avais coupé mes cheveux et les avait teints en blond, balancé mes vêtements pourris aux bonnes œuvres et en avait racheté de nouveaux avec les économies de mon anniversaire et de mes différents petits boulots. Ma fréquentation des salles de sports n'avait jamais été aussi intense et mes efforts avaient payé.
Je démarrais l'université : une toute nouvelle vie, avec un nouveau look, un nouveau moi et de nouveaux objectifs. Dont celui d'accepter et d'assumer l'homosexualité que j'avais pris grand soin de cacher aux yeux du public.
Et l'homme assis face à moi, avec cette classe et cette élégance, incarnait le rêve que je ne désespérais pas le moins du monde d'atteindre.
Il releva les yeux de mon CV et hocha la tête.
—Ce n'est franchement pas mal, monsieur Corbier.
—Merci beaucoup, monsieur…
—Adam. Appelez-moi Adam.
—Très bien. Ce sera donc Adam. Appelez-moi Nick.
—Votre prénom, ce n'est pas Nicholas ?
—Si. Et déjà, le « s » se prononce. Ca donne plutôt « Nicholasse ». Mais je préfère Nick.
Je ne connaissais pas le nombre de fois où j'avais déjà dû corriger les gens par rapport à mon prénom. Quel idée saugrenue qu'avait eue ma mère en voulant rendre hommage à mon arrière grand-père !
—Nick, murmura-t-il d'une voix grave.
Le ton sur lequel il avait prononcé mon prénom fit parcourir un frisson sur mon échine. Ses yeux bleu si froids qui me fixaient rendaient ce moment étrange. Presque érotique.
Je me giflai mentalement, furieux de ma libido frustrée qui analysait n'importe quelle situation comme potentiellement séductrice. Surtout que ce type avait quarante-deux, quasiment vingt de plus que moi. Et puis, cette classe, cette posture,… aucun doute, j'avais en face de moi un spécimen aussi hétéro que Mick Jagger.
Il me rendit mon CV et je m'en emparai avant de le fourrer dans mon sac le plus rapidement possible. Mes mouvements étaient secs, tant j'essayais de contrôler ma gène grandissante. Il était assez rare que je me laisse submerger par ce type d'émotion, j'étais bien plus maitre de moi que cela d'habitude.
Mais Adam, avec son regard bleu électrique, me faisait perdre mon latin – ou du moins le peu que j'en connaissais. Et pour quelle raison ? Sans doute car il s'immisçait dans mon espace vital et me poussait dans des retranchements que je ne parvenais pas à comprendre et à juguler.
Foutue impulsivité !
—Sinon, vous ne m'avez toujours pas dit où vous comptez postuler.
—Je ne compte pas vous le dire.
—J'ai suffisamment de poids dans votre secteur d'activité pour vous ouvrir quelques portes.
Je lâchai un petit rire dédaigneux. Ce mec ne manquait décidément pas de toupet.
—Ca vous amuse d'étaler votre argent et votre pouvoir de persuasion ?
—La jalousie est un vilain défaut Nicholas.
—Je vous ai dit de m'appeler Nick, grognai-je entre mes dents.
—Et pourquoi donc… Nicholas.
Je crispai mes doigts sur le rebord de la table. Je ne supportais pas que l'on utilise mon prénom complet, cela me rappelait bien trop de souvenirs.
Adam semblait s'amuser follement de me voir perdre mes moyens. J'avais l'intime impression qu'il me testait, jugeait jusqu'à quel point je maitrisais mon sang-froid.
Rien que pour répondre à son défi implicite, je n'allais pas craquer. Mon orgueil était bien trop pondérant pour que je le laisse me marcher dessus.
—Et pourquoi insistez-vous tant Adam ? dis-je d'une que je voulais suave. Essayez-vous de me séduire ?
Ses yeux s'écarquillèrent de surprise et sa bouche forma une grimace de dégoût. Je venais de taper dans le mille.
—Certainement pas ! répondit-il en secouant la tête. Je ne suis pas gay.
—Gay, bi, hétéro… ce sont simplement des étiquettes que l'on colle aux gens. Et on peut les déplacer à sa guise. Vous savez, un anus, c'est très confortable.
Son air dégoûté s'accentua sur mes derniers mots. Je venais de découvrir qu'Adam – comme la majorité des hétéros – répugnait à se faire draguer par un homo. L'idée même d'avoir une relation avec un autre homme suffisait à les faire partir en courant.
