Quelques mots (quelques explications et précisions) avant le début de ce chapitre.

D'abord, comme je l'ai annoncé à la fin du chapitre 9 (dans le petit « P.S. »), c'est *the* chapitre, celui qui assure la jonction avec le chapitre 3 de « Sans contrefaçon », celui qui va permettre de « boucler la boucle ».

Et deuxième chose : depuis le début, j'ai volontairement laissé Cédric dans une sorte de flou, pour qu'on le voit à travers les yeux de Maxime, et par le regard aimant de sa mère, Cécile, qui conçoit depuis longtemps (vous l'avez vu), des doutes raisonnables sur l'orientation sexuelle de son fils.
Alors, qu'en est-il ?
Qui est réellement Cédric ?
Réponse maintenant.

Bonne lecture !


Chapitre 10

- Nuit du mardi 2 au mercredi 3 mai –

Allongé sous les couvertures, dans le noir de la nuit, les mains croisées sur la poitrine, Cédric ne parvenait pas à dormir. Les yeux ouverts, il fixait le plafond sur lequel dansaient les ombres qui se reflétaient en provenance de la rue : le lampadaire jaunâtre, des phares de voitures qui passaient, et puis les averses violentes de pluie qui assombrissaient les rares lumières…

Il n'avait pas encore entendu sa mère monter. Sans doute devait-elle être encore en bas, à somnoler devant la télé, en alternant médicaments et verres d'alcool.

Quelle heure était-il ?

Minuit et quart.

Merde. Demain, il y avait école. S'il ne dormait pas, le réveil allait être drôlement difficile, demain.

Dormir.

Fermer les yeux et se forcer à dormir.

Mais non.

Non de non. Ça ne venait pas.

Il pensait à Maxime.

Mais il ne fallait pas penser à Maxime !

Maxime, c'était son copain. Pas son petit ami. D'ailleurs, il ne pouvait pas avoir de petit ami. Un homme, un vrai, ça a une copine, ça n'a pas un mec. C'est les filles qui ont un mec, pas les garçons.

Et pourtant, Cédric se rendait bien compte qu'il ne fantasmait pas beaucoup sur les nanas. Il avait beau jouer les durs, parler des femmes comme des putes et des salopes qu'on baisait, en ça, il ne faisait que répéter ce que tous les garçons du collège disaient.

Les filles, elles ne lui faisaient guère d'effet… Enfin, si, un peu, quand il mâtait un porno, avec les copains, ça lui foutait la trique, bien sûr. Mais bon, c'était plutôt comme un réflexe mécanique, une sorte de réflexe pavlovien. Un automatisme, quoi… Rien ne venait du cœur, rien ne venait de la tête, c'était seulement son sexe qui réagissait. Rien de plus.

Et rien ne lui avait jamais fait autant d'effet que ce jour où il avait soigné Maxime, quand il avait du bout des doigts caressé son visage tuméfié, avec du gel Synthol, après qu'il se soit fait cogné par son père.

Cédric avait vu tous ces hématomes et ces bleus sur ses bras. Et il avait eu envie de lui enlever son t-shirt pour toucher sa peau, pour sentir son corps frissonner à son contact… pour lui faire du bien, aussi, pour lui donner plein de tendresse, plein de câlins, plein d'amour.

Respirer sa peau. Respirer son odeur. Sentir sa chaleur contre lui.

Maxime, il avait tellement envie de le protéger, de le prendre dans ses bras… de l'embrasser aussi.

Putain, quand il avait appris que Maxime avait déjà embrassé un garçon, il avait cru devenir fou. Il avait joué le désintérêt, il avait fait semblant de prendre l'information avec désinvolture, mais en réalité, ça l'avait ravagé.

Cédric s'était toujours un peu douté que son copain était attiré par les hommes. Ce sont des choses que l'on sent, ça. Il n'en était pas sûr, il s'inquiétait de l'amitié de Maxime pour la belle Marjorie, mais il se disant que peut-être Maxime faisait tout simplement semblant d'être comme tout le monde. Il était content d'avoir deviné juste sur ce point.

