Chapitre I
J'étais en retard. Comme trop souvent à mon goût. Lorsque mon réveil avait sonné, je l'avais éteint pour… me rendormir. Le gros problème, c'est que j'avais cours à huit heures trente. C'était Arthur qui était venu frapper à ma porte pour voir ce que je faisais. J'avais aussitôt sauté dans un jean, un pull et des chaussures. J'avais récupéré mon sac de cours, quand mon regard fut attiré par un objet qui n'était pas censé être là. Du moins, pas à la vue de tout le monde.
- Tu fais quoi encore? questionna Arthur se postant à l'entrée de ma chambre.
Il portait un jean noir, un t-shirt noir, son éternel blouson en cuir noir avec des clous le long de la fermeture éclair et ses bottines de « guerre ». Du moins, je supposais réellement qu'elle avait fait la guerre fut l'état. Ses cheveux noirs étaient parfaitement accordés à sa tenue. Lorsqu'il portait cette tenue, j'associais Arthur à un gothique des temps modernes. Moderne, car il n'était pas toujours habillé de cette façon. Non, en temps normal Arthur était le beau garçon qui attirait tous les regards. Le gendre idéal, même. Il jouait à l'homme « sombre » seulement quand il rendait visite à son père. Un homme très riche avec un certain pouvoir, d'après ses dires. Arthur se comportait en fils « indigne » pour rendre son père complètement dingue. Je comprenais son point de vue, même si je n'y adhérais pas.
- J'arrive, dis-je en ajoutant un petit sourire.
- D'accord, moi j'y vais on se retrouve ce soir.
Arthur, un de mes quatre colocataires, me lança un regard suspect avant de tourner les talons. Mon regard retourna vers l'objet qui avait attiré mon regard. Une photo. Une très vieille photo. Elle datait de mon seizième anniversaire. Sur la photo sept personnes. Ma mère. Ma tante, la sœur de ma mère. Mes trois frères. Ma grand-mère. Et moi. Je n'avais jamais connu mon père et ma famille n'en parlait jamais.
C'était le jour de la cérémonie. Mais, rien n'avait fonctionné ce jour-là. J'avais rarement eu de chance dans la vie. Le jour de la cérémonie, qui devait faire apparaitre ma magie et la sorcellerie en moi, avait été pourtant le pire de toute mon existence. Lorsque je m'étais coupé l'intérieur de la main avec le couteau pour faire couler quelques gouttes de mon sang sur la pierre précieuse qui allait me permettre de tirer mon pouvoir, j'étais euphorique. Comme toutes les filles de mon âge ce jour-là (sept adolescentes) j'avais entamé l'incantation magique. Toutes les pierres c'était allumé. Elle brillait de mille feux, révélant le pouvoir mis à disposition pour chaque sorcière. Toute sauf une. La mienne. Elle était restée dans le noir.
En y repensant, la fille sur la photo aurait dû avoir une vie parfaite. Une vie avec les siens. Avec son clan. Le pouvoir du Vent aurait dû faire de moi une Sorcière du Vent puissante. J'aurais dû apprendre à protéger la nature comme le reste des femmes de mon clan. J'aurais dû apprendre à contrôler l'élément de l'Air à la perfection et savoir l'utiliser à bon escient. Cependant, ma destinée était toute autre. J'étais devenue une « défaillante ». Une Sorcière du Vent sans pouvoir. Ce qui faisait de moi le maillon faible du clan, mais surtout un sang « impur ». J'étais l'une des Sorcière depuis environs cent cinquante ans, à ne pas avoir eu de pouvoir le jour de la Cérémonie. Ce qui signifiait que la nature, la magie, la sorcellerie et certainement nos ancêtres (d'où nous tirions nos pouvoirs), ne désiraient pas de moi comme Sorcière. Ne voulait pas de moi dans leur monde fantastique. Ce jour-là, j'avais été condamnée à mort par les grandes Sorcières du clan du Vent. Cependant, ma mère avait un pouvoir final de décision. Son statut de Reine des Sorcières du Vent était un atout majeur, dont je ne pouvais pas me passer à cette étape de ma vie. La Reine. Ma mère m'avait donc poussée à l'exil.
- Euh… je peux savoir ce que tu fais encore ici?
Je poussai un cri strident, tandis que je lâchai la photo qui alla se tomber sur le coin de mon bureau.
- Merde, Arthur! grognai-je une main sur ma poitrine. Tu m'as fichu la trouille.
Il fronça les sourcils à l'extrême le rendant encore plus ténébreux.
- Tu es en retard. Tu comptes vraiment redoubler ton année?
