Chapitre 26

Une nouvelle réalité qui commence.

Les jours qui suivirent, je restai pour la plupart du temps allongé sur mon lit, les yeux rivés sur le plafond. Je me sentais vide. Comme si je n'avais plus rien. Bientôt, ce serait pourtant vraiment le cas. Il ne restait plus que quelques jours.

J'avais eu beau dire à Kouji-san de partir, je le regrettais. Forcément, je le regrettais de tout mon cœur. Plus j'y pensais et plus j'étais persuadé que j'aurais dû le retenir, quoi qu'il pusse arriver. Même si ce n'était pas la bonne chose à faire. Néanmoins... si je retournais dans le temps, je savais que je redirais la même chose. Je me rendais compte que le choix ne me revenait pas penser à Kouji-san et à son bien-être était la seule chose importante. Je ne serais pas capable d'être heureux s'il abandonnait sa seule chance de retrouver sa famille. Être égoïste serait purement inutile.

Si seulement j'avais pu m'y rendre avec lui. Malheureusement, ça tombait au pire moment pour moi. Je ne pouvais pas aller dans un lycée étranger en dernière année, avec tous les examens pour passer à l'université qu'il y aurait... De plus, je ne comprenais rien à l'anglais. Je ne ferais que gêner Kouji-san dans son travail.

Au bout d'un temps, Kouji-san se mit à m'appeler beaucoup plus souvent. Même si j'étais occupé avec les cours et que je devais étudier, il insistait pour que je vienne chez lui ou qu'on aille en rendez-vous. Je n'avais pourtant pas la moindre motivation pour ça. Lorsqu'il je lui demandai ce qu'il lui prenait, un jour où nous allions au cinéma, il prit un air sombre et me répondit :

« Il ne reste plus beaucoup de temps, alors... il faut en profiter. »

Il me mit au courant de la date de son départ peu après. J'étais allé chez lui principalement pour qu'il m'aide à étudier et il profita de l'occasion pour m'en informer.

« Le trente mai, dans deux semaines. Ca commence en juin, alors c'est le maximum que je puisse m'autoriser... Heureusement, Nee-san m'aidera à m'installer là-bas, mais ça risque d'être difficile au début. »

Encore deux semaines... Mon cœur continuait de se resserrer. Le temps passait si vite et j'avais beau me concentrer pour apprécier chaque moment, comme il me l'avait conseillé, il n'avait pas l'air de ralentir. Au contraire. C'était comme si je fermais les yeux un instant et aussitôt, une semaine était passée. Puis deux. Puis tout un mois. A ce rythme-là, il serait déjà parti sans que je m'en rende compte.

Je remontai mes genoux pour enrouler mes bras autour d'eux. Je savais que j'étais grincheux et que je n'aidais en rien Kouji-san. Au contraire, il devait bien plus être mal à l'aise que moi et il était tout autant triste. Mais comment agir constamment avec un grand sourire ? Je voulais bien profiter de ces instants, j'essayais de toutes mes forces, sauf qu'y mettre du cœur était le plus difficile. S'il était possible de m'enfermer quelque part avec Kouji-san et de ne plus jamais en sortir, je choisirais cette option avec plaisir.

J'avais remarqué qu'il n'osait plus autant s'approcher de moi. De mon côté, je n'avais jamais été très tactile et j'attendais bien souvent qu'il fasse le premier pas, mais ça n'arrivait plus. Je sentais qu'il était rongé par le remord et mon attitude ne devait pas l'aider. Si seulement je pouvais un peu mieux contrôler mes émotions...


« Shin, qu'est-ce que je dois faire ? »

J'étais sur son lit, à moitié enroulé dans ses draps. Je lui avais raconté toute l'histoire aussitôt, puisque j'avais tendance à lui rapporter la moindre chose qui me concernait. J'avouais que je le considérais bien souvent comme une mère, puisque je n'étais pas habitué à me confier à la mienne. Après tout, jusqu'ici c'était lui qui m'avait le plus aidé. S'il n'avait pas été là, je ne serais probablement jamais sorti avec Kouji-san.

