Note de l'auteure : Si vous avez aimé Sortie des Sables et la chaleur aride des déserts d'Idac, je pense que vous aimerez l'univers du Seigneur de la Nécropole. Carqaram, la ville où se situe l'intrigue se trouve à l'extrémité ouest du royaume. Elle est la proie des Guildes Noires, des esclavagistes et des nécromanciens. C'est une histoire plus sombre que Sortie des Sables et je voulais vous faire découvrir le monde cruel où Aspel a vu le jour. Vous n'avez cependant pas besoin d'avoir lu Sortie des Sables pour comprendre Le Seigneur de la Nécropole, dans la mesure où les évènements qui y sont relatés se déroulent deux siècles plus tôt et s'inscrivent dans le contexte des guerres marchandes ce qui n'a pas grand-chose à voir avec l'histoire d'Aspel… J'espère que ce nouveau voyage vous plaira.
Avec toute ma tendresse,
Korydwen

Conseil musical : La musique Potion Shop du jeu Zelda Ocarina of Time vous aidera à entrer dans l'ambiance occulte et mystérieuse de la Nécropole de Carqaram. Bonne lecture !

Le Seigneur de la Nécropole
Tablette une ~ A l'abri des ombres

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« Mon royaume s'étend aux portes de la mort
J'accueille les bandits et les malédictions
Je souris aux apôtres des jouissances du corps
Mes bras s'ouvrent aux plaisirs et aux afflictions
Mon royaume s'étend aux portes de la mort

Sous le règne de la goule et de la mandragore
J'invite les amants que la morale accable
Je protège les faibles, je protège les forts
J'accueille les innocents, j'accueille les coupables
Sous le règne de la goule et de la mandragore »

Par Zakar'baal Sombrelame, Fondateur de la Mandragoule
Texte inscrit sur le fronton de La Succube
Gravé en 771 du Calendrier des Havres

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Emmercar fit un bond sur le côté pour éviter un mendiant surgi à l'angle de la rue, et se précipita entre les habitations branlantes des bas-quartiers. C'était sa ville, songea-t-il en sautant par-dessus un petit pont de bois, il en connaissait chaque ruelle, chaque cachette, les repaires les plus mal famés, les lieux fréquentés des malfrats, des voleurs, des prostituées... Le lieutenant de la milice de Carqaram cracha un juron en sentant l'eau souillée de l'égout à ciel ouvert dans lequel il venait de sauter pénétrer ses bottes. Le caniveau charriait déchets organiques et cadavres de rats dans un flot d'eau brune et poisseuse à l'odeur immonde. Derrière lui, il pouvait entendre le vacarme que produisait la garde de la ville.

En temps normal ce son rassurant annonçait l'arrivée des renforts. Mais cette fois c'était lui que ses hommes poursuivaient. Pour la première fois de sa vie il était le gibier qui courait, traqué par les loups... qui ne manqueraient pas de le rattraper s'il ne parvenait pas à se cacher.

Il remonta du caniveau et se rua dans une avenue bondée de monde. Il savait bien ce qu'il faisait. C'était jour de marché et il serait plus facile de semer la milice au milieu d'une foule de passants et d'étals marchands que dans une rue déserte. Il se faufila agilement entre les vêtements colorés et les tréteaux branlants et atteignit l'angle d'une rue sinueuse qui descendait encore plus loin dans les entrailles putrides des quartiers pauvres.

Accroupi derrière des tonneaux il regarda passer la garde qui se frayait difficilement un chemin parmi la foule dense et passait à côté de la ruelle où il était caché, sans le soupçonner. Emmercar se permit un soupir de soulagement, sa poitrine était en feu et son cœur battait si fort que ç'en était douloureux.

– Emmercar du Tahid ?

Le lieutenant tourna la tête si vite qu'il s'en fit mal à la nuque. Derrière lui se trouvaient trois hommes massifs, habillés de vêtements noirs et amples et armés de longues lames recourbées. Ils n'étaient manifestement pas de la milice, mais ils ne ressemblaient pas non plus à des alliés. Ils étaient certainement les véritables assassins du gouverneur…

Emmercar tira son poignard et le serra dans son poing, prêt à défendre sa vie. Le plus massif des trois hommes porta sa main à la garde de son épée et effectua un mouvement circulaire pour dégainer. Emmercar para automatiquement mais son poignard ne rencontra que le vide et de la poussière, une poussière noire qui se répandit en un nuage étouffant et le força à fermer les yeux, aveuglé par la douleur et suffoqué par une horrible odeur. Il avait été lâchement leurré et sa colère fut redoublée par l'angoisse de l'impuissance.

Le lieutenant retomba contre les tonneaux, une main pressée sur le nez et la bouche pour essayer de se protéger. Il sentit l'homme se pencher sur lui et lutta contre l'évanouissement. Quand un sac noir se referma sur sa tête, il perdit connaissance.

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– Mes poudres et mes poisons ne s'utilisent pas à la légère ! pesta une voix aigre au fond du brouillard où flottait l'esprit d'Emmercar. Vous auriez pu le tuer !

Une odeur forte et piquante tira le milicien de son état de semi-conscience et il rouvrit les yeux. Un homme d'âge mûr, au visage laid et au front dégarni frottait une boule grise entre son pouce et son index et l'effritait au-dessus du nez d'Emmercar. Le lieutenant le repoussa brutalement et voulut le frapper. Une main puissante retint son bras.

– Du calme, exigea une voix grave à son oreille, Osmanthus vient de te sauver la vie.

Emmercar dégagea son bras et se remit difficilement sur ses jambes. La pièce était en partie plongée dans les ténèbres et il dut plisser ses yeux sombres et encore rouges de l'irritation provoquée par la poudre pour distinguer le visage fermé et dur d'un homme d'une quarantaine d'années, taillé comme un guerrier et vêtu d'un pourpoint de cuir noir. Une longue cicatrice fermait son œil droit. Derrière lui se tenaient ses trois ravisseurs qui semblaient attendre quelque chose, et il devina avec peine la silhouette d'une autre personne assise sur le rebord d'une fenêtre condamnée, à côté d'une lanterne rouge et dont il ne distinguait que le contour sombre d'un large vêtement.

Il analysa très vite l'endroit : une planque délabrée dans les bas-quartiers, des fenêtres aveugles, des murs nus et usés, sans ornements, éclairés à la bougie et encrassés de suie noire. Les hommes étaient tous armés sauf peut-être le vieillard avec ses poudres et la silhouette assise sur le rebord de la fenêtre.

– Vous êtes les assassins du Gouverneur Deneklès. Le tuer dans une pièce sans fenêtres et gardée par deux hommes de sa garde personnelle était un coup de maître, admit Emmercar avec cynisme. Je suis le dernier à lui avoir rendu visite, toute la milice croit que je suis le meurtrier... Votre petit tour a réussi. Pourquoi ne m'avez-vous pas encore tué ?

La silhouette inquiétante tourna lentement la tête vers lui comme si elle s'intéressait pour la première fois à ce qui l'entourait et le lieutenant devina l'éclat d'un regard perçant sous la sombre capuche.