En revanche, il était consterné de ne pas avoir compris plus tôt que Maxime était un adolescent bien plus précoce que lui.

Franchement, il le pensait plus timide, moins dévergondé, et certainement pas capable, à treize ans tout juste, d'avoir déjà été intime avec un mec…

Cédric n'en revenait toujours pas. Comment le petit Maxime pouvait avoir déjà de l'expérience, alors que lui, il était 'puceau de partout' ? Il avait l'impression d'être une sorte d'attardé.

Il se sentait honteux, penaud, un peu ridicule du fait de son ignorance des choses de l'amour, et de son inexpérience.

Et surtout il se sentait aussi très jaloux.

Quand il imaginait ce baiser, avec ce Jordan dont il ignorait tout, ça le mettait dans tous ses états, et il ne se contrôlait plus. Cédric se sentait à la fois en colère, énervé, mais en même temps excité. Oui, excité à l'idée de Maxime s'abandonnant dans les bras d'un garçon, Maxime capable de faire des choses avec un garçon.

En lui avouant ses tendances homosexuelles, Maxime s'était comme mis à nu devant lui, le rendant maître de son terrible secret. Cédric aimait ce pouvoir-là, il était heureux de découvrir à quel point son copain lui faisait confiance.

Pourtant, cette confiance, avant, Maxime ne l'avait-il pas trahi ? Pourquoi avait-il embrassé ce connard de Jordan dont il ne savait rien ? Est-ce que Maxime était amoureux de lui ?

Cédric se mordilla les lèvres, agacé contre lui-même et sa totale ignorance de la situation. Pourquoi ne lui avait-il pas demandé tous les détails ? Ah ! Il savait pourquoi : par orgueil ! Son orgueil blessé l'avait empêché de se montrer curieux. Il n'avait pas voulu montrer à Maxime combien ça l'intéressait, et combien ce baiser avec un autre garçon le blessait aussi.

Putain d'orgueil.

Putain de jalousie aussi.

Est-ce que Maxime reverrait ce mec, un jour ? Quel âge avait-il ? A quoi ressemblait-il ? Comment est-ce qu'il embrassait ?

Et puis, est-ce qu'ils s'étaient seulement embrassés ? Est-ce qu'il ne s'étaient pas un peu caressé aussi ?

Moi, se dit Cédric, à la place de Jordan, je l'aurais fait… je l'aurais touché… touché sa peau, respiré son odeur, plongé mon nez dans son cou… sentir ses cheveux noirs effleurer mon visage, glisser ma main entre ses cuisses pour voir si… s'il ressentait la même chose…

Comment savoir ?

Et puis surtout, comment arriver à en parler ?

Pour Cédric, l'épreuve semblait impossible. Fuir Maxime, c'était se protéger.

Tout était encore si confus dans sa tête.

Il avait l'impression que s'il sautait le pas, tout son monde serait bouleversé, que tout changerait irréversiblement.

Il avait peur, tout simplement.

Oui, il était effrayé… Effrayé et excité en même temps.

Car il se rendait bien compte que de penser à Maxime lui faisait des choses… des choses bien plus agréables et plus fortes que les filles dans les films pornos.

Là, tout de suite, il sentait cette douce chaleur irradier dans son bas-ventre, entre ses cuisses.

Maxime…

Maxime et ses lèvres roses et charnues, qui avaient déjà connu la bouche d'un garçon…

Maxime et son corps maigre et fragile, ses mains blanches délicates, qui devaient savoir si bien donner du plaisir et de l'amour…

Maxime qui aimait les garçons… Maxime qui aimait faires des choses avec des garçons… Maxime qui l'aimait, lui…

Oh… Maxime…

Alors, Cédric ferma les yeux, glissa ses mains sous les draps, et s'abandonna à son plaisir, en pensant très fort à son ami.

Dans ses rêves, tout était si simple, si facile, tout était parfait. En fantasmes, Cédric pouvait être tout ce qu'il ne parvenait pas à être dans la réalité. Dans son lit, il oubliait ses peurs, sa gaucherie et sa timidité.

o o o

- Mercredi 3 mai –

Comme tous les mercredis, pour Cédric et Maxime, les cours s'arrêtaient à 12h30.

