Le baiser
Résumé : Que se passe-t-il quand on est un garçon et qu'on se rend compte qu'on est amoureux d'un autre garçon ? Comment vivre avec ce trouble, ces doutes, la peur aussi ? Que se passe-t-il quand ça arrive alors qu'on vit dans une famille maltraitante, avec un père violent qui vous bat ? Que se passe-t-il, surtout, quand on a que 12 ans ? Histoire de Maxime avant « Sans contrefaçon ».
L'histoire entend mettre en opposition ces deux mondes qui s'entremêlent : d'un côté celui de la famille de Maxime, maltraitante, violente et homophobe, et de l'autre, celui de la douceur des amours enfantines et adolescentes, de l'éveil aux sentiments.
Date de création : décembre 2013 / Début de publication : avril 2014
Lien avec « Sans contrefaçon » : Le héros de l'histoire, Maxime, est issu de « Sans contrefaçon », fiction publiée sur ce site. C'est donc une sorte de prologue, une 'histoire avant l'histoire'. Elle débute sept ans avant « Sans contrefaçon » (où Maxime vient tout juste d'avoir 19 ans, et Thomas 21, puis 22 ans).
Thomas sera totalement absent de l'histoire, bien sûr puisqu'ils se sont rencontrés lorsque Maxime avait 18 ans. En revanche, Alex occupera une place centrale auprès de son petit frère. Et vous retrouverez exactement la famille de Maxime, telle que présentée brièvement dans « Sans contrefaçon ».
L'histoire peut bien évidemment se lire sans jamais avoir lu « Sans contrefaçon » : elle est parfaitement autonome.
Rating : maximum ! [M, pour « mature subject »], en raison des violences, des maltraitances et des humiliations subies par Maxime. Bien évidemment, vu le sujet et l'âge des personnages, le « M » n'a rien à voir du tout avec un rating connoté sexe.
Attention ! Warnings ! Avertissements à lire attentivement ! Comme « Sans contrefaçon » dont elle est directement issue, cette histoire évoque en termes crus et très directs les humiliations et des violences, physiques ou morales, subies par Maxime lorsqu'il était enfant et tout jeune adolescent. Son milieu familial est malsain et maltraitant. Certaines scènes peuvent choquer ou déranger. Âmes sensibles s'abstenir ! Si ça vous gêne, passez votre chemin et ne lisez pas ! Fermez ce fichier dès la lecture de cet avertissement. Merci.
En revanche, ne venez pas chercher des scènes à caractère sexuel ici. L'histoire traite de gamins de 12 / 13 ans, ok ? Ce qui se passe entre eux se résume au titre, clairement évocateur. Donc, il n'est question que de tendresse, de sentiments et de gestes assez pudiques. Je veux juste écrire une histoire.
A présent, pour ceux qui ne sont pas encore dégoûtés ou découragés, merci d'être encore là… et bonne lecture !
o o o
Chapitre 1
En ce mois d'octobre, Franck et Catherine Baron étaient des époux et parents heureux. Comblés, même. Leur fille unique, Béatrice, 24 ans, venait d'annoncer ses fiançailles avec François Dallet, jeune salarié travaillant comme cadre supérieur dans un des hypermarchés de la ville.
Désormais, Béatrice quittait définitivement le nid et elle allait vivre avec son futur mari. Ils venaient tout juste de se trouver un appartement. Le mariage aurait lieu l'été prochain.
Catherine regardait sa fille avec une fierté mêlée de tristesse. Oh ! Bien sûr, le mariage de Béatrice ne marquerait aucune rupture dans la vie familiale, car la jeune fiancée habitait déjà avec François depuis près de deux ans. Ils avaient juste attendus d'avoir un peu d'argent pour les noces. Car Béatrice voulait un beau mariage, tout en blanc, avec plein d'invités, une énorme pièce montée, et tout le tintouin. Un mariage qui en jette, quoi.
Non, si Catherine se sentait un peu triste, c'est parce que le mariage de sa fille lui montrait à quel point elle vieillissait, à quel point sa vie, inexorablement, changeait. Ses enfants partiraient tous, les uns après les autres.
Tous ses enfants.
Ses six enfants.
Les cinq premiers avaient été désirés, acceptés : un garçon, une fille, et encore trois garçons.