Arthur n'allait jamais par quatre chemins. Lorsqu'il ouvrait la bouche, c'était pour débiter un tas de vérité qui nous poignardait en plein cœur. Du moins, c'était toujours l'effet que j'avais en sa présence. Mon sac sur le dos, j'attrapai ma veste en jean et mon écharpe. Arthur était impressionnant de loin. Encore plus de près. Il devait faire facilement deux têtes de plus que moi et quelque chose de dangereux flotte toujours dans son regard. S'il n'était pas mon colocataire et un de mes meilleurs amis, j'aurais eu peur de lui. Vraiment très peur de lui. Surtout habiller comme il l'était à ce moment-là.
- Merci, chuchotai-je un sourire en coin en le doublant dans le couloir.
- Je ne suis pas revenu pour toi. Mon père a annulé notre rendez-vous.
Je me mordis la langue très fort, pour ne pas cracher des mots vulgaires à l'égard de son père. Ce n'était que la troisième fois ce mois-ci.
Ma colocation était au dernier étage d'un immeuble à dix étages. Beaucoup d'étudiants et de couple. Très peu de personnes âgées ce qui arrangeait les habitants. D'habitude, je prenais les escaliers, car c'était toujours plus rapide. Pas ce matin. Je pouvais entendre la voisine de l'étage en dessous en vive discussion avec son voisin de palier. Deux jeunes de vingt ans qui étaient tombés amoureux. Ils étaient sortis ensemble durant trois mois avant de se séparer… difficilement. Depuis, c'était la guerre à leurs étages. Cette histoire avait servi de leçon à tout le monde. Aucune amourette dans l'immeuble. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent avec un bip très faible. Un petit coup d'œil à ma montre m'apprit que j'avais dix bonnes minutes de retard, par rapport à d'habitude. J'allais devoir pédaler plus vite ce matin, pour arriver à l'heure à mon cours.
Le reflet que je renvoyais à travers le grand miroir de l'ascenseur eut toute mon attention. Ma tenue vestimentaire était basique. Sans vraiment de style défini. Je n'avais pas beaucoup d'argent. Le peu que j'avais je l'utilisais pour payer le loyer, la nourriture et mon matériel de dessin. Je ne pouvais pas me permettre de l'utiliser pour des fringues ou autres. Je me trouvais plus que banale. La seule chose que j'appréciais chez moi et qui me fascinais pour dire vrai était mes cheveux et mes yeux. Mes cheveux étaient fins et longs. S'arrêtant au bas du dos, à la limite du début de mes fesses. D'un noir profond qui s'accordait parfaitement avec mes yeux en amande. Cette couleur faisait ressortir mes traits fins du visage, mais également la couleur blanche, trop blanche de ma peau. Des fois, j'avais l'impression d'être une morte-vivante ou un truc du genre.
À vingt-cinq ans et un long passé solitaire derrière moi, je me sentais tout de même bien dans ma peau. Ce qui était le plus important pour moi. J'avais quitté ma famille à seize ans et avait aménagé dans la capitale. Paris. Après quelques petits boulots, j'avais trouvé ma voie en livrant des panier-repas dans un cabinet d'architecte. Je m'étais inscrite pour suivre des cours d'architecture, une semaine plus tard.
Aujourd'hui à vingt-cinq ans, je me trouvais en dernière année, dans une ville fantastique, avec des amis merveilleux. J'étais peut-être loin de ma petite ville du sud de la France. Loin de ma famille. Mais, aussi étrange que cela pouvait paraître, je me sentais chez moi, ici. Peut-être, le fait d'avoir la possibilité comme dans toutes les grandes villes du monde, de me perdre et de me mêler aux différentes personnes. Pour moi, c'était les centaines d'individus de notre charmante, mais très bruyante capitale, qui me donnaient cette sensation.
J'attrapai mon vélo tout rouillé, dans le garage et prit la direction de mon université comme si j'avais le diable aux trousses. Les écouteurs de mon baladeur enfoncés bien profondément dans les oreilles, je roulai dans les rues de la belle Paris. Le meilleur transport au monde selon moi. Sauf, quand il pleut ou qu'il fait de grands froids. Le temps assez doux de mai, me correspondait tout à fait. Pas trop chaud. Pas trop froid. Le vent était presque inexistant. Mon école d'architecture n'était qu'à deux quartiers de mon appartement d'étudiante. Une fois arrivée, je pris bien soin d'accrocher mes deux antivols, puis de rejoindre ma classe. Certains étaient déjà au travail. Après avoir troqué ma veste contre ma blouse de travail, je rejoignis mon bureau. Nous étions six dans cette pièce.