Il était assis dans sa chaise de bureau, un livre d'histoire dans les mains. Comme quoi, il lui arrivait aussi d'étudier. En même temps, il souhaitait intégrer une bonne université, comme moi, donc il était obligé de redoubler d'efforts. Sa famille – seulement constituée de sa mère – n'était pas très riche et il avait d'abord insisté pour avoir un travail dès la fin du lycée, mais Ayuko-san avait refusé. Elle souhaitait que son fils ait une belle carrière et qu'il ne subisse pas les mêmes choses qu'elle. La pauvre femme avait été poursuivie par le malheur toute sa vie, que ce soit en amour ou en argent. Je pouvais comprendre qu'elle soit effrayée que la chose la plus importante dans sa vie finisse comme elle. Malheureusement, je ne pouvais en rien les aider ma mère faisait simplement de son mieux pour passer du temps avec elle en tant qu'amie, et je faisais de même en révisant avec Shin – quoique, il m'aidait plus à étudier que l'inverse.

« Soutiens-le, c'est tout. Qu'est-ce que j'en sais ?

- Alors que ça me déprime plus qu'autre chose ?

- Arrête de penser qu'à toi. C'est bien plus difficile pour lui, alors oublie-toi et fais de ton mieux pour qu'il se sente bien pour son départ. Qu'est-ce que tu vas faire s'il loupe son truc à cause de toi ? Imagine s'il doit y passer une année supplémentaire à cause de ça... »

Je me sentis pâlir. C'était possible qu'il n'y arrive pas ? Il était pourtant si brillant... Non, non. Ce n'était pas le problème. C'était moi, le problème. Mais je ne pensais pas qu'à moi. Ca, j'en étais certain. Au contraire, mon cerveau ne semblait connecté qu'à lui. Je n'arrivais simplement pas à contrôler ma mauvaise humeur. Prétendre quoi que ce soit n'avait jamais été mon fort. Je n'avais même pas réussi à cacher ma relation à ma mère, après tout.

Shin eut l'air de remarquer mon visage contrarié et ajouta :

« Arrête de te prendre la tête. Dans tous les cas, il va partir. T'as qu'à voir ça d'une autre façon, j'en sais rien. Fais simplement ce que tu as envie de faire maintenant... »

C'était un peu... faire comme si de rien n'était. Dans un sens, il n'y avait rien de mal à faire ainsi. Oublier ses soucis, passer du bon temps, et reporter au dernier moment les pires ressentis. Je ne savais pas si j'en étais capable, mais je pouvais essayer. Il restait si peu de temps, après tout...

Une fois de plus, Shin lut l'expression sur mon visage et se remit à ses révisions.

« J'arrive pas à croire que tu dois me demander ce genre de choses, soupira-t-il.

- Haha, désolé. »

Je n'étais pas du tout désolé car de toute façon, je recommencerais à lui demander conseil autant de fois qu'il le faudrait.


« Au fait, je vais te laisser mon appartement pendant mon absence. »

Mes yeux se transformèrent en soucoupes tellement j'étais surpris.

« Enfin... si tu es d'accord, » ajouta Kouji-san.

J'ouvris et refermai la bouche plusieurs fois, l'air ahuri. Il ne restait que cinq jours avant son départ et comme d'habitude, j'étais venu chez lui. Nous avions passé toute la soirée à jouer aux jeux vidéo et je comptais dormir à son appartement – j'avais dit à ma mère que je dormais chez Shin. Ce fut en fin de partie qu'il m'annonça cela.

« Attends, attends, quoi ? pus-je enfin dire.

- Cet appartement, c'est mes parents qui me l'ont acheté... Je ne le loue pas. C'est pour ça qu'il est aussi luxueux. Ils me l'ont acheté quand... quand on s'entendait encore bien. Du coup, ça me dérangerait de le revendre alors que je compte sûrement y retourner... Jin peut très bien s'en occuper pendant mon absence, mais je me suis dit que tu aimerais y aller, pour être au calme ou même utiliser ma console. »

L'expression sur mon visage devait être étrange car Kouji-san leva un sourcil, perplexe. En fait, je ne savais pas comment réagir. Pour être honnête, j'étais incroyablement heureux qu'il me confie son appartement. C'était déjà une grande preuve de confiance, mais en plus, j'allais pouvoir y aller autant que je voudrais. Cet endroit me rappellerait complètement Kouji-san et je pourrais m'y sentir comme chez moi. Pouvoir étudier, manger, même prendre un bain, jouer à sa console, regarder sa télé ici... C'était comme s'il me donnait l'occasion de vivre seul. A côté de ma chambre qui n'avait même pas de télévision, c'était le rêve.

Néanmoins, je ne pouvais pas être heureux non plus. Pourquoi me réjouir alors que ça signifiait une fois de plus qu'il devrait partir, et dans très peu de temps ? Devoir apprécier un endroit où il ne pouvait pas être était terrible. Je ne pouvais pas juste accepter l'offre avec un grand sourire, même si je ne comptais pas non plus refuser.