Et puis, il y avait eu le petit dernier, un accident. Tomber enceinte à 42 ans, accoucher à 43, c'était ridicule, n'est-ce pas ? Elle avait cru faire son retour d'âge. Et elle s'était finalement retrouvée avec un nouveau bébé… un enfant dont personne ne voulait vraiment. Merde ! Franck et elle, ils avaient déjà cinq gosses, et ils roulaient pas sur l'or ! Les temps étaient si difficiles !
Et en plus, ce gosse, il était si bizarre…
Ah… Maxime… Catherine soupira en regardant son petit dernier, avec son drôle d'air et sa petite frimousse. A douze ans, il était si mince, si gracile, et puis son visage avait des traits si fins, avec une bouche pleine et de longs cils noirs… comme ceux d'une fille…
— Merci, Maxime… » murmura Catherine à son plus jeune fils, assis à table à côté d'elle. « Va nous chercher le dessert à présent. J'ai mal à ma jambe… »
L'enfant se leva aussitôt, sans un mot, et s'exécuta. Maxime avait l'habitude d'obéir silencieusement. Jamais il ne s'opposait, jamais il ne contestait, jamais il ne ronchonnait. Il trouvait juste normal d'aider. Il avait été élevé comme ça. Il ne connaissait pas d'autres modèles.
Et puis, tout le monde le traitait comme une petite bonne à la maison. N'était-ce pas le cas de tous les benjamins, dans toutes les familles ?
Arrivé dans la cuisine, Maxime ouvrit le grand vaisselier pour attraper deux plats destinés à recevoir les tartes et gâteaux qui reposaient l'un au four, l'autre dans le frigo.
Il était en train de disposer les desserts sur les plats lorsqu'il entendit les pas de quelqu'un derrière lui. Il leva les yeux et vit Béatrice qui s'approchait.
— Je viens t'aider, mon bout-de-chou… »
Maxime haussa les épaules :
— Ça va. J'y arrive. »
— Je n'en doute pas, petit frère ! Mais bon… je voulais te parler un peu… » Et Béatrice posa sa main sur le poignet de Maxime, l'empêchant de prendre l'un des plats. « C'est qu'on aura plus trop l'occasion de se voir beaucoup à présent… Maintenant qu'on a notre petit appartement, François et moi, je ne serai plus beaucoup ici, tu sais… Ça ne sera plus comme avant… »
L'enfant leva son regard vers sa sœur, hocha machinalement la tête, attendant qu'elle s'explique. Il ne voyait pas où elle voulait en venir ni de quoi elle voulait lui parler. Après tout, elle vivait plus ou moins avec François, chez ses parents à lui, depuis plus d'un an. Son départ, devenu 'officiel' n'allait pas changer grand-chose au quotidien du petit garçon.
— Maxime… » insista Béatrice. « Tu sais que maman est très fatigué… Elle commence à être vieille, son cœur est fragile, et puis elle a ses problèmes de jambes et d'articulation… »
Béatrice marqua une pause et attendit que son petit frère réagisse. Mais Maxime, toujours taiseux, la fixait avec ses grands yeux noirs innocents, à moitié cachés par des mèches de cheveux noirs beaucoup trop longues.
Voyant que sa tactique ne marchait pas, Béatrice continua de parler toute seule. « Quand je serai partie, il va falloir que tu aides maman bien plus que tu ne le faisais jusqu'à présent, tu comprends ? »
Le petit garçon hocha la tête.
La jeune femme lui caressa les cheveux en souriant, soulagée :
— Bien… c'est bien… Je compte sur toi, n'est-ce pas ? Il ne faudrait pas qu'il arrive quelque chose à maman, tu comprends ? » ajouta-t-elle, sur un ton culpabilisateur. « Je peux compter sur toi, hein ? » insista-t-elle.
Maxime sentit le poids énorme qui pesait sur ses épaules. Il fallait qu'il aide sa mère, qu'il prenne un peu sa place dans la maison, lui qui était si jeune et en si bonne santé. Car s'il ne le faisait pas, il mettait sa maman en danger. Oui, Maxime comprenait très bien : si un jour il arrivait quelque chose à sa mère, ce serait de sa faute : il en serait le seul responsable.