Huit garçons dans notre promotion de vingt étudiants. Dont, deux dans notre pièce. Adrien, vingt-deux ans, prodigue du dessin. Son meilleur ami Jonathan. Vingt-trois ans, un prodigue quant à lui de la sculpture sur bois. Je me retrouve avec Adrien sur ma droite, Laura, Marlène, Camille et Jonathan. Mon bureau se trouvait gentiment entre celui des deux garçons. Ce qui ne me posait pas le moindre problème. Étrangement, les seules personnes avec qui j'arrivais à avoir un minimum de conversation sans bafouiller et me sentir mal se trouvaient être des hommes. D'ailleurs mes colocataires et amis sont tous des hommes.
Les autres élèvent de notre promotion, étaient répartis dans les autres pièces mises à disposition pour notre promotion. En réalité, nous avions droit au dernier étage de l'établissement. Ce qui n'était pas rien.
- Sixtine?
Je relevai les yeux de mon carnet de notes pour tomber sur les yeux bleu profond de Laura.
- Oui?
- J'ai un problème avec mon escalier en colimaçon. Tu pourrais y jeter un œil?
Je vis du coin de l'œil, Jonathan la fusiller du regard. Adrien quant à lui doit avoir comme à son habitude un petit sourire en coin ridicule. Laura demandait toujours de l'aide à une seule personne. Moi. Pourquoi? Car, j'étais la seule à ne pas savoir dire : « Non ». Sûrement par peur de me retrouver encore toute seule. Ou de me mettre les filles à dos. Laura le savait pertinemment, puisqu'elle posait déjà sa grande feuille de dessin sur mon bureau. Évitant tous les regards autour de moi, j'attrapai mon matériel et me mis au travail. En quelques coups de crayon, le travail ou plutôt le plan du salon était « réparé ».
- Merci, souffla-t-elle en récupérant le travail pour filer à son bureau.
- Tu es trop bonne avec elle, marmonna Jonathan très bas. Demande-lui de t'aider avec le plan de ta cuisine pour voir sa réaction!
Je savais qu'il avait raison. Cependant, ma nature était ainsi. Je ne pouvais pas changer, qui j'étais. Je haussai les épaules me replongeant dans mon carnet de notes. Toutes mes équations étaient à l'intérieur. Mes idées aussi. Une heure plus tard, j'étais dans ma bulle artistique. J'avais comme travail ce semestre : ma cuisine idéale. J'étais dessus depuis une bonne semaine et le croquis avancé bien. Il y avait beaucoup de détail encore à voir. C'était ce que je faisais jusqu'à midi.
- Tu rentres chez toi? me demanda Jonathan en passant son écharpe autour du cou.
Jonathan était un type absolument formidable. La main sur le cœur la plupart du temps. Un peu plus grand que moi, blond, les sourcils très bien dessinés et des petits grains de beauté sur son visage.
- Oui.
- Tu reviens cette après-midi?
- Je ne pense pas, grimaçai-je.
Les cours obligatoires de notre école supérieure étaient programmés le matin. Le mardi et le vendredi matin nous avions cours en amphithéâtre avec des professeurs renommés. Sinon, en temps normal deux professeurs se promenaient entre nous pour aider ou donner des conseils. Et surtout donner les projets. Toutes nos après-midi de la semaine étaient consacrées à nos travaux personnels ou professionnels. Beaucoup d'entre nous avait plus ou moins des contrats dans des entreprises. D'autres avec des salles d'expositions. C'était le cas de Jonathan.
- Tu avances sur ton « Lucie-Nova »? questionnai-je un sourire moqueur sur le visage.
Son « Lucie-Nova » n'était autre qu'un portrait de sa petite amie, en sculpture de bois. Je n'avais pas eu l'occasion d'y jeter un œil pour le moment.
- Oui... mon « Lucie-Nova » est presque fini, petite fille!
Il me tapota le bout du nez avec son doigt avant d'ouvrir la marche. Je le suivis sans me poser de question.
- Quelque chose de prévu avec les gars ce soir?
- Comme d'habitude, soufflai-je doucement.
Jonathan hoche la tête, pensif. Il y avait pas mal de monde dans les couloirs et dans les escaliers. Cela nous demanda quelques minutes pour arriver à atteindre l'extérieur du bâtiment. Dehors, la température, c'était un tout petit peu rafraîchi.
- Un temps à pluie ou orage! grimaçai-je.
- J'en ai bien peur.
- On fait un bout de chemin ensemble? proposa naturellement Jonathan.
Je hochai la tête tout en retirant les antivols de mon vélo, sous l'œil critique de mon ami de classe. Jonathan fit la route avec moi, jusqu'au croisement de ma rue. Avec un grand sourire, il tourna à droite en direction du métro et je fis le bout de chemin jusqu'à mon appartement un sourire aux lèvres.
