MATHIAS ET EDEN
AvecTOI
PROLOGUE
Le soleil se leva sur le dix Juillet.
- Tu as tout ce qu'il te faut ?
- Oui, maman.
- Appelle moi…
- … dés que je suis arrivé. Oui promis.
- Je suis fier de toi Eden. Allez, file où je vais me mettre à pleurer comme toutes les mères du monde quand leur fils quitte la maison.
Eden serra Maria dans ses bras, posa un baiser sur ses joues et souleva Tiphaine du sol. Je le regardai faire ses adieux à distances. Ceux d'hier avaient déjà été difficiles. Entre Emilie, inconsolable, mes parents qui masquaient mal leurs sentiments, et tout les autres qui n'en revenaient pas qu'il parte déjà, j'avais eu dû mal à garder une figure neutre. Heureusement il faisait beau, je pouvais mettre mes lunettes de soleil et cacher mes yeux rouges et cernés. Je n'avais pas pleuré, mais de retenir mes vrais émotions, le vide dans mon corps, l'incapacité de réfléchir correctement, et la vision de Tiphaine en larmes qui s'accrochait au cou de son frère, suffisait à me coller une mine de souffrant.
- Tu vas me manquer, petite fée.
- Tu vas revenir, Eden ?
- Pas tout de suite. Je te l'ai déjà expliqué. Je vais rester un moment au Canada, mais je reviendrais.
- Promis ?
- Promis.
En trois ans, les promesses avaient le temps de s'effacer. Tiphaine remit le pied à terre pour courir vers moi.
- Mathias, tu viendras me voir quand même ?
- Bien sûr, idiote. Qu'est ce que je t'ai dit ?
- En l'absence d'Eden, c'est toi le chef.
- Et bien, voilà.
- Tu viendras à mes cours de danse ? A mes kermesses ? A ma rentrée ?
- Ok pour les kermesses et les rentrées. Les cours de danse, on verra.
Tiphaine rejoignit les bras de Maria, soulagée mais toujours morose. Elle agita la main un long moment alors qu'elle n'était plus qu'un petit point dans le rétroviseur de ma voiture. Je branchai la radio, et posai mon coude sur la fenêtre ouverte sur l'air estival, aussi chaud que le souffle de mon radiateur. J'étais en t-shirt. Mon jean était troué aux genoux et mes claquettes trop usées. Je les enlevai pour conduire et chantai un morceau de U2. Tout allait bien. C'était une journée comme les autres. Eden partait et moi j'irai courir en rentrant. J'appellerai Emilie, qui stressait pour son premier concert seule. Je l'aiderai à composer quelques chansons. Ou tout simplement, je dormirais pour oublier. Et à mon réveil, tout serait effacé.
Je pris la voie du parking souterrain de la gare Saint Jean. La grosse horloge indiquait sept heures trente. Nous avions une demie heure à tuer. Encore une demi heure. Nous sortîmes de voiture avec ses deux grosses valises, sa guitare et son sac à dos, commandions deux cafés et deux croissants dans le restaurant de la gare. Eden avait trois heures de train jusqu'à Paris. Arrivé la bas, il devrait rejoindre l'aéroport de Roissy où il s'envolerait à seize heure. Il aurait pu partir plus tard mais il devait enregistrer ses bagages deux heures à l'avance. Il préférait attendre, que de risquer être en retard et courir partout. Je le comprenais, j'aurais agi de la même façon.
Plus qu'un quart d'heure. Nous rejoignîmes le quai numéro trois. Heureusement qu'il était baraqué. Je n'imaginais pas une Emilie ou une Amandine avec tout ce fatras dans le métro parisien.
Le TGV arriva en gare à huit heures moins dix. Nous consultâmes les billets d'Eden et montâmes dans le train ranger ses valises dans les compartiments destinés à cet effet. Puis nous redescendîmes et nous nous fixâmes, les mains dans les poches.
- Et bien voilà, dit il
- Voilà, oui. Bon voyage. Profite bien.
Il fronça les sourcils. Je ne savais pas quoi dire. Je posai mes yeux sur un couple qui montait dans le train. Bientôt, il n'eut plus que nous sur le quai et Eden se résigna à monter lui aussi. Je m'avançai et le regardai de la où j'étais. Sur la rive d'une rivière qui allait bientôt l'emporter. Il était huit heures moins cinq. Je n'avais plus le temps. Ma tête tournait et Eden me regardait toujours. Ses yeux brillèrent. Il les détourna.
- Je… t'aime Mathias, me dit il doucement.
Je n'en revenais pas qu'il me le dise maintenant. Une flèche dans ma poitrine. Encore une.
- Pourquoi ? dis je avec rancune
- Pourquoi je t'aime ?
- Pourquoi tu le dis alors que tu es dans ce putain de train ? Pourquoi pas avant ?
- Je croyais que c'était évident.
Je rigolai. Pas de joie. Mais de regrets. Je cherchai le mensonge dans ses paroles, une façon de me consoler de sa future absence. Mais il était trop bouleversé pour que ce soit le cas.