— Et surtout, sois obéissant, Maxime… Ne mets pas papa en colère. Tu sais comme il est soupe-au-lait… colérique, aussi… » Comme Maxime baissait les paupières, les joues un peu roses, Béatrice précisa : « Un peu violent, aussi… »
Elle caressa la joue de son petit frère, se remémorant quelques torgnoles que Maxime avait pris, pour des broutilles. C'est que le paternel avait la main leste, hein ? Un vrai méditerranéen, sanguin, et tout et tout !
Béatrice grimaça à ses souvenirs. Elle aussi avait pris quelques claques provenant du paternel. Mais après tout, c'était normal non ? Tous les pères ont un droit naturel de correction physique sur leurs enfants, n'est-ce pas ?
Elle, à part quelques gifles et quelques fessées, elle n'avait pas eu trop à se plaindre. Mais tous ses frères, eux, avaient goûté du ceinturon, en plus de tout le reste. Bah ! Après tout, c'est comme ça qu'un père fait de ses fils des hommes, non ?
La jeune femme essaya de dédouaner son père :
— Mais tu sais, Maxime, ce n'est pas de sa faute. Papa nous aime, et il ne veut que notre bien ! Mais… parfois, il est… enfin, tu sais, quoi… »
Ah, si le paternel ne buvait pas autant aussi. Mais un homme, c'est normal, ça picole. Tous les mêmes, non ?
Béatrice caressa une nouvelle fois la tête de son petit frère et insista :
— Il est comme ça, papa. Il ne faut pas lui en vouloir, hein ? »
Le petit garçon hocha la tête sans la relever.
— C'est bien… » répéta Béatrice, soulagée par tant d'obéissance et de docilité. « Et puis, quand papa se met en colère, ça fait beaucoup de peine à maman… ça lui use le cœur, aussi. Alors, sois très sage, Maxime. Promets-le moi… »
— Je te promets… » murmura-t-il, le nez toujours piqué vers le sol.
— Bien, bien… » Béatrice hocha la tête, satisfaite. Puis, elle lui prit la main et l'entraîna vers la table de la cuisine où attendaient les tartes et les gâteaux : « Allez, viens, on va apporter les desserts. C'est qu'ils doivent tous s'impatienter à présent ! »
o o o
Assis sur le rebord du canapé, tout près de son frère Alex, Maxime regardait distraitement le match de Foot que diffusait la télé.
Toute la famille était là, installée dans le salon aux meubles déglingués, à la décoration vieillotte, et à la tapisserie qui gondolait du fait de l'humidité. On pouvait même voir des tâches de moisissure à certains endroits. Franck aurait dû réparer, mettre de l'enduit, isoler les murs, retapisser… Mais il avait toujours eu la flemme. Il préférait boire des bières en regardant la télé et n'avait aucune envie de lever le petit doigt lorsqu'il était chez lui.
Il était 22 heures passées, et tout le monde digérait tant bien que mal le repas, fort gras, qui avait été servi, tout en continuant à s'alcooliser de bières.
Car un match de foot sans bière, ça n'avait aucun sens, n'est-ce pas ?
Alex était là plus par devoir familial que par envie. Le foot, lui, ça le laissait plutôt de marbre. Il préférait regarder les matchs de tennis. Mais le tennis, dans la maison, c'était pas vraiment ça qu'on regardait. Le tennis, c'était un sport de bourge, un sport de gonzesses et de types qui tordent du cul, non ?
Alex ne disait rien. Il sirotait nonchalamment sa bière, un œil sur la télé, l'esprit dérivant vers ses rêves d'avenir. Quitter la maison, quitter cette crasse et cette médiocrité, quitter cet alcool qui coulait à flots, fuir cette violence, toujours latente, et qui parfois explosait.
Son père lui avait foutu quelques torgnoles, autrefois. Mais pas tant que ça. Alex avait été un enfant sans problème. C'était un bosseur à l'école, et en plus, il était manuel. Pour ça, la mécanique, ça le connaissait. Alex était un bon bidouilleur. Bidouiller des moteurs, des ordinateurs, des chaînes Hi-Fi en panne, on pouvait tout lui demander. Alex savait toujours tout réparer.
Et puis, il était un peu la fierté de la famille. Il faisait des études à la fac depuis qu'il avait décroché son bac, il y a presque deux ans. Et ce serait sans doute le seul à en faire, des études supérieures à l'université.
Car c'était pas Maxime qui réussirait à aller à la fac, Franck en était persuadé. A douze ans, ce gamin n'était déjà qu'un sale branleur, un gosse à problème. Pas un bosseur comme Alex, non. Juste une cause d'ennui, ce gamin. A douze ans, déjà… !