– Deneklès était une épine dans notre botte, reconnut l'homme massif en croisant les bras sur sa large poitrine. Mais nous ne l'avons pas assassiné. Tu es bien Emmercar du Tahid ? Nous avons des questions à te poser.

Le lieutenant demeura silencieux. Il continua à regarder ce qui l'entourait avec une lenteur exagérée pour s'imprégner de chaque détail. Extérieurement il semblait encore engourdi par sa récente capture, mais son esprit filait en réalité à une vitesse folle. Accoutumé à garder la tête froide en toutes circonstances il demeura silencieux un moment. Une huitième personne entra dans la pièce mal éclairée et remit une bourse pleine à ses trois ravisseurs qui l'empochèrent et partirent en silence.

Ainsi ils étaient seulement des hommes de main... Le lieutenant commença à entrevoir les rouages d'une organisation vaste et complexe et il en fut alarmé. L'homme borgne allait le questionner à nouveau mais le vieil Osmanthus le coupa.

– Il peut marcher et parler, mais il peut faire un malaise à tout moment. Et il va rester faible pendant plusieurs jours. Ne vous servez plus jamais dans ma réserve !

Le borgne grogna quelque chose et le vieillard partit en maugréant des malédictions entre ses dents serrées.

Les yeux d'Emmercar s'accoutumaient lentement à l'obscurité et il put distinguer un peu mieux la silhouette cachée derrière le chef de ce groupe de malfrats. Elle avait à nouveau détourné la tête, désintéressée par la conversation. Un genou replié sous elle, un parchemin posé sur la cuisse, elle émettait des grattements de papier en écrivant avec une longue plume pourpre qu'elle trempait régulièrement dans une encre noire comme du sang épais.

Un sentiment de malaise l'envahit et il ferma les yeux pour expirer lentement.

– Vous êtes la Mandragoule.

Ce n'était pas une question, il était certain de ce qu'il avançait. La Mandragoule était ce que le royaume d'Idac appelait une Guilde Noire. Elle réunissait des marchands de choses illicites, des esclavagistes, des receleurs, des assassins, des prostituées, et des choses plus sombres encore... comme cette ombre occupée à écrire avec lenteur de sa main trop blanche.

Il ne faisait aucun doute qu'ils étaient responsables de sa disgrâce, un complot aussi intelligemment monté était la signature de criminels puissants. Emmercar serra les dents et leva son regard de braises noires vers leur chef qui lui adressa un sourire torve.

– Parfaitement lieutenant, et nos chemins se sont déjà croisés mais je n'avais pas pu me présenter correctement : j'aurais fini dans les prisons de la ville… Mais maintenant que nous sommes entre criminels, nos relations vont s'améliorer ! Alors, comment est mort le Gouverneur Deneklès ?

Emmercar haussa les sourcils.

– C'est à vous de me le dire. Comment êtes-vous entrés dans une pièce sans fenêtre et surveillée par la garde ?

Le chef de la Mandragoule se tourna rapidement vers la silhouette noire comme s'il attendait une réaction de sa part mais elle continua à écrire sans s'intéresser à la conversation.

Emmercar planta son regard dans le sien, et chercha à comprendre pourquoi ils l'avaient capturé. L'explication la plus logique semblait être que les criminels voulaient savoir ce que savait la milice pour anticiper leurs mouvements. Mais il ne leur ferait pas le plaisir de leur donner des informations.

– Le Gouverneur Deneklès était de sang noble, énonça le lieutenant. C'était un homme d'honneur et l'une des plus fines lames du royaume… Et vous l'avez poignardé sans courage, dans le dos, la nuit, alors qu'il œuvrait pour le bien de la cité. Comment allez-vous vous y prendre cette fois ? Allez-vous me torturer à plusieurs comme des lâches ?

Le coup de poing qui s'écrasa sur sa pommette fut fulgurant et incroyablement douloureux. Ce n'était pas le premier coup qu'Emmercar recevait, loin s'en fallait, mais alors qu'il se retrouvait à genoux à se masser la joue, il réalisa à quel point il était mal tombé. Cet homme ne plaisantait pas. Ce n'était pas un simple petit bandit. Il savait faire mal et à voir l'expression désabusée sur son visage, cela ne lui procurait aucune espèce de plaisir. Il faisait seulement ce qu'il devait faire, sans émotion.

Emmercar soupira. Les heures à venir allaient être très pénibles… Mais le Lieutenant ne craignait ni la douleur, ni la mort. Et jamais il ne trahirait les secrets qu'il détenait et qui auraient pu mettre en péril la paix de Carqaram.

Le chef de la Mandragoule se rapprocha de lui en faisant jouer son poignard entre ses doigts.

– Assez Zamoxis, résonna soudain une voix derrière lui. Il ne te dira rien, tu n'emploies pas les bonnes méthodes. Je vais m'en occuper, toi, retourne à la Nécropole. Je t'y rejoindrai.

Emmercar demeura le regard plongé dans celui de l'homme qu'il avait pris pour le chef et réalisa qu'il s'était peut-être trompé : Zamoxis obéit sans une protestation, il semblait même plutôt satisfait de ne pas avoir à torturer quelqu'un, ce qui n'échappa pas au lieutenant.

Emmercar regarda le borgne sortir par une porte sombre après un inquiétant regard d'avertissement dans sa direction.

Le lieutenant se remit debout et se permit un soupir de soulagement. Il avait effectué des missions difficiles depuis qu'il était entré dans la garde de Carqaram, mais cette journée figurait incontestablement au tableau des pires de son existence. Il venait de tout perdre : son ami le Gouverneur Deneklès, son poste de lieutenant, la confiance de la garde, la liberté, et quand la Mandragoule aurait obtenu de lui ce qu'elle voulait, il perdrait sans doute la vie.

Il se releva et fit face à la silhouette mince, toujours assise sur le rebord de la fenêtre condamnée. Peut-être que c'était le moment de s'enfuir ? Cette personne frêle semblait facile à maîtriser.

– Avez-vous une famille ? demanda le fantôme noir.

Sa silhouette sombre ne bougeait pas et ne se tourna pas vers lui. Il ne cessait pas d'écrire comme s'il s'agissait de quelque chose de très important. Et cela agaça Emmercar. C'était lui qui posait les questions habituellement, et il affectait alors de paraître plus concerné par les réponses. A cause du timbre neutre de sa voix, il ne parvenait pas à déterminer avec certitude s'il avait affaire à un homme ou à une femme, à un adulte ou à un enfant, à un dirigeant ou à un valet... Et c'était inconfortable car il ne pouvait pas adapter son discours devant un fantôme sans visage.

– Quelle importance ? lança-t-il avec agacement. Les gens comme vous se soucient-ils de ceux qu'ils piétinent ?

– Contentez-vous de répondre à la question, exigea la voix avec une inflexion impérative.

– Non, je n'ai pas de famille à Carqaram, je suis originaire de la capitale...

Emmercar avait répondu d'un ton aigre mais il n'avait pas éludé la question. Il y avait une autorité implacable et inquiétante dans cette voix et le lieutenant ferma les yeux une longue seconde pour rassembler sa volonté et son courage.