« Hm, d'accord... Je vais m'en occuper, alors. »

Kouji-san parut soulagé et sourit.

« Tant mieux. Je dirai à Jin de venir de temps en temps pour t'aider à faire le ménage, mais ne t'en fais pas trop pour ça. Même si ça s'accumule un peu, c'est pas grave.

- Non, non, je le ferai ! C'est rapide à faire, ça ira. »

Il me sourit encore et s'approcha pour m'embrasser doucement la joue.

« Dans ce cas, merci. »


Trois jours... puis deux... et un seul. Finalement, le jour du départ de Kouji-san arriva. Il avait fait en sorte de prendre un ticket d'avion pour l'après-midi pour que je puisse l'accompagner. Jin-san nous amena en voiture pour que Kouji-san n'ait pas à laisser une voiture abandonnée à l'aéroport, mais aussi parce qu'il souhaitait absolument dire au revoir à son meilleur ami au dernier moment.

Kouji-san avait salué tous les employés du café Yume la veille et une petite fête avait été organisée. Pendant son absence, Jin-san serait le patron à sa place – ce dernier n'avait pas trop été d'accord puisqu'il trouvait que ça ne lui allait pas, mais Kouji-san avait insisté.

Nous étions tous les trois installés sur les bancs de l'aéroport, tendus. J'avais une jambe qui n'arrêtait pas de bouger à cause de la nervosité, ce qui fit que Jin-san s'énerva plusieurs fois car ça le stressait encore plus. Kouji-san se contentait d'être silencieux, vérifiant l'heure plusieurs fois. Son vol était à quinze heures. Il était un peu plus de quatorze heures, à présent. Il n'aurait pas de vacances, alors il ne pourrait même pas revenir entre-temps. Pendant un an, il serait si loin... Je n'arrivais toujours pas à l'enregistrer. Je savais que je m'en rendrais compte au moment où je me retrouverais seul. Pour le moment, c'était juste irréel. Il était à côté de moi alors tout allait bien – je n'étais pas capable de voir plus loin que ça.

Jin-san finit par se lever et partit aux toilettes pour déjà la troisième fois. Il me semblait qu'il venait de terminer son quatrième café. Kouji-san en profita pour me proposer :

« Tu veux qu'on aille faire un tour ?

- Et Jin-san ?

- Je vais le prévenir par sms, de toute façon on reviendra rapidement. »

J'acquiesçai et me levai. Lui dut prendre sa valise pour la faire rouler, histoire qu'on ne lui pique pas ses affaires. Nous marchâmes dans l'aéroport, sans but précis et sans même discuter. Je regardais mes pieds, ne faisant aucunement attention à toutes les boutiques qui nous entouraient. Je sursautai au moment où Kouji-san attrapa mon poignet – pour ne pas me prendre par la main, comme nous étions en public – et m'emmena vers une des boutiques.

« Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je.

- Je veux juste jeter un coup d'œil. »

Je le laissai m'y traîner pour découvrir une sorte de bijouterie bon marché, qui présentait surtout des souvenirs. Il garda sa main autour de mon poignet et observa les vitrines calmement, son expression neutre toujours sur son visage. Je restai silencieux et regardai autour de moi.

« Tu aimes ? » demanda-t-il soudainement.

Reprenant mes esprits, je fixai le bracelet qu'il me présentait. Ce n'était sûrement pas fait d'un métal précieux mais honnêtement, c'était beau. Plusieurs chaînes étaient entremêlées, dans les tons rouge. Il y avait différents petits ornements discrets ajoutés et le tout brillait légèrement.

« Hm, oui, j'aime bien. »

Il lâcha mon poignet et partit le payer, pour ensuite revenir vers moi et me tendre le sachet.

« Tu me l'offres... ? demandai-je.

- Oui, pour que tu penses un peu plus à moi. »

Je souris, puis ricanai un peu en quittant la boutique.

« Penser un peu plus à toi ? Je fais déjà que ça.

- Oui, mais... je ne t'ai jamais donné de bijou et ça me perturbait. »

Il trifouilla le col de son T-shirt et sortit sa chaîne avec la bague que je lui avais offerte.

« J'ai eu ça, alors... je voulais que toi aussi, tu en aies un.