De son gros fauteuil patriarcal, installé au milieu comme le trône d'un Roi, Franck jeta un regard en coin à son petit dernier, et il soupira.
Ce petit branleur de Maxime…
Prénom à la con, d'ailleurs. Pourquoi ils l'avaient appelé comme ça, d'abord, avec Catherine ? Franck s'en rappelait plus trop. Et puis ils en voulaient pas, de ce gamin, d'abord. Ils avaient pas eu le temps de bien réfléchir. En plus, ils étaient sûrs que ce serait une fille.
Même le gynéco, il avait dit que ce serait une fille, avec son appareil à échographie. Quel connard, celui-là ! Il s'était gouré, oui ! Tous des incompétents, ces médecins ! Et on pouvait même pas se faire indemniser pour le préjudice. Franck était encore en colère après lui.
Si ça avait été une fille, le prénom, il était déjà choisi, depuis longtemps, et avec soin : Marie.
Et puis, l'accouchement était arrivé, et ça avait été un petit gars. Un tout petit bébé, malingre, tout juste trois kilos.
Maxime. C'était venu comme ça. Ils avaient cherché un prénom qui commence comme Marie, quelque chose d'assez proche… enfin, pas trop éloigné… Une idée de Béatrice, peut-être ? La gamine avait treize ans à l'époque. Prénommer son petit-frère, elle avait adoré l'idée.
Une idée de Béatrice, oui… ou peut-être de Gérard, le frère de Franck.
Enfin peu importe. Ce fût Maxime.
Un bébé très sage. Il pleurait pas. Il était très calme. On aurait dit, déjà, qu'il avait compris qu'il dérangeait, qu'il n'était pas le bienvenu. Il faisait déjà tout pour se faire pardonner d'être là et de gêner.
Enfin, c'est ce que pensait Catherine. Elle croyait beaucoup à la connexion mère-enfant lors d'une grossesse. Elle parlait au bébé, dans son ventre, elle pensait aussi très fort, 'pour lui envoyer des ondes', comme elle disait…
Il avait dû comprendre. Il avait du savoir.
Catherine était contente de son fils. Un petit garçon calme, obéissant, très tendre, très câlin, très en demande d'amour aussi.
Seulement voilà, elle, elle n'avait pas le temps.
Avec déjà cinq enfants à charge, vous comprenez, et un mari colérique et violent, on peut pas tout faire, n'est-ce pas ?
En plus, le gamin, Catherine voyait bien que Franck ne l'aimait pas. Parfois, Franck regardait son fils, âgé d'à peine cinq ou six ans, et il disait :
— Il est bizarre, non ? Hein, Catherine, qu'il est bizarre, le gosse ? » Il n'attendait pas vraiment de réponse. Les yeux rivés sur le gamin, il semblait réfléchir, l'examiner comme on examiner un objet étrange et inconnu : « Si, si… moi, j'te dis qu'il est bizarre… »
Catherine ne savait pas vraiment ce que voulait dire son mari dans ces moments-là. Il n'était jamais plus précis. Comme s'il avait honte, comme s'il était incapable de formuler en des mots précis ses pensées les plus profondes.
Et Catherine, elle, ne voulait pas dire ce qu'elle voyait, parfois. Franck travaillait, il avait le week-end avec les potes, à boire de la bière dans les bars, il n'était pas souvent à la maison. Mais elle, si. Elle était mère au foyer à l'époque. C'était avant qu'elle retrouve du boulot, comme aide-ménagère, en contrat avec la mairie.
Mais à l'époque, elle ne faisait que ça, être enfermée dans le domicile conjugal, à s'occuper de ses gosses, et surtout du petit dernier.
Et Maxime, c'est vrai qu'il était bizarre, pas comme les autres gamins, pas comme les autres fils qu'elle avait eu avant. Petit, il jouait souvent seul étant donné l'écart d'âge très important avec ses autres frères. Et il habillait son ours avec les vêtements de poupée de sa sœur Béatrice, il lui empruntait parfois ses vieilles Barbies et Catherine l'avait même trouvé, une fois, au grenier, en train de jouer avec une dinette abandonnée dans la poussière. Il avait six ans.