Quand il les rouvrit, la silhouette se trouvait juste devant lui, dans sa cape noire de mauvaise facture et sa profonde capuche. Il ne l'avait pas entendu bouger, elle avait dû pourtant se déplacer à une vitesse folle. Emmercar fit un bond en arrière, son cœur manqua un battement et il écarquilla les yeux de panique.

Le fantôme tenait la lanterne rouge dans une main et il leva la seconde, fine et pâle, jusqu'à sa capuche qu'il abaissa lentement. Il dévoila des cheveux mi-longs, fins et pourpres – une couleur impossible, noire aux reflets rouges, comme s'ils étaient gorgés de sang. Puis des yeux d'ambre vert luirent dans la faible lueur de la lanterne, ils étaient d'une profondeur abyssale, sombres, terrifiants et beaux, et surtout ils étaient soulignés d'une ligne de runes noires qui les mettaient en valeur en redessinant l'orbite de l'œil d'un funeste trait discontinu. Emmercar sentit son pouls s'accélérer. Il savait reconnaître un sorcier quand il en voyait un...

Le reste de son visage n'était que peau blanche et lisse, courbes androgynes d'une beauté de statue nébethéenne, sourire torve et insolent accroché à des lèvres irrésistibles. Le lieutenant ne s'était pas attendu à cela. Etait-ce un piège ? Une illusion cruelle de magie et de drogues de poudre fine ? Il était un homme fort, incorruptible, il avait un tempérament en acier trempé, une moralité et une droiture irréprochable, mais il avait un point faible, un seul terrible et inavouable point faible, un penchant coupable qu'il regardait comme une malédiction honteuse. Et le jeune homme aux yeux trop verts qui le regardait, éclairé par en-dessous comme une apparition faite d'ombres et de tentation, semblait une incarnation de cette faiblesse, un piège grossier tendu à ses sens émoussés par la fatigue et la peur.

– Tant mieux, j'espérais que vous seriez seul, il eût été difficile de protéger une épouse et des enfants dans la Nécropole... Je vous observe depuis longtemps vous savez, à l'abri des ombres de mon monde. Vous êtes un homme intelligent, prudent, et secret. C'est étrange de vous voir d'aussi près...

La voix du sorcier n'était plus qu'un souffle bas comme le vent du désert. Il leva la lanterne au-dessus de son visage, et la lumière rouge inonda ses yeux d'un éclat d'astre mourant, comme un soleil noyé. Emmercar sentit tout son être frissonner et ses entrailles se tordre douloureusement.

– Alors vous avez un avantage sur moi, fit remarquer le milicien en plissant ses yeux noirs. J'ignore qui vous êtes.

La surprise agrandit un instant les malachites et le lieutenant craignit d'être happé par ces puits de ténèbres. Puis les yeux du sorcier s'étrécirent et il sourit avec malice. Emmercar lui aurait mordu les lèvres à pleines dents et aurait pillé cette bouche insolente avec fureur, s'il n'avait pas contenu ce désir toute sa vie.

– Oh ne croyez pas cela. Nous ne nous sommes effectivement jamais rencontrés, mais vous me connaissez très bien : je suis Estébaal le Nécromant, l'héritier de Khênat l'Estrie. Je suis le Seigneur de la Nécropole.

Ce fut au tour d'Emmercar d'être surpris.

– L'Estrie est mort ? Quand ?

Aussi loin que remontait la mémoire de la garde de Carqaram, Khênat l'Estrie était le chef de la Mandragoule. Il avait hérité de la petite guilde noire lorsqu'il était très jeune et en avait fait une organisation souterraine tentaculaire. Sa discrétion et sa cruauté en avait fait l'ennemi le plus recherché de la milice. Il s'était bâti une solide réputation et son nom faisait trembler le peuple de la cité : une estrie était un oiseau de nuit qui déchirait les petits enfants dans les contes populaires de Carqaram.

– La dernière fois que les lunes ont été pleines, répondit le Nécromant. C'était une nuit bien lumineuse, pour un si sombre évènement. Heureusement la lumière des astres n'atteint jamais les ténèbres de la Nécropole.

Estébaal avait baissé les yeux, un regret sincère semblait meurtrir son cœur. La mort de l'Estrie n'avait rien d'un sombre évènement. Lorsqu'il remonterait aux oreilles de la milice, ce serait une occasion de réjouissances... Il était étrange de savoir que quelqu'un pouvait déplorer la perte d'un tel monstre.

La mort du chef de la plus puissante guilde noire du royaume précédait de quelques jours celle du gouverneur de Carqaram. Quelles étaient les chances pour qu'il s'agisse d'une coïncidence ? Aucune sans doute.

– Et qu'allez-vous faire de moi, Seigneur de la Nécropole ?

Emmercar avait posé sa question sur un ton volontairement moqueur et condescendant. Il n'avait jamais entendu le nom d'Estébaal avant. Ce qui signifiait que son autorité et son pouvoir n'étaient pas assez grands pour que la rumeur de son avènement ait atteint la surface. Et c'était plutôt bon signe. Emmercar préférait se confronter à un gamin qu'à l'Estrie car les guildes noires étaient comme des meutes de chiens affamés : si le chef faiblissait, tous lui sautaient à la gorge.

A bien y songer cela aurait été dommage, une si belle gorge...

– C'est moi qui pose les questions ici, Emmercar du Tahid.

Un sourire amusé jouait sur les lèvres du Nécromant mais un éclat dangereux assombrit ses émeraudes inquiétantes. Emmercar s'appuya contre le mur derrière lui et, croisa les bras sur son torse. Il dominait largement le petit chef et il renversa la tête pour le regarder par en-dessous, avec une arrogance calculée.

– Alors j'écoute vos questions, concéda-t-il de sa voix grave.

– Avez-vous une idée de la personne qui a tué le Gouverneur et de la manière dont elle s'y est prise ?

– Oui. Je pense que c'est vous qui l'avez fait assassiné, et que vous savez parfaitement comment vous vous y êtes pris, Nécromant.

Le rire d'Estébaal résonna parmi les ruines lugubres, c'était un son bas aux accents suaves. Emmercar se mordit la lèvre.

– Où courriez-vous lorsque mes hommes vous ont capturé ?

– Quand ils m'ont à demi tué vous voulez dire... Je ne peux pas vous le dire.

– Vous n'êtes pas très coopératif.

– Vous non plus. Vous ne voulez pas me dire ce que vous allez faire de moi.

– Essayez-vous de vous réfugier chez Rhadamanthe ?

Emmercar fut estomaqué mais il n'en montra rien. Son travail lui avait enseigné à demeurer parfaitement neutre pour tromper son interlocuteur. Mais comment savait-il ? Et que savait-il d'autre ? A quel point était-il puissant ? Les lignes de runes minuscules soulignaient ses yeux d'une façon envoûtante et elles rappelèrent au lieutenant qu'il ne devait surtout pas faire l'erreur de sous-estimer le nouveau chef de la Mandragoule.

– La Guilde des Masques vous aurait mis en pièces, Emmercar. Rhadamanthe est l'assassin que vous recherchez, continua le Nécromant comme s'il avait lu la réponse dans ses pensées. La milice de la ville a commis l'erreur de lui faire trop confiance et le gouverneur en a payé le prix. Et vous alliez vous jeter dans sa gueule. Vous avez de la chance que je vous aie retrouvé le premier : la milice et la Guilde des Masques vous aurait déjà torturé et tué à l'heure qu'il est.