J'appréciais réellement Jonathan. Tout comme Adrien d'ailleurs. Souvent, ils venaient à la maison faire des parties de poker ou de jeux vidéo avec les garçons et moi. Je savais aussi que Jonathan avait une copine depuis deux ans. Lucie qui était en école de commerce. Entre eux, c'était l'amour fou. Ce qui me confortait dans l'idée que lui et moi ce n'était qu'amical. Une base solide et sans ambiguïté. Ce que je recherchais par-dessus tout. Adrien, c'était une autre paire de manches. Il était plutôt du genre, charmeur et coureur de jupons. Plusieurs fois, j'avais dû le remettre à sa place. Même mes colocataires lui avaient deux ou trois fois parler des respects de notre groupe et des règles importantes à ne pas dépasser avec... moi.
*/*
J'habitais en colocation depuis mes dix-huit ans. Je vivais avec quatre garçons. Dès que je passai le pas de la porte, je me retrouvai en bouclier vivant. Comme trop souvent.
- Hey... doucement, Benoît, scandai-je en gigotant dans tous les sens, pour échapper à ses bras puissants.
Benoît, c'est le français caractériel du groupe. Il parlait trois langues et demie. Il essaie depuis deux mois d'apprendre le chinois. Peine perdue, selon moi. Benoît était en troisième année de médecin. Cela à tout juste vingt et un ans. Un surdoué pour rien gâché au tableau.
Dos à moi, je sentis la douce respiration de Marius. Un des plus beaux hommes de la capitale sans l'ombre d'un doute. Son visage d'homme viril a faisait de lui l'un des Top Models hommes, le plus demandé de l'année. Rien que la semaine d'avant, il était dans trois magazines différents. Sa grande fierté.
- Je peux savoir ce qui se passe? réclamai-je en montant un peu la voix.
- C'est à lui de faire la vaisselle, rumina Marius derrière moi. Et il n'a encore rien fait, comme d'habitude.
- Je n'ai pas eu le temps, s'étrangla notre ami en se servant toujours de moi comme bouclier.
- Tu n'as jamais le temps, rétorqua Marius aussitôt.
Je pouvais comprendre Benoît, ses cours et ses révisions en médecine lui prenaient tout son temps. Il travaillait jour comme nuit, pour réussir ses examens de fin d'année. Mais, une part de moi, comprenait aussi Marius. C'était souvent lui qui s'occuper de la maison durant nos absences.
- Je m'en occupe! soufflai-je résolue.
- Non, s'étranglèrent les deux hommes.
- Je n'ai rien de mieux à faire de toute façon, soufflai-je en détournant le regard. Tu m'en dois une Benoît, murmurai-je tout en me dégageant d'eux pour rejoindre ma chambre.
- Tu es vraiment énervant Ben'!
- Je sais, rétorqua ce dernier bougon.
Dans ma chambre, un vrai chantier. À force de vivre avec des hommes, je me laissais un peu guider par leur façon de vivre. De nombreuses feuilles, et de grandes feuilles à dessins trôner sur le sol, d'une bonne partie de la chambre. Des vêtements tout autour de moi. Même sur ma lampe à chevet. Ma couverture soigneusement mise en boule au bas de mon lit. Bref, une chambre de mec, sans aucun doute. Je jetai mon sac sur mon bureau. Le seul endroit propre et ordonner de la pièce, avant de me diriger vers la cuisine. À mon grand soulagement, Benoît était déjà devant levier.
- Ça ne me dérangeait pas, soufflai-je en me mettant sur la pointe des pieds pour poser baiser bruyant sur la joue.
- Moi beaucoup.
- J'essuie? proposai-je.
- Si tu veux!
J'attrapai le torchon et commençai à essuyer la vaisselle, au fur et à mesure. Le demi-silence de la pièce ne me dérangea pas. Mon colocataire non plus visiblement. Une fois terminer, Benoît me remercia, puis fila de nouveau dans sa chambre. Il en ressortit une demi-seconde plus tard avec son sac et sa veste.
- Bonne après-midi, me souffla-t-il, dans un grand sourire.
- Toi aussi. Évite de tuer ton mannequin en plastique.
Il ricana grandement avant de claquer la porte d'entrée derrière lui. Quant à moi, mon nouveau projet m'attendait. Je jetai le torchon sur une chaise et filai dans ma chambre. Je pris le soin de tourner la clé pour fermer la chambre, avant d'attraper mon baladeur. Je sélectionnai le dossier de mon groupe de musique favori du moment, les Midnight Red et m'installa à mon bureau. Devant moi, une feuille. Format A3. Pratiquement blanche. Quelques traits étaient posés à différent endroit de la page. Une idée folle m'avait pris la semaine dernière. Mélanger mes deux endroits préfères en un seul lieu. Ma feuille.