- Je te rappelle que tu m'as offert un portable, c'est énorme à côté d'un bijou. Enfin... merci. »

Je m'arrêtai dans un coin pour sortir le bracelet du sachet et tenter de le mettre. Le fermoir était cependant difficile à enclencher, alors Kouji-san finit par me prendre le bijou des mains pour le faire lui-même. Ses gestes étaient toujours gracieux et doux, ses mains effleurant légèrement ma peau. Il referma le bracelet avec aise.

« Merci... murmurai-je.

- De rien. »

Dans un silence, j'observai ses bras et ses mains, ma tête baissée. Ses gestes, son corps, je ne serai plus capable de les revoir non plus. Ses expressions aussi... Est-ce que je pourrais aussi bien les lire, quand je le reverrais ?

Mes yeux commencèrent à piquer alors je chassai ces pensées.

N'y pense pas maintenant. Il est encore là, devant toi, c'est trop tôt pour pleurer. Qu'est-ce que ça apporterait ? Rien du tout, à part un malaise pour Kouji-san. Profiter des quelques minutes qui restent est la meilleure chose à faire.

Nous retournâmes au niveau des sièges, où Jin-san était revenu. Il avait l'air en colère – évidemment. Déjà qu'il ne supportait pas d'attendre, on l'avait aussi laissé seul. Il se leva quand il nous vit et s'approcha.

« Kouji, tu vas devoir embarquer, dépêche-toi. Certains ont déjà commencé à y aller. »

Déjà... ?

Le temps était passé si vite. Nous n'avions pourtant fait que le tour des boutiques. Nous n'avions même pas discuté...

« Je vois... soupira Kouji-san. Merci, Jin. »

Ils se fixèrent un instant, puis Jin-san le prit dans ses bras et parut le serrer contre lui avec une étreinte de fer.

« Tu vas me manquer, Kouji. J'aurais peut-être dû venir avec toi... C'est mon pays d'origine, après tout...

- Non, tu dois rester ici. Tu te rappelles à quel point tu étais heureux quand tu es arrivé ? Ne me dis pas que tu veux déjà partir, ce serait ton plus mauvais mensonge. Le café, tous les gens qu'on y a rencontrés... Sans toi, il n'y aurait rien eu. »

Jin-san ne répondit rien, se contentant de serrer son meilleur ami un peu plus dans ses bras. Kouji-san lui tapota le dos longuement et un moment plus tard, il fut enfin libéré. Ils s'échangèrent encore quelques mots et Jin-san recula. Il me lança un regard, fit la grimace et s'éloigna finalement, nous tournant le dos.

J'étais... J'étais censé lui dire au revoir, hein ? Comment ? Comment dire au revoir ? Je ne voulais même pas... Je ne le connaissais pas depuis si longtemps, et je devais déjà le quitter. Même s'il reviendrait, je ne serais probablement plus la même personne à ce moment-là. Il en serait de même pour lui.

« Hé, calme-toi. »

Kouji-san posa sa main sur ma tête, arrêtant mes tremblements. Je ne m'étais même pas rendu compte de mon état. Il se baissa un peu pour être à mon niveau. Son regard était gentil et il souriait.

« Tu vas devenir un super adulte, non ? demanda-t-il d'une voix douce. Tu seras à l'université, sûrement bien plus responsable que je ne le suis... Tu auras beaucoup plus d'amis que moi, car tu n'es pas aussi associable... Ce sera difficile au début, mais tu t'en sortiras très bien.

- Je ne deviendrai jamais meilleur que toi. Franchement, comment pourrais-je battre la perfection ? »

Il rit et me frotta la tête avant de baisser sa main.

« Parfait ? Je pensais que tu t'étais rendu compte que je suis loin de l'être. Moi aussi, je vais faire de mon mieux. Tu sais, j'ai... j'ai hâte de voir à quoi tu ressembleras. C'est comme si on nous donnait l'occasion de se rencontrer une deuxième fois, tu penses pas ?

- J'aurais préféré m'en passer... » murmurai-je.

Je faisais le rabat-joie, mais je savais qu'il avait raison. Je ne voulais juste pas l'admettre. Je n'étais pas capable de lui offrir un grand sourire, de lui donner une tape dans l'épaule et de lui dire "À plus !". Il n'en était pas question.

Cette fois-ci, je ne réussis pas à retenir mes larmes. Je détestais pleurer car il m'avait semblé avoir mûri suffisamment pour arrêter, mais c'était impossible. Peut-être qu'après tout, face à une personne si importante pour soit, les émotions ne pouvait simplement pas être contenues. Ce serait la même chose dans cinq ans, dix ans ou cinquante ans...

