Résumé:Aliocha Stanislav est orphelin, depuis qu'il a vu ses parents se faire descendre devant ses yeux. Il vogue de foyer en foyer, de connerie en connerie, n'aimant rien, détestant tout. Il dessine ses pensées obscures, étranges, sur les murs d'une ville qui lui a tout prit.

Damien Ashford, est un fils de bonne famille. cCest un élève brillant, un garçon bien avec un look de rockeur. Un rockeur au grand cœur.

Une nuit Aliocha tague le mur d'enceinte d'un centre pour autiste. Une nuit Damien voit un oiseau s'envoler sur le mur d'enceinte de l'institution que gère son père. Une nuit, tout ce qui les oppose va les réunir sur un chemin qui ne sera pas facile d'emprunter.

Mon plus beau rêve
Prologue

Il faut que je me tire d'ici.

Je me fis cette remarque avant même de passer la porte de la maison de ma nouvelle famille d'accueil. Le sourire que le couple m'adressa était engageant. Celui de la femme était doux, celui de l'homme direct. Mais aussi francs paraissaient ils tous les deux, je ne comptais pas m'attarder. Ce n'était pas la première famille qui m'ouvrait sa porte. Et si j'avais retenu quelque chose de ces séjours, plus ou moins long, c'était que je devais me barrer au plus vite. Je préférais les foyers, avec sa horde d'éducateurs rigides, ses couvres feux et ses pensionnaires au visage vieillis avant l'âge. Que dissimulait une maison trop propre et ordonnée à l'odeur de citron et de cannelle ? Que se cachait derrière un regard compatissant et des mots de douces bienvenues ? Le diable nous guettait partout quand on naissait dans la fange, comme moi. Il ne risquait pas de vous laisser en paix. Pourquoi renoncerait-il à ses ouailles ? Au moins dans ces centres où se côtoyaient les paumés dans mon genre, autres orphelins et petits délinquants, j'avais mon ticket d'entrée. J'étais à ma place dans ces bouges. C'était chez moi. Bien que je ne me faisais aucunes illusions. Quand je serais majeur on me foutrait dehors avec un coup de pied dans le cul. J'attendais ce jour avec impatience. Le jour où je pourrais me laisser engloutir par la rue. Par la drogue, les putes, les mafieux. Je pourrais tout laisser tomber, arrêter de devoir me conformer à leur foutus codes, leurs foutues règles. Je me vendrais au plus offrant jusqu'à en crever. Je mourrais comme mes parents avant moi. D'une balle dans la tête après une transaction qui avait mal tournée. Sauf que je ne laisserais personne derrière moi. Il n'y aurait pas de gamins de quatre ans sur le siège arrière de ma voiture pour voir ma cervelle explosée sur les vitres teintées. Je me souvenais encore de l'odeur du sang et de l'urine qui trempée mes vêtements. Je sentais encore les lambeaux de chair venir parsemés mon visage. Et j'entendais encore mon hurlement. Le terrible hurlement du petit garçon que j'étais alors. Ce gamin, il est encore là dans ma tête. Il s'est recroquevillé dans un coin de mon âme, en pleurs et terrifié. Il criait encore. Tous les jours. Tout le temps.

- Je vais te montrer ta chambre, Aliocha, me dit la femme
- Ali, la repris-je brutalement
- Ali, répéta elle sans se formaliser.

Aliocha, c'était mon prénom de naissance. Aliocha comme la version russe d'Alexandre. Bien que les russes eux-mêmes préfèrent le diminutif de ce prénom. Sacha. Oui, Sacha c'était ainsi que m'appelait ma mère le soir quand elle venait me lire une histoire. A peine le livre refermé, elle se plantait une seringue dans le bras et planait pendant des heures. La nuit, si un cauchemar me réveillait, personne n'était là pour me consoler. J'avais appris à juguler mes terreurs nocturnes. Je les avais planquées bien profondément, au même endroit que le môme en état de choc dans ses fringues pleines de pisse.
Sacha était mort. Aujourd'hui j'étais Ali. Ali Stanislav.