Huit heures moins deux.
- Ce qui est évident pour toi ne l'est pas pour moi. Et vice versa. Sinon tu aurais su, Eden.
- Su quoi ?
- Que je ne t'aurai jamais quitté, Eden, pauvre con.
Je le vis descendre du train. Mais je l'en empêchai en montant sur la petite marche et en m'agrippant au bar de métal de chaque côté de la porte encore ouverte.
- Reste dans ce train, lui ordonnai je. C'est trop tard maintenant.
- Mathias, bordel. Ne me fais pas ça.
- Mais qu'est ce que tu croyais ? Que je mentais en disant que je t'aimais ? On ne quitte pas la personne dont on est amoureux, Eden.
- Amoureux ? murmura t'il
- Oui. Amoureux, imbécile.
Je l'embrassai pour le lui faire comprendre. Il me prit dans ses bras. Je sortis de ma poche la clef pendue à son cordon et la serra de toutes mes forces entre nos deux mains jointes. Je posai mon front sur le sien et fermai les yeux pour me donner de la force. Encore un peu de force. Juste encore un peu. Ce serait bientôt fini. Encore une minute. Non, cinquante seconde.
- Ne fais pas demi tour. File aussi loin de moi que tu peux, lui dis je
- Pourquoi ?
- Parce que je t 'aime comme un dingue et que de nous deux, c'est toi qui me quitte, c'est toi qui m'a trompé et c'est moi qui suis comme un con dans cette gare, Eden.
- Je ne t'aurai jamais…
- Alors reviens dans trois ans, le coupai je. Et on verra à ce moment là.
- Je reviendrais, Matt.
- Nous verrons.
- Je t'aime, dit il en relevant mon visage vers le sien.
Il posa ses doigts à la base de mon cou après m'avoir ôté mes lunettes.
- Je t'aime, Matt.
Je hochai la tête et descendis.
- Moi aussi je t'aime. Et tu le sais, Eden. Puisque je n'ai pas cessé de te le dire.
Quelqu'un me bouscula en m'insultant. Je ne bougeai pas. Eden non plus. Nous étions au dessus de cela à présent. J'étais, moi, au dessus de ça. Il avait fallu qu'il s'en aille pour que je le comprenne réellement.
- Je reviendrais Matt.
Le chef de gare siffla et la porte se referma. Eden à l'intérieur, et moi de l'autre côté. Je passai mes mains dans mes cheveux et il me sourit. Ce sourire, encore dans ma mémoire, est la chose la plus triste que je n'ai jamais vu. Un sourire d'adieu. Un sourire qui s'en va. Il posa une main sur la fenêtre et murmura un autre Je t'aime. Le train s'ébranla et Eden s'enfuit, avec dans sa main ma clef de chambre et mon cœur en lambeaux. Il ne fit évidemment pas demi tour. Il s'envola pour Québec à seize heures.
J'étais seul.
A minuit, j'étais toujours sur ce banc, gare Saint Jean. Un bracelet autour d'un poignet, des larmes sur les joues et une vielle femme qui me harcelait pour avoir quelques euros. Je crois que j'ai dormi aussi. Je n'ai pu reprendre ma voiture qu'à deux heures du matin. Et la route fut trop longue. Mon téléphone était saturé de message. Dont deux d'Eden. Un pour me dire qu'il était arrivé à Paris. Le second pour m'avertir qu'il était à Roissy et qu'il s'envolait dans quarante minutes. J'en recevrais surement un autre quand il atterrirait, mais comme pour les précédents, je ne répondrais pas. Je ne répondrais plus. Je ne pouvais être avec lui à tant de kilomètres de distance. Ma vie commençait. Plus d'Eden, plus de lycée.
J'étais vraiment seul.
Acte II Scène II.
Les vacances, l'Université. Je ne voulais pas me laisser abattre. Eden ne le ferait pas. Mais Eden était plus fort que moi. Il avait réussi à monter dans ce train. Et surtout, à y rester.
Je me garai devant la maison et sortis à pas lourd. Mes parents m'attendaient dans le salon. Comme un petit garçon je me blottis entre eux et je me remis à pleurer. Longtemps. Douloureusement. Je n'avais jamais autant senti de larmes sur mes joues. Et pour qui le faisais-je ? Pour lui. Pour Eden. Ma mère me serra contre elle, mon père me tapa sur l'épaule. Cela ne me procura aucuns réconforts. Et mes parents le savaient.
Le lendemain je n'avais plus une goute salée dans mes conduits lacrymaux. Et je n'en versai plus une seule. Plus une ne tomba de mes paupières. Mais mon ventre lui, saignait toujours du manque. Il saignait de ne plus avoir personne pour le soulager. Je saignais de l'intérieur, je souffrais de l'intérieur. Mais je gardai la tête haute pour que personne ne voit l'obscurité qui m'habitait.
L'absence est parfois le pire des maux.