Le premier lieu qui me tenait à cœur était un paysage de ma jeunesse. Ma grand-mère adorait nous amener mes frères et moi en forêt. Nous pouvions y passer des journées entières. Un jour nous étions allés plus loin et nous avions découvert émerveillé une rivière. Nous l'avions suivie, jusqu'à nous retrouver en haut d'une falaise. L'eau y descendait en cascade, pour y former en contre bas, un petit bassin d'eau. C'était une des plus belles visions au monde. Régulièrement, nous nous étions rendus. Du moins, jusqu'à mes seize ans.
Le second lieu n'est autre qu'une rue de notre belle Paris. Pas n'importe qu'elle rue. Celle où j'ai rencontré mes colocataires pour la première fois. Nous nous étions donné rendez-vous dans une des rues annexes du sacré cœur. Ce jour-là, ma vie avait changé. Grâce à eux. Depuis, j'aimais me balader dans ses rues de temps en temps. Pour me remémorer plus ou moins qui... j'étais!
Je relevai la tête de mon dessin déstabilisée. Je m'étais une fois de plus perdue dans mon univers. Un coup d'œil à ma montre me fit grogner. Minuit moins dix. Je m'étirai les muscles quelques minutes, avant de tourner la clé dans la serrure et de rejoindre au pas de loup la cuisine. Manque de bol pour moi, Arthur m'accueillit le regard perçant.
- Une petite faim l'artiste?
- Bonsoir à toi aussi, cher et tendre colocataire, soupirai-je en le voyant rouler des yeux.
Arthur était sagement assis sur une des chaises de la cuisine. Une tasse de verveine devant lui. Sa boisson favorite. Rapidement, j'attrapai l'assiette que les garçons avaient dû me garder et la fit chauffer aux micro-ondes. Trente secondes plus tard et le bip du micro-ondes, je me retrouvai assise autour de la table avec lui.
- Alors? dis-je doucement.
Arthur quitta du regard la fenêtre pour mon visage. Il fronça prestement les sourcils.
- De la verveine? Vraiment?
- Pas assez viril pour toi? quémanda-t-il en bougeant les sourcils, joueur.
Je ne fis aucun commentaire. Arthur était mon colocataire, mais surtout mon ami. Comme les autres garçons de cet appartement. C'était un garçon avec beaucoup d'humour, mais aussi avec un lourd passé. Sûrement cette part d'ombre en nous qui nous lier tellement. Arthur avait vingt-huit ans. Un informaticien très talentueux qui m'aidait beaucoup avec mon ordinateur et ma tablette numérique spéciale création design. J'avais grâce à lui un logiciel dessin sur ma tablette. Un logiciel qui m'aidait beaucoup pour les couleurs, mais surtout les détails… « Particuliers ».
- J'ai rendez-vous avec mon père et mes frères demain, souffla-t-il finalement. Une réunion de famille... ou du moins une réunion de crise.
- Les affaires vont si mal que ça?
Arthur grimaça aussitôt. Il ne parlait pas vraiment de sa famille. C'était même un sujet tabou. Sauf, quand il lançait lui-même le sujet. Comme ce soir. Je savais que son père était un homme puissant dans l'industrie mondiale. Rien d'autre. Arthur avait déjà fait référence à ses frères également. Il en avait une bonne dizaine. Ce qui me semblait incroyable. Lui semblait blasé.
- Mon père a de nombreux concurrents. Certains veulent prendre sa place, cracha-t-il durement.
Une ombre menaçante traversa son regard.
- Je peux faire quelques choses pour toi?
Il secoua la tête lentement reprenant un visage plus doux.
- J'ai juste besoin de t'en parler... je risque d'être absent pour quelque temps.
J'en restai bouche bée. C'était tellement rare de sa part de vouloir parler. De s'ouvrir aux autres.
- Arthur?
- Hum?
- Pourquoi tu dois partir?
Il ouvrit la bouche une fois, mais la referma instantanément. Je le vis détourner les yeux une première fois pour les poser sur la fenêtre, puis de nouveau sur moi et pour revenir sur la fenêtre
- Mon père veut me donner un peu plus de responsabilités. Il veut que j'entre dans l'entreprise familiale.
Ma grimace ne passa pas inaperçue.
- C'est exactement la réaction que j'ai eue lorsqu'il me la dit, la semaine dernière.
- Et ça ne lui a pas plus!
- Carrément pas, ricana-t-il doucement. Il m'en veut de ne pas prendre part réellement à notre « entreprise » à notre mode de vie.
Cette phrase sonna faux à mes oreilles. C'était souvent le cas, quand je discutais avec Arthur. J'avais l'impression qu'il cachait un lourd secret et que c'était difficile pour lui d'en parler. Voir, impossible d'en parler.