Lorsque les gamins quittèrent le collège, il ne pleuvait pas, mais le ciel menaçait et les sols étaient détrempés.

Un printemps vraiment pourri.

— Tu fais quoi, cet après-midi ? T'as prévu quelque chose ? » demanda Maxime, en suivant Cédric, qui passait la grille de l'enceinte du collège.

— Non… rien… » répondit l'adolescent blond, d'un air taciturne, en marchant les mains dans les poches et la tête enfoncée dans la nuque, courbé sous le poids de son sac à dos.

— Tu veux qu'on fasse un truc ensemble ? » suggéra Maxime, cherchant n'importe quel prétexte pour passer l'après-midi avec son ami.

— Un truc ? Quel genre de truc ? »

— J'sais pas… » fit Maxime, en haussant les épaules. Il jeta un coup d'œil à la dérobée à son ami, tâchant de décrypter son visage, et de deviner ses désirs. Il ne savait pas comment lui faire plaisir. « On pourrait aller sur le nouveau chantier qui vient de s'ouvrir au nord de la ville ? On pourrait piquer des trucs, qu'est-ce que t'en dis ? »

— On est mercredi, Maxime… » soupira Cédric, en accélérant le pas. « Y'aura tous les ouvriers. Dis pas n'importe quoi. Réfléchis un peu, merde… » Sa voix était neutre, presque froide, avec un soupçon d'agacement.

Maxime marqua le coup. Cédric ne faisait vraiment aucun effort. Il refusait tout, il ne proposait rien, et il marchait le long des trottoirs de plus en plus vite, comme s'il fuyait. Maxime avait l'impression de le perdre.

Comment le retenir ? Comment capter son attention ? Comment le faire revenir vers lui ?

Mais déjà, leur rue était là, juste en face, et déjà, on pouvait voir leurs maisons respectives, aux deux extrémités.

— Bon, ben… J'vais rentrer. Ma mère m'attend pour déjeuner. »

— Oh… ok… » soupira Maxime, en baissant les yeux. Il se mit à fouiller dans sa poche de pantalon, cherchant ses clés.

Cédric le regarda faire et fronça les sourcils :

— T'es tout seul ? Y'a personne chez toi ? »

Maxime haussa les épaules, totalement déprimé :

— Non, mes parents travaillent, David et Romain sont sortis : c'est journée foot aujourd'hui…

— Et Alex ?

— Il passe des examens… Tu sais, au mois de mai, à la fac, ils font que ça, passer des examens… Après, il s'occupe de ma mère. Elle a besoin de changer de lunettes.

— Tu vas manger tout seul ? » commença Cédric, un pincement au cœur. Il se sentait fondre et ne parvenait pas à retenir cette tendresse qui, par à-coups, le débordait.

— Mouais… » fit Maxime, en baissant les yeux, comme un enfant puni. « Y'a des restes, dans le frigo… »

Alors, Cédric ne put résister. La carapace craqua, et malgré les promesses qu'ils s'étaient faites, il céda à ses désirs :

— Bon, allez, viens… J'suis sûr qu'il y aura à manger pour trois. Ma mère te trouvera bien une bricole à grignoter… »

Lorsque Maxime releva ses grands yeux vers lui, Cédric put y lire comme à livre ouvert. Et ce qu'il y vit, c'était tout l'amour du monde. Face à la réaction de Maxime, il sentit son corps frissonner et son cœur battre un peu plus vite. Il avait beau essayer, il ne parvenait pas à contenir ses sentiments, ni à maîtriser ses émotions.

— Allez, viens… » murmura Cédric en passant instinctivement un bras protecteur autour des épaules de son ami. « Et dépêche, j'ai faim ! »

— Merci, Céd'… merci… » La voix de Maxime, toute douce et fragile, exhalait de bonheur. Ce geste, c'était tellement important pour lui, ça lui faisait tellement de bien.