Il m'enlaça et je fis de même, ne contrôlant pas pendant quelques minutes les sanglots qui m'échappèrent. La dure réalité semblait se rapprocher de plus en plus.

Il y eut un nouvel appel qui demanda aux passagers d'embarquer, alors je le lâchai. Mon visage devait être hideux avec toutes les larmes qui avaient coulé. Cela n'empêcha pas Kouji-san de venir m'embrasser délicatement sur les lèvres, ignorant complètement les gens qui pouvaient être autour. A un moment pareil, ils ne signifiaient rien.

« Promets-moi de faire de ton mieux, » dis-je en séchant mes larmes avec mon bras.

Il acquiesça.

« Évidemment. Toi aussi ?

- Moi aussi. »

Il me proposa son petit doigt et même si c'était enfantin, j'y attachai le mien pour en faire la promesse.

« Allez, à plus tard.

- ...À plus tard. »

Il m'ébouriffa une dernière fois les cheveux, fit un signe de tête à Jin-san qui s'était probablement retourné et m'adressa un nouveau sourire. Il fit ensuite demi-tour et se dirigea vers la plateforme d'embarquement. Mes yeux le suivirent jusqu'au bout.

Quand sa silhouette disparut, je restai immobile.

Maintenant, je m'en rendais compte. Je me sentais déjà seul. Tout ceci aurait pu être un long rêve, je n'aurais pas été étonné. Néanmoins, c'était bien trop réel aussi. Si ça ne l'avait pas été, je n'aurais probablement pas autant eu mal.

Je sentis la main de Jin-san sur mon épaule – lui aussi, il tremblait.


...


« Hééé, Kazuma, qu'est-ce que tu fais là si tôt ?

- J'ai fini les cours plus tôt, alors je travaille déjà !

- Aah, je vois qu'on se la coule douce à la fac, hein ? »

Je donnai un coup de balai dans la jambe de Kouhei, qui cria en effrayant tous les clients dans un rayon de dix mètres.

« Ca va pas non ?! se plaint-il.

- Je suis sûr que je travaille bien plus à la fac que toi au lycée, Kouhei.

- N'importe quoi ! Tu sais pas à quel point ils montent le niveau ?

- Ne me dis pas ça alors que tu te trompes encore sur les équations du second degré, s'te plaît. »

Il allait s'approcher pour se venger d'une manière ou d'une autre mais je lui donnai un nouveau coup de balai, ce qui le garda à l'écart.

« Qu'est-ce que vous faites, vous deux ? intervint Jin-san.

- Kouhei qui se plaint des petites classes, un vrai gamin.

- Aaah, ne commencez pas avec ça... Vous savez très bien qu'être salarié est bien plus difficile que les études ! »

Heureusement, ce fut au tour d'Aya-san d'intervenir. Il lui suffit d'un soupir pour calmer tout le monde.

« On a besoin de vous, vous savez... Plein de clients attendent. Kouhei, va te changer.

- A-Ah, oui, tout de suite, Aya-san ! »

Il fila aux vestiaires et Aya-san ne put contenir son rire. Ces derniers temps, leur relation marchait de mieux en mieux, ce qui mettait toujours le café dans une meilleure ambiance.

La clochette de la porte d'entrée retentit et je m'empressai d'y aller, me penchant en avant quand la silhouette féminine entra.

« Bienvenue au café Yume ! m'exclamai-je.

- Salut, Kazuma ! »

Je sursautai et me relevai aussitôt, découvrant un visage qui m'était très familier.

« K-Kyouko-san !

- C'est moi ! »

Elle m'offrit un grand sourire et me prit aussitôt dans ses bras, attirant les regards de plusieurs clients.

« N-Ne fais pas ça ici, bon sang.

- Haha, c'est vrai que vous êtes assez coincés par rapport à ça, ici.

- Roh, c'est juste inhabituel...

- Bon, tu m'amènes à une table ? »

Je m'activai, lui montrant le chemin vers une table près d'une fenêtre.

« Tu peux te joindre à moi ? demanda-t-elle en s'installant.

- Je vais demander ça... En attendant, qu'est-ce que tu veux prendre ?

- Mmmh, un café au lait et le gâteau que tu me recommanderais.

- Dans ce cas, une part de fondant au chocolat ?

- Waouh, ça a l'air délicieux, je prends ! »

Je souris et repartis, donnant la commande à un nouvel employé. Un peu maladroit, il s'empressa de faire le café et d'aller chercher le gâteau pendant que je cherchais Jin-san du regard. Je le vis discuter avec une cliente et je n'hésitai pas à lui écraser le pied.