- Et? chuchotai-je.
- Ben... il ignore mes appels depuis... ce matin, il m'a donné rendez-vous, puis dix minutes plus tard annule.
- Tu lui en veux? questionnai-je mal à l'aise.
Il secoua la tête négativement.
- Non. Il reste mon père et malgré les apparences, il me donne énormément de liberté. Et surtout, il évite d'interférer dans mes choix et mes relations.
Ses yeux pétillèrent, ce qui me donna un petit frissonnement, sans que je sache pourquoi.
- Si tu es vraiment mon pote, évite de me présenter à ton père, souris-je pour détendre l'atmosphère.
Arthur éclata aussitôt de rire m'entraînant à sa suite. Une dizaine de minutes plus tard, je me retrouvais bien au chaud sous ma grosse couette.
*/*
Le lendemain, la pluie était au rendez-vous. Ce que j'avais prévu vu le temps de la veille. J'étais une sorcière du Vent. Du moins, j'aurais dû l'être. Depuis petite, ma mère et ma grand-mère m'entrainent à lire le ciel. La seule chose qui me restait de mon ancienne vie. Du monde mystérieux de la magie.
Je pris le soin de sélectionner dans mon armoire un jean et un pull assez chaud. Pour les chaussures, j'optai pour des petites bottines noirs anti-pluie que Marius m'avait offertes à Noël dernier. À ma grande surprise, Arthur m'attendait dans le salon lançant en l'air les clés de sa voiture.
- Tu attends Louis? risquai-je en fronçant les sourcils.
- En réalité, c'est toi que je conduis ce matin, sourit-il fièrement.
Je fronçai aussitôt les sourcils.
- Et Louis n'a rien dit?
- Benoît s'occupe de Louis et de Marius, m'apprit-il. Tu es prête?
Je hochai la tête, avant de rassembler mes affaires et de suivre Arthur. Sa voiture dormait en temps normal au garage. Sa voiture, une grosse berline noire aux vitres teintées était luxueuse dans notre quartier. De plus, Arthur était un des deux gars de l'appartement à avoir une voiture. Le second n'était autre que Benoît.
- Merci de m'accompagner, dis-je délicatement, alors que nous prenions la route pour mon université.
- Tu croyais vraiment qu'on allait te laisser partir à pied sous cette pluie? risqua-t-il doucement.
Je lui fis un pâle sourire pour toute réponse.
- Tu finis à midi? réclama-t-il en se garant quelques minutes plus tard, devant le portail de mon université.
- Oui.
- Je ne pourrais pas venir te récupérer. Appel un des garçons d'accord?
Je hochai la tête sachant déjà pertinemment que je n'allais pas le faire. Je ne voulais déranger personne. J'avais appris au fil du temps à me débrouiller seule. Même sous la pluie.
- Merci Arthur, lâchai-je, avant de sortir du véhicule à toute allure pour me mettre à l'abri rapidement.
Dans la classe tout le monde était déjà à son poste. Je remplaçai ma veste par mon tablier avant de m'installer à mon bureau. La pluie tombant sur les carreaux des différentes fenêtres de la pièce me donnant l'inspiration. J'adorais ça pour dire vrai. Laura ne vient pas me déranger ce qui me laissa loisir à avancer mon propre projet. Une heure plus tard, mon professeur Madame Duval, vint se poster à mon bureau.
- Vous avancez plutôt vite, souffla-t-elle dans un petit sourire.
- Merci.
- C'est une roue? risqua-t-elle doucement.
- Oui. Un mixte entre celle de Paris et celle de Londres.
- Le London Eye? souffla-t-elle impressionner.
- Oui, madame Duval.
Elle hocha la tête sans quitter mon dessin des yeux, durant de longues minutes. Elle finit par me quitter sans d'autres commentaires ce qui me rassura plus ou moins. Du coin de l'œil, je la vis se diriger vers... Laura. Un petit sourire en coin apparut sur mon visage, alors que je replongeai dans mon monde.
Midi. Comme si une sonnerie imaginaire résonnait à nos oreilles, les étudiants se levèrent et rangèrent leurs affaires. Du coin de l'œil, je regardais Jonathan se dépêcher pour rejoindre sa petite amie, Lucie. Il avait reçu un appel une demi-heure avant et avait convenu d'un lieu de rendez-vous entre leurs deux facs. Adrien quant à lui discutait avec ferveur avec Laura et Marlène. Je passai donc la première dans les escaliers et prit tout de suite à gauche à la place de la droite pour la cafétéria. J'allongeai le pas en entendant Adrien souffler mon prénom surpris. J'avais d'autres projets pour ce midi.