En se dirigeant vers chez lui, Cédric, tout d'un coup, ne put retenir cette question qui le brûlait depuis plusieurs jours, depuis qu'il avait appris l'existence de Jordan. Le fait d'avoir serré son ami dans ses bras, à l'instant, avait joué comme un déclic, libérant enfin un peu son courage.

Il inspira un grand coup et demanda de but-en-blanc :

— Maxime ? »

— Oui ? » répondit innocemment le gamin, à mille lieux d'imaginer la question qui allait suivre.

— Ce… ce Jordan… le mec dont tu m'as parlé… »

Maxime aussitôt se raidit. Il sentit un nœud se former dans son estomac et sa gorge devint sèche.

— Oui… ? »

— Il est de Paris, c'est ça ? » Cédric s'était arrêté devant le portail du jardin.

— Oui…

— Il est comment ? A quoi il ressemble ? »

Maxime avala difficilement sa salive. A présent, il avait des difficultés à respirer : « Il est brun… enfin, il a les cheveux châtains… et il a les yeux bleus… » Maxime hésita un instant avant d'ajouter, le souffle court : « …comme toi… » Il battit ses longs cils noirs très vite, aussi vite que battait son cœur.

Cédric ne sembla pas réagir à cette comparaison, qui se voulait flatteuse, et qui débordait d'amour. « Et il est en quelle classe ? Il a quel âge ? » demanda-t-il, la main sur la poignée du portail en bois déglinguée.

La question était un peu délicate, Maxime le savait. Il baissa les yeux et murmura : « Il termine sa troisième. Il vient d'avoir quinze ans… »

« Quinze ans ? » répéta Cédric, comme écrasé par le poids de la comparaison. Il avait l'impression d'être sur un ring de boxe, mis K.O. par l'adversaire : Jordan avait quinze ans… C'était un homme ! Il allait entrer au lycée en septembre prochain. Alors que lui, il n'était encore qu'un petit collégien sans intérêt.

Jordan-le-parisien semblait avoir tant à offrir, et Cédric se sentait de plus en plus minable à côté.

— Tu comptes le revoir ? » demanda-t-il, en mordillant nerveusement sa lèvre inférieure. Ses mains étaient devenues moites.

Maxime, les joues roses, hésita un instant avant d'avouer la vérité :

— Il voudrait, oui… Ses grands-parents habitent ici…

— Il va venir ? » s'alarma Cédric, en jetant à son ami un regard plein d'angoisse mal dissimulée.

Maxime baissa la tête :

— Pour le week-end de l'ascension… »

— L'ascension ? Mais… mais… c'est dans… dans quoi… quinze jours à peine ! » fit le jeune garçon, littéralement assommé. Il avait l'impression que son univers s'écroulait.

Ne rien montrer. Non, ne pas montrer ses faiblesses, ne pas montrer sa défaite. Garder le front fier et droit, jouer les durs pour se protéger.

Tout cacher.

Tout garder pour soi.

— Cédric, je…

— Bon, ben, on va manger ? » coupa l'adolescent, tentant de se recomposer un visage neutre. « Je crève de faim, moi ! » Et il se précipita vers la porte d'entrée de sa maison, cachant à son copain la jalousie qui le dévorait.

o o o

Du vélo.

Ils avaient l'idée idiote d'aller faire du vélo ! Avec ce temps pourri ! Evidemment, ils s'étaient pris une saucée terrible, en moins d'une heure.

Cécile les avait prévenus des risques de pluie, annoncés par la météo, et pouvant être anticipés par le simple bon sens.

Mais ils n'avaient rien écoutés.

Leurs jeunes corps, aux hormones bouillonnantes d'énergie, avaient eu besoin de se dépenser. Le vélo leur avait paru une super idée.

A présent, ils étaient trempés comme des soupes.

— Laisse ton vélo là ! » cria Maxime, en jetant sa bicyclette près de la porte d'entrée de sa maison.

Le gamin aux cheveux blonds posa son vélo près de celui de son ami, contre le mur de la maison, juste en façade.