OK, j'ai le même type de réaction quand on me dit d'imaginer de coucher avec une fille. Mais soit.
—Où voulez-vous en venir avec vos réflexions salaces Nicholas ?
—A ce que vous arrêtiez de m'appeler Nicholas et de m'appeler Nick.
—Certainement pas.
—Alors je continuerai.
—Vous vous lasserez avant.
—On parie ?
Adam me fit un petit sourire goguenard. Je voyais dans ses yeux qu'il ne me croyait pas capable de le faire tourner en bourrique.
Rien que pour ça, j'allais continuer. Foi de Nick Corbier, je n'allais pas céder d'un pouce.
—Vous faites le fier lors de joutes verbales, mon cher Nicholas…
—Je ne suis pas votre Nicholas, l'interrompis-je en montrant ma paume.
—Mais je suis persuadé qu'en fait, lors de certaines situations, vous montrez vraiment qui vous êtes : un frêle jeune homme qui se cache derrière un masque de lion.
Ses mots me touchèrent en plein cœur, blessant ma fierté. Mais pour qui ce type se prenait-il ? Nous ne connaissions même pas vingt minutes auparavant, de quel droit se permettait-il de me juger.
Pourtant, il avait visé très juste. Et c'était justement ça que je lui reprochais – ainsi qu'à moi par la même occasion. Il avait lu en moi comme dans un livre ouvert et je ne supportais pas cela.
Il termina son cognac et se leva de table.
—C'était un véritable plaisir, Nicholas. Malheureusement, il est temps pour moi de partir, dit-il en me tendant la main.
Je l'ignorai superbement.
—Plaisir non partagé.
—Oh ? Vraiment ?
—Ouais.
—Vous êtes un brin susceptible, on dirait.
Je le fusillai des yeux et il répondit à mon regard noir par un petit sourire qui m'agaça.
—J'espère cependant que l'on se reverra… un jour.
Je serrai les dents et ne répondit pas. Il resta un instant immobile avant de me tendre un petit carton.
—Ma carte de visite.
Je la pris rapidement, espérant qu'ainsi il me laisserait tranquille. Je la jetai négligemment sur mon CV, sans lui accorder le moindre regard.
—J'espère que tout se passera bien pour votre entretien demain, Nicholas.
Il se dirigea ensuite d'un pas élégant vers la porte du bar et sortit en refermant derrière lui. Ce type était décidément très bizarre, tellement que c'en était carrément surréaliste.
Mais ce qui me dérangeait le plus chez lui c'était sa facilité de discernement. Adam avait réussi, un véritable exploit à n'en pas douter, à voir plus loin que la personne sûre de moi.
Et cela m'embêtait, mais alors vraiment beaucoup.
Il y avait déjà quelques années que je me faisais passer pour le mec assuré, ce que au fond de moi, je n'étais pas vraiment. Je faisais partie de ces personnes pétries d'angoisses, obsédées à l'idée de plaire et de briller en société.
Superficiel, moi ? Non, je ne me considérais pas comme tel. Simplement le fait d'avoir été durant tant d'années de ceux que l'on regarde à peine ou dont on se moque à demi-mot, je ne le supportais plus. Ce que j'étais devenu, ce que je montrais au public, tout cela pouvait être vu comme une façade. Pourtant, il y avait une part de vérité et une part de mensonge, comme tout le monde.
J'avais mes forces, mes faiblesses, mes instants de bonheurs et mes fêlures. Comme tout le monde, somme toute.
Bien malgré moi, mes doigts glissèrent sur la carte de visite et je m'en emparai. Le carton était gris et l'encre utilisée d'un joli argenté. Il y avait peu d'infos, elle était d'une simplicité à toute épreuve. Juste son nom, Adam Gardner – je soupçonnais une origine britannique ou américaine – son numéro de téléphone et son adresse mail.
Aussi sobre et mystérieuse que son personnage. Mais qui se cachait derrière cet homme élégant, curieux, presque « control freak » sur les bords ?
Je fis claquer la carte de visite sur le bord de la table, en un geste presque nerveux. Je ressassais dans mon esprit la fine déduction d'Adam à propos de moi, le ton sur lequel il avait prononcé mon nom, son insistance à employer mon nom complet et non mon diminutif.
Il n'y avait qu'une autre personne qui m'appelait Nicholas. Un personne qui, autrefois, était proche de moi.
Lorsque je me relevai pour rentrer chez moi, je glissai la carte d'Adam dans la poche de ma veste. Juste au cas où.