Dehors la pluie était moins forte que ce matin. Je sortis mon parapluie, avant de me diriger vers le métro. Après trois stations, je fis halte à l'une de mes boutiques préfère. Une boutique qui pouvait donner des sueurs froides à de nombreuses personnes. Je poussai la porte du « Labo Bleu des sorcières » et futs accueilli par la petite clochette au-dessus de ma tête. Elle tinta jusqu'à que je referme la porte.
- Bonjour, fis-je à la responsable des lieux qui m'ignora comme à chaque fois.
Elle était ne pleine discussion avec deux autres femmes. Je ne savais pas vraiment si elles étaient des vraies sorcières des éléments ou juste des potionneuses, des humaines pratiquant la magie des potions. Pas vraiment de la sorcellerie selon moi et mon clan. Cependant, elles avaient des formules très précises et de nombreuses herbes aux vertus magiques et puissantes. Je parcourrai les nombreuses étagères d'un œil ouvert et critique. Beaucoup d'erreur et de traduction erronée sur des articles.
- Tu cherches quelques choses de précis? quémanda une femme dans la quarantaine.
- Non... je regarde seulement, souris-je délicatement, avant de la laisser en plan.
Cette dame venait souvent me poser la même question. Ma réponse était toujours la même... à quelques choses près. Ici au milieu des différents ingrédients, je me sentais étrangement à ma place. Je quittai les lieux une heure plus tard, sans rien avoir acheté. Je rejoignis le métro après avoir récupéré un sandwich dans une boulangerie. La pluie avait totalement cessé pour mon plus grand bonheur.
Je poussai la porte de l'appartement et fut assiégé par un brouhaha phénoménal. Ils étaient là. Presque tous là, dans le salon. Mes trois colocataires : Benoît, Marius et Louis. Assis sagement les uns près des autres sur le divan. Tous une manette de jeux dans les mains. Lorsque j'entrai, leur visage quitta l'écran télé pour mon visage. On resta ainsi un instant avant que je roule des yeux et me dirige vers ma chambre. J'entendis Louis demander aux autres comment j'étais rentrée, mais pas la réponse des garçons.
J'attrapai dans l'armoire mon survêtement, un débardeur et des sous-vêtements avant de m'enfermer dans la salle de bain. Une bonne douche chaude par ce temps, rien de mieux pour le moral. Je pris mon temps sous l'eau. Un petit coup à la porte me fit sursauter, tandis que je me séchai les cheveux déjà en tenue. Je roulai la serviette autour de mes cheveux avant d'ouvrir en grand la porte laissant la chaleur et la buée quitter les lieux.
- Envie d'une tisane? s'amusa Arthur en jouant avec ses sourcils.
- J'avais peur de te rater, fis-je en retour.
- Je ne pars pas avant la fin de semaine, Six, dit-il doucement pour ne pas attirer l'attention. Alors?
- Du thé, souris-je grandement. À la menthe si possible.
Il hocha la tête tournant déjà les talons. Je détachai la serviette de mes cheveux avant de rejoindre le groupe au salon. Une personne en plus avait investi les lieux. La sœur de Marius, Nadège. Elle ne me supportait pas sans que sache pourquoi. Elle refusait tout simplement de m'adresser la parole. Depuis notre rencontre, il y a deux ans, je faisais avec en fuyant le conflit.
Ignorant le regard de Marius, de Nadège et de Benoît et je pris place à une des chaises positionnées autour de la table ronde du salon. J'attrapai le gros tas de lettres sur celle-ci et me mis à la tâche. Tout le monde avait eu droit à sa lettre aujourd'hui. Pas spectaculaire parce que c'était le loyer à payer. Deux cent quatre-vingt-dix-neuf, charge comprise. Le même montant depuis mon arrivée. Une autre lettre attira mon attention. Assez volumineuses dans une enveloppe A3 marron. Je l'ouvris assez intimidée alors qu'Arthur posait ma tasse devant moi.
- Merci.
Il m'offrit un sourire avant de rejoindre le divan, faisant râler Louis. Mon cœur rata un battement quand je pris connaissance de l'expéditeur :
The London Library,
14 Saint-James' s Square, London,
Greater London SW1Y 4LG,
United Kingdom
Je n'en crus pas mes yeux. Le courrier était rédigé en anglais. J'avais de bonnes bases, je compris tout de suite le sujet de cette lettre. Pourtant, il me fallait en avoir le cœur net.
- Louis?
Ma voix avait été plutôt incertaine et une certaine crainte s'y entendait. J'avais parlé assez bas, pourtant tout le monde m'entendit. Sans poser la moindre question, Louis se leva du divan, posant la manette sur la table avant de me prendre le document des mains. Après quelques minutes, il prit la parole.
- C'est une inscription pour un concours d'art.
- Ça, j'ai compris, couinai-je.