— Putain, nom de Dieu, quelle flotte ! » s'écria Cédric en suivant Maxime qui montait les trois marches du perron. « Allez, dépêche, ouvre ! »

— Attends, c'est fermé ! »

— C'est fermé ? Y'a pas ta mère ? Tes frères ? Ils sont pas revenus ? »

— Non, y'a personne, j'tai dit ! » répondit Maxime en farfouillant dans ses poches. « Ma mère, cet aprèms, elle est chez l'ophtalmo avec Alex et après, ils vont chez l'opticien, au centre commercial, pour lui changer ses lunettes. Mes frères sont au stade, pour le match de foot, et mon père au travail. On sera tranquille. Personne ne sera là avant six heures du soir ! »

— Et on fait quoi, jusqu'à ce soir ? On reste planté sur le palier ? T'as paumé tes clefs ou quoi ? » s'inquiéta Cédric, qui dégoulinait d'eau. L'averse orageuse était tellement violente que la pluie tombait presque à l'horizontale.

— Attends… voilà… » fit Maxime en sortant enfin un trousseau de sa poche désormais bien humide. Il glissa la clé dans la serrure de chez lui. « Là… ça y est ! »

Le 'clic' de l'ouverture fût ressenti par les deux gamins comme une délivrance.

— Putain, entre ! Vite ! » s'écria Cédric en poussant son copain dans le dos.

— Merde ! On est en train de tout saloper ! » s'exclama Maxime, en voyant leurs chaussures boueuses faire des traces noires dans le couloir. « Céd' ! Déchausses-toi ! Sinon, si mon père voit ça, il va me filer une de ces roustes ! Et enlève ton blouson, tu mets de l'eau partout ! » ordonna le gamin, en enlevant lui-même sa veste.

— La vache ! » bougonna Cédric. « T'as vu mon jean ? On dirait qu'il sort de la machine à laver, mais sans être passé par la fonction essorage… »

— En plus, elle est glacée, cette saloperie de pluie ! »

— Ouais, tu parles d'un mois de mai ! Il parait qu'il y a même eu de la neige, la semaine dernière, dans le Massif central. Printemps pourri, oui ! » ronchonna Cédric en suivant Maxime qui se dirigeait vers le salon.

— Viens par ici : on va mettre nos fringues à sécher contre les radiateurs… là… » fit Maxime en montrant un convecteur près du mur. « Et puis sur l'autre, là-bas… » ajouta-t-il, en désignant un second radiateur d'un geste.

Maxime ôta son pull et son pantalon et les disposa près d'un des deux radiateurs. Cédric, lui, se contenta de retirer son sweat, gardant sur lui son pantalon trempé. Il était pudique, il était gêné. Se déshabiller, comme ça, devant un copain, il n'avait pas vraiment l'habitude.

— Ton paternel ne dira rien, si on les rallume, les radiateurs électriques ? »

— Bah ! Faut bien qu'on sèche ! On les éteindra tout à l'heure, quand nos fringues seront sèches… » rétorqua Maxime en enlevant ses chaussettes.

— T'as raison… », fit Cédric, en regardant son copain. « Je vais mettre les miennes à sécher aussi… » et il retira ses chaussettes. Une fois en T-shirt, en jean, et pieds nus, il se dirigea vers le canapé et s'installa, repliant ses jambes sous lui. « Putain, on gèle ! »

— Installe-toi, je reviens…

— Tu vas où ?

— Me chercher un fut' sec ! Je vais pas rester en caleçon ! Et je te ramène un pull, si tu veux… Pas un des miens, ils seraient trop petits. Ceux de mon frère Alex seront à ta taille ! »

— Ok… »

Avant de monter à l'étage, Maxime, par habitude, ne put s'empêcher de mettre la télé. Sans le ronronnement usuel de la télévision, l'adolescent avait l'impression d'un vide. Il la détestait, cette télé, et en même temps, sans elle, parfois, il se sentait seul. La télé, ça comblait les trous. Ça mettait à l'aise aussi. Ça évitait les lourds silences, ça comblait le néant de certaines conversations.