« Ne t'amuse pas à tromper Shin, s'il te plaît.

- Quoi ?! Ne raconte pas n'importe quoi, jamais je n'oserais... Bon sang, ça fait mal. Qu'est-ce que tu veux ?

- Je peux prendre une pause ?

- Non.

- Kyouko-san est là.

- Sérieux ?! »

Il courut la chercher, m'oubliant complètement. De toute façon, je n'allais pas me gêner pour la prendre, ma pause. Jin-san était un patron complètement irresponsable. Je comprenais pourquoi il n'avait pas voulu prendre ce poste en premier lieu.

Je les rejoignis, m'installant à la table avec eux. Ils étaient déjà partis dans une longue discussion en anglais incompréhensible, me laissant complètement de côté. Je mis peu de temps avant de me lever pour aller distribuer quelques commandes.

Mes pensées allèrent se promener ailleurs pendant un moment. Kyouko-san était rentrée, ce qui n'avait pas du tout été prévu. Elle avait sûrement des vacances, ou quelque chose dans le genre. Mais alors... est-ce qu'il... qu'il serait aussi rentré ? Non, impossible. Il me l'aurait dit dans un email. Il ne me semblait même pas que sa formation était terminée. Il m'avait bien dit que ça pouvait s'étendre sur deux ans, alors le voir si tôt... Non, non. Je n'y croyais même pas.

Je revins quelques minutes plus tard à la table de Kyouko-san. Jin-san avait l'air d'être enfin parti, sûrement à cause du retard qui était pris dans les commandes.

« J'ai failli ne pas te reconnaître, dit Kyouko-san quand je m'assis face à elle.

- Vraiment ? J'ai arrêté de grandir depuis un moment, pourtant.

- Oui, mais tu fais un peu plus "homme". Et puis, tes cheveux, surtout !

- Ah, c'est vrai. »

J'inspectai une de mes mèches de cheveux, appréciant les nouvelles couleurs sombres qui les teintaient.

« Des cheveux noirs, hein ? commenta Kyouko-san. C'est vrai que la dernière fois, tu avais une coloration châtain clair, c'était plutôt mignon.

- Sauf qu'elle était vieille, ma couleur d'origine se voyait de plus en plus.

- Ils sont beaucoup plus longs, aussi. Ca te va bien ! »

Un peu timide face à ce compliment, je me frottai la tête.

« Alors, ça se passe bien à la fac ? demanda-t-elle.

- Oui, je me suis spécialisé en économie-gestion, c'est plutôt sympa, même si c'est compliqué.

- Waah, alors comme ça on essaye de marcher dans les pas d'une certaine personne, hein... D'abord les cheveux, puis les études... »

Elle ricana et je rougis furieusement.

« Non, c'est... c'est juste que j'aime ça ! Sinon je ne travaillerais pas ici ! Et j'aime changer de style !»

Elle continua de rire alors je l'ignorai, irrité.

« Par contre... tu ne vas pas le voir ? chuchota-t-elle en se penchant vers moi.

- Quoi ?

- Ben, je pensais que tu te jetterais sur moi pour savoir où il est.

- D-D-D-De qui tu parles, quoi ? »

Hein ?

« Je parle de Kouji, bien sûr ! s'exclama-t-elle, outrée.

- Kyouko-san, tu veux dire qu'il, qu'il est là ?!

- Il ne te l'a pas dit ?!

- Il ne m'a rien dit du tout !

- Mais sa formation est terminée depuis un moment !

- Quoi ?!

- Tu ne croyais tout de même pas que j'arrivais les mains vides ?!

- Bien sûr que si ! »

Nous nous regardâmes longuement, essoufflés – moi encore plus. J'avais bien entendu ? Je ne m'étais pas trompé ? Elle me disait la vérité ?

Cet... Cet imbécile avait souhaité me faire une surprise ? Pour une chose pareille ?

« O-Où est-il ?! m'écriai-je.

- Euh, aucune idée !

- Comment ça, "aucune idée" ?!

- Aucune idée ! Il est sorti de la voiture avant qu'on n'arrive, j'ai rien compris ! »

Je lâchai un long soupir. Pourquoi ne pas être simplement allé au café Yume... ? C'était pourtant le premier endroit où aller. Il voulait que je le cherche ?