- Suis-moi Ali. Tu verras, la chambre est très simple. Tu pourras la personnaliser plus tard si tu veux. Mais en attendant elle est confortable et tu as ta propre salle de bain…

Elle me jeta un regard enthousiaste. Elle était la seule à le ressentir. Je la suivis à l'étage, en ne pensant qu'à m'enfuir. Les yeux de l'homme étaient posés sur ma nuque, attendant que je déconne. Il restait sur ses gardes. Je restais sur les miennes. Au moins nous nous comprenions. La petite femme, elle, était trop joyeuse, trop heureuse d'accueillir un orphelin de quinze ans, avec un dossier plus gros que l'encyclopédie Universalis. Elle me précéda dans une pièce sobre, au ton crème, avec un grand lit, un bureau, des étagères vides. L'homme resta sur le seuil bloquant la sortie, et un instant je scrutai les alentours cherchant une échappatoire. La fenêtre, la salle de bain. Je serrais les lanières de mon sac, sur mes épaules et fermai brièvement les yeux. Je comptai jusqu'à dix et les rouvris. Le couple se tenait face à moi. Ils me parlaient. Je n'écoutais pas. Ce soir, je serais parti. A quoi bon entendre toutes leurs belles paroles si c'était pour foutre le camp à la première occasion.
Ils avaient l'air gentil pourtant, ces gens . Ils avaient un côté rassurant. L'autre aussi avait l'air gentil et rassurant. Sa femme aussi était jolie et joyeuse. Ça ne l'avait pas empêché de se glisser dans ma chambre en pleine nuit, de me plaquer contre le matelas de tout son poids, d'étouffer mes plaintes dans l'oreiller où j'étouffais pour m'enculer si brutalement que j'avais récolté plusieurs points pour saturer la déchirure.

- On va te laisser t'installer Ali, me dit l'homme. Tu as le temps de te reposer si tu veux. On mange à dix-neuf heures trente.
- Entendu.

La femme me sourit de nouveau en serrant légèrement mon bras. Elle aurait voulu me mettre en confiance. Seulement, je ne croyais plus en personne. Je n'avais jamais cru en personne. D'où je venais, la confiance était une chimère, un compte pour les enfants, une jolie histoire.
Dès que le couple referma la porte derrière eux, je regardai l'heure. Seize heures. J'avais largement le temps. J'ôtai ma basket, et tâtai dans ma chaussette pour sortir la liasse de billet qui s'y trouvait. Je recomptai mon butin vite fait avant de le remettre en place. J'ouvris la fenêtre et étudiai mes options. Je pouvais descendre par là sans risquer de me briser le cou. En même temps, je me moquai un peu de mourir d'une mauvaise chute maintenant où de n'importe quoi d'autre plus tard. Ma vie ne m'importait que peu. Je n'avais rien à quoi me raccrocher, aucunes ambitions pour l'avenir. Aucuns rêves.
Quand je rejoignis la rue résidentielle je me tournais vers la maison. Dans une autre vie, ça aurait pu être chez moi. Dans un autre monde, dans un autre temps. Seulement je n'avais que mon existence et ceci, cette baraque blanche avec son perron, son jardin fleurie, ses barrières en bois vernis, sa balancelle, n'était pas pour moi. Je ne pouvais même pas m'imaginer y passer plus d'une journée. C'était comme mettre un loup dans une bergerie. C'était comme me mettre moi dans ce décor de magasine, avec mes tatouages, mes jeans troués, mon blouson en cuir.

Je baissai la tête et me mis en route. J'avais crevé les pneus de leur voiture, débrancher leur téléphone. De toute façon, quand ils se rendraient compte de mon absence, je serais déjà loin. Il faisait froid, et mes mains tremblaient dans les poches de ma veste. Mais le froid que je ressentais il venait de l'intérieur. En moi, c'était toujours l'hiver. Toujours la neige et la tempête. Le blizzard et les avalanches. Ma météo interne n'avait jamais été clémente. J'étais frigorifié, mon cœur congelé en hibernation depuis plus de dix ans. Mes larmes s'étaient figées derrières mes paupières, petites stalactites qui ne glisseraient jamais plus sur mes joues. Quand je mourrais, mes lèvres bleuies n'auront jamais appris à sourire. Parce que sourire c'était être heureux au moins un bref instant. Et que je ne l'avais jamais été. Que je n'avais jamais fait l'expérience, aussi éphémère fut-elle, du bonheur.