Une fois la télé allumée sur un vague programme sans intérêt, il grimpa quatre à quatre l'escalier jusqu'à sa chambre et y chercher deux pull-overs, l'un pour lui, l'autre pour Cédric, piqué dans le placard d'Alex.

Maxime ne mit pas deux minutes avant de redescendre.

— Ta-daaa ! Et voilà ! » fit-il, triomphal, un gros pull bleu marine de son frère à la main : « Tiens, mets ça en attendant que le tien sèche… »

Et Maxime s'assit près de son ami, sur le canapé. Il se mit à se frotter les pieds vigoureusement entre ses mains, tentant de se réchauffer en stimulant sa circulation sanguine.

— T'as pas froid, avec ce jean trempe ? » demanda Maxime en regardant son copain enfiler le pull.

— Non, ça va… »

Et même, au contraire, Cédric commençait à avoir un peu chaud. C'était drôle d'avoir vu Maxime, comme ça, en T-shirt et caleçon. Et maintenant, c'était tout aussi drôle de le sentir assis tout contre lui, cuisse contre cuisse, avec ses joues rosies d'avoir couru sous la pluie, et ses cheveux encore tout mouillés de pluie.

C'était drôle, oui… Ça lui faisait même tout bizarre.

Maxime… Maxime qui serait, dans quelques jours, dans les bras de Jordan. C'était une idée qui lui était tout à fait insupportable.

— Maxime ? »

— Oui ? » fit le gamin en relevant la tête. Il terminait de renfiler une chaussette toute propre.

— Tu vas vraiment le voir, Jordan, pour l'ascension ? » L'ascension, c'était si près, dans à peine quinze jours !

Maxime avala sa salive nerveusement et articula péniblement :

— Ppp-pourquoi ? »

— Parce que… » Cédric chercha ses mots pendant un instant, puis fixa son copain droit dans les yeux : « Et si je veux pas ? »

— Si tu veux pas ? » répéta bêtement Maxime.

— Oui, si moi je veux pas ? Si j'ai pas envie que tu le vois ? »

— Mais pourquoi ? Jordan et moi, c'est pas pareil que toi et moi… C'est pas la même chose » commença Maxime en bafouillant. C'était si compliqué. « Céd', tu es mon meilleur ami, tandis que Jordan, c'est… différent… »

— Et si ça aussi, je voulais pas ? »

Alors, le cœur de Maxime se mit à battre comme un fou.

— Que… quoi ? »

A présent, Cédric ne le regardait plus. Il fixait un point invisible sur le tapis. Ses joues étaient rouges et ses lèvres étaient pincées. Il tortillait nerveusement le bas du pull d'Alex avec des mains tremblantes.

— Je… je crois que je suis un peu jaloux… » confessa Cédric d'une voix faible. « Un peu jaloux de Jordan… Depuis que… que je sais… pour toi et lui… Et bien, j'arrête pas d'y penser… Tout le temps… Et ça me… comment dire… ça me fait des choses… Je pense à ce qu'il va te faire… Et je veux pas… » Cédric tourna enfin la tête vers son ami et le regarda à nouveau droit dans les yeux : « Je veux pas que ce soit lui. Je veux que ce soit moi… »

Maxime se sentit comme soudainement enveloppé dans du coton, emporté par une grosse bouffée de chaleur. Il se sentait hors du temps, dans une bulle suspendue loin de tout. Ces paroles-là, jamais il n'avait osé les espérer, jamais il n'aurait cru un jour les entendre.

Il resta un moment figé, les joues en feu, le cœur au bord de l'explosion et le corps tremblant.

Cédric, lui, ne bougeait pas. A présent que son aveu était fait, il avait baissé encore une fois le regard vers le sol et s'absorbait dans la contemplation de la moquette.

— Putain, merde, j'ai trop chaud, à présent… » murmura-t-il, en enlevant le gros pull d'Alex que Maxime lui avait prêté. Ne restait plus sur lui que son t-shirt sans manches, et son jean. « Ça doit être ton putain de chauffage électrique… je crève, là… » confessa-t-il avec nervosité.