- C'est du 15 au 18 mai. Et c'est à... Londres!
- J'ai été prise, fis-je les larmes aux yeux. J'ai vraiment été sélectionnée?
Louis reposa la lettre et s'accroupit devant moi. Son visage était neutre. Sans aucune émotion.
- Oui.
- Qui... qui m'a inscrite?
Je vis les garçons se regarder les uns les autres, sans dire mot. Sans bouger. Nadège cherchait à comprendre sans pouvoir. Finalement Benoît se racla la gorge mal à l'aise.
- C'est un vote unanime, Six.
Je fronçai aussitôt les sourcils.
- Un vote? Unanime?
- Oui. Tu dois sortir et vivre! chuchota-t-il pratiquement. Ce n'est pas en restant avec nous que ta vie changera.
Je n'en croyais pas mes oreilles.
- Mais, c'est à Londres. Je n'ai pas l'argent pour ça, soupirai-je tendue.
- On s'est cotisé pour le billet d'allé en avion, grimaça-t-il.
- Et je fais quoi du retour? m'étranglai-je.
- Ben, tu restes là-bas! s'amusa Arthur tout sourire.
Il reçut trois coussins en pleine poire qui le fit basculer sur le côté. Il tomba lourdement sur les fesses le faisant pousser un grognement.
- En réalité, si tu gagnes le concours tes problèmes sont résolus, lâcha Louis en posant une main douce sur ma joue.
- Ouais... faut le gagner d'abord, bougonnai-je.
- On a confiance en toi, Six, souffla Benoît en m'envoyant un petit clin d'œil. Ne t'inquiète pas et profite du voyage.
Facile à dire, soupirai-je mentalement sous leurs sourires XXL. Le grand problème allait être ma grand-mère. La seule personne qui avait gardé contact avec moi. Dans le dos de toutes les autres sorcières. Elle prenait un grand risque en le faisant. J'en étais consciente. Je m'enfermai dans ma chambre, composant déjà son numéro. Elle décrocha à la première sonnerie.
- Que se passe-t-il?
Sa voix était inquiète. Comme toujours quand je l'appelais.
- Bonjour à toi aussi Adèle, chuchotai-je.
Je ne devais surtout pas la nommer grand-mère, au cas où des oreilles indiscrètes seraient non loin d'elle. Les sorcières avaient une ouïe puissante. Comme beaucoup d'êtres mythiques.
- Je suis un peu occupée. Que puis-je pour toi?
- J'ai été sélectionnée pour un concours d'Art. Et je souhaite m'y rendre.
Bon Dieu, avoir vingt-cinq ans et avoir encore le devoir et l'obligation de rendre des comptes à sa grand-mère qui en plus nous avait bannie était une chose horrible. C'était une soumission qui me rendait très irritable.
- Où ça?
Ouais, on va attendre encore un peu pour les félicitations.
- Londres!
Un long silence s'en suivit.
- Combien de temps?
- Trois petits jours. C'est du 15 au 18 mai.
- Tu sais très bien qu'un « petit jour » n'existe pas, cracha-t-elle.
Géniale, pestai-je en pliant quelques vêtements éparpillait sur mon lit.
- D'accord, je t'envoie une personne de confiance pour t'aider au cas où. Tu sais très bien qu'il est dangereux de voyager pour toi.
Oui, je pouvais me faire repérer par une sorcière du Vent et me faire tuer réellement cette fois. Ou pire, me faire ramener à ma mère et son clan de sorcière hystérique.
- Non, sifflai-je sur le qui-vive. J'y vais pour une exposition. Je ne quitterai pas la salle d'exposition et mon hôtel.
- Tu ne peux pas partir seule, dit-elle calmement, mais d'une voix menaçante. Nous n'avons pas fait tout ceci pour rien.
- Je n'ai jamais quitté le pays seul et je viens d'avoir vingt-cinq ans, Adèle. Tu dois apprendre à me faire confiance.
- Je te fais confiance, mais notre monde est trop dangereux. Le problème est que...
- Mes pouvoirs ne sont toujours pas actionnés. Je le sais, tu me le répètes depuis mes seize ans, dis-je amèrement. De plus, je sens comme une humaine et me comporte comme telle. Je ne suis une menace pour personne.
J'entendis des bruits étranges, puis la voix de ma grand-mère qui me fit aussitôt sourire.
- Vas-y ma petite. Je te donne l'autorisation.
- Merci du fond du cœur, Adèle.
- Évite les endroits étranges et tout ira bien, rajouta-t-elle avant de raccrocher.
Les endroits étranges? Grand-mère était telle accourant que rien que le nom de la ville était étrange?
- Mon dieu, je vais à LONDRESSSS! hurlai-je euphorique.