Et puis, il avait des gestes tellement plus gracieux et féminin que les autres gamins.
En grandissant, toutefois, les choses semblaient s'arranger. Maxime jouait au foot, il devenait aussi bon bricoleur et manuel que son frère Alex, et puis il aimait bien se bagarrer, aussi.
Son père, ça, ça l'avait bien rassuré. Lorsque l'école primaire l'avait appelé, il y a deux ans, pour lui dire que son gosse avait foutu une raclée à un camarade, Franck l'avait plutôt mieux pris que Catherine l'avait craint.
Oh ! Bien sûr, il avait foutu une raclée à son fils, pour s'être battu à l'école. Mais comme, aux dires de l'institutrice, Maxime avait eu le dessus dans la fameuse bagarre, Franck n'avait pas trop cogné car, quelque part, il était un peu fier.
Un gosse, après tout, ça se bat à l'école, c'est normal.
Et qu'un père le cogne aussi, bien sûr.
Franck appréciait cette normalité, cette conformité aux codes sociaux qu'il connaissait. Lui-même avait été élevé comme ça, et c'était très bien, non ?
Malgré tout, Franck n'aimait pas Maxime comme ses autres fils. Du haut de ses douze ans, Maxime était trop différent, trop mince, trop longiligne, trop gracile, trop féminin, surtout, avec sa bouche pulpeuse, son petit nez, et ses grands yeux noirs ourlés de longs cils…
Putain d'allure de pédale, pensa Franck avant de détourner le regard pour se plonger à nouveau vers le match de foot.
— Marie, vas me chercher une bière fraîche ! » lança Romain, affalé sur le canapé.
Tandis que Maxime se levait docilement, allant vers la cuisine, Alex s'agaça :
— Putain, arrête de l'appeler comme ça ! »
— De l'appeler comment ? » La voix de Romain était ironique et il avait un sourire faussement innocent aux lèvres.
— Joues pas aux cons, Romain, ça te va très mal… » grinça Alex, en serrant les dents. « Tu sais très bien que tu l'as appelé Marie… »
— Oh ! Vraiment ? J'ai dit Marie ? J'ai pas fait gaffe… »
— Menteur… »
Romain souffla ostensiblement, haussant les épaules, ennuyé par cette conversation :
— Ben quoi, à la fin ? C'est toi qui fait chier, aussi. Maxime, Marie, c'est pareil… Ça devait être son nom, hein ? Pendant toute la grossesse de maman, on a entendu que ce prénom-là : Marie, Marie, Marie. Le bébé s'appellera Marie… J'ai pris de mauvaises habitudes, et parfois, ça revient, c'est tout… »
— Ouais, c'est ça, bien sûr… Tu crois vraiment que je… »
Alex n'eut pas le temps de terminer sa phrase, car Franck se mit à gueuler :
— Vous gueules ! Vous avez pas fini, non ? Putain de merde ! On peut pas regarder un match de foot tranquille dans cette baraque ! » Il jeta un regard noir à ses fils et marmonna, d'une voix calmée : « Faites chier à la fin… »
Puis, se tournant vers Maxime qui venait de rapporter une bière à Romain, il aboya :
— Hey, t'assois pas, petit con. Vas me chercher une bière aussi ! » et il accompagna son ordre d'une claque sur les fesses de l'enfant, comme les cow-boys le font sur les serveuses des saloons.
Romain esquissa un sourire mauvais et ajouta, en regardant Alex droit dans les yeux, comme par provocation :
— Oui, Marie, une bière pour papa ! »
o o o
— Début des vacances de Noël —
Assis sur une vieille balançoire qui pourrissait au fond du jardin, Maxime s'envoyait une seconde bière, piquée dans le stock du paternel. Oh ! Il avait fait attention à ce que ça ne se voit pas. Il faut dire que des bières, c'est pas ce qui manquait à la maison.
Avant de s'enfiler une nouvelle rasade, il jeta un œil alentours, vérifiant que personne ne le voyait.
Mais non.
Tout était tranquille, en cette après-midi d'automne. Il faisait étrangement doux en cette fin octobre, et même les oiseaux chantaient encore, comme s'ils refusaient de voir que bientôt, l'hiver approcherait…
Au milieu de ce calme, sous les derniers rayons de soleil, Maxime appréciait d'être enfin seul.