Cette fois ce fut au tour d'Emmercar de laisser un rire sans joie franchir ses lèvres.

– Si vous essayez de me faire croire que vous m'avez fait capturer par charité pour me sauver la vie, ne perdez pas votre temps, il n'y a aucune chance pour que je marche.

– Saviez-vous qu'il existait un souterrain qui permettait au gouverneur de s'enfuir discrètement de son palais en cas d'attaque ?

Emmercar réfléchit un moment. Non, il n'en avait jamais entendu parler.

– Je l'ignorais... Mais cela expliquerait comment l'assassin a pu atteindre le Gouverneur au nez et à la barbe de sa garde personnelle, et disparaître ensuite...

Le Nécromant hocha la tête. Le reflet de lumière rouge jouait sur ses mèches fines et désordonnées.

– Saviez-vous que ce souterrain débouchait sur un puits condamné, situé près de la porte nord de la ville ? Et saviez-vous que la propriété sur laquelle se trouve ce puits a été rachetée il y a environ deux mois par la Guilde des Masques ?

Emmercar plissa les yeux.

– Et vous, comment le savez-vous ?

– L'obtention de telles informations est ma première préoccupation. Il en va de ma survie et de la celle de ma guilde.

– Ce puits pourrait vous appartenir et vous pourriez avoir envoyé vos hommes dans ce souterrain. Qu'est-ce qui me dit que vous ne mentez pas ?

– La lampe, bien sûr.

– La lampe ?

Le lieutenant regarda la lampe en fer noir à la lueur rougeâtre qu'Estébaal tenait suspendue au bout d'un large anneau rouillé.

– Dites deux choses : un mensonge, et une vérité, proposa le Nécromant en affichant son sourire insolent.

Emmercar secoua la tête de lassitude et soupira. Mais la curiosité fut la plus forte.

– Le Gouverneur Deneklès était mon ami le plus cher.

La lampe continua de rougeoyer faiblement.

– Je suis l'assassin du Gouverneur Deneklès.

La pièce se retrouva brusquement plongée dans les ténèbres, cela dura quelque seconde, puis lentement la lampe redevint rouge, comme un soleil crépusculaire qui émergerait de derrière un nuage noir.

– Je suis l'assassin du Gouverneur Deneklès, répéta Estébaal.

Et le phénomène d'éclipse se reproduisit, laissant deviner qu'il s'agissait aussi d'un mensonge et qu'il n'était pas coupable... Ou alors qu'il était simplement un excellent illusionniste. Mais comme pour prouver qu'il n'y avait pas de piège, le Nécromant poursuivi avec une vérité :

– Je veux que vous abusiez de moi avec cette violence que je lis dans vos yeux. Je veux votre langue dans ma bouche, votre queue dans mon ventre. Maintenant.

La lampe redevint lumineuse. Elle luit de la lumière sanglante et vacillante des vérités inavouables. Emmercar avait cessé de respirer. Son regard était plongé dans les abysses vert poison. Le garçon le regardait très calmement et très sérieusement, alors qu'une tempête de sable venait d'explorer dans sa tête et rugissait à ses oreilles assez fort pour les faire bourdonner.

Le lieutenant de la milice avait décroisé les bras et ils pendaient le long de ses flancs comme des armes inutiles. Son regard resta pétrifié, à dévorer des yeux la bouche qui venait de dire des mots si pleins de poison.

Comment avait-il deviné ? C'était impossible ! Personne n'avait jamais soupçonné ses penchants honteux pour la chair mâle, personne ne l'avait jamais démasqué, personne ne l'avait jamais mis à nu d'un regard si perçant et attaqué au point le plus tendre et le plus sensible de sa carapace. C'était une provocation si violente et si peu subtile, prononcée par une voix si maîtrisée... Tout était étrange et flou : les mots de venin qui flottaient entre eux comme solidifiés par le silence, ce regard d'ambre vert aux inclusions morbides, cette bouche étirée par un léger sourire tentateur et cruel, la lumière vacillante de la lampe pourpre qui persistait à ne pas s'éteindre.

Pouvait-il croire en la magie de cet homme fourbe ? Il n'y avait qu'une façon de le savoir... C'est ce qu'il se dit pour se convaincre lui-même qu'il ne commettait pas une terrible erreur lorsqu'il avança vers le chef de la Mandragoule, quand il referma durement son poing dans les cheveux de soie vermeille, quand il se pencha pour ravir ses lèvres.

Il lui sembla que la respiration qu'il prenait était la première de toute sa vie. Il inspira d'une manière paniquée le souffle qu'il arrachait à la bouche de son ravisseur, il pressa ses lèvres avec violence, avec désespoir. C'était un baiser amer, coupable, avide, et bon terriblement bon. Un gloussement écarta les lèvres d'Estébaal et Emmercar s'y glissa avec voracité, il but ce rire satirique à la source, il but le poison de son âme, le goût interdit de sa salive, et il sut avec une certitude déchirante qu'il en avait eu envie toute sa vie. Et qu'il ne pourrait plus jamais oublier...

Il mit fin au baiser aussi brusquement qu'il l'avait initié et s'écarta. Il fit quelques pas dans le noir, tournant le dos à Estébaal, à son désir, à la chaleur étouffante qui brûlait son ventre et électrisait sa peau. Il ferma les yeux et contempla l'ampleur de son désastre intérieur. Tout ce à quoi il avait toujours résisté venait de se déchaîner en lui et de s'emparer de sa volonté pour la soumettre et le faire plier.

Le Nécromant n'avait eu besoin que d'une phrase pour l'assujettir à son pouvoir. Il n'avait utilisé aucune formule magique, aucun philtre mystérieux, aucun enchantement, il avait tout naturellement appuyé sur ses faiblesses les plus secrètes, et il l'avait mis à genoux.

Emmercar serra le poing à s'en faire blanchir les jointures et frappa dans un mur avec un râle de fureur. Le revêtement de chaux de la planque délabrée s'effrita dans un nuage de poussière blanche, laissant un trou à l'endroit que le lieutenant venait de heurter et une égratignure sur sa main.

– Il ne faut pas rester ici, nous ne sommes pas en sécurité. Je vais vous conduire à la Nécropole, décida le sorcier sans faire de commentaire. Suis-moi.

Et il ouvrit la route en rabattant sa capuche sur son visage fascinant, sa lanterne pourpre à la main.

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Carqaram était une ville construite sur les ruines de l'antique cité d'Arallû, qui rayonnait au temps de l'Empire Nébether. A présent que les siècles avaient englouti l'Empire du Sud sous les sables, il ne restait plus rien de la grandeur du passé. Seule demeurait la Nécropole enfouie, véritable ville souterraine, aux immenses mausolées de pierres, aux rues pavées, aux lanternes solennelles entre les allées de tombes. Toute l'antique magie s'était dissipée. Il ne restait rien de l'ère des dragons et des grands empires. Les habitants de l'Ancien Monde dormaient sous la voûte de pierre sertie de gemmes de lunes.

Et c'était là, dans le silence sinistre de ces ruines hantées que régnait sans partage la Mandragoule, l'une des Guildes Noires les plus puissantes du royaume d'Idac.