Ou bien était-ce autre chose qui le faisait bouillir intérieurement…

Et puis, tout d'un coup, il sentit une petite main tiède se poser sur son bras nu. Maxime s'était rapproché tout près de lui et il pouvait sentir sur son épaule son souffle tout chaud.

Il tourna lentement la tête vers son ami et il vit deux grands yeux noirs immenses qui le regardaient amoureusement.

Et ces lèvres roses, humides, et entrouvertes qui étaient si proches… si proches…

Alors, lentement, avec timidité et prudence, il approcha sa bouche sur la sienne. Il avait peur d'être repoussé, peur d'avoir mal compris, peur que tout cela ne soit qu'une illusion.

Mais Maxime ne se recula pas, il ne le repoussa pas. Il battit ses longs cils noirs très vite, et puis, au contact de ses lèvres, il ferma les yeux.

En embrassant son ami, en découvrant cette précieuse intimité, Cédric ressentit des effets proches de ceux de l'ivresse.

Oh ! Seigneur, comme c'était bon, comme c'était doux, agréable, excitant aussi. Ce baiser, ce premier baiser lui donnait des décharges électriques dans tout le corps et il avait l'impression que chaque pore de sa peau réagissait. C'était extraordinaire, incroyable, au-delà de toute ce qu'il avait jamais pu imaginer. Ça n'avait rien à voir avec les films, avec les fantasmes, avec les rêves.

Là, c'était vrai.

Là, c'était lui. Sa bouche. Sa langue. Son corps.

Cédric avait l'impression que sa tête allait éclater, et que tout son être prenait littéralement feu.

Il poussa doucement Maxime en arrière, qui se laissa allonger sur le canapé, docilement, passivement, ce qui électrisa encore davantage le désir de Cédric. Il l'avait si longtemps réprimé, si longtemps rêvé de ce moment.

Il s'allongea entre les cuisses ouvertes de Maxime, sentant la chaleur de son corps sous lui. Il sentait bon l'odeur de propre, d'adoucissant, une odeur mêlée à celle de la laine encore humide de pluie.

Il voulait le recouvrir, l'envelopper, le retenir tout contre lui. Un sentiment enivrant de fusion et d'appartenance le bouleversait.

Maxime l'aimait, Maxime l'avait choisi, Maxime était à lui.

Cédric embrassa sa bouche, ses joues, son cou… Il voulait tant couvrir le visage de son ami de sa tendresse, marquer sa peau de toute la douceur du monde, pour lui faire oublier les coups, les hématomes, la violence de son père.

Maxime, la tête renversée en arrière, laissa échapper de petits gémissements. Ses bras maigres serraient son copain tout contre lui, comme s'il absorbait toute sa chaleur, toute sa tendresse.

En entendant les soupirs de plaisir de Maxime, Cédric se sentit pris de vertiges. Il avait l'impression d'être au bord de l'abîme. Il rompit le baiser, haletant, fixant un instant Maxime droit dans les yeux, puis il posa sa tête contre le torse de son copain sans rien dire.

Ce qu'il ressentait, c'était au-delà des mots.

Cédric tentait de contrôler sa respiration et de contenir les désirs qui l'assaillaient. Maxime était tellement précieux, l'instant tellement magique, il ne voulait rien bousculer. Il voulait juste rester là, contre lui, à se blottir contre lui et à le câliner.

Cédric essayait d'apprivoiser ses sentiments et toutes ces nouvelles sensations inconnues. Sous ses airs bourrus de petite brute, l'adolescent se révélait un vrai romantique, profondément timide et sublimant chaque instant.

Les yeux fermés, le souffle court, il sentait contre sa poitrine le cœur de Maxime battre très vite. Cette musique-là était sans prix. Et Maxime aussi pouvait sentir leurs deux cœurs frapper comme des fous, sourdement, dans leurs cages thoraciques.

Ce moment d'intimité, c'était tellement bouleversant, émouvant, surtout pour Cédric qui n'avait jamais connu quelque chose de pareil. Ce contact physique, cette proximité sentimentale et psychique, c'était tellement inespéré !