Mon cerveau était dans un chaos complet et je commençai à réfléchir à toute vitesse. J'entrepris de partir au même moment, quittant le café en trottinant sans même prévenir Jin-san. De toute façon, je le connaissais depuis suffisamment longtemps pour qu'il me pardonne.

Mais où avait-il bien pu aller... ? Si ce n'était pas le café, alors... son appartement ? Oh, c'était le seul endroit possible. Si je devais penser à lui, c'était le lieu qui me venait en premier en tête...

Sauf qu'en fait, il n'avait pas la clé. Puisqu'il me l'avait donnée. Il n'y avait aucune raison qu'il y aille.

Je m'arrêtai d'avancer. Un autre endroit... Je devais réfléchir à un autre endroit où il était capable d'aller.

Je regardai autour de moi. J'aperçus l'arrière de la boutique, et la petite cour qui s'y trouvait. Plus d'un an plus tôt, Shin m'avait embrassé à cet endroit précis pour qu'il réagisse. En y repensant, ça avait été un plan ridicule, même s'il avait fonctionné. Nous nous étions ensuite retrouvés plus loin... dans le parc.

Le parc. Était-ce une solution ? C'était à cet endroit que nous nous étions avoués nos sentiments, c'était spécial. C'était aussi là qu'il avait frappé Shin, plusieurs semaines plus tard...

J'y partis en courant. S'il souhaitait que je le retrouve, il devait être ici. Sinon, je n'avais pas d'autre solution.

Arrivé là-bas, je remarquai une silhouette. C'était quelqu'un de grand, et je ne connaissais qu'une seule personne qui pouvait avoir cette taille. Je ralentis de plus en plus jusqu'à m'arrêter, une dizaine de mètres plus loin. J'étais si essoufflé que je dus me baisser et tenir mes genoux pour être stable et récupérer.

Il me faisait dos et pourtant, je le reconnus. Il se tourna et m'observa. D'abord, ses yeux restèrent éteints, aussi noirs que je m'en souvenais. Puis soudainement, ils s'illuminèrent et je revis cette expression pour la première fois depuis plus d'un an et quatre mois. Celle qu'il m'offrait toujours quand il me regardait. Où même si son expression était neutre, je savais qu'il était heureux.

Je me redressai, respirant normalement de nouveau.

Franchement, je n'avais pas la moindre idée de la façon dont je devais agir. J'avais attendu cet instant depuis l'instant où je l'avais vu partir. Son apparence n'avait même pas changé ses cheveux d'un noir de jais avaient la même forme impeccable, son visage était parfaitement identique à avant. Il n'y avait que sa tenue qui était un peu plus décontractée – pour la première fois, je le voyais avec une veste à capuche et un jean.

Il tenta de faire un pas vers moi mais s'arrêta.

« J'ai failli ne pas te reconnaître, » dit-il finalement.

Sa voix aussi. C'était la même, grave mais douce.

Malgré ma gorge nouée, je réussis à balbutier quelques mots.

« J-J'ai un peu changé mes cheveux, oui. »

Il fit un autre pas, clairement hésitant.

« Il n'y a pas que ça... »

Je regardais maintenant le sol puisque mon cœur allait lâcher si je continuais de le fixer. Mes yeux s'attardèrent sur mon bracelet, qui était abîmé à force que je le porte autant.

Je sursautai quand sa main toucha mon poignet pour faire tourner le bijou.

Il est là. Je peux sentir son odeur. Juste en face de moi...

« Tu l'as gardé, » fit-il remarquer.

Il était tellement proche. Je levai les yeux et vis la chaîne autour de son cou – je pouvais facilement deviner que c'était la même qu'auparavant.

Je fus le premier à craquer.

Je me jetai littéralement dans ses bras avec une telle force qu'il tomba en arrière dans la terre. J'atterris sur son torse, le serrant contre moi et plongeant mon visage dans sa veste, dans son cou, dans tous les endroits où je pouvais le mieux sentir son odeur.

« Kouji-san, Kouji-san... »

Je pleurais maintenant, un véritable torrent dégoulinant sur mes joues.

« Espèce d'imbécile, t'aurais pu me prévenir !

- Désolé, rit-il, je voulais vraiment voir ta réaction. Même si moi aussi, j'ai été surpris, tu as tellement changé...

- Et toi t'as toujours la même tête d'intello !

- Aaah ?

- Imbécile, imbécile... Kouji-san... »

Je relevai la tête pour observer son visage. C'était lui. Ce n'était pas un rêve. Non, ça n'avait rien à voir. Comment avais-je pu un jour comparer ça à un rêve ? Il était si réel.