Emmercar suivait la silhouette sombre qui se mouvait avec fluidité dans les souterrains. Ils étaient sortis de la maison murée par la cave qui communiquait avec les égouts de la ville. Ils avaient progressé lentement à travers le réseau d'égouts jusqu'à un vaste escalier qui s'enfonçait dans les entrailles du monde. Les hommes en noirs qui en gardaient l'accès s'écartèrent à l'approche d'Estébaal et dévisagèrent Emmercar avec suspicions.

Le lieutenant se contenta de suivre en silence. Ses lèvres avaient toujours le goût de celles du sorcier et il ne quittait pas des yeux sa silhouette souple qui descendait devant lui jusqu'à l'immense cité souterraine. Il avait besoin de repos. Il avait besoin de recul, pour prendre pleinement conscience de sa situation, il avait besoin de réfléchir... Si Estébaal avait voulu le tuer, il n'aurait pas attendu, le lieutenant avait été à la merci de ses hommes suffisamment longtemps. Mais il n'avait toujours pas compris pour quelle raison il avait décidé de le protéger, lui qui traquait la Mandragoule depuis tant d'années. Leur chef l'emmenait aujourd'hui dans la cité interdite où aucun garde de la milice n'avait jamais osé descendre. Il était entouré d'ennemis, de morts, et de ténèbres.

Il aurait pu harceler son hôte de questions mais il se savait trop las et affaibli pour prendre la mesure des réponses qui lui seraient données. Il passerait immanquablement à côté d'informations importantes. Emmercar détestait être vulnérable, mais il savait reconnaître quand il l'était, et il prit le risque de tomber dans un piège.

Il avait d'abord pensé demander la protection de Rhadamanthe, le chef de la Guilde des Masques qui avait la réputation d'être une honnête guilde marchande. Mais après la discussion avec Estébaal, il n'était plus sûr de rien. Il ne savait plus qui étaient les ennemis et les alliés. Il ne savait même pas vraiment qui était le sorcier qui s'était présenté comme l'héritier du chef de la Mandragoule.

Le monde semblait s'être totalement renversé en une seule funeste journée. Comment la paisible cité de Carqaram avait-elle pu ignorer que de tels bouleversements grondaient dans son ventre ? Comment la milice avait-elle pu ne rien apprendre de la mort de Khênat l'Estrie, ne rien savoir du complot contre le Gouverneur, ne pas voir le piège terrible qui se refermait sur elle ? Aujourd'hui la ville était sans chef, car il faudrait plusieurs semaines au roi et au Conseil des Guildes, pour nommer un nouveau Gouverneur à la tête de Carqaram. Et Emmercar qui était l'un des plus hauts placés au sein de la milice de la ville était poursuivi pour assassinat.

Faire régner l'ordre au cours des jours à venir serait une épreuve de force. Et si un complot plus vaste avait été ourdi par la Mandragoule ou la Guilde des Masques, ou n'importe qui ayant des intentions aussi égoïstes, la ville sombrerait rapidement dans le chaos...

Emmercar serra les poings, il était rongé par l'inquiétude et l'impuissance.

– Arrête de faire ça, ordonna soudain Estébaal en le foudroyant de son regard d'ambre vert.

Il venait de le tutoyer et cela fit un effet étrange au lieutenant.

– Faire quoi ? Je te suis en silence ! riposta-t-il, agacé d'être grondé comme une nouvelle recrue indisciplinée.

– Tu n'es pas du tout discret ! Ton aura bourdonne de frustration et de colère. Je suis nécromancien, je me nourris de cette forme d'énergie sombre ! Sais-tu combien c'est insupportablement indécent de me narguer dans mon dos ?

Emmercar demeura silencieux un instant puis laissa échapper un rire rauque et incrédule. Jusqu'à ce qu'Estébaal lève la lanterne rouge à hauteur de son visage et que le lieutenant y lise une colère glaciale. Il cessa brusquement de rire.

– Tu étais sérieux ?

L'hostilité qui assombrit l'ambre vert répondit pour lui.

Un homme surgit soudain de l'ombre, se frayant un chemin entre les allées de tombes.

– Maître ! Zamoxis m'a d'mandé d'vous avertir qu'il y avait du r'tard sur la livraison de fleurs de charognes...

Le petit homme trapu au crâne parsemé de rares cheveux blancs s'interrompit en apercevant Emmercar.

– C'est bon, tu peux continuer Garrmah, le rassura Estébaal.

– L'assassinat du gouverneur a mis la ville sans d'ssus-d'ssous et le marchand de fleurs du déserts a dû s'cacher dans une d'nos auberges. Zamoxis est parti l'chercher avec deux hommes pour l'ramener discrètement à la Nécropole. Il a dit d'faire attention et d'protéger tous nos partenaires commerciaux, comme quoi la garde allait augmenter la surveillance...

– Il a malheureusement raison, soupira le Nécromant. Préviens tout le monde : je déconseille fortement à ceux qui peuvent l'éviter de quitter la Nécropole. Et avertis-moi si nos partenaires habituels ont des difficultés à traverser la ville, nous les ferons entrer et sortir par des passages moins directs mais plus discrets. Je serai à la Succube.

– Bien Maître, je fais passer l'message !

– Ah Garrmah, peux-tu remettre cela à la personne habituelle ?

Estébaal remit à son serviteur un parchemin roulé qui devait être celui que le lieutenant l'avait vu rédiger plus tôt. L'homme le prit délicatement dans ses grosses mains calleuses et salua son maître.

Emmercar le regarda repartir en se dandinant entre les pierres tombales. Il n'avait pas soupçonné une telle organisation, pourtant ce jeune seigneur semblait tenir la Mandragoule d'une main de maître... Estébaal s'était remis en route et en regardant sa silhouette mince le lieutenant se sentit nerveux : ce gamin arrogant pouvait-il vraiment sentir ses émotions ? Les sorciers noirs se nourrissaient-ils vraiment d'énergie sombre ? C'était une idée très dérangeante...

– Que sont les fleurs de charogne ? demanda-t-il pour orienter ses pensées vers un sujet moins dérangeant.

– De la drogue, répondit le sorcier. Ce sont des fleurs du désert couvertes d'une sorte de barbe qui les font ressembler à de la viande en putréfaction. Elles en ont aussi l'odeur. Nous n'achetons que les noires, leur suc a des vertus hypnotiques et apaisantes. Nous le commercialisons sous le nom de...

– Larmes du désert, comprit Emmercar. C'est une drogue horrible qui nécrose les organes internes.

– Non, les Larmes du désert n'y sont pour rien. C'est un venin d'araignée qui a la même couleur et la même consistance que le suc des fleurs de charogne qui provoque la nécrose. Les revendeurs diluent le produit d'origine pour le redistribuer en plus grande quantité à moindre coût. La milice de Carqaram n'est pas la seule à lutter contre de tels comportements, la Mandragoule condamne aussi ce trafic...

Emmercar ricana.

– Oui, vous êtes les gentils vendeurs de drogue hypnotique de bonne qualité, pardonne mon erreur.

Estébaal ne releva pas le sarcasme, et cette absence de réaction énerva encore plus le lieutenant.