Cédric, le nez dans le cou de Maxime, aimait sentir l'odeur de son ami. Il ne s'en lassait pas ; il s'en serait saoulé. Il releva un peu la tête et enfouit à nouveau son nez dans le cou de son ami, respirant ses cheveux noirs jais qu'il adorait.

Il aurait voulu lui dire, mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Il était incapable de parler, craignant que par ses mots gauches et maladroits, il rompe la magie de l'instant.

L'embrasser, l'embrasser à nouveau…

Il plaça à nouveau de petits baisers dans son cou, se délectant des gémissements mal étouffés qu'il provoquait.

Puis, d'une main un peu hésitante, Cédric tira sur le col du pull-over de son copain, tentant de dégager un bout d'épaule… accéder à sa peau douce… l'embrasser encore… l'embrasser partout…

Il releva ses yeux bleus, plongeant son regard dans celui de son ami, avant de l'embrasser à nouveau, cherchant encore sa langue.

Maxime s'abandonnait complètement, serrant Cédric contre lui, de peur qu'il ne s'échapper, laissant ses mains courir le long de ses flancs, relevant lentement le tissu de son t-shirt, découvrant sous ses doigts la musculature de son ami, la moiteur de sa peau, et les frissons qui le parcouraient.

En sentant les mains de Maxime s'infiltrer sous son t-shirt, Cédric eut la sensation qu'il risquait de perdre complètement la tête, ravagé par le plaisir qu'il était en train de découvrir.

Maxime, instinctivement, sans même s'en rendre compte, creusa ses reins, envoyant une bouffée de désir fou dans le corps de Cédric.

Le baiser se fit plus profond, plus essoufflé, plus passionné aussi.

Tout disparaissait autour d'eux. Le bruit de la télé, ils ne l'entendaient même plus. Les yeux fermés, leurs corps enlacés, leurs bouches l'une contre l'autre, leurs langues se mélangeant avec délice, ils se perdaient dans leurs émotions et leurs sensations physiques.

Ce baiser était en train de révolutionner leurs corps, de les faire grandir d'un coup, de les amener au seuil du passage à l'âge adulte. Il suffisait d'un rien, d'un geste… S'ils commençaient à se déshabiller, ils savaient qu'ils ne pourraient s'arrêter.

Non, il ne fallait pas. Pas maintenant, pas encore, pas aujourd'hui. Ne pas gâcher la pureté de cette première fois.

Et puis, tout d'un coup, une grosse voix résonna dans la torpeur douce de la pièce.

— Putain ! J'le crois pas ! »

Les deux gamins sursautèrent et levèrent des yeux paniqués au-dessus d'eux.

Romain.

Romain était là, planté près du canapé, les yeux noyés d'alcool, une bouteille de bière encore à la main.

Ils ne l'avaient pas entendu arriver.

— Bordel d'enfoirés de mes deux ! » se mit-il à gueuler. La bouteille lui échappa des mains et tomba par terre ; amortie par la moquette, elle ne se brisa pas, mais le reste de liquide ambré se répandit sur le sol, vite absorbé par le tapisson d'acrylique. « Hey ! Les mecs ! Venez voir ce que je viens de trouver ! » hurla-t-il. « Y'a deux sales pédés dans le salon ! »

A sa voix, son frère David, suivi d'un de leur copain de foot, demeurés sur le seuil extérieur de la porte d'entrée, accoururent. Jusqu'à présent, ils étaient restés fumer sur le palier, attendant Romain venu chercher du fric dans le tiroir du buffet du salon, pour aller se payer des bières en ville.

A présent, ils étaient là, tous les trois, entourant les deux gosses, un air de dégoût mêlé de haine sur leur visage.

Les deux adolescents, terrorisés, se serraient l'un contre l'autre en tremblant.

— Bordel ! C'est quoi, cette merde, Maxime ? »

— FIN…? —

(la suite se trouve dans « Sans contrefaçon », qui se déroule environ six ans plus tard… Peut-être qu'un jour j'écrirais l'histoire entre les deux, directement la suite de ce baiser, et jusqu'à la jonction de « Sans contrefaçon ».)