Son père était allé se saouler dans un bar avec ses potes, Romain était avec sa copine, David travaillait au noir et Alex venait d'amener leur mère faire des courses au supermarché, car Catherine n'avait jamais eu le permis.
Ça, trimballer sa mère, Maxime ne pouvait pas le faire. Avoir douze ans lui permettait au moins d'éviter cette corvée.
Alors il était là, dans le calme du jardin mal entretenu, à profiter d'un peu de solitude. Car c'est ce qui lui manquait tant, dans cette foutu baraque : de l'intimité.
Même si sa sœur venait de quitter la maison, il lui restait quand même ses deux parents, ainsi que trois frères.
Alex était plutôt gentil, discret, oui, d'accord, mais Maxime n'était pas seul pour dormir, pas seul pour s'habiller, pour paresser au lit, pour rêver… Il n'y avait pas un endroit de la maison où il pouvait s'isoler.
Alors là, forcément, c'était le paradis.
Maxime but une nouvelle gorgée de bière, et laissa l'alcool envahir son petit corps. Il aimait bien cette sensation légère d'ivresse qui arrive et qui met de bonne humeur. Il ressentait ce besoin de s'évader de son quotidien si difficile et pour cela, il n'avait trouvé que l'alcool.
Putain. Si son père le choppait là, en train de se bourrer la gueule avec sa Heineken, il ne donnait pas cher de sa peau !
C'est que le paternel avait la main aussi leste que lourde. Ah ! Les roustes qu'il avait pris, notamment la dernière, quand il avait séché les cours, l'autre jeudi. Il avait bien essayé de s'échapper sans que les profs et surveillants s'en rendent compte, mais ça avait raté.
Et Franck, alerté par le collège, avait cogné dur à son retour. Maxime avait même cru qu'il lui avait démis la mâchoire tellement il avait eu mal. Et puis, sa tête avait cogné un meuble lorsque, déséquilibré par les coups, il était tombé par terre.
Mais bon, finalement, c'était rien. C'est qu'il avait la carcasse solide des Baron, comme ses frères, aimait se répéter le petit garçon.
Puis après tout, il le méritait, non ? A force de faire des conneries — des conneries visibles, en plus — forcément, le paternel était mis au courant, et évidemment, il frappait.
Qu'aurait-il pu faire d'autre, hein ? Maxime savait qu'il ne retenait aucune des leçons infligées par son père. Mais était-ce une raison pour Franck de ne pas essayer d'éduquer son fils ?
Maxime vida la canette puis la froissa entre ses doigts, se délectant du bruit du métal qui se tord.
Être tout seul, c'était bien. Mais à force, il s'ennuyait un peu. Faut dire, il avait pas trop l'habitude. Et puis, être avec quelqu'un, quelqu'un qu'on aime beaucoup, c'était sympa aussi.
Il pensa soudain à Cédric, avec qui il jouait parfois au foot, dans la rue, et avec qui il se marrait bien, en classe, avec qui il faisait des conneries aussi. Cédric habitait à l'autre bout de la rue, dans le même lotissement, et il avait son âge. C'est avec lui qu'il séché les cours la semaine dernière.
Il était génial, Cédric, avec sa grande taille et ses larges épaules. Il n'avait que douze ans, mais honnêtement, en le voyant, on lui en donnait facilement treize ou quatorze. Sa corpulence et son allure sportive impressionnaient beaucoup Maxime. Et puis ses yeux bleus aussi. Il avait un regard bleu clair, magique, comme l'eau des mers exotiques, dans les pays lointains.
Cédric, il avait tout pour lui : intelligent, bon footballer, marrant, courageux, et puis Maxime le trouvait plutôt beau. Il avait pourtant l'allure d'une brute, d'un petit dur avec ses cheveux clairs qu'il coupait ras, pour pas qu'on voit qu'il était blond.
Les filles, au collège, elles le trouvaient pas du tout à leur goût, Cédric. Elles disaient même qu'il était moche, qu'il avait l'air d'un hooligan anglais. Mais Maxime, lui, il voyait Cédric autrement, avec d'autres yeux qu'elles.
Cédric, c'était une masse de virilité en plein développement. Un futur mec. Un vrai.
Et Maxime ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait quand il pensait à lui. Ça lui faisait tout chaud dans le corps, des papillons dans le ventre, et puis des fourmillements partout. C'était pas désagréable comme sensation.