Ils venaient d'atteindre le centre de la cité souterraine et les cimetières plongés dans les ténèbres avaient peu à peu laissé la place à de grands mausolées, des statues majestueuses et des sépulcres hauts comme des maisons. Les ruines de la Nécropole étaient bordées de lanternes et de lampes à huile qui émettaient de faibles lueurs vacillantes. Des hommes et des femmes vêtus de vêtements amples et de capes sombres erraient tels des fantômes dans les rues de la cité et parlaient à voix basse. Une agitation inquiétante semblait les agiter.

Ils tournèrent à l'angle d'un haut mausolée et Emmercar découvrit avec stupéfaction un immense bâtiment de granit qui avait dû être un temple. Une unique ouverture dissimulée derrière un rideau de voile pourpre à demi-transparent permettait de pénétrer dans l'édifice. Dans une alcôve au-dessus de l'entrée, une démone d'obsidienne aux ailes déployées accueillait les visiteurs, nue et lascive. En-dessous de la statuette, une plaque de granit était gravée d'inscriptions qu'Emmercar n'eut pas le temps de lire.

Une musique joyeuse leur parvint, ponctuée de discussions plus fortes et d'éclats de rires, de gloussements de femmes, de musique entêtante et de bruits d'eau.

– Quel est cet endroit ?

– C'était un temple de la Lumière à la glorieuse époque de Nébether... Les prières qui s'y élevaient devaient guider les âmes jusqu'à leur dernière demeure. Aujourd'hui c'est une maison close. C'est le bâtiment principal de la Nécropole. Je vis ici. Et de fait, toi aussi, jusqu'à ce que le meurtre du gouverneur soit résolu et que je puisse te rendre ta liberté.

– Ma liberté ? Alors quoi, je suis prisonnier ?

Estébaal se retourna et lui adressa un sourire dangereux qui fit s'arrêter le lieutenant.

– C'est un peu plus compliqué que cela... Je t'expliquerai lorsque nous serons à l'intérieur. Je ne souhaite pas provoquer une émeute en risquant que quelqu'un ici te reconnaisse...

Il avança jusqu'à l'entrée du vieux temple et écarta le rideau. Les gardes qui protégeaient l'entrée le saluèrent respectueusement.

– Ma demeure s'appelle La Succube. Baisse la tête et suis-moi.

:~:~:~:

Emmercar suivit son hôte dans son repaire. Des lampes et des lanternes orange et rouges diffusaient des lueurs sombres et projetaient de longues ombres. L'endroit était confortable et intime. Entre les colonnes de granit aux peintures ocres effacées par le temps, d'immenses tapis aux formes géométriques complexes, aux motifs floraux d'or et de pourpre, et couverts d'énormes coussins brodés jetés à même le sol donnaient l'impression d'entrer dans un interminable lit où prostitués et clients discutaient, alanguis entre les danseuses, les musiciens et la fumée épicée des bâtonnets d'encens.

Le lieutenant détourna ces yeux de cette débauche de luxure et se concentra pour ne pas perdre de vue son guide et ne pas heurter un couple en pleine action.

Au bout de la salle principale, un nouveau rideau dévoilait l'accès d'une autre section, plus calme et gardée par d'autres hommes en armes. Un immense bassin d'eau claire creusé dans la roche occupait le centre d'une vaste salle et de petites alcôves fermées de rideaux opaques accueillaient des chambres plus intimes réservées aux clients. Emmercar aperçut des chambres libres, où les larges lits décorés de voiles fins offraient tout le confort souhaité. D'autres alcôves abritaient ce qui ressemblait à des tables de massages, entre des étagères encombrées de flacons, de pots en verre et de plantes séchées.

L'organisation de cet endroit et la magie qui l'envoûtait malgré lui fascinèrent le milicien. Tout ici était chair et plaisir, pas étonnant que le maître des lieux ait pu lui proposer de l'embrasser et de lui faire... d'autres choses, sur un ton aussi décontracté. S'il vivait dans un tel endroit, plus rien ne devait le choquer.

Au bout de cette deuxième section, deux portes cette fois, en bois noir, fermaient l'accès de ce qui semblait être deux hautes tours. Estébaal se dirigea vers celle de droite. Les deux gardes qui en protégeaient l'accès le saluèrent avec respect et le Nécromant les informa qu'Emmercar était avec lui et pouvait entrer.

Le lieutenant n'avait vu le visage d'aucun des gardes. Ils portaient des armures de cuir sur des vêtements noirs et des capuches profondes sous lesquelles ils arboraient des masques sombres aux traits d'une rigidité cadavérique. Ils faisaient froid dans le dos et Emmercar se hâta de suivre le sorcier jusqu'à ses appartements privés. Il n'éprouva pourtant aucun soulagement quand la lourde porte se referma sur eux.

En haut d'un escalier de granit se trouvait une vaste chambre percée d'étroites fenêtres. Un feu brûlait en son centre dans une vasque de pierre noircie. Des tentures aux motifs étranges rouges et ocre ornaient les murs et d'épais tapis de mêmes couleurs faisaient de la pièce un écrin de magie. Un large lit de soie pourpre occupait une partie de la pièce.

Tout semblait rangé et ordonné avec une précision maniaque : des étagères chargées de livres, aux pierres et aux gemmes gravées de runes déposées dans un bassin d'eau pure, des paquets de cartes couvertes de dessins inquiétants et de symboles incompréhensibles aux nombreux flacons et instruments à l'usage inconnu, tout avait manifestement une place précise.

Mais ce qui surprit le plus le milicien, ce fut d'être introduit dans les appartements privés du maître de la guilde. Il aurait pu le rencontrer partout ailleurs. Mais il avait choisi de le laisser entrer jusque dans l'intimité de sa demeure. Ils étaient ennemis il y avait seulement quelques heures... Ils étaient toujours ennemis maintenant en fait, réalisa le lieutenant en sentant sa tension remonter, et il ne savait pas ce qu'il devait en penser.

Estébaal alluma les trois bougies d'un chandelier et le posa sur un bureau déjà chargé de rouleaux de parchemins, de bouteilles d'encre de différentes couleurs et de plumes élégantes.

Il défit l'attache de sa cape, sortit d'une poche intérieur une plume et un encrier qu'il rangea avec les autres et déposa sur un fauteuil le vêtement sombre et déchiré par endroits. En-dessous il portait une courte tunique sans manches au col serré à la gorge et un pantalon bouffant resserré aux chevilles et à la taille, qui mettait ses fesses en valeur d'une façon terrible. Une ceinture de tissu soulignait ses hanches minces et son ventre plat, le tout était pourpre, et rappelait la couleur insolite de ses cheveux.

Il abandonna dans un coin la paire de chaussures aux bouts en pointe qu'il portait et revint pieds nus jusqu'au lieutenant.

– Je te rends nerveux, Emmercar du Tahid ? Tu ne bouges plus...