Je l'embrassai enfin, découvrant une nouvelle fois ses lèvres qui m'avaient tant manqué. Il me rendit le baiser, continuant ainsi pendant une longue minute.

« Dis-moi, tu pourrais te lever ? Tu as dû grandir, car t'es devenu plutôt lourd. »

Je rougis et me relevai, l'aidant à faire de même en lui proposant ma main. Une fois debout, je ne le lâchai cependant pas.

« Kouji-san...

- Mh ?

- Bon retour. »

Il m'ébouriffa les cheveux avec un grand sourire.

« Merci. J'ai eu un peu peur en voyant ton apparence, mais on dirait que tu pleures toujours autant, c'est rassurant.

- Hé ! Ca n'arrive qu'avec toi ! Je n'ai pas pleuré une seule fois pendant ton absence ! »

Il m'interrompit avec un nouveau baiser, ce qui me fit oublier le sujet de la discussion.

« Comment va le café ? demanda-t-il ensuite.

- On n'a qu'à y aller. Jin-san va me passer un savon quand il va savoir que je me suis enfui. »

Kouji-san éclata de rire et nous nous dirigeâmes vers le café Yume.

Non, ça n'avait rien d'un rêve. Depuis le début, j'avais sûrement inventé cette métaphore pour me rassurer. Je n'avais fait que mettre le rêve au-dessus de la réalité dans ce but. Pour me dire que ce n'était pas réel, que je ne pouvais pas être touché par les événements qui se déroulaient. Mais j'avais eu cruellement tort. J'avais détesté la réalité pendant de si nombreuses années que j'avais eu peur de l'affronter. Mais au final, elle n'était pas si mauvaise.

À présent, je commencerais ma nouvelle réalité à ma manière, de façon à ne plus jamais rien regretter.


NdA : Merci d'avoir lu jusqu'à la fin ! C'est fini ! J'ai du mal à croire que j'ai réussi à terminer cette histoire, avec autant de chapitres ! Franchement, je suis un peu émue car c'est la première fois que ça m'arrive. Le maximum pour moi a été de 6 chapitres dans une histoire, que je n'ai même pas terminée. Alors là, 26... waouh. Au départ, je voulais seulement tester le genre réaliste, car je suis habituée à écrire du fantastique (léger)... C'était censé être une sorte d'entraînement mais au final, c'est devenu quelque chose d'assez gros. J'espère qu'il n'y a pas eu trop d'incohérences ou de moments ennuyants, j'ai essayé de faire attention.

J'aimerais vraiment remercier tous ceux qui ont laissé des commentaires, sans ça j'aurais sûrement perdu ma motivation, car il m'en faut beaucoup... ;; Voir le nombre de vues sur cette histoire est assez impressionnant, ça m'étonnera toujours, et 71 commentaires, c'est vraiment énorme. Merci infinimeeent !

Maintenant, j'aimerais un peu parler de ce que je vais faire ensuite, car je ne compte pas du tout m'arrêter d'écrire, au contraire. J'ai des milliers d'histoires prévues en tête (actuellement, 4), et j'ai très hâte de les faire. J'avais dit que je ferais une sorte de "suite" à DOR et oui, je la ferai, c'est sûr et certain. Elle concernera l'histoire de Shinji et Jin, et si je mets suite entre guillemets, c'est parce que ça reprendra du début, mais de leur point de vue. Ca vous permettra de voir tout un tas de choses supplémentaires qui ont été cachées jusqu'ici. Néanmoins, je ne vais pas l'écrire immédiatement. Il faut savoir que ça fait plus d'un an que j'écris DOR, alors j'aimerais bien changer un peu d'univers pendant un moment. Juste avant, j'ai donc prévu une nouvelle histoire qui m'est venue en tête il y a peu, et je crève d'envie de l'écrire. J'espère vraiment que vous la lirez... Elle contiendra un chouilla de fantastique, comme j'ai l'habitude de faire, mais rien de choquant. Comme je suis impatiente, j'aurai sûrement terminé le chapitre dans une ou deux semaines ! Le titre sera "Minus 7 Plus You" (si je ne change pas d'avis entre-temps uu). Si vous voulez être alerté, n'hésitez pas à me suivre ici, ou à suivre mon Twitter sei_chan_san ! Vous pouvez venir me parler aussi, ça peut être sympa : D

Sur ce, encore un immense merci, et je vous dis à plus tard dans ma prochaine histoire ! : )