Enfin, c'était surtout bizarre, oui !
Non, vraiment, il ne comprenait pas ce qui se passait dans son corps… ni dans sa tête, d'ailleurs.
Cédric, il y pensait tout le temps. Et il y pensait d'une manière que le paternel n'aurait pas trouvée très catholique !
Il y pensait comme… comme… comme le héros et l'héroïne, dans les films, quand ils s'embrassent à la fin, juste avant le générique.
Il ne comprenait pas pourquoi, mais la fille, dans le film, il n'avait jamais envie de l'embrasser, de la câliner, de se mettre tout nu contre elle. Non, les actrices, elles ne l'attiraient pas du tout.
Non, ce qu'il voulait, lui, c'était être à la place de Juliette.
Et finir dans les bras de Roméo.
Et ce que c'était mal ? Est-ce que c'était pervers ? Il avait souvent entendu les gens parler de ça, à l'école, dans les conversations entre adultes, et même une fois le curé à l'église, le dimanche matin.
Au nom du père, du fils, et de l'homophobie…
Autour de lui, tout le monde disait que c'était mal, que c'était contre nature, qu'un garçon, c'était fait pour aller avec une fille, pas avec un autre garçon.
Au collège, surtout, il en entendait des horreurs, que les pédés, fallait les tuer, ce genre de truc, quoi. Et d'ailleurs, quand un gamin était soupçonné par la meute d'être homosexuel, sa vie devenait atroce : insultes permanentes, coups à chaque récré, harcèlement avec Facebook, les réseaux sociaux, les téléphones, et ainsi de suite.
Et Maxime, il avait pas du tout envie que ça lui arrive ! C'est pour ça qu'il se battait, parfois, pour n'importe quelle raison. Car malgré la finesse de son corps, il était sec et nerveux, et les poings très agiles. En plus, il était mauvais élève, dissipé en classe et frondeur. Ça lui évitait bien des problèmes avec les autres collégiens.
Les gosses n'aiment pas ceux qui travaillent bien à l'école. Au moins, grâce à ses effronteries et impertinences, il ne passait pas pour un 'sale pédé'.
Maxime ne voulait pas être étiqueté 'gay'. Tout le monde autour de lui détestait les gays et leur voulait du mal.
Pourtant, en même temps, sur internet, à la télé, et même aux infos de 20 heures, il y avait des gens qui les défendaient et qui disaient que les hommes qui aiment d'autres hommes avaient des droits !
Ouais, mais tout ça, c'était que dans la télé ou dans l'ordinateur, quand son père le laissait y toucher. Bref, que du virtuel ! Dans la réalité, lui, Maxime, il en rencontrait jamais des gens comme ça. Ça existait pas en vrai. Sauf peut-être à Paris… ?
Dans sa vie quotidienne, ce qu'entendait Maxime, c'était tout le contraire. Autour de lui, on disait qu'aimer un garçon, être attiré par un garçon, c'était très mal, c'était même le mal absolu, que les pédés, ils brûlaient tous en Enfer. On lui répétait que ceux qui étaient comme ça, c'était des anormaux, des pervers, des malades, qu'il fallait s'en débarrasser.
Et Maxime, il commençait à se demander s'il était pas exactement comme ça : un pervers, un malade, un petit garçon dégoûtant et détraqué.
Il détestait ce qu'il était. Il se sentait terriblement coupable d'avoir de genre de pensées et de désirs.
Il en avait honte, tellement honte !
Mais comment lutter ?
Comment s'en empêcher ?
A suivre…
Allez, quelques bavardages encore à propos de ce premier chapitre…
« Le baiser »… Pourquoi ce titre ? A cause du chapitre 3 de « Sans contrefaçon », la tirade d'Alex, lorsqu'il confesse le martyre de son petit frère à Thomas : « C'était juste un baiser… ». Car vous le savez, c'est là que nous allons, dans cette direction, droit vers cette scène terrible, un certain mois de mai, juste quelques jours à peine avant l'anniversaire des quatorze ans de Maxime. Car oui, vous connaissez déjà la fin de l'histoire, si vous avez lu « Sans contrefaçon ».
Mais comment en est-on arrivé là ? Que s'est-il passé avant ce baiser mortifère, qui scellera à jamais le destin de Maxime en le traumatisant pour toujours ?
Réponse au prochain chapitre ! Le compte à rebours a commencé !