Emmercar ne répondit pas. Il se contenta de parcourir des yeux son visage harmonieux de statue, ses yeux étranges, ses lignes de runes, son corps mince aux muscles discrets... Il était bel et bien tombé dans un piège en fin de compte. Même si le jeune seigneur n'avait pas de mauvaises intentions, il avait un grand pouvoir sur lui, parce qu'il était exactement à son goût : à la fois sensuel et insolent, mystérieux et dangereux, il avait l'air fragile mais il était puissant... Comment pouvait-il lutter efficacement contre un sorcier s'il devait en même temps se battre contre ses propres désirs ? Un sourire amer tordit sa bouche. Les dieux lui avaient joué un tour bien cruel !

– J'attends que tu m'expliques, répondit-il. Puisque je suis ton prisonnier, c'est à toi de fixer les règles...

Il avait dit ces mots avec un cynisme évident. Il ne pourrait pas tromper le Nécromant sur ses intentions, et il n'avait pas l'intention de faire sagement ce qu'il lui demandait. Quand il aurait enfin pu prendre une nuit de sommeil et réfléchir à un plan d'action, il remonterait à la surface, retrouverait l'assassin de Deneklès et s'innocenterait !

– Déshabille-toi.

Emmercar écarquilla les yeux.

– Comment ? souffla-t-il.

– Déshabille-toi. Entièrement. Tu ne peux pas garder ton uniforme de la milice, tu vas rendre nerveux les habitants de la Nécropole. Même si à titre purement personnel je trouve que l'uniforme de te rend très excitant.

Emmercar renifla d'agacement. Il détestait qu'on se moque de lui. Il regarda le petit seigneur ouvrir un coffre et commencer à chercher des vêtements à la taille du lieutenant. Il en sortit un pantalon bouffant et une longue tunique noire, simple mais élégante, ils semblaient à sa taille, et de très bonne qualité.

– Ils appartenaient à Khênat, ils devraient t'aller.

– Je dois renoncer à mon uniforme pour porter les vêtements du chef de la Mandragoule ?

– Je suis le chef de la Mandragoule. Et oui, tu vas faire ce que je te demande.

Sa voix était d'un calme effrayant. Sans émotion, presque monocorde.

– Tu ne me fais pas peur, gamin. Si tu veux que nous collaborions pour faire revenir l'ordre qui permettra la prospérité de tes affaires crapuleuses, tu vas devoir mettre de côté ton arrogance de petit bandit. J'ai maté des truands bien plus terribles que toi...

– Je ne crois pas, non...

Emmercar fronça les sourcils lorsque le sorcier approcha sa main droite de sa propre bouche et souffla sur le bout de ses doigts en le regardant dans les yeux. Le lieutenant afficha un sourire désabusé, il avait envie de le frapper. Et il avait envie de le baiser aussi, avec une intensité similaire.

– N'imagine pas que tu m'impressionnes avec tes tours de pa...

Sa phrase se termina dans un hoquet de surprise. Le Nécromant venait de refermer le poing dans le vide et les jambes d'Emmercar l'avaient lâché au même moment. Il était tombé à genoux, ses mains reposaient mollement sur le sol de part et d'autre de son corps. Ses bras et ses jambes étaient totalement engourdis et les bouger lui auraient demandé un effort considérable. Il était certain de ne pas pouvoir se remettre debout et un juron de rage franchit ses lèvres.

– Qu'est-ce que tu m'as fait ?! hurla-t-il en levant les yeux vers le sorcier pour le foudroyer de son regard d'obsidienne.

Le sorcier s'accroupit devant lui.

– Ce n'est qu'un tour de passe-passe, ironisa-t-il. Ne t'inquiète pas, je ne fais pas cela souvent, les gens apprennent très vite à m'obéir, tu ne feras pas exception. Je pourrais engourdir tout ton corps et te torturer pendant des heures sans que tu me résistes...

Emmercar se sentit frissonner. Il ne mentait pas... Il en était certain, et c'était effrayant. Mais il n'avait jamais eu peur de mourir, ni d'être torturé, il était résistant à la douleur et il avait une volonté d'acier. Alors il plongea son regard dans celui du Seigneur de la Nécropole et y fit passer toute sa fureur. Puis ses yeux glissèrent sur le reste du corps accroupi devant lui, il en aurait hurlé de frustration. Il avait envie de le clouer au sol, de briser son arrogance et de le faire plier. Il avait envie de le faire gémir aussi...

Il jura entre ses dents serrées et détourna le regard. Cela ne lui ressemblait pas de ne pas contrôler ses émotions, ce sorcier avait sur lui un effet presque trop puissant. Il n'avait jamais dû lutter aussi fort contre lui-même.

– Tu n'as pas du tout conscience de ce que tu fais, hein ? demanda Estébaal d'une voix un peu tremblante.

Emmercar releva les yeux, il allait protester mais le regard douloureux que lui lançait le maître de la Mandragoule le réduisit au silence.

– Tout en toi me provoque et m'excite : ta colère, ton désir, ta frustration...

Il y avait maintenant quelque chose qui ressemblait à de la détresse dans la voix du jeune seigneur.

– J'aime les hommes comme toi, Emmercar. Les guerriers, les soldats, les hommes d'honneur, ceux qui respectent des principes, s'imposent une morale, s'attachent à une discipline, et luttent contre leurs désirs. Vous retournez tellement d'énergie contre vous-même pour lutter contre vos pulsions et suivre vos propres règles que vous êtes des êtres perpétuellement sous pression. Vous évoluez au bord d'un précipice de démence, sans jamais tomber. Et l'énergie que vous dégagez est plus noire, plus terrible et plus pure que celle des criminels et des fous eux-mêmes...

Il avait posé une mais juste au-dessus du cœur du milicien et il devait le sentir battre comme un forcené. Il était trop proche et Emmercar bloqua sa respiration pour se calmer.

– Je ne suis pas un jouet pour les apprentis sorciers en manque de sensations fortes, cracha-t-il d'une voix rendue glaciale par la frustration. Dis-moi ce que tu attends de moi et libère-moi.

– Je n'avais aucune mauvaise intention, murmura Estébaal d'un ton désolé. C'est toi qui complique tout. Je voulais simplement te protéger jusqu'à ce que tu sois innocenté puis te libérer en te rappelant bien la dette que tu avais envers moi. J'ai déjà trop d'ennemis pour m'attirer ta haine.

L'expression de souffrance qui se peignit sur le visage du sorcier surprit Emmercar. Et la détresse qu'il lut dans les émeraudes sombres calma sa colère. Il était peut-être un nécromancien, détenteur d'une magie ancienne, funeste, méconnue, et interdite... Mais à cet instant il avait l'air d'un innocent accablé par la douleur, et le cœur droit d'Emmercar ne pouvait pas rester insensible à cela.

Sa fureur reflua et fut remplacée par de la compassion et un désir plus tendre. Estébaal soupira de soulagement quand l'énergie sombre de son prisonnier se dissipa.

– Merci, souffla-t-il en retrouvant lentement et difficilement son masque d'arrogance. J'ai cru que j'allais perdre pied et te dévorer avant la fin des civilités.

Emmercar ricana.

– Les civilités de la Nécropole nécessitent donc de faire physiquement plier ses hôtes à sa propre volonté... Quelle cité charmante !

Estébaal sourit et ses mains s'activèrent sur les sangles de cuir de l'uniforme du lieutenant.

– Tu n'as encore rien vu !

– Que fais-tu ?

– Je te déshabille. Ce n'était pas seulement un prétexte fallacieux, tu ne peux vraiment pas porter l'uniforme de la milice ici.

– Et je suis ton prisonnier, c'est bien cela ?

Estébaal sourit encore et Emmercar commença à comprendre qu'aussi beau que soit ce sourire, il était un présage funeste.

– Non, tu es ma propriété. Un prisonnier pourrait tomber entre les mains de mes hommes. Et je ne récupèrerais que tes ossements si je t'abandonne à Zamoxis et ses bourreaux, ils n'apprécient pas vraiment la garde de la ville, tu sais...

– Alors je suis ton esclave personnel ? s'amusa le lieutenant. Intéressant. Et tu vas me dévorer vivant, ou est-ce que tu vas d'abord me tuer et me dépecer ?

Un éclat d'amusement brilla dans l'ambre vert.

– Oh non, vivant !

Emmercar pencha la tête et lui jeta un regard d'avertissement. Il était vraiment beau quand il était amusé, la cruauté donnait au poison de ses yeux une teinte interdite. Il était tellement agaçant, il aurait bien mordu cette bouche insolente...

– Pitié, ne recommence pas, supplia Estébaal en fermant les yeux.

Ce fut au tour du lieutenant de s'amuser.

– Je ne comprends vraiment pas ce que je te fais, sorcier de pacotille, mais si ta magie faiblit, je serai bientôt libre. Je pense que je devrais continuer de te provoquer.

– Oh non si tu ne veux pas que cette charmante discussion tourne mal, je te déconseille de me provoquer. Tu me fais l'effet d'une source d'eau pure dans le désert... Et je parle d'expérience !

Le pourpoint de cuir du lieutenant tomba finalement sur le sol, ainsi que la tunique blanche qu'il portait en dessous, révélant une musculature solide, des épaules larges, des cicatrices de combats passés, un ventre plat, des bras puissants... Lorsque le sorcier acheva de retirer la tunique, les bras du milicien retombèrent le long de son corps et il adressa un regard par en-dessous à Estébaal qui le dévorait des yeux sans retenue.

– Tu viens du désert ? demanda le lieutenant.

Le sorcier sembla revenir à lui et il glissa ses doigts dans les cheveux coupés courts du milicien pour y remettre un peu d'ordre.

– Oui, j'ai grandi dans le désert Amarah. Les derniers Nécromanciens du continent y ont leur temple. J'étais bébé quand ils m'ont recueilli. La magie fait partie de moi...

– C'est pour cela que tu as les cheveux rouges ?

Estébaal s'attaqua au ceinturon de l'uniforme.

– C'est l'effet secondaire d'une substance qui renforce les pouvoirs de divination qui colore les poils et les cheveux. Tu n'aimes pas ?

Emmercar ne répondit pas. Il avait envie de passer ses doigts dans cette chevelure étrange, mais le gamin insolent n'avait pas besoin de le savoir.

– Comment t'es-tu retrouvé ici ?

– Khênat m'a acheté aux Nécromanciens. Il faisait confiance à ma magie pour faire prospérer la Mandragoule. Et cela a fonctionné, nous sommes devenus plus riches et influents que jamais. Mais le succès a un prix, la jalousie de Rhadamanthe était celui à payer.

– Rhadamanthe a également fait poignarder l'Estrie ?

– Il l'a fait empoisonner.

Emmercar crut deviner une amertume douloureuse dans la voix du jeune seigneur et il n'insista pas. Le ceinturon tomba sur le sol.

– Quel âge tu as ?

– Vingt-trois ans.

– Tu es trop jeune pour être chef d'une guilde aussi puissante. La Mandragoule te dévorera, petit. Rends-toi à la milice, tu seras protégé en échange les informations que tu pourras vendre. Tu peux encore échapper à ce monde...

Le visage d'Estébaal se contracta.

– Et quelle protection offre-t-on aux sorciers noirs ? Une cage pour mourir ? Les soldats de la milice viendront-ils s'amuser avec moi, tard la nuit, quand ils seront furieux qu'un membre de mon organisation leur ait échappé ? Ne me prends pas pour un idiot, je ne peux pas échapper à ce monde, j'y suis né, je suis ces ténèbres. Je suis la Mandragoule. Et j'étais destiné à le devenir.

Il termina de lui retirer son pantalon de cuir et ses bottes. Emmercar était détendu malgré la situation insolite. Il n'était pas pudique, et il n'avait pas peur des souffrances qui l'attendaient. Et puis il craignait de moins en moins le Nécromant, puisque finalement il répondait civilement à toutes ses questions, mêmes les questions indiscrètes. Et ses crises de colère lui semblaient plus amusantes qu'effrayantes. Le lieutenant se sentait dans son élément, en équilibre précaire entre le danger et le pouvoir, malgré la tournure inhabituelle que prenait cet interrogatoire.

– Tu as l'air affaibli... Comment fonctionne ta magie exactement ?

– Ça ne te regarde pas.

– Oh, c'est un point sensible ?

Estébaal saisit le téton droit du milicien, entre son pouce et son index et y planta les ongles. Emmercar échappa un râle rauque de douleur en réalisant que les ongles du sorcier étaient taillés en pointe.

– Oh, c'est un point sensible ? demanda à son tour Estébaal avec un sourire cruel dans la voix.

Emmercar salua sa répartie d'un rire que la douleur rendit un peu sec.

– Allez, ne sois pas sur tes gardes comme ça, Nécromant. Ça ne me plaît pas mais tu es mon seul allié, comment est-ce que je peux t'aider ?

– Tu veux m'aider ? s'étonna le sorcier, et ses yeux d'ambre vert s'agrandirent. Sans rien demander en retour ?

– Rien demander ? Certainement pas ! Je suis au service des honnêtes gens, pas des criminels ! Je veux la tête de l'assassin de Deneklès.

Estébaal le regarda avec une drôle d'expression, et finalement il sourit.

– Marché conclu. Tu auras la tête des assassins du gouverneur. Aussi étrange que cela puisse paraître aux yeux d'un homme comme toi plein de préjugés, je ne souhaitais pas la mort du Gouverneur Deneklès. Il maintenait un ordre qui rendait la ville prospère et notre commerce florissant… Jusqu'à ce que tu obtiennes ta vengeance, pour tout le monde tu seras mon garde du corps. Tu t'appelles Mercar et tu viens de la Guilde des Voiles de Sacarnac. Compris ?

– Oui, Maître, répondit Mercar avec un sourire torve.

Le Nécromant déposa les nouveaux vêtements du milicien entre ses genoux et son regard s'attarda longuement sur ses parties intimes ce qui n'échappa pas à Emmercar qui sentit à nouveau ses sens s'enflammer et son désir électriser sa peau comme un torrent de lave pure. Le jeune seigneur se raidit et ferma douloureusement les yeux.

– De grâce, gémit-il en se relevant.

Emmercar aurait voulu rire du malaise étrange qu'il provoquait chez le Nécromant mais au même moment Estébaal souffla sur ses doigts et libéra ses membres de leur engourdissement.

Son sexe devint aussitôt solide et il s'habilla en silence.

A suivre…

Ecriture achevée le